Songbooks de John Cage


SONG BOOKS de John CAGE
Cage pensait que l'art est le prototype de la transformation du monde et de nous-mêmes et qu'il y a nécessité d'une œuvre musicale qui ouvre à la perception du son et de la vie elle-même.
Cage est né le 5 septembre 1912 à Los Angeles, le père était inventeur, Sa tante lui a enseigné le piano. . En 1924, Cage anime une émission de radio, pour les scouts d'Amérique. En 1930, il découvre l'Europe et notamment Paris. . En 1934, il devient l'élève de Schoenberg.
En 1935, il épouse Xenia, et s'installe en 1937 à Seattle où il sera compositeur-accompagnateur d'une classe de danse. Déçu par le dodécaphonisme, notre « inventeur » entrevoit dès lors la nécessité de faire appel à des « domaines nouveaux d'exploration et des rapports inusités entre les sons…Les instruments à percussion sont tout désignés pour un tel projet ». First Construction in Metal (1937) exclusivement pour percussions métalliques : gamelans, plaques de frein…
Cage arrive à New York en 1942. Il est hébergé par Max Ernst et rencontre Mondrian, Breton et Duchamp (en 1944, il réalise Chess Pieces dont l'intérêt est aussi bien visuel que sonore). James Joyce, Erik Satie
En 1945, John et Xenia divorcent, c'est de ce choc que va naître la connaissance de la pensée orientale. En 1951, il découvre le I Ching (ou Yi King), le « Livre des Mutations », recueil d'oracles de la Chine ancienne, qui comporte des diagrammes et qui va permettre à Cage de jouer avec le hasard dans ses œuvres. A partir de 1954, il s'intéresse à la mycologie. John Cage est mort en 1992.

L'œuvre de John Cage est éclectique.

L'œuvre de John Cage est marquée par trois dates pivots : 1938, 1951 et 1970.
a) 1938-1950 : La musique de John Cage a été réglée dans un premier temps (si l'on excepte les pièces de jeunesse) par une esthétique précise et catégorique. Une composition comprenait quatre éléments : structure, méthode, matériau et forme (la structure la plus souvent employée est la « racine carrée »).
1938 est une date-clef. Cage « invente » le piano préparé ( par manque de place pour installer un orchestre de percussions)à l'occasion de la commande d'un ballet intitulé Bacchanale pour la danseuse Syvilla Fort.
En 1939, Imaginay Landscape n°1 est considérée comme la première œuvre utilisant des sources électroacoustiques.


b) 1951-1969 : En 1951, il y a une nouvelle étape esthétique : celle du « non finito » : l'activité créatrice ne prend pas nécessairement fin avec l'achèvement de l'œuvre. (L’interprète est fortement impliqué) et découverte du I Ching (le tempo, le choix des notes…. sont pour leur part soumis au tirage au sort)
1952 : 4' 33'' (cf. toiles intégralement blanches ou noires de R. Rauschenberg)
De 1958 à 1968, Cage conçoit des pièces « indéterminées ». Le Concert for Piano and Orchestra fut créé en mai 1958 au Town Hall de New York et déclencha une violente polémique. De 1958 à 1968, Cage conçoit des pièces « indéterminées ». Le Concert for Piano and Orchestra fut créé en mai 1958 au Town Hall de New York et déclencha une violente polémique. Chaque musicien effectue un choix dans la partition « retenant certaines séquences, en laissant d’autres de côté, et leur attribuant des durées » (attitude différente de l'œuvre ouverte de Boulez dans laquelle ce dernier veut garder le dernier mot!)


c) Les Song Books (1970) ont été écrits dans un temps limité : entre août et octobre 1970. Ils ont été commandés par la Fondation Gulbekian, donnés aux Semaines Musicales Internationales de Paris en création mondiale dans l'interprétation de Simone Rist et de Cathy Berberian.
Le titre au pluriel renvoie au fait qu'il y a deux livres : Livre I (Solos 3-58) et Livre II (Solos 59-92).
Il le questionna le I Ching pour le nombre de solos, le genre: chant avec ou sans traitement électronique, théâtre avec ou sans traitement électronique (il est en effet prévu de placer des micros près de la gorge de l’interprète pour permettre l’amplification et la transformation des sons vocaux; des microphones de contact amplifient également les sons non-vocaux, par exemple des actions sur une table ou une machine à écrire, etc…) ainsi que la technique compositionnelle à mettre en œuvre (nouvelle technique, reprise d’une technique précédente, ou encore variante...
Les pièces sont prévues pour être chantées par un chanteur ou plus (au cas où il y en aurait deux ou plus, chacun exécute un programme indépendant sans prédétermination de l’un par rapport à l’autre) ; n’importe quel nombre de soli et n’importe quel ordre peut être déterminé. Il est possible de reprendre un solo lors d’une exécution. L’interprète détermine donc un programme et la durée globale de la performance. « On ne doit redouter aucun silence résultant d’un tel programme (surtout dans le cas où il y aurait plusieurs chanteurs) ; Jouez simplement ce que vous avez décidé, sans chercher à savoir ce qui va arriver ».


L’écriture de la partition
Une grande diversité caractérise les différentes pièces des Songbooks dans le domaine de la notation: conventionnelle (solo 18 par exemple), ambiguë (solo 3 ou il propose une carte géographique et propose à l’interprète d’en déduire une mélodie), utilisation d’un portrait… « L’écriture de chaque solo est conçue de manière à ménager à l’exécutant la marge d’interprétation qui lui interdira précisément de s’en remettre à la partition ». Les éléments graphiques sont ainsi destinés à stimuler l’imagination de l’interprète, les prescriptions associées à chaque solo (cf. partition) agissant comme des scénarios qui permettent de définir peu ou prou des règles du jeu ; ces introductions restent toutefois souvent équivoques, ambiguës comme si Cage souhaitait susciter chez l’interprète un sentiment d’incertitude, de questionnement et l’amener à prendre lui-même les décisions au lieu de rechercher à tout prix ce qu’a voulu le compositeur. Une méthode de composition que l’on peut ainsi qualifier d’impersonnelle

On trouve par ailleurs, dans le solo 49, une auto-citation (the wonderful widow of eighteen springs, œuvre ancienne).
D’une manière générale, une grande virtuosité vocale est requise pour l’exécution des Songbooks.

 Une œuvre qui offre donc un champ d’investigation des plus étendu pour l’interprète sans pour autant chercher à tirer partie de toutes les possibilités de la voix comme ont cherché à le faire LIGETI (Aventures et nouvelles aventures) ou STOCKHAUSEN (Momente). Ces Songbooks se présente plutôt, selon la volonté du compositeur, comme « une expérience acoustique inédite »…



Cage avait déjà eu recours à plusieurs techniques électroniques (comme dans Williams Mix, 1952, collage de 600 bouts de bande) et Fontana Mix (1960), des traitements et des distorsions de la voix et des instruments (dans Atlas Elipticalis, 1963) ou la synthèse du son (dans HPSCHD, 1967, pour 7 clavecins et 51 magnétophones).



Extraits du SONG BOOK 1

(les plages de disque se réfèrent au CD du baccalauréat)


Solo for Voice 11 - plage 7 (Chant + moyens électroniques) :
Il y a des points de différentes épaisseurs correspondant à des vocalises libres. L'espace vertical indique l'ambitus de la voix (registre supérieur). Il y a aussi des couples de chiffres : Les gros chiffres de 1 à 64 (nombre des figures du I Ching) renvoient aux différents réglages électroniques et les petits de 1 à 12 indiquent les niveaux de réglage.
C'est le I Ching qui a été utilisé pour déterminer ces nombres comme dans Atlas Eclipticalis (1963).

Solo for Voice 49 - plage 8 (Chant + moyens électroniques) :
Le chant se fait sans vibrato (style « populaire hi-fi »), via un microphone. L'interprète doit s'accompagner avec le rythme indiqué sur la partition (notation traditionnelle) en frappant sur un tambour ou sur la table équipée d'un microphone de contact (X = avec ongles). Le texte est un extrait du Journal de Henry David Thoreau. La mélodie de couleur modale construite sur un ambitus restreint (3 notes : sol, la, ré) suit le texte de façon syllabique. On peut transposer la partition, de préférence dans le grave. Choisir un tempo dans la « fourchette » proposée (noire = 52 à 72) puis lui donner un caractère rubato.

Solo for Voice 21 - plage 9 (Chant + traitement électronique) : Durée totale : 40’’
Une courbe et son image renversée, telle qu'on pourrait la voir dans un miroir, représentant le buste de Satie, sont placées l'une au-dessus de l'autre. L’espace horizontal se rapporte au temps. Les extrémités supérieure et inférieure de cette forme indiquent l’ambitus de la voix. On doit adopter soit la ligne supérieure (registre aigu), soit la ligne inférieure (registre grave ). On peut passer d'une courbe à l'autre lorsque apparaissent des lignes verticales que le compositeur appelle « points structurels ». Une phrase de Satie est utilisée comme texte, librement, en répétant comme on le souhaite mots et phrase. : « Ceux qui ne comprendront pas sont priés, par moi, d'observer une attitude toute de soumission, toute d'infériorité " Le changement de réglage électronique doit être progressif (en « glissando » du début à la fin).

Solo for Voice 22 et 50 - plage 10


Solo 22 (Théâtre + traitement électronique) :
Ce solo s'éloigne du chant proprement dit. L'interprète respire régulièrement ou irrégulièrement, par le nez ou par la bouche. La partition est constituée de points isolés ou reliés , et précise « nez régulièrement / irrégulièrement ; bouche régulièrement / irrégulièrement). Les graphismes suggèrent des passages graduels entre les différents types de respiration et les rythmiques qui leur sont associées.
Comme dans le Solo 11, des couples de nombres décrivent les réglages de l'équipement électronique (y compris aucun). Ce Solo a été créé grâce au I Ching.


Solo 50 (Chant - Moyens électroniques) :
Cage renvoie au Solo 22 pour les couples de nombres indiquant l'électronique (cf. aussi le n° 11). Dans ce chant, la notation est traditionnelle. Toutefois, il n'y a pas de paroles, ni de forme. Sur 7 pages, on trouve des fragments mélodiques (ambitus restreint : quarte) que l'interprète doit fredonner comme s'il était occupé à autre chose ou qu'il avait oublié les paroles. Cage note qu'il ne faut pas chercher la précision (hauteurs et transpositions libres). Une utilisation de la voix, une fois encore, qui échappe aux règles traditionnelles et qui constitue une manière de relier l’art au quotidien…


Solo for Voice 52 - plage 11 ( Chant) :
Le Solo 52 comme le suivant « renvoient à l'Aria et à ses courbes mélodiques s'apparentant à des figures neumatiques de notre ancienne notation liturgique ». L'usage de couleur (chiffres 3 à 10) indique différentes façons de chanter. Des carrés noirs indiquent des bruits percussifs ou de moyens « mécaniques » ou d’un dispositif électronique. Cage explique qu'il utilise 5 langues : l'arménien, le russe, l'italien, le français (la langue de Satie) et l'anglais (la langue de Thoreau). Il précise que ces
« mélodies » peuvent être superposées à la diffusion des Fontana Mix (1960), du Concert for Piano and Orchestra (1958) ou à toute partition de nature indéterminée (Réminiscence d’Aria (1958) qui constituait une sorte de portrait de Cathy Berberian. Cage en reprend les principes compositionnels). La pièce peut être chantée tout ou en partie. Les hauteurs (verticalement) et le temps (horizontalement) sont suggérés plus que décrits. Tous les aspects de l’exécution qui ne sont pas notés (intensités par exemple) peuvent être librement déterminés par le chanteur.

Solo for Voice 39 - plage 12 (Chant + moyens électroniques)
Sous-titre : Cheap imitation No 3
Dans ce Solo, Cage a recours à la notation traditionnelle. Le texte choisi est « Die Hoffnung » de Friedrich Schiller (1759-1805). Certains mots ont été omis. Les changements de nature électronique sont indiqués par des points entourés O, placés au-dessus des notes.
La partition est totalement fixe. Cage a conservé la structure rythmique et le phrasé de la partition de « Socrate » de Eric Satie (1866-1925). Le travail de la mélodie repose en partie sur des tirages au sort. On peut superposer cette pièce à Cheap imitation, pièce pour piano (1969) écrite à partir du « Socrate » de Satie dont Cage réalisera en 1972 et 1977 deux autres versions, respectivement pour orchestre (de 24 à 95 instruments) et pour violon.

Solo for Voice 12 - plage 13 (voix et évènements bruiteux)
La partition préconise la production d'évènements bruiteux, parfois sans rapport avec la voix. Le texte est un collage de phrases allemandes, françaises et anglaises. Le chanteur peut inclure un assortiment de styles vocaux et lire à partir de n'importe quelle clé. Cage utilise des opérations I Ching et l'observation des imperfections du papier sur lequel la partition est écrite pour composer. N'importe quelle quantité de matériau peut être chantée (y compris aucun!). Une fois chantée, aucune partie ne peut être répétée.
La durée est libre. Le chanteur détermine un programme (ensemble de systèmes) selon la durée choisie. Notes de différentes dimensions: petite (= ppp, pp, p ou de durée brève, ou les deux); moyenne (=mp, mf, ou de durée moyenne, ou les deux); grosse (=f, ff, fff, ou de longue durée, ou les deux).
Notes associées à des demi-cercles, placés au-dessus d'elles: hauteur de son chantée quelque temps après le début de la phrase ou avant la fin.
Notes non centrées dans l'espace ou sur une ligne: des altérations micro-tonales de la hauteur normale interviennent.
Notes en-dessous d'une portée et reliées à celle-ci par une tige: Bruits à produire vocalement ou par tout autre moyen ("accidents" à l'intérieur des séquences). Trois degrés d'importance suivant la grosseur des points.
La voix parlée peut être utilisée lorsque le texte est un peu long (dans le cas de ces bruits). On peut ne pas le lire lorsqu'une autre production sonore est demandée à la voix.
Les indications de crescendo et decrescendo sont séparées ou combinées. Le degré en est libre en intensité et en durée.
Cette notation est utilisée par Cage dans le Solo pour voix I (1958) et le Concert pour piano.

Solo for Voice 40 - plage 14 ( Chant + traitement électronique) :
L'électronique est à nouveau indiquée par des couples de chiffres (cf. solo 11). On commence avec une disposition arbitraire des réglages pour rejoindre progressivement la position indiquée à la fin de la 1ère phrase. Il faut faire les réglages dans les silences entre les phrases.  
Ici, pas de notation traditionnelle: L'interprète doit suivre une courbe, en prononçant un texte constitué d’une liste de racines indo-européennes. Ce texte est à utiliser librement en rapport avec la ligne mélodique indiquée évoquant l'écriture neumatique des chants liturgiques des premiers siècles de notre ère.
L’espace vertical correspond à l’ambitus de la voix, l’espace horizontal au déroulement temporel.


Solo for Voice 43 - plage 15 (Théâtre + moyens électroniques) :
Cette fois, l'indétermination musicale est totale : Seul, figure un texte (aphorisme : Formule ou prescription résumant un point de science, de morale) de Satie, écrit selon quatre graphies différentes : « Et tout cela m'est advenu par la faute de la musique ». Par contre, chaque cas de figure est minuté: La première fois, il doit durer 17'', la deuxième, 49'', la troisième, 52''et la dernière, 53''. La mélodie est improvisée. On doit s'enregistrer, rechanter tandis que l'enregistrement de la première fois défile tout en s'enregistrant à nouveau. La typographie de la phrase incite le chanteur à varier les modes d'émission vocale et d'intensité.






A propos des Song Books de John Cage,


par Marc Mathey.


«  Sortez de la cage, peu importe laquelle, où vous êtes 1». Ainsi, par ce jeu de mots , se présentait John Cage. Nous allons essayer de donner un aperçu biographique succinct. Toutefois, il est souvent impossible de dissocier vie et œuvre chez le compositeur. Cage pensait, en effet, que l’art est le prototype de la transformation du monde et de nous-mêmes et qu’il y a nécessité d’une œuvre musicale qui ouvre à la perception du son et de la vie elle-même.


1) Sur John Cage :


Cage est né le 5 septembre 1912 à Los Angeles. Si son grand-père était un prêtre méthodiste itinérant, le père, lui, préfigurait la carrière de John : il était inventeur. Il avait ainsi créé un sous-marin qui détenait le record du temps d’immersion. Sa tante, Phoebe, a également joué un rôle important : elle lui a enseigné le piano. En 1924, Cage anime une émission de radio, pour les scouts d’Amérique. On verra plus loin comment la radio jouera un rôle dans différentes compositions. En 1930, il découvre l’Europe et notamment Paris où il perfectionne sa technique de piano avec Lazare Lévy. Il voue alors une passion pour la musique de Grieg. Il a des goûts éclectiques et hésite entre musique et peinture : « Les gens qui avait écouté ma musique en disaient des choses meilleures que ce qu’ils disaient de mes tableaux 2». Mais, c’est Henry Cowell qui l’incite vraiment à se consacrer à la musique. En 1934, il devient l’élève de Schoenberg : « Schoenberg me disait toujours que sans le sens de l’harmonie, je rencontrerais toujours un obstacle, un mur infranchissable. Ma réponse était que je consacrerais ma vie à me frapper la tête contre les murs3 ». Cage qui précise en outre qu’à l’époque il fallait choisir entre Schoenberg et Stravinsky et qu’il retiendra du premier que « la musique avait besoin d’une structure pour différencier les parties d’un tout4 ». En fait, Schoenberg considérait Cage comme un « inventeur de génie5 ».
En 1935, il épouse Xenia, fille d’un prêtre orthodoxe de Juneau (Alaska). En 1937, il s’installe avec sa femme à Seattle où il sera compositeur-accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird. C’est d’ailleurs dans les années 40 qu’il rencontre, dans cette ville, le chorégraphe Merce Cunningham qui était alors étudiant. Par la suite, il vont développer un travail en commun, tout en poursuivant chacun une œuvre propre.
Déçu par le dodécaphonisme, notre « inventeur » entrevoit dès lors la nécessité de faire appel à des « domaines nouveaux d’exploration et des rapports inusités entre les sons…Les instruments à percussion sont tout désignés pour un tel projet6 ». Ainsi, compose-t-il First Construction in Metal (1937) exclusivement pour percussions métalliques : gamelans, plaques de frein…Cette œuvre s’inscrit dans la descendance de Ionisation de Varèse (1929-1932). Cage est d’ailleurs à l’origine du « water gong7 », gong plongé dans l’eau, inventé pour les ballets nautiques de l’Université U.C.L.A. de Los Angeles. Cette réflexion le mène à l’invention du piano préparé en 1938.
Cage arrive à New York en 1942. Il est hébergé par Max Ernst et rencontre Mondrian, Breton et Duchamp ; ce dernier pour qui art et vie se mêlent, partage la passion des échecs avec Cage . D’ailleurs, en 1944, Cage réalise Chess Pieces dont l’intérêt est aussi bien visuel que sonore.
Quand on demande au compositeur quels sont ses précurseurs, il répond :  « James Joyce (de 73 à 80, Finnegans Wake sera sa seule lecture), Gertrude Stein, Erik Satie ( Cage fera scandale en créant les Vexations du Maître d’Arcueil, qui sont constituées d’un cantus firmus de 13 mesures répétées 840 fois et qui dure plus de 18 heures)…Si nous remontons plus loin dans le passé, j’aimerais rencontrer Mozart à cause de son goût pour la complexité8». Des allusions à l’œuvre de Mozart jalonnent la création cagienne ( A Book of Music, 1944) On pourrait ajouter Thoreau, écrivain et politologue américain du XIXème siècle dont Cage utilise des dessins dans les Song Books ou encore Charles Ives pour sa liberté créatrice.
En 1945, John et Xenia divorcent. C’est de ce choc que va naître la connaissance de la pensée orientale. Pendant deux ans, Cage suit les cours de maître Suzuki sur le bouddhisme zen.
En 1949, il reçoit un prix de 1000 dollars pour l’invention du piano préparé « pour avoir fait reculé les frontières de l’art musical ». Il entreprend un séjour en Europe avec Merce Cunningham et rencontre Boulez.
En 1951, Christian Wolff lui fait découvrir le I Ching (ou Yi King), le « Livre des Mutations », recueil d’oracles de la Chine ancienne, qui comporte des diagrammes et qui va permettre à Cage de jouer avec le hasard dans ses œuvres ( Music of Changes). A partir de 1954, il s’adonne à la mycologie et a même donné des cours à la New School of Social Research de New York. Il découvrira que le mot « mushroom » (champignon) vient juste avant le mot « music » dans le dictionnaire.
A la fin des années 50, Cage trouve un éditeur : Henmar, filiale de Peters. Dans les années 50-60, il va fréquenter aussi bien Wolff que Feldman ou Earl Brown. Ils partagent le goût pour l’indétermination et ont le sens du « happening » : l’idée centrale du happening repose sur la création d’un événement qui sollicite la participation des spectateurs et où certains éléments de la vie quotidienne s’ouvrent au poétique. Ainsi, au cours d’un tel événement, on voyait Cage sur scène fumer la pipe et Cathy Berberian manger un gros plat de spaghetti. A la même époque, New York est un vivier artistique. Cage côtoie des peintres comme Rauschenberg (On verra comment on peut rapprocher les Toiles Blanches du peintre des œuvres silencieuses de Cage), De Kooning, Ad Reinhardt ou Jasper Johns.
En 1960, Cage revient en Europe. Il donne une conférence sur la musique indéterminée à Darmstadt. En Italie, il gagne 5 millions de lires dans le cadre d’un jeu sur les champignons.
En 1967, il commence à composer avec l’ordinateur ( HPSCHD).. En 1971, il commence à chanter lui-même ses œuvres. L’année suivante, il se rend à nouveau en Europe avec son ami le pianiste compositeur David Tudor.
A partir de 1968, Cage devient membre de nombreuses académies. En 1980, il devient Regent’s Lecturer à l’Université de Californie à San Diego.
Parmi les dernières œuvres musicales, on peut citer Roaratorio, and Irish Circus on Finnegan’s Wake, créée à l’Ircam en janvier 1981 ( mixage de sons ambiants pris dans le monde irlandais de Joyce ; parallèlement, le « roi des chanteurs irlandais », Joe Heaney, exécute en direct ses ballades en gaëlique, tandis qu’en contrepoint un joueur de cornemuse interprète des airs typiques. Cette œuvre s’apparente à un happening : Cage, sur une estrade, lit imperturbablement le texte qu’il a préparé au milieu d’un flux sonore envahissant, allant de la pop-music aux cris stridents d’une foule agitée.
L’œuvre de John Cage est ecclectique. Il ne faut pas oublier ses livres (Mud Book en 1982 ; voir plus loin bibliographie) et ses essais poétiques, notamment les Mesostics ( jeu avec le milieu des mots, à la différence de l’acrostiche). Il faut signaler également une œuvre graphique non négligeable. Not Wanting to Say Anything about Marcel (1969) renoue avec les arts graphiques après une trentaine d’années (hommage à Duchamp). 17 Drawings by Thoreau, dans les années 80, sont élaborés à partir de photos de minuscules croquis de Thoreau.
John Cage est mort en 1992.


2) L’œuvre de John Cage est marquée par trois dates pivots : 1938, 1951 et 1970.


2-1 : 1938-1950 :
La musique de John Cage a été réglée dans un premier temps (si l’on excepte les pièces de jeunesse) par une esthétique précise et catégorique. Une composition comprenait quatre éléments : structure, méthode, matériau et forme. La structure la plus souvent employée est la « racine carrée » : le tout était divisé en parties égales groupées en sections inégales. Ainsi Imaginary Landscape n°3 comporte 12 parties de 12 mesures chacune. Les parties sont groupées en section de 3, 2, 4 et 3.
1938 est une date-clef. Cage « invente » le piano préparé à l’occasion de la commande d’un ballet intitulé Bacchanale pour la danseuse Syvilla Fort. Il manque de place pour installer un orchestre de percussions et sans doute se rappelle-t-il à ce moment les expériences d’Henry Cowell qui vers 1925 produisait des sons dans la caisse de résonance du piano , notamment en pinçant les cordes. Cage s’explique :  « Il m’est donc venu l’idée de placer une vis à bois ainsi de suite entre les cordes…Ensuite des coussinets de calfeutrage et autres. Des petits boulons autour des vis, toutes espèces de choses 9». C’est dans cet idée de renouvellement du timbre qu’il composera la Suite pour Toy piano ( piano-jouet) en 1948.
En 1939, Imaginay Landscape n°1 est considérée comme la première œuvre utilisant des sources électroacoustiques : « Sur deux électrophones à vitesse variable sont placés des disques 78 tours où sont gravés des sons sinusoïdaux de différentes fréquences… 10» A ces éléments s’ajoutent le piano ou la cymbale. La même année, Speech Quartet utilise des meubles, des objets familiers (journaux, livres…).
Dès 1942, Cage collabore avec le chorégraphe Merce Cunningham grâce à Credo in U.S. pour percussions piano, électrophones ou radio. On retrouve la radio dans Imaginary Landscape n°4.
Après la découverte du zen, Cage va commencer à utiliser des « processus11 » : ce qui implique de renoncer à l’illusion occidentale de la propriété. Les conséquences du processus rendent peu prévisibles l’objet sonore qui en découle. De 1946 à 1968, il écrit les Sonates et Interludes pour piano préparé. Ces œuvres sont des méditations sur les émotions permanentes de l’Inde qui tendent vers la tranquillité.
En 1947, la pensée orientale influence Cage dans The Seasons où les saisons sont associées à des états psychologiques : le calme (l’hiver), la création (le pintemps)…


2-2 : 1951-1969 :
En 1951, il y a une nouvelle étape esthétique : celle du « non finito12 » : l’activité créatrice ne prend pas nécessairement fin avec l’achèvement de l’œuvre. L’interprète est fortement impliqué.  « Composer signifie seulement suggérer à l’interprète la possibilité objectivement réelle d’une action, c’est-à-dire ouvrir un espace de jeu 13».  Libérer la musique signifie qu’on laisse le son se déployer en dehors de toute considération logique ou esthétique. Dans le Concert for Prepared Piano and Chamber Orchestra , Cage emploie le procédé des carrés magiques dans lesquelles, au lieu de nombres, il place des sons (agrégats). Dans le premier mouvement, le piano improvise librement.
Dès sa découverte du I Ching (1951), Cage compose avec le hasard. « Dans les Music of Changes, si les proportions structurelles sont fidèles au principe de la racine carrée, …le tempo, …et le choix des notes sont pour leur part soumis au tirage au sort 14». L’année suivante, il conçoit sa première pièce entièrement composée de silence : 4’33’’(1952). Il affirme qu’en fait le silence n’existe pas. Au cours de l’œuvre, on peut entendre les bruits ambiants (gouttes de pluie…), les bavardages des auditeurs dont certains se fâchent…On a pu comparer cette démarche à celle de son ami Robert Rauschenberg qui, à la suite de Malévitch, conçoit des toiles intégralement blanches ou noires. Mais, de la même façon qu’une musique n’est jamais totalement faite de silence, la toile connaît aspérités, poussières, ombres...


De 1958 à 1968, Cage conçoit des pièces « indéterminées ». Le Concert for Piano and Orchestra fut créé en mai 1958 au Town Hall de New York et déclencha une violente polémique. Le piano était tenu par David Tudor, ami de John Cage et Merce Cunningham avait endossé l’habit du chef d’orchestre. Chaque musicien effecue un choix dans la partition « retenant certaines séquences, en laissant dautres de côté, et leur attribuant des durées 15». Il faut distinguer l’indétermination de l’ « oeuvre ouverte » telle la conçoivent Boulez et Stockhausen. Il y a chez Cage comme chez certains de ses amis tels Earl Brown transgression des conventions symboliques. Là où Boulez, tout en donnant le choix de tel ou tel parcours au pianiste ( un peu comme dans un jeu de l’oie) dans sa Troisième Sonate, veut garder le dernier mot , Cage abandonne une grande partie de sa création à l’interprète : de 1958 à 1968, un grand nombre de partitions (Fontana Mix, Cartridge Music et les Variations) consistent en feuilles opaques ou transparentes avec des lignes, des points et des courbes.
Une œuvre est révélatrice de la manière de procéder de Cage : la Cheap Imitation (L’Imitation bon marché) (1969). Le compositeur, n’ayant pas obtenu l’autorisation d’exploiter son arrangement des 2ème et 3ème mouvements du ballet Socrate de Satie, n’en garda que le rythme, utilisant les hexagrammes du I Ching pour définir les hauteurs.


2-3 Les Song Books (1970) :
Les Song Books ont été écrits dans un temps limité : entre août et octobre 1970. Ils ont été commandés par la Fondation Gulbekian, donnés aux Semaines Musicales Internationales de Paris en création mondiale dans l’interprétation de Simone Rist et de Cathy Berberian.
Conformément aux instructions d’ensemble par lesquelles s’ouvrent la partition, l’exécution peut être donnée « avec ou sans l’audition simultanée d’autres œuvres indéterminées comme le Rozart Mix (1965) ou le Concert for Piano and Orchestra16 ».
Le titre au pluriel renvoie au fait qu’il y a deux livres :
- Livre I (Solos 3-58) ;
- Livre II (Solos 59-92).
L’œuvre ne commence qu’au Solo n°3 ; en effet, les Solos pour voix n°1 et 2 ont été composés avant. Le Solo pour voix n°1 (1958), dédié à Arlene Carmen, est un collage de phrases allemandes, françaises et anglaises. Des opérations du I Ching et l’observation des imperfections du papier sur lequel la partition a été écrite sont le fondement de son écriture. Pour le Solo n°2(1960), l’interprète doit se préparer à un programme d’actions. Une autre oeuvre préfigure les Song Books, c’est Aria (1958) :  «  La démutiplication du timbre s’accomplissait dès Aria par le refus de la convention de prétendues tessitures naturelles…La ligne vocale était en effet indiquée de dix façons différentes dont huit en couleur correspondant à dix styles vocaux…Citons quelques choix de Cathy Berberian : « bleu foncé » : jazz ; « vert » : populaire … 17»
Pour les Song Books, Cage a eu également recours au I Ching. Il le questionna sur le nombre de solos à écrire. Il lui fut répondu : 90. Il fallait obtenir un moyen pour avoir la plus grande variété possible sans imaginer à chaque Song une nouvelle structure.
Dans chaque solo, c’est encore le I Ching qui fut questionné pour décider du genre :
- chant ;
- chant avec traitement électronique ; 
- théâtre ;
- théâtre avec traitement électronique.
Le « Livre des oracles » chinois va également servir à définir le contenu : la pièce étant en rapport ou sans relation avec la phrase suivante : « Nous mettons en relation Satie et Thoreau ». Le I Ching sert d’autre part à indiquer la technique de composition : inaugurant une nouvelle technique, répétant ou modifiant l’une de celles qu’il avait déjà utilisées. Cage a déjà employé cette technique dans le Concert for Piano and Orchestra : il avait décidé si telle ou telle page serait une composition originale, une répétition ou une variation.
Par la suite, Cage va écrire certains des nouveaux solos à l’aide de procédés qu’il avait déjà mis en pratique. Il fit une liste des procédés connus :
  • la composition selon ses goûts personnels comme dans Wonderful Widow of Eighteen Spring ( « La manifique veuve de 18 printemps ») , pour voix et piano fermé, d’après des impressions de Finnegans Wake de Joyce  dont le Solo 49 offre une réminiscence ;
  • l’utilisation de la transparence ( comme dans Aria qui utilisait Fontana Mix) ;
  • l’emploi de cartes astronomiques et, nous l’avons déjà entrevu, l’usage du I Ching.
Le théâtre, ici, est abordé comme une composition d’actions. Il occupait déjà une place centrale dans des œuvres multimedia comme les Water Music (1952) pour pianiste se servant aussi de sifflets, d’une radio, de bassines d’eau et d’un jeu de cartes : « A la différence de l’œuvre de Haendel, celle-ci éclabousse vraiment 18». On a une dramatisation dans des œuvres comme 4’33’’ ou son corollaire 0’00’’(1963). « Dans chacun, l’action apparaît comme minimale ce qui n’est pas sans rappeler le mouvement Fluxus19 ». Cela est logique quand on connaît les liens entre Cage et les principaux représentants de Fluxus qui ont suivi les cours de mycologie à la New School for Social Research de New York. Toutefois, Cage prendra ses distances avec le courant : « Quand je vais à un happening qui me semble régi par une intention, cela ne m’intéresse pas 20».
Cage avait déjà eu recours à plusieurs techniques électroniques ( comme dans Williams Mix , 1952, collage de 600 bouts de bande) et Fontana Mix ( 1960), des traitements et des distorsions de la voix et des instruments ( dans Atlas Elipticalis, 1963 ) ou la synthèse du son ( dans HPSCHD, 1967, pour 7 clavecins et 51 magnétophones).




Sur quelques-uns des Song Books (11, 12, 21,22, 39, 40, 43, 49, 50,52.) :
Il est à noter que les « prescriptions verbales associées à chaque Solo introduisent une sorte d’axe intermédiaire, agissant un peu comme des scénarios qui permettent d’en approcher les règles de jeu21 ».


Solo for Voice 11(Chant- moyens électroniques) :
Jetons un œil sur la partition 22: sur trois pages, des points et çà et là des couples de chiffres. Cage précise que tous ces points correspondent à des vocalises libres, à ceci près qu’elles se trouvent toutes dans un registre aigu (occupation de la partie supérieure de l’espace). Les chiffres décrivent des changements dans la manipulation des appareils électroniques (en spécifiant quels réglages doivent être modifiés et quelle position adopter sur l’équipement disponible). C’est le I Ching qui a été utilisé pour déterminer ces nombres comme dans Atlas Eclipticalis (1963).


Solo for Voice 12(Chant) :
Ainsi que pour le Solo 8 où Cage reprend 0’00’’, Cage a recopié le Solo for Voice 1. Le Solo 12 est constitué de notes de différentes grosseurs, sans notation rythmique, écrite selon des procédés de hasard et le collage de mots anglais (Water), français ( Sur le feu avec du beurre) et allemands ( In Feld und Wald)23. « Cage précise par ailleurs qu’une performance virtuose pourra inclure une grande variété de styles de chant…et que la partition peut êre lue à partir de n’importe quelle clef 24». « La partition préconise également la production d’événements bruiteux…25 »


Solo for voice 21(Chant-Moyens électroniques) :
Une courbe et son image renversée, telle qu’on pourrait la voir dans un miroir, sont placées l’une au-dessus de l’autre et doivent être interprétées en une mélodie dont la durée est fixée par Cage à 40 secondes. La courbe du bas correspond au registre grave, celle du haut concerne l’aigu. On peut passer d’une courbe à l’autre lorsqu’apparaissent des lignes verticales que le compositeur appelle « points structurels ». Celui-ci demande un glissando électronique en douceur.Une phrase de Satie est utilisée librement comme texte :  « Ceux qui ne comprendront pas sont priés, par moi, d’observer une attitude toute de soumission, toute d’infériorité 26». Selon Daniel Charles, « L’écriture de chaque Solo est conçue de manière à ménager à l’exécutant la marge d’interprétation qui lui interdira précisément de s’en remettre à ce qui est écrit 27». Jean-Yves Bosseur précise : « Comme dans beucoup de partitions de la même époque, le graphisme utilisé n’est pas nécessairement destiné à représenter ce qu’on entendra 28».


Solo for Voice 22 ( Théâtre- Moyens électroniques) :
L’interprète respire régulièrement ou irrégulièrement, par le nez ou par la bouche. La partition est constituée de points isolés ou reliés et précise « nez régulièrement /irrégulièrement ; bouche régulièrement/ irrégulièrement)29. Comme dans le Solo 11, des couples de nombres décrivent les réglages de l’équipement électronique. Ce Solo a été créé grâce au I Ching.
Solo for Voice 39 (Chant-moyens électroniques) :
Dans ce Solo, Cage a recours à la notation traditionnelle. Le texte choisi est Die Hoffnung de Schiller30. Certains mots ont été omis. Les changements de nature électronique sont indiqués par des points entourés, placés au-dessus des notes.


Solo for Voice 40 ( Chant-Moyens électroniques) :
L’électronique est à nouveau indiquée par des couples de chiffres. La partition contraste avec celle du Solo précédent. La tradition est abandonnée : l’interprète doit suivre une courbe, en prononçant des paroles qui sont en indo-européen.


Solo for Voice 43 (Théâtre-moyens électroniques) :
Cette fois, l’indétermination musicale est totale : seul, figure un texte de Satie, écrit selon quatre graphies différentes :  «  Et tout cela m’est advenu par la faute de la musique31 ». Par contre, chaque occurrence du texte est minutée : la première fois, il doit durer 17’’, la deuxième, 49’’, la troisième, 52’’et la dernière, 53’’. On doit s’enregistrer, rechanter tandis que l’enregistrement de la première fois défile.


Solo for Voice 49 (Chant-Moyens électroniques) :
Le chant se fait sans vibrato, via un microphone, dans un esprit « populaire hi-fi ». L’interprète doit s’accompagner rythmiquement en frappant sur la table ou sur un tambour.le rythme est noté très précisément32. Comme dans le Solo 39, la notation est traditionnelle ; on est dans une gamme de sol elliptique de la tierce. Le texte est un extrait du journal de Thoreau.


Solo for Voice 50 (Chant-Moyens électroniques) :
Pour ce Solo, Cage renvoie au Solo 22 pour les couples de nombres indiquant l’électronique et au Solo 35. Comme dans ce chant, la notation est traditionnelle. Toutefois, il n’y a pas de paroles, ni de forme (Solo 35 : AABA). Sur 7 pages33, on trouve des fragments mélodiques que l’interprète doit fredonner comme s’il était occupé à autre chose ou qu’il avait oublié les paroles. Cage note qu’il ne faut pas chercher la précision (hauteurs libres).


Solo for Voice 52 ( Chant) :
Le Solo 52 comme le suivant « renvoient à l’Aria et à ses courbes mélodiques s’apparentant à des figures neumatiques de notre ancienne notation liturgique 34». L’usage de couleur indique différentes façons de chanter35. Des carrés noirs indiquent des bruits percussifs ou l’intervention de l’électronique. Cage explique qu’il utilise 5 langues : l’arménien, le russe, l’italien, le français (la langue de Satie) et l’anglais (la langue de Thoreau). Il précise que ces « mélodies » peuvent être chantées simultanément à la diffusion des Fontana Mix(1960), du Concert for Piano and Orchestra(1958)…




Bibliographie :


  • Bayer, Francis, De Schönberg à Cage, Paris, Klincksieck, 1981.
  • Bosseur, Jean-Yves, John Cage, Paris, Minerve, 1993.
  • Id., Musique et Arts Plastiques, Paris, Minerve, 1999.
  • Id, article dans L’Education Musicale, numéro spécial Baccalauréat 2003.
  • Brooks, William, article «  Choix et changements dans la musique récente de Cage » in La Revue D’Esthétique, Paris, Privat,1987-88.
  • Cage, Silence, Middletown, Wesleyan University Press, 1961.
  • Id., Pour les Oiseaux, entretiens avec Daniel Charles, Paris, Belfond, 1976.
  • Charles, Daniel, Gloses sur John Cage, Paris, 10/18, 1978.
  • Kostelanetz, Richard, Conversing with John Cage, New York, 1988. Traduction française de Marc Dachy, Conversations avec John Cage, Paris, éd.des Syrtes, 2000.
  • Nyman, Michael, Experimental Music, Cage and Beyond, London, Studio Vista, 1974.
  • Revill, David, The Roaring Silence, New York, Arcade Publishing, 1992.


Prolongements pédagogiques :


1) Auditions comparatives :
  • avec un madrigal de Monteverdi , par ex. Hor ch’el Ciel e la Terra (VIIIème livre,1638), sur un texte de Pétrarque. La musique est au service du texte. Le début est homorythmique. Il faudrait s’attarder sur les harmonies surprenantes de ce madrigal, sa profusion de chromatismes (« move’l dolce e l’amaro ») et de dissonances expressives ( « dolce pena/ piango/ moro »). On définira ici le figuralisme.
  • avec la Troisième Sonate de Boulez (1957) , « œuvre ouverte » où le hasard est « dirigé ». Boulez ne l’accepte qu’à condition que celui-ci soit enserré dans un réseau de déterminations d’une logique opératoire absolument rigoureuse.
  • avec la Sequenza III (1966) pour voix de femme solo de Berio. Ici, on peut signaler comment Berio cherche à montrer une très grande diversité dans l’emploi de la voix. Cette œuvre est bâtie sur un bref texte de Markus Kutter dont les éléments syntaxiques peuvent être inversés ou interpolés. Des formes très difficiles de technique vocale, du bégaiement au chant lentement soutenu, du pur cri au bavardage précipité, deviennent des éléments d’une succession extrêmement complexe. Il y a chez Berio une volonté d’exploiter un maximum de possibilités ce qui n’intéresse pas Cage.
  • avec Piano Phase ( 1967, dont il existe une version pour deux marimbas), de Steve Reich où l’idée de processus consiste, à l’opposé de Cage, en la maîtrise de l’œuvre. Dans ce cas, il y a un jeu de décalage entre les deux pianos que Reich nomme phasing : 2 pianistes répètent un même motif de 12 notes. Le deuxième pianiste se décale progressivement : l’œuvre est terminée lorsque le tour des possibilités est fait.
  • avec la Sinfonia III de Berio (1968), qui bien que le résultat sonore soit très différent de celui des Song Books, a en commun une esthétique de l’  « objet trouvé ». Le troisième mouvement de la 2ème Symphonie de Mahler est cité intégralement. Par-dessus cette œuvre, se mêlent textes et musiques extrêmement divers ( Le Sacre du Printemps de Stravinsky, La Pastorale de Beethoven, La Mer de Debussy…).
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2) Pratiques musicales :


  • Prendre un Solo des Song Books au hasard : essai d’interprétation. Bien lire les consignes de Cage. Pour l’aspect «électronique », utiliser les effets du CD-Rom de l’INA-GRM.
  • Prendre un jeu de dés, déterminer si l’on va écrire pour la voix ou un instrument (pratiqué par un des élèves). Pour la voix , on tirera au sort s’il s’agit de chant ou de théâtre, avec ou sans moyens électroniques. Le choix du texte se fera comme suit : se munir d’un livre pris au hasard sur les étagères d’une bibliothèque. Puis, prendre du papier calque, dessiner dessus le contour d’un visage ou toute autre chose. Appliquer ce calque sur du papier musique pour définir des hauteurs et des durées. Tirer au sort l’intensité.


1 Richard Kostelanetz, Conversations avec John Cage, Paris, éd . des Syrtes, 2000, p.15.
2 Ibidem, p. 33.
3 Ibidem, p.33.
4 Ibidem, p.75.
5 Ibidem, p. 33.
6 Jean-Yves Bosseur, John Cage , Paris, Minerve, 1993, p.11.
7 Ibidem, p.15.
8 Richard Kostelanetz, op.cit ., p.71.
9 Richard Kostelanetz, ibidem, p.97.
10 Jean-Yves Bosseur, op.cit., p.18.
11 Le terme « processus » est utilisé par Steve Reich dans un sens opposé : il y a , au contraire, l’idée de maîtriser le résultat sonore.
12 Daniel Charles, Gloses sur John Cage, Paris, 10/18, 1978, p.10.
13 Ibidem, p.16.
14 Jean-Yves Bosseur, op.cit., p. 6.
15 Jean-Yves Bosseur, op.cit., p.49.
16 Daniel Charles, op.cit., p. 145.
17 Ibidem, p.148.
18 John Cage cité par Jean-Yves Bosseur, op.cit., p.40.
19 Jean-Yves Bosseur, op .cit., p.78.
20 Jean-Yves Bosseur, Musique et Arts Plastiques, Paris, Minerve, 1998, p.241.
21 Jaen –Yves Bosseur, article de L’Education Musicale, p.21, n° spécial bac 2003.
22 Cf partition p.38 à 41.
23 Cf partition p.42 à 45.
24 Jean -Yves Bosseur, article cité, p.22.
25 Ibidem, p.22.
26 Cf partition p.83 et 84.
27 Daniel Charles , op.cit., p.134.
28 Jean-Yves Bosseur, John Cage, Paris, Minerve, 1993, p.80.
29 Cf partition pp. 85-86.
30 Cf partition p. 129à131.
31 Cf partition p.137à141.
32 Cf partition p.176-177.
33 Cf partition p.178à185.
34 Jean-Yves Bosseur, op.cit., p.82.
35 Cf partition p.186 à 194.