Musiques de Bali à Java

MUSIQUES DE BALI A JAVA




Gamelan javanais importé en France dans les années 1950

« Mais mon pauvre vieux !  Rappelle-toi la musique javanaise qui contenait toutes les nuances, même celles qu’on ne peut plus nommer, où la tonique et la dominante n’étaient plus que de vains fantômes à l’usage des petits enfants pas sages… »   Claude Debussy (1862-1918) a Pierre Louÿs en 1895.


            
Leur conservatoire, c'est le rythme éternel de la mer, le vent dans les feuilles et mille petits bruits qu'ils écoutèrent avec soin, sans jamais regarder dans d'arbitraires traités. Et si l'on écoute, sans parti pris européen, le charme de leur « percussion », on est bien obligé de constater que la nôtre n'est qu'un bruit barbare de cirque forain. Claude Debussy










  I - GENERALITES SUR L’INDONÉSIE

 II - DEFINITION  DU GAMELAN
         
         A)  Définition - Origines
        B)  La place du gamelan dans la société indonésienne

III - DESCRIPTION DU GAMELAN
 
A)  Description des parties d’un gamelan
B)  Quelques exemples de gamelans

IV - QUELQUES ELEMENTS D’ANALYSE MUSICALE
 
A) Structure horizontale: l’analyse linéaire (la mélodie)
B) Structure verticale: les différentes couches instrumentales (le rythme)




I - GENERALITES SUR L’AIRE GEOGRAPHIQUE 
* L’île de Java et Bali font partie de l’Indonésie, un pays de plus de 150 millions d’habitants à très forte majorité musulmane (90%) 
* Plus de 3000 îles forment ce pays, dont les plus grandes sont Java, Sumatra et Bornéo. Si Java fait 1000 km de long et compte 85 millions d’habitants, l’île de Bali qui est juste à l’Est n’est grande que d’une centaine de kilomètres en son point le plus large et ne compte qu’un peu plus de 2 millions d’habitants 
* En plus de ces différences géographiques, les deux îles s’opposent principalement par leur religion: Java est musulmane alors que Bali est de religion hindouiste. Cela implique de nombreuses différences culturelles et la vie artistique, notamment musicale, s’en ressent.  
«L’ouverture de Java au commerce international (maritime) dès le XIIème siècle y a entraîné l’adoption de l’islam (généralisée aux XVI-XVIIèmes siècles), avec une modification sensible des mentalités, de la vie sociale et artistique, qui toutefois n’a pas effacé les traditions antérieures. Bali au contraire est restées fidèle à l’ancienne religion qui mêle des éléments hindous aux croyances ancestrales dites animistes (…), et a conservé l’organisation sociale traditionnelle qui en découle, dont rituel et pratiques artistiques sont indissociables»  Catherine Basset dans L’Education musicale,  Bac 2003, page 31.


       








II - LE GAMELAN
 A)      Définition - Origines 
* Un gamelan est un ensemble instrumental traditionnel indonésien composé principalement de percussions: gongs, métallophones, xylophones, tambours, cymbales, mais aussi souvent de flûtes. C’est à dire qu’il n’est composé que de métallophones (catégorie des idiophones)  





   * Le gamelan est originaire d'Indonésie, plus particulièrement dans deux îles adjacentes : Java et Bali. L'origine ultime se situe à Java. Ce type d'orchestre représente, en fait, une forme élaborée des instruments que l'on trouve dans tout le sud-est asiatique, à savoir : gongs, carillons de gongs et autres percussions. 
* Très tôt dans l'histoire, Java était déjà très peuplée. Dès l'époque coloniale, la surpopulation de cette île est une cause d'émigration vers toute l'Indonésie. Par conséquent, le gamelan javanais a influencé les instruments de toute une zone qui comprend aujourd'hui l'Indonésie, la Malaysie et le sud des Philippines. 
* En outre, les Hollandais ont emmené de la main-d'œuvre indonésienne en Guyane Hollandaise, l'actuel Surinam. Ce qui fait qu’on retrouve des gamelans conservés dans un certain nombre de pays du monde.


    B) La place du gamelan dans la société indonésienne
* La musique de gamelan appartient à la culture où elle est née et ne repose sur aucune importation culturelle récente. Elle peut s’inspirer des éléments de la nature et notamment des chants de batraciens. Sur la piste n°1 du cd, (crapauds-buffles à Bali), on peut noter que la ressemblance est frappante entre les crapauds-buffles et les formules métriques courtes marquées par les gongs horizontaux de tessiture moyenne, tels ceux entendus dans le Beleganjur (piste n°2)
* Les origines de ce type d'orchestre et de sa musique sont obscures. Il s'agit d'une tradition orale, il n'existe pas d'archives écrites pouvant nous renseigner sur son histoire. Cette tradition musicale ne se base pas non plus sur les noms de compositeurs ou d'interprètes. Cette musique est l'œuvre de collectivités et non de personnalités. Le gamelan se joue à plusieurs et aucun joueur ne se distingue des autres ou n'a de rôle plus important que le reste. L'anonymat est naturel dans une musique qui demande à être nombreux pour la jouer. 
* La musique du gamelan, fait partie d'une culture où il n'y a pas d'art pour l'art, activité séparée des autres. Ici, la sculpture, la musique, la peinture sont comme une sorte de talent de tout le monde et un embellissement qui imprègne chaque activité. La musique est inséparable de l'organisation sociale, de la religion et des autres arts. Elle est particulièrement proche de la danse et autres arts de la scène. Il n'y a pas de séparation entre amateur et professionnel, classique et nouveau, rituel et divertissant.
* Théâtre, danse, naissance, mariage, mort, exorcisme, récolte, loisir, réception sont autant d'occasions de jouer du gamelan. On joue un gamelan dans un temple, dans un palais, dans une salle commune du village, le long d'un chemin ou à la plage lors d'une procession et aussi, aujourd'hui, dans des théâtres, des écoles et des studios.
  

III - DESCRIPTION DU GAMELAN

A)  Description des parties d’un gamelan:  On distingue les instruments à lames des gongs.

1a)  Les Instruments à lames posées

Les lames d'un instrument peuvent être en bronze, en fer, en bois ou en bambou. Elles sont arrangées à la manière d'un xylophone, toujours horizontalement. Quand les lames ou barres d'un instrument sont en bois, on parle de xylophone. Quand elles sont en métal, on parle de métallophone.

Instruments à barres ou lames clouées. Les barres clouées sont en bronze, fer ou éventuellement en bois.



 

Barres ou lames en métal




Barres en bois





1b)  Les Instruments à lames suspendues

        Les lames suspendues sont en bronze, fer ou bambou


  

2a)  Les gongs
  
Les gongs sont en bronze ou en fer. Ils ont toujours un bulbe central appelé peñcu en javanais et moñcol en balinais. C’est une protubérance ronde au centre du gong.
  
. 

* Grâce au bulbe, les gongs du sud-est asiatique donnent une note précise. Ils possèdent ainsi un potentiel mélodique que l'on exploite en les formant en carillons. Selon la hauteur de la note, le gong prend une forme différente. La tendance générale est que plus la note est haute, moins le gong est plat. Les gongs aigus sont généralement plus petits. Le peñcu est plus pointu, la paroi latérale plus profonde. La forme des gongs graves est concave alors qu'elle est légèrement convexe chez les gongs aigus.


  
Les proportions physiques des gongs de gamelans sont si variées que l'on découvre ici la plus grande profusion de formes de gong de toute l'Asie.
  
                Les gongs verticaux: le Peñcu est orienté de côté.




Les gongs horizontaux: le Peñcu est orienté vers le haut.



                Gongs multiples:  Joué par deux mains ou plus. Il peut jouer des mélodies.



  
B)  Quelques exemples de gamelans
  
 

Gamelan javanais double en bronze sans indication de provenance arrivé en France dans les années 50. Ce gamelan a souvent été prêté par l'ambassade pour des stages ou des concerts y compris assurés par des joueurs européens





Gamelan javanais slendro dans le style de Solo (Java central). Métallophones et gongs en bronze. Le gong ageng porte la mention Kyai Mantep, dont une traduction pourrait être 'Le vénérable à la parfaite consistance'. Après avoir été joué à Java, il a été acquis en 1999 auprès d'un revendeur de Yogyakarta par Robert Fonlupt.





Gamelan slendro de bronze de facteur inconnu, style de Cirebon (fin du 19ème siècle). Donné en 1887 à la France par M. Van Vleuten, Ministre de l'Intérieur des Indes Néerlandaises et conservé au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Il figura sans doute en partie à l'Exposition Universelle de Paris de 1889. Transféré au Musée de l'Homme en 1933 (n° d'inventaire 33.52). Joué pour la 1ère fois en 1985 par un groupe d'amateurs français, il fut accordé en 1987. Depuis 1996, visible au Musée de la Musique dans la Cité de la Musique de Paris.
  



Gamelan javanais double (slendro et pelog) en bronze, originaire de Surakarta (Java central). De facteur inconnu, il date pour la majorité de ses instruments de la 1ère moitié du 20e siècle, vers 1930

  

Gamelan javanais slendro fabriqué en 1981 à Kota Gede près de Yogyakarta (Java central). Métallophones et gongs en fer et en bronze. Acquis en 1992 après avoir été joué à Java.



  
Gamelan javanais slendro, peut-être originaire des environs de Yogyakarta (Java central). Facteur inconnu. Métallophones en bronze et gongs en fer. Acheté par un antiquaire périgourdin, M. Dufau à Yogyakarta en 1997 et acquis en décembre 1998.


                Gamelan pelog du prince Yogyakarta  vers 1930


IV - QUELQUES ELEMENTS D’ANALYSE MUSICALE
 
* Chaque gamelan possède son propre accord, deux gamelans ne peuvent pas jouer ensemble, ils ne sont pas accordés de la même manière.  
* C’est celui qui tient le tambour qui décide des changements de tempo, c’est en quelque sorte le chef d’orchestre



A) Structure horizontale: l’analyse linéaire

* On observe deux échelles: slengro (7 notes) et Pelog (5 notes). Certains gamelans sont accordés en échelle slengro et d’autres en Pelog.

* Il n’y a pas de phrase mélodique dans le sens où elle pourrait imiter un chant. Il faut prendre les phrases mélodiques comme étant des conséquences des notes de l’accord particulier de l’instrument couplées aux rythmes des différentes parties de la colotomie (voir plus loin)

    Exemple n°2 du cd:  Beleganjur. Gilak jalan, musique de procession, Seka Gong Banjar Gamongang, Buading, Kaba Kaba, Tabanan, Bali, Indonésie

«L’ensemble portatif est formé d’un couple de tambours (direction), de paires de cymbales (polyrythmie), de gongs isolés (timbres marquant la métrique cyclique/colotomie) et d’une série de petits gongs à mamelons (mélodie). Chaque joueur ne frappe qu’un de ces gongs, donc qu’une note, ce qui suppose une coordination virtuose».

Dans cet exemple, on notera deux grands cycles (du début à 1’31 puis de 1’58 à la fin). Le premier cycle garde le même tempo alors que le 2e est en accélération progressive. La pièce est bâtie sur 4 notes (si - ré - mi - sol# - la en transcription). Les petits gongs horizontaux font ré - mi - sol# - la alors que les gongs verticaux font les notes ré et si, plus lentement.


B) Structure verticale: les différentes couches instrumentales
Rythmiquement, la musique de Gamelan est tout simplement binaire, avec des temps forts et des temps faibles. Elle s’organise autour de différentes couches rythmiques qui ont en commun une pulsation. Une première couche fait entendre des notes longues, une deuxième des notes la moitié moins long, une troisième la moitié moins long, etc… (voir schéma en dessous).

Au cours d’une même pièce le tempo peut changer, marquant ainsi les limites des cycles d’une pièce. Le gong le plus grave est important, il donne le début de chaque cycle. L’organisation de cette musique en cycle rythmiques s’appelle la colotomie.



VOCABULAIRE:

Peñcu (en javanais), Moñcol (en balinais): C’est la protubérance ronde au centre du gong (le bulbe)
Slengro: type d’accord de certains gamelans basé sur 7 notes
Pelog: type d’accord de certains gamelans basé sur 5 notes
Colotomie: Principe d’écriture qui répartit les différentes parties d’une pièce en cycles rythmiques


SOURCES:
               Article de Catherine Basset, Education musicale Bac 2003 et 2004
               "Musiques de Bali à Java", Catherine Basset, Actes Sud, 1995
               "Le gamelan javanais", Claude Dietrich, editions Lugdivine, 2003
                Article d'Eric Michon, IPR de l'académie d'Orléans-Tours, sur Educnet (www.educnet.education.fr/musique)









MUSIQUES DE BALI A JAVA 
L ’ordre et la fête 
Épreuve facultative du baccalauréat 
Ouvrage de référence :
Catherine Basset, Musiques de Bali à Java
Cité de la musique-Actes Sud, 1995

PLAN du COURS 
Éléments historiques et sociologiques
Les musiques de gamelan :                                 => définition                                                       => un instrument collectif                                   => structure musicale
Traditions communes et spécifiques :                  => Bali, Java, Sunda
Les musiques de gamelan, reflets d ’une organisation religieuse, sociale et cosmogonique

Éléments historiques et sociologiques 
L ’Indonésie :                                 -> 10000 îles, 185 M d ’hbts                         -> 1er pays musulman du monde                    -> ressources naturelles importantes : riz, pétrole
Éléments historiques :                       -> les différentes périodes de l ’histoire
Caractéristiques sociologiques               -> 2 types de société : agricole, commerçante          -> La cellule de base=le village, dont le chef est élu  -> Absence de fossé entre Art savant et Art populaire

Les musiques de gamelan : 
une définition 
Étymologie : gamel = manipuler, frapper  -> évocation de la frappe des percussions
Gamelan : Ensemble permanent et unique d instruments à percussions                                                      -> en matériau dur (métal, bronze, bambou)                                    -> frappés avec un outil (maillet, mailloche, baguettes)                   ->  accordés sur les notes dune échelle mélodique 
Linstrument = lorchestre lui-même, les différentes percussions étant non autonomes.                 = notion dinstrument collectif  de type clavier éclaté (lames et percussions) 

Le gamelan : 
un instrument collectif 
Chaque partie est insignifiante seule  -> les instruments ne peuvent être joués séparément
Contrepoint mêlé, musique « atomisée », morcellement extrême des parties : le KOTEKAN
Coordination collective (-> virtuosité), partage des tâches
La plupart des claviers fonctionnent par paires (avec une légère différence d’accord)
Plusieurs instrumentistes sur un même clavier 

Le gamelan : 
Techniques d’interprétation 
L’étouffement des vibrations (pour les métallophones à vibration longue) avant ou pendant la frappe de la note suivante.           
Pas de chef d’orchestre ; les rôles sont interchangeables
Le niveau de responsabilité détermine la place des instrumentistes (primauté des parties « structurelles » : dans le grave)

Le gamelan : 
structure musicale : le Bentuk 
La forme = la texture, la structure en épaisseur :                            stratification, verticalité
Pas de thème ; musique répétitive
Fonction mélodique des percussions jouées en série : le balungan
Fonction métrique des percussions isolées (cf. gongs) : la colotomie. Notion de CYCLE
3 strates principales : colotomie (grave), balungan (médium), ornementation (aigu)

Le gamelan : 
structure musicale (2) 
Fonction agogique et dynamique des tambours à deux peaux. Direction rythm.
Instruments mélodiques isolés (parfois) : flûte, rebab, vièle
Rôle directeur des instruments graves (gongs) : chef, tête, source (ulu)
Pas de phrasé rythmique mais une « ligne régulière de pointillés tous joués »
Une technique particulière : le hoquet  

Le gamelan : 
structure musicale (3) 
Structure arborescente et pyramidale : 

Le gamelan : symbolique 
Une musique fonctionnelle, réservée à des circonstances rituelles ou solennelles
Rapport au sacré et au surnaturel : on lui fait des offrandes. Respect, peur de représailles
Rapport à un idéal social, à lordre : léthique communautaire, le consensus, reproduisant la hiérarchie de la société
Omniprésence du binaire : pensée dualiste, ying-yang 

Traditions communes 
à Bali, Java, Sunda 
Les échelles mélodique : pélog, slendro
Le théâtre d’ombres : Wayan Kulit (marionnettes)                                     -> rite chamanique à l’origine                     -> thèmes puisés dans les épopées indiennes     -> influence prépondérante sur la musique de gamelan
Danses et musiques liées à la transe :
Spectacles exorcistes, danses de séduction

Traditions spécifiques :  
BALI 
Bali, véritable « conservatoire des traditions » indo-javanaises
Pas de musiques intimistes ni de pratique spontanée : rituel, anciens cultes
Le chant n’est pas intégré au gamelan, statut secondaire des flûtes et rebab
Domination des percussions et surtout des claviers
Gamelan Gambang et Selunding, les plus représentatifs

Traditions spécifiques :  
BALI 
Le Cak :
forme vocale populaire
Polyrythmie complexe d’onomatopées, imitation du gamelan
Le gamelan Kebyar :
apparition récente (1915) du « style kebyar »
Aucune fonction cérémonielle; contrepoint percussif
Pot-pourri de thèmes traditionnels 

Traditions spécifiques :  
JAVA 
une tendance à la professionnalisation, autour des Académies
Formes artistiques savantes, raffinées
Influence de lIslam : musique de gamelan moins fonctionnelle
Une part importante accordée au chant (tembang)
Un répertoire spécifique de danses 
Le gamelan Ageng Jawa, instrument typique de lîle 

Traditions spécifiques :  
SUNDA 
Une culture plus rurale
Prédominance du chant des bardes, le pantun, soutenu par le kacapi (cithare)
Sensualité, sentimentalité (absente à Java et Bali)
« vedettariat » des chanteurs et chanteuses
Ensembles d’ Angklung fréquents
Petits ensembles d’instruments à cordes, vents et/ou percussions

Les musiques de gamelan, reflets d ’une organisation religieuse 
Laspect cyclique de la musique de gamelan, à rapprocher de la religion hindoue (réincarnation)
linfluence de lislam encourage une musique plus linéraire et lintégration du chant (le Verbe), des instruments mélodiques (Java).
Les gamelan, instruments sacrés (Bali, Sunda avec les Angklung)
Lien entre laigu et le surnaturel
Musique et rituel sont indissociables  

Les musiques de gamelan, reflets d ’une organisation sociale 
Les orchestres de gamelan, patrimoine et prestige d’une communauté (palais, village, temple)
L’organisation hiérarchique du galeman reproduit celle de la société (colotomie)
Le partage égalitaire des tâches (cf. technique du hoquet), le refus du rendement 
  

Les musiques de gamelan, reflets d ’une organisation cosmogonique(Bali) 
Le kotekan et la colotomie, symboles de l’Ordre de l’univers balinais
Un monde dépersonnalisé et égalitaire légitimé par l’ordre cosmique qui ignore l’ego.
L’organisation en strates de la musique de gamelan, reflet symbolique de l’organisation du Pouvoir
La densité musicale, liée à l’horreur du vide (Bali)

L ’influence du gamelan sur les musiques savantes occidentales 
Découverte par Debussy lors de l’Expo Universelle de 1900
Britten, Reich, Xenakis, Boulez, Aperghis et Cage (Construction in Metal pour percussions métalliques)
Olivier Messiaen, Turangalila Symphonie : titre évocateur de lextrême orient, orchestre subdivisé dont un gamelan

Une synthèse pour finir... 
Fonctionnalité, lien avec l’organisation sociale, politique et religieuse
Concept d’instrument collectif, composé d’instruments non autonomes
structure verticale en strates ; pcp de complémentarité des parties
Cyclisme, musique répétitive
Conservatisme balinais, synchrétisme à Java (islam), particularisme à Sunda (chant de bardes, sentimentalité). 
  



TRADITIONS MUSICALES SPECIFIQUES
A BALI, SUNDA ET JAVA

A-   Quelques traditions musicales communes aux trois régions
         Les échelles mélodiques pelog (heptatonique à intervalles inégaux) et slendro (pentatonique, à intervalles « presque égaux ». Sunda possède en plus une échelle pentatonique particulière, le madenda ou sorog. Catherine Basset émet (op.cité, page 82) l’hypothèse que « le pelog (se situe) du côté des palais et de leur culture indo-bouddhique, le slendro étant réservé au monde rural et aux expressions plus autochtones ».
         Le théâtre d’ombres, ou Wayan Kulit
Il ne s’agit pas d’un simple théâtre d’ombres chinoises, mais d’un office, presque une sorte de messe ou comme un de nos anciens «mystères», formé sur la base du terme yang désignant tout ce qui appartient au monde surnaturel des ancêtres et des esprits. Les figurines sont taillées dans du cuir (kulit). Il s’agit d’un rituel ancien dont les origines sont à rechercher dans le culte des ancêtres. . Aujourd’hui encore, on ne donne une représentation de wayang kulit que dans des occasions bien précises, lorsque l’équilibre d’un individu ou celui de la société se trouvent menacés (circoncision, mariage, épidémie, sécheresse). L’évocation des ombres sur l’écran est ressentie comme une opération bénéfique susceptible de rétablir l’ordre cosmique momentanément perturbé.
Théâtre de marionnettes dont les thèmes sont souvent puisées dans les textes indiens Ramayana et Mahabbarata ou encore sur la Geste de Panji, il est répandu dans toute l’Asie du Sud-Est (qui alimente une infinité d’arts scéniques et vocaux). La légende de la sorcière Calonarang, pièce majeure du théâtre balinais, remplit par son aspect magique et religieux une fonction exorciste.
Le Wayan Kulit trouve son origine dans un rite chamanique d’invocation des ancêtres. Construit à l’origine sur l’échelle slendro, avec des métallophones à lames suspendues, il était autrefois, à Java, accompagné d’instruments mélodiques comme le rebab. Son importance dans la culture, les arts et les mentalités javanaises est grande et son influence sur la musique prépondérante puisque cette tradition a provoqué l’utilisation du gamelan actuel à double jeux pelog et slendro et permis l’intégration des « instruments doux ». Traditionnellement, le slendro sert les grandes épopées indiennes tandis que le pelog, à la couleur plus sentimentale, accompagne la littérature indo-javanaise de l’époque de Majapahit. C’est de ce genre très riche de musique de scène que la musique de gamelan a hérité – à Java notamment – sa capacité à créer diverses atmosphères, à évoquer personnages et situations au moyen de modes différents et de diverses combinaisons instrumentales.
         Les danses et musiques liées à la transe (permanence du « motif des crapauds » et d’une rythmique aux percussions à peaux), spectacles exorcistes, danses de séduction…
         Le Topeng , théâtre populaire masqué
B-    Traditions musicales spécifiques
a)      Genres musicaux
A Bali
La culture classique balinaise, restée largement influencée par l’hindouisme, a gardé mieux qu’aucune autre la trace du rayonnement de l’ancien monde indo-javanais. Bali ne connaît pour ainsi dire pas de musique intimiste ni de pratique spontanée ; la musique, la danse et parfois le théâtre y sont le reflet des anciens cultes, pour l’essentiel rituels communautaires. Jouer du gamelan (« A Bali, la musique c’est le gamelan ») est avant tout un service religieux ; toutes les localités ou presque entretiennent un ou plusieurs instruments à cet effet. La pratique reste amateur.
Ø       Le gamelan Selunding (CD 5) est réputé pour être le plus ancien ensemble instrumental de Bali et les musiques que l’on interprète avec les plus difficiles à jouer.
Ø       La très grande majorité des spectacles a lieu dans le cadre de cérémonies religieuses : wali (pratiques rituelles axées sur la musique et la danse collective), bebali (danse et théâtre dansé s’appuyant sur un argument de littérature classique)…
Ø       Le gamelan Kebyar (Bali, CD 9) n’a en revanche aucune fonction cérémonielle. Il est aujourd’hui le plus répandu.
 Né en 1915, il cause une véritable révolution artistique particulièrement significative. Musique qui se libère à la fois des règles de l’esthétique classique et des contraintes du rite ou de l’argument littéraire, le style kebyar accole en patchwork des thèmes empruntés à toutes sortes de répertoires traditionnels. Il inaugure en quelque sorte la musique de concert et sous-tend une danse abstraite et virtuose. Créé pour servir le nouveau style, le gamelan gong kebyar s’affirme comme un ensemble polyvalent, sur lequel on interprète l’ensemble des répertoires. Apparaissent ainsi des pots-pourris de danses détachés de leur contexte théâtral ou rituel, à vocation touristique… La virtuosité caractérise le style kebyar dans les domaines de l’ornementation contrapuntique et des parties non mesurées à caractère rhapsodique. Il établit la domination du contrepoint percussif sur l’expression mélodique et anéantit définitivement l’expression individuelle dans la musique.
> Le Gong gédé ou « grand gamelan », formation parmi les plus anciennes à Bali, est spécifiquement réservée aux rituels religieux et n’est utilisé que deux ou trois fois par an dans les temples auxquels ils appartiennent. Seuls certains musiciens peuvent jouer ces instruments, un répertoire  bien déterminé leur étant consacré. 
Ø       L’opéra balinais Arja et son orchestre spécifique, petit ensemble de flûtes et de percussions.
Ø       Les danses de séduction balinaises (jogèd) sont accompagnées par des ensembles de xylophones et de bambous.
Ø       Le Cak, forme vocale populaire née au début du siècle de chœurs plus anciens. Sa polyrythmie complexe d’onomatopées ( 3 x 7 cellules multipliée par x groupes de 3) établit l’interdépendance maximale d’un groupe. Elle évoque le chœur des batraciens (« motif des crapauds ») et inclut l’imitation des instruments du gamelan. La puissance des chants à l’unisson, l’entrelacs des contrepoints et une chorégraphie symétrique des choristes assis en rond en forment les principales caractéristiques. Sa fonction première est celle d’exutoire physique, psychologique et symbolique. 

A Java
Java possède des traditions rurales qui la rapprochent des autres régions mais tire son prestige de formes artistiques savantes extrêmement raffinées, longtemps restées l’apanage des palais : gamelan cérémoniels, grand gamelan pelog-slendro, chant de la littérature, ballets, Wayan Kulit.
Les compositions dédiées aux gamelan historiques à fonction rituelle – patrimoines des palais – se limitent à une colotomie répétitive, musique sommaire, qui met en évidence le « motif des crapauds ».  Elles sont données le plus souvent lors des grandes occasions : couronnements, grandes réceptions, banquets nocturnes du mois de jeûne…                   
Le gamelan Ageng Jawa (CD 13) est l’instrument typique de l’île.
Java possède une répertoire spécifique de danses dont la gestuelle et la musique sont exécutées sur un tempo plus lent qu’ailleurs (ballets sacrés rituels).
Le chant forme une part très importante de la musique à Java, intervenant dans une majorité des formes instrumentales ; il est désigné par le terme générique de Tembang ; Les formes poétiques chantées sont classées en différentes catégories.
L’ère moderne consacre à Java une tendance marquée à la professionnalisation : autour des Académies, qui relaient le rôle artistiques des anciens palais, se sont formés des groupes indépendants dont certains sont professionnels. L’islamisation en est une des raison, les gamelan n’ayant aucune fonction dans le culte musulman.

A Sunda
A Sunda, nous sommes en présence d’une culture plus rurale (villages et montagnes).
La prédominance du chant
Point fort de Sunda, le chant existe dans de nombreuses formes vocales comme dans le gamelan dans lequel il est mis en relief et se détache nettement de la masse instrumentale. Dans la musique de concert comme dans la danse et le théâtre, le gamelan comprend toujours une chanteuse, les instrumentistes ponctuant quant à eux le discours musical d’interventions vocales (cris syncopés).
Ø       Les chants de bardes pantun (poèmes anonymes transmis oralement et chantés) de Sunda, antérieurs à l’islamisation,  content principalement les hauts faits des princes de ces contrées ; il donne naissance à un chant « classique » spécifique (Tembang Sunda) qui fait aujourd’hui l’objet d’un enseignement académique et de concours officiels. Ce sont des récits en prose accompagnés du kacapi. Des poésies d’amour sont également mises en musique, traditionnellement chantées lors de veillées informelles.
Ø       Le Beluk conte une histoire dont chaque vers est lu par un récitant puis chanté par un autre participant. Il s’agit là d’un genre plutôt rural.
La « sundanité » musicale est principalement marquée par la sensualité et la sentimentalité – musiques intimistes -, absentes à Bali et Java. La thématique de la Nature y est prépondérante : la montagne est une amie, la mer une traîtresse, la forêt un lieu initiatique et de recherche de pouvoirs surnaturels…
De manière corollaire, le « vedettariat » est plus fort de nos jours à Sunda qu’ailleurs – celui des chanteurs et chanteuses notamment – alors que les balinais réprouvent le culte de l’individu et que les javanais préfèrent la mémoire des défunts à la glorification des vivants.
Les gamelan
A Sunda, l’art savant se manifeste surtout par l’usage des gamelan (« sunda » et « degung ») tandis que les musiques populaires s’épanouissent à travers de petits ensembles instrumentaux à cordes et à vent ou à percussions. Si la tradition musicale est fondée sur la récitation des pantun, il y a toutefois eu osmose entre les arts savants et populaires (la musique de Cour s’est ainsi créée à partir des thèmes mélodiques apportés par les musiciens populaires).
  Les ensembles d’Angklung sont particulièrement nombreux à Sunda.

b)      Instruments et techniques spécifiques
Java
Les gamelan Sekatèn : joués dans les palais de Java-Centre pour les fêtes anniversaires de la mort du Prophète et construits sur une échelle pelog heptatonique complète.
Ils sont joués à pleine puissance, les marteaux abattus de toute la hauteur du bras et sont orchestrés autour des instruments lourds, à la tessiture extrêmement grave ; la ponctuation des gongs est conservée : gong ageng au sommet, « motif des crapauds » sur les gongs horizontaux et tambour « de mosquée ».
Bali
  Les gamelan :
Domination des percussions et surtout des claviers ; à la différence de son homologue javanais, les autres gongs ne sont pas accordés.  Le chant n’y est pas intégré, les flûtes souvent facultatives et le rebab rarissime (hormis dans le gamelan Gambub).
Les orchestre typiques à Bali sont les gamelan Gambang (avec grands xylophones avec un ou deux métallophones sans résonateurs) et Selunding (ensembles sacrés de claviers de lames métalliques destinés à jouer des compositions cérémonielles), exclusivement composés de claviers et accordés sur l’échelle pelog.
Le gamelan Angklung , certainement ancien, est utilisé plus particulièrement pour un répertoire spécifique de rites funéraires. 
Le gamelan gong kebyar (cf. ci-dessus), le plus pratiqué actuellement et dont la formation ne remonte qu’aux années 1920.
Le Gong Gedé ou « grand gamelan », formation parmi les plus anciennes à Bali réservée pour l’essentiel aux rituels religieux. Ils ne sont utilisés que deux ou trois fois par an, dans les temples, et un répertoire spécifique lui est réservé. Ces gamelan nécessitent l’emploi d’une quarantaine de musiciens. Il ne reste actuellement que trois ou quatre orchestres de ce type dans l’île.

 Sunda

Les gamelan sundanais sont nés de l’influence javanaise à l’époque de Mataram – voire antérieurement ; beaucoup sont restés fidèles à une dominante de carillons et de gongs ; on y ajoute parfois le rebab, et les répertoires modernes incluent souvent le chant. Plus globalement, on peut dire que le gamelan complet de type javanais est largement adopté à Sunda mais les styles et répertoires sont spécifiques, les voix et instruments doux (instruments mélodiques non métalliques), porteurs de parties mélodiques solistes mises en évidence, y prédominant. L’absence de métallophones à lames suspendues – discrets mais indispensables à Java, dominants à Bali - est à noter.
Le gamelan princier Degung , orchestre de chambre caractérisé par son échelle pelog Degung aux consonances assez proches de la musique occidentale, comprend une série de gongs suspendus donnant la ligne de basse et quelques autres instruments pour la mélodie et son ornementation : carillons, métallophones.
Certaines populations les plus fermées (les Baduy blancs par ex.) ne connaissent pour leur musiques rituelles que les ensembles d’Angklung – tuyaux de bambous oscillants, suspendus, accordés à l’octave –, très nombreux à Sunda,  et les récits chantés de bardes (pantun) accompagnés par la cithare kacapi.
c)      Gamelan et musique vocale
Au contraire des gamelan javanais et sundanais, les gamelan balinais n’intègrent pas le chant ; flûtes et vièles ont par ailleurs un statut tout à fait secondaire quand elles ne sont pas absentes. C’est ainsi, à Bali, la musique « forte, publique et collective qui triomphe dans cette société ultra communautaire.


LE GAMELAN DE BALI, JAVA et SUNDA


I. L'Indonésie
L'Indonésie s'étend sur 1 919 317 km et compte environ 215 millions d'habitants. La capitale est Djakarta (ou Jakarta) sur l'île de Java.

1. Géographie
L'Indonésie se compose de trois groupes d'îles:
  • les Grandes Sondes (ou Sunda): Java, Sumatra, Bornéo et Célèbes –
  • les Petites Sondes (ou Sunda): Bali, Lombok, Sumbawa, Flores et Timor –
  • les Moluques: Halmahera, Ceram, Amboine,etc.; ainsi qu'une partie de la Nouvelle-Guinée (Iran occidental)
L'altitude maximale est atteinte au Puncak Jayawijya (5030 mètres), en Nouvelle-Guinée.
L'archipel possède de nombreux volcans dont 128 sont encore en activité (le Kerintji, le Rinjani, etc.).
Le climat est tropical avec de fortes pluies de mousson (Java) et équatorial (chaud et humide) (Bali).
La population se compose de malais et de minorités de chinois, d'européens, d'hindous et de japonais.
75% de la population vit sur l'île de Java (8% de la superficie totale).
La religion majoritaire est l'islam (80%), suivie du christianisme (10%), de l'hindouisme et du bouddhisme. Exception au sein de l'archipel indonésien, Bali est à forte majorité hindouiste, avec quelques cultes animistes (attitude consistant à attribuer aux choses une âme analogue à l'âme humaine). L'Indonésie est le plus grand pays musulman du monde.

2. Economie
Elle est très agricole : canne à sucre, maïs, cacao, café, riz.
L'industrie est marginale, sauf dans les grandes agglomérations: pétrole, étain, nickel, cuivre, bauxite. L'Indonésie possède néanmoins des industries textiles et agroalimentaires particulièrement performantes.
Java : riz, canne à sucre, maïs, thé, quinquina, café, bois
Bali : cultures tropicales (fruits, tabac, café, cacao) et riz (en terrasses) + tourisme

3. Histoire de Java et Bali :
Java fut indianisée du Ve au XVe siècle, puis imprégnée par l'islam. C'est une île occupée par les hollandais à partir de 1596. Ceux-ci fondent Batavia (aujourd'hui Djakarta) en 1619. Les anglais s'y installent de 1811 à 1816. Occupée par les japonais de 1942 à 1945, Java fait partie de l'Indonésie depuis 1948.
Dominée par Java au XIIIe siècle, l'île de Bali est découverte par les hollandais en 1597, qui la colonisent au XIXe siècle. Entre 1942 et 1945, lors de la Seconde Guerre mondiale, elle est occupée par les japonais. Les hollandais interviendront militairement encore à plusieurs reprises avant que la conférence de La Haye ne reconnaisse, en 1949, les Etats-Unis d'Indonésie.

4. Politique
L'Indonésie est une République d'Asie du Sud-Est (Republik Indonesia), régie par la constitution adoptée en 1945. Le pouvoir est exercé par le président, élu pour cinq ans. Le Parlement est composé de l'Assemblée consultative du peuple (1000 membres) et de la Chambre des représentants (425 membres). Le régime est autoritaire.

5. La prononciation u = ou c = tj j = dj
Il convient de prononcer toutes les lettres, ex.: gamelan = gam(e)lan, avec un e muet.
En balinais, les a en fin de mot sont prononcés à peu près "eu", ex.: gangsa = gangseu.
En javanais, la plupart des a sont prononcés o, ex.: bawa = bowo


II. La musique à Bali, à Java (= Java Centre) et à Sunda (= Java Ouest)
Les astérisques* renvoient aux définitions (IV)
1. Définition du "gamelan" (en Malaisie, à Java) ou "gambelan" et "gong" (à Bali) = clavier éclaté
Etymologie du javanais gamel, traduit par "tenir", manipuler", "frapper", le terme de gamelan est lié à la frappe de percussions, plus spécifiquement métalliques avec un outil (marteau, maillet, mailloche).

C'est un ensemble indonésien composé d'instruments inséparables, dont le modèle premier est constitué de percussions métalliques (bronze ou fer), gongs isolés et en carillons, avec ou sans métallophones à lames. Il existe de multiples sortes de gamelan, désignées par leur nom symbolique (exemple : gamelan Semar Pegulingan).

Si dans la batterie un seul musicien joue plusieurs instruments non-autonomes, dans le gamelan, chaque musicien frappe avec un unique outil un seul type d'instrument ou un seul instrument : le travail est partagé. Chaque gamelan est accordé sur une échelle spécifique. .Les répertoires peuvent s'échanger mais sont interprétés avec l'échelle propre au gamelan utilisé.

Il existe une sorte de hiérarchie (strates) dans un gamelan :
  • Sur une base de mesures à 4 temps, la colotomie (ou ponctuation des cycles temporels) est donnée par des frappes éparses dur des gongs isolés, les uns suspendus, les autres posés;
  • Le corps de la mélodie, son "squelette" (balungan) s'étale sur des claviers de lames ou de petits gongs de registre medium, avec un soutien en valeurs plus longues aux basses;
  • L'ornementation de la mélodie est tricotée en contrepoint sur des carillon,s de petits gongs et/ou de claviers de lames;
  • La direction rythmique est confié aux tambours à 2 peaux, aidés de cymbalettes ou plaquettes de métal de même fonction.

C'est à l'heure actuelle à Bali que l'on trouve les gamelan restés les plus fidèles à cette conception. Il est conçu et réalisé dans sa globalité, tous les instruments (à percussions) étant obligatoirement fabriqués simultanément par un même forgeron.

2. Les instruments
Ils sont pour la plupart à sons fixes, à "percussion mélodique". Ce sont des métallophones: gongs isolés et en carillons (gender à Java, pengender ou kantil à Bali) ou métallophones à lames.
On trouve également:
- la cithare (kacapi)
- et la vièle à pique à deux ou trois cordes (tarawangsa) plage 15 du CD (à 2 cordes) 2'24
- la cithare (kacapi siter, plus moderne que le kacapi) plage 14 du CD 1'38
"Pantun ruwatan", extrait de la légende Boneka Mas (récit pages 122 à 124)
- l'angklung: percussion idiophone (dont le matériau qui le constitue peut entrer en vibration) secouée, deux ou trois lames-tubes accordées à l'octave et oscillant dans un cadre. (A Java-Est, xylophone de lames-tubes suspendues par une corde). plage 16 du CD 1'16
- le hautbois chinois tarumpèt sans clés (Java, Sunda) (serunaï, en Malaisie) et
- le tambour horizontal à 2 peaux tendues par une corde et accordées différemment l'une de l'autre, frappé à mains nues; forme différente selon les régions et les orchestres) (kendang) plage 18 du CD 2'36
(extrait de Pencak Silat, art martial, style de Sunda. Le joueur de tambours souligne l'évolution des danseurs-lutteurs. Coups de gongs réguliers, cris en contretemps)
Ces instruments ne jouent pas en solo mais forment des ensembles comportants de nombreux exécutants: Ce sont les "gamelan"* (en Malaisie, à Java) ou "gambelan" et "gong" (à Bali)
Il y a des jeux de gongs dans tous les pays de l'Asie du Sud-Est :
  • des gongs bulbés (16 ou 17) horizontaux suspendus par des lanières de cuir sur cadre circulaire en bois
  • des gongs bulbés (2 à 12) posés horizontalement en suspension sur un cadre rectangulaire en bois chanang en Malaisie (2 gongs)
- pas de flûte traversière, mais des flûtes droites (suling*, flûtes droites à bandeau), obliques ou nasales.
- orgues à bouche
- cithares
- tambours : - à une peau sur poterie (gedombak malais)
- à deux peaux frappés à l'aide de bâtons en bois (geduk malais)
- gongs de tailles différentes avec mamelon central simples ou par série de 3, 6, 9 ou alors suspendus verticalement ou tenus par la main gauche
- jeu de cymbalettes

3. Une musique fonctionnelle
  • Les cérémonies rituelles : Mariages, funérailles, cortèges…
  • Offrandes
  • Divertissement : danses, théâtre d'ombres, fêtes populaires…
(le musicien professionnel n'existe pratiquement pas)
Exemples : plage 9, pièce de concert
plage 13, danse Bondan
plage 24, théâtre de marionnettes et danse

4. La conception du mode:
Il y a des échelles "slèndro"* (féminin et doux) composées de cinq degrés (pentatonique*) presque équidistants. En fait, on rencontre surtout des intervalles dont les valeurs se rapprochent de 240 cents (rappelons qu'un ton tempéré de la musique occidental équivaut à 200 cents) et des échelles "pélog"* (masculin et grave) composées de sept sons (équiheptatonique*); les sons sont hiérarchisés (patet*): dazar, gong, second gong, formules de cadences, les modes sont associés à différentes heures de la journée.

5. La polyphonie:
Il ne s'agit pas d'une dimension harmonique comme en Occident mais d'une superposition de mélodies s'imbriquant les unes dans les autres (contrepoint).

6. Le rythme:
Les mesures à 2 ou 4 temps sont les plus courantes; il y a trois tempi (lent, modéré et rapide). Chaque phrase musicale est très carrée et la fin en est ponctuée par une percussion.
Les formules rythmiques des tambours horizontaux à deux peaux frappés à mains nues (kedang) sont mémorisés par des onomatopées représentant les timbres des frappes (comme en Inde).

III. Exemples
BALI Plage 9 du CD Gamelan* Gong Kebyar* (1989) 4'22
Pièce de concert, style kebyar* du XXe siècle.
Ce morceau commence par un prélude non mesuré. La résonance contenue dans le gong initial génère et structure l'ensemble de la pièce. Les métallophones répondent aux autres pupitres, tous rivalisant de virtuosité dans un jeu enchevêtré (solo de carillon à quatre joueurs). On remarque un apaisement progressif jusqu'à l'installation d'un ostinato (proche de mi ré do# la ) précédant l'arrivée du duo flûte (suling1)*- couple de tambours (2') avec une métrique cyclique classique aux gongs (colotomie*). A 3'58'' les carillons entament une sorte de cadence chaotique marquée par une accélération avec une fin non mesurée.

JAVA Plage 13 du CD Tari Bondan, pathet* (mode) slèndro* manyura (1973) 19'34
Dans la danse Bondan*, une jeune femme tenant une ombrelle s'occupe tendrement d'un bébé. Une partie de la danse est exécutée sur une cruche, brutalement cassée à la fin.
Structure complexe enchaînant plusieurs mouvements. D'abord une métrique cyclique courte dite d'Ayak-ayakan, particulière aux musiques de scènes. A 2'04 commence le pathetan, mise en valeur du mode mélodique (slèndro = échelle pentatonique avec intervalles presque égaux) par la vièle et les instruments "doux". La vièle amène un gong à 3'04 qui ouvre une formule métrique cyclique plus longue (Ladrang). Ce Ladrang Ginonjing est donné d'abord sept fois en rapport de deux notes aigues pour une à la teneur (irama tanggung), avec chanteuse et claquements de mains, puis quatre fois plus étiré, huit pour une( irama wilet,) avec le choeur masculin, jusqu'au gong final à 15'05. La berceuse (Lédhung-Lédhung ) est reprise deux fois, chanteuse et choeur se répondant. Un autre Ayak-ayakan commence au gong de 17'06, puis un accelerando amène au Sampak (métrique cyclique très dense pour scènes d'action), qui marque le bris de la cruche et la fin de la danse.

SUNDA Plage 24 du CD Gamelan Sunda (slèndro*) (1969 - mono) 3'07
Très complet dans sa stratification, le gamelan slèndro de Java-Ouest est comparable aux gamelan "standard" des autres régions: le Gong Kebyar à Bali et le gamelan Ageng à Java-Centre. Mais il accompagne le théâtre de marionnettes et la danse plus qu'il ne joue de musique de concert. Le rôle quasiment soliste de la voix est typique de la région. La vièle tarawangsa* et les percussions métalliques introduisent un dialogue entre une femme (mécanismes lourd ou allégé) et un homme. Remarquons la similitude de timbres entre les voix et la vièle.

IV. Définitions à retenir (par ordre alphabétique)
Bondan: danse féminine javanaise.
Colotomie: formules de métrique cyclique
Echelles "pélog" (masculin et grave): composées de sept sons équidistants.
Echelles "slèndro" (féminin et doux): composées de cinq degrés presque équidistants.
Equiheptatonique: sept sons équidistants.
Gamelan: Ensemble indonésien composé d'instruments inséparables, dont le modèle premier est constitué de percussions métalliques (bronze ou fer), gongs isolés et en carillons, avec ou sans métallophones à lames.
Gangsa: 1. (Java), mélange de métaux utilisé pour fabriquer les gamelan. 2. (Bali), terme générique pour les métallophones à lames plus épaisses que celles des gèndèr*, suspendues sur tubes de bambou résonateurs accordés.
Gèndèr (Bali) (Java: gendèr): type de métallophone à lames minces suspendues sur tubes de bambou résonateurs accordés.
Gong Kebyar (Bali): gamelan moderne standard avec les gangsa* et le réong* dominants.
Heptatonique: sept sons.
Kebyar (Bali): style de musique de gamelan, puis de danse, né au début du XXe siècle, anticonventionnel à l'origine.
Patet (Sunda): mode mélodique, assez différents du concept javanais.
Pathet (Java): modes mélodiques (avec formules types), d'abord associés aux étapes du Wayang Kulit (en slèndro), puis introduits dans toute la musique classique vocale et de gamelan.
Pélog: voir Echelles "pélog".
Pentatonique: cinq sons.
Polyrythmie: superposition de rythmes.
Réong (ou réyong) (Bali): petits gongs accordés en carillon, joués par quatre instrumentistes équipés chacun de deux bâtons, de fonction ornementale.
Slèndro: voir Echelles "slèndro".
Suling: flûte droite à bandeau.
Tarawangsa: vièle à pique à deux ou trois cordes.

Travail de Isabelle BAUDRILLART et Claire DOLIBEAU, d’après le livre de Catherine BASSET