Le vieux jazz


C’est à La Nouvelle-Orléans, aux alentours de 1900, que naît l’art instrumental du jazz. Cette ville, fort animée, connaissait une vie musicale importante, fondée essentiellement sur un répertoire français de marches, quadrilles et autres danses à la mode. Les Créoles en étaient les principaux exécutants. Les Noirs, enfermés dans le quartier de « Perdido », s’amusèrent à recréer, selon leur sensibilité et leur malice, les airs qu’ils entendaient, s’assemblant en des orchestres d’instruments bricolés (banjos faits d’une boîte à fromage, contrebasses obtenues à partir d’un tonneau) que l’on dénommait « spasm bands ». À partir des brisures et des syncopes que les Noirs avaient apportées à ce répertoire, une nouvelle formule s’élabora, le ragtime (morceau de piano déhanché, écrit autour de trois thèmes), qui fit fureur dans les bars de Storyville, le quartier réservé de La Nouvelle-Orléans.

Parallèlement, enfin, aux « spasm bands », existaient des fanfares noires, qui exécutaient des marches, des quadrilles, ainsi que des morceaux composés par des pianistes de Storyville. Ces ensembles se produisaient, notamment, pour des défilés, des enterrements, des pique-niques, des réunions électorales, des bals de banlieue. Grâce à leur réputation, ils finirent par forcer les portes des « saloons » et dancings de La Nouvelle-Orléans. C’est dans leurs rangs qu’il faut chercher les premiers noms célèbres du jazz : le trompettiste Buddy Bolden, puis les cornettistes Freddy Keppard et Bunk Johnson.

Hormis quelques reconstitutions laborieuses, on n’a pas de documents enregistrés sur cette préhistoire du jazz. Quant au mot lui-même, il apparut seulement vers 1915, dérivé, sans doute, d’un terme d’argot qui désignait l’acte sexuel. Ce n’est que dans les années vingt que son emploi sera généralisé et qu’il recouvrira la nouvelle musique noire, au répertoire mêlé, à la fois blanc et noir, mais à la démarche instrumentale et rythmique déjà très originale.





New orleans (1900-30)

Ce sont les Noirs de la Nouvelle-Orléans qui ont crée le jazz en mêlant divers éléments de leur environnement musical, le negro spiritual, emprunté à leur tradition afro-américaine, et la musique des Blancs, celle des orchestres de danse et des fanfares militaires. Sur le modèle des brass bands (fanfares de cuivres) des Blancs, il existe au 19ème siècle des marching bands noirs, qui jouent lors d’enterrements, mariages et fêtes : marches, danses, chansons, chœurs, negro spirituals, blues, … Les marching bands diminuent en effectifs vers 1890 pour donner naissance aux premiers jazz bands dans les bars de la Nouvelle-Orléans, dans la formation typique suivante : cornet (ou trompette), clarinette, trombone, tuba basse (ou contrebasse), banjo (guitare ou piano). Ils en reprennent les harmonies fonctionnelles et les rythmes de marche.


Une ville, mais aussi un style, celui des débuts du jazz. Au mélange d’influences comme le spiritual, le blues, le ragtime, il faut rajouter celles des orchestres de parade, du folklore espagnol ou de l’opéra français. Dans le jazz New-Orleans, une polyphonie s’impose : la trompette joue le thème et s’en écarte un peu, le trombone l’épaule par ses basses ou ses glissandos et la clarinette brode. A côté du piano, la section rythmique se compose de la guitare ou du banjo ou d’un tuba (ou une contrebasse) et de la batterie.


Le style new-orleans est originaire du Sud des Etats-Unis. Au début du 20è siècle, la Nouvelle Orléans est une ville carrefour dans laquelle coexistent de nombreux folklores. On cite la rivalité qui existait entre d’une part les Créoles de Louisiane, affranchis depuis longtemps de l’esclavage de colons français et (dans une moindre mesure) espagnols, et d’autre part les Noirs fraîchement déliés des colons anglo-saxons, formant une population plus pauvre, plus prolétaire, moins intégrée, moins civilisée et plus proche de l’Afrique. C’est le quartier de la prostitution (Storyville) qui est l’humus de cette rencontre musicale. Le style New Orleans caractérisé par la profusion de lignes mélodiques qui se tissent en improvisation collective dans un contrepoint libre. La version blanche du style New Orleans s’est développée un peu plus tardivement sous le nom de style dixieland.
 

Ce style de jazz fut popularisé par des musiciens plus ou moins légendaires : Buddy Bolden, Manuel Perez, George Baquet, Alphonse Picou... Puis des pionniers comme King Oliver, Jelly Roll Morton.
Mais dès 1929, le style et la conception orchestrale de la Nouvelle-Orléans ont vécu. King Oliver et Jelly Roll Morton cessent peu à peu leur activité. Louis Armstrong joue exclusivement avec des grands orchestres, parfois très commerciaux. Il faudra attendre 1940, et la vogue du New Orleans Revival [1], pour que ce style retrouve les faveurs d’un public.


[1] New Orleans Revival (ou mouvement « trad » [traditionaliste]) : mouvement qui, vers 1940, réunit autour de vétérans louisianais, pour la plupart redécouverts à cette occasion (Bunk Johnson, Jelly Roll Morton, …), de jeunes musiciens blancs américains (Bob Wilber) ou européens (Claude Luter) soucieux de conserver l’esprit des premiers temps du jazz.


Style Chicago



Les "chicagoans"

Si le jazz vit le jour à la Nouvelle-Orléans et y fut popularisé par des musiciens plus ou moins légendaires (Buddy Bolden, Manuel Perez, George Baquet, Alphonse Picou), c’est à Chicago qu’il s’épanouit vraiment. La fermeture, en 1917, du quartier réservé de « Storyville » provoqua un exode massif de musiciens vers Chicago (migrations des populations du Sud vers les grandes villes industrielles du Nord), qui leur offrait de rentables possibilités de travail. King Oliver s’y installe dès 1918 avec sa formation l’Original Creaole Jazz Band (Johnny Dodds ou Jimmie Noone à la clarinette, Honoré Dutrey au trombone, Lil Hardin au piano, Baby Dodds à la batterie et Louis Armstrong au cornet). C’est avec cet ensemble, que King Oliver enregistre en 1923 les morceaux les plus caractéristiques du style Nouvelle-Orléans, fondé principalement sur l’improvisation collective et la recherche d’une polyphonie spontanée. De son côté, en 1922, Jelly Roll Morton fonde les Red Hot Peppers, ensemble avec lequel il va créer de nombreux chefs-d’œuvre. En 1925, Louis Armstrong quitte l’orchestre de King Oliver pour diriger les premières sessions de son Hot-Five. Au sein de ses différentes formations de Hot Five, Armstrong affirme l’émergence du soliste qui prend le relais de l’improvisation collective. Parallèlement à l’activité des musiciens noirs, de jeunes musiciens blancs tentent avec succès une adaptation originale (ou une imitation ?) du style Nouvelle-Orléans (= Dixieland).

Bix Beiderbecke - Bix sur le Net

Les plus célèbres du « style Chicago » [1] sont les trompettistes Bix Beiderbecke, Muggsy Spanier, les saxophonistes et clarinettistes Frank Teschemacher, Frankie Trumbauer, Pee Wee Russell, Bud Freeman, Benny Goodman et Mezz Mezzrow, ainsi que le batteur Gene Krupa. Peu à peu, New York prend le relais de Chicago : le centre du jazz se déplace de Chicago vers la Côte Est des Etats-Unis, en particulier à Harlem, avec des musiciens comme les pianistes Earl Hines ou Fats Waller. Des pianistes de ragtime, puis de stride (James P. Johnson) ont commencé à y développer des formes plus sophistiquées. Dès 1920, Fletcher Henderson y fonde son premier grand orchestre. C’est à New York également que Louis Armstrong s’impose comme la première « vedette du jazz »... Le jazz va alors entrer dans l'ère classique : le swing et les big bands.

[1] Chicago (1920-30) : en 1917, après la fermeture du quartier de Storyville à la Nouvelle-Orléans, beaucoup de musiciens gagnent Chicago. Noirs et Blancs jouent ensemble. Le style Chicago, marqué par la hot-intonation, est illustré par des virtuoses comme King Oliver, Louis Armstrong, Jelly Roll Morton. Les instruments évoluent : guitare et piano à la place du banjo, saxophone au lieu du trombone, contrebasse au lieu du tuba. Formations des plus célèbres : King Oliver’s Creole Jazz Band, avec L. Armstrong (1923) ; Louis Armstrong and his Hot Five (1925) et Hot Seven (1927) ; Jelly Roll Morton’s Red Hot Peppers (1926).