La renaissance

C’est la seule période de l’histoire de l’art qui se soit donné un nom (c’est la seule fois où les contemporains ont eu le sentiment de ce mouvement nouveau et ils ont su le qualifier). Ainsi les humanistes italiens du Quattrocento (= des années 1400) parlent déjà de « rinascità » (= renaissance, en Italie on est très en avance dans le domaine de l’art). La « rinascità » est avant tout un phénomène d’ordre culturel : c’est une conception toute nouvelle de la vie, une conception toute nouvelle de la réalité du monde qui imprègne tous les domaines (les mœurs, les sciences, les lettres et les arts).
Grosso modo, cette renaissance correspond au 16ème siècle mais elle a des racines extrêmement profondes dans le 15ème siècle (en particulier en Italie).

Dès son apparition ce terme de renaissance a un sens positif et cette renaissance c’est avant tout une rupture avec le passé récent. Le passé récent est considéré comme un millénaire de décadence (on considère que tout ce qui s’est passé depuis la chute de l’empire romain [c’est à dire après la chute de Milan] est une profonde, immense décadence). C’est aussi à cette époque que va naître ce concept de « moyen âge » pour qualifier toute cette période. Le passage du moyen âge à la renaissance est surtout d’ordre intellectuel. Dans les arts on introduit un plus grand esprit de méthode (esprit de méthode = contrôle rationnel, contrôle de la raison sur la production artistique : je créée un objet, je le regarde, je le critique, je me fais une opinion réfléchie sur cet objet) alors qu’au moyen âge on reproduisait des schémas, des modèles éprouvés par le temps. Ces modèles qu’on a reproduit pendant des siècles, en les transformant bien sûr, on les juge désormais comme étant barbares (c’est aussi à cette époque qu’on invente le terme de « gothique » : c’est l’art de Goths c’est à dire des barbares [sans souci d’histoire parce que les Goths n’existent plus depuis longtemps]).
Du point de vue musical, il est bien difficile de trouver ce point de rupture entre le moyen âge et la renaissance car il y a une continuité extraordinaire à cause de l’école franco-flamande. Ce point de rupture serait justement à l’époque de Josquin car sa vie s’équilibre parfaitement autour de 1500 mais au fond Josquin représente plutôt l’aboutissement des styles antérieurs (c’est la synthèse du contrepoint franco-flamand avec la vocalité italienne). En même temps, ce qui verront en Josquin un compositeur renaissant vont mettre en avant le langage expressif, le style expressif, le rapport avec le texte. D’autres vont voir la rupture ailleurs et vont dire que cette rupture s’effectue surtout vers 1420 c’est à dire à l’époque de Dufay (ce qui n’est pas faux car c’est bien en abandonnant le style ars noviste et la conception mathématique de la musique, pour en venir à une conception plus spontanée, plus simple, que se situerai déjà peut-être la renaissance musicale). Cependant ni Dufay, ni Josquin ne sont encore renaissants : certes ils sont très novateurs pour leur époque mais il ne suffit pas d’être novateur pour être renaissant (d’ailleurs Josquin jouit d’une telle popularité, d’une telle renommée qu’il reste très en vogue jusqu’en 1640 au moins). En fait, il faut attendre la dernière partie du 16ème siècle pour que se généralisent des éléments de style nouveaux.
Ces éléments nouveaux typiquement renaissants sont : l’écriture en double-chœur (chez Josquin cela était vraiment embryonnaire car il faisait 2 voix + 2 voix alors qu’à présent on fera du 4 voix + 4 voix), la voix unique accompagnée, émergence d’un répertoire instrumental important, domination du vertical harmonique, systématisation des accords parfaits, relations de plus en plus étroites entre le texte et la musique (par exemple, dans le madrigal italien avec les madrigalismes), conquête définitive de l’expression.
Le début de cette renaissance musicale est donc bien difficile à déterminer et on pourrait plutôt chercher, même si c’est contourner l’obstacle, la fin de l’esprit médiéval : Josquin quitte l’esprit médiéval, la pensée médiévale mais ce n’est pas pour autant qu’il est déjà renaissant.
Un des points importants qui marque la renaissance c’est avant tout l’imitation de l’antiquité (les musiciens n’y seront pas toujours très sensibles ou croiront l’être). L’imitation de l’antique est le point essentiel de l’esthétique renaissante. Le modèle que l’on va imiter c’est le monde gréco-romain. On abandonne donc tout le vocabulaire médiéval pour se tourner vers ce monde antique (ce qui se retrouve dans l’architecture). Il faut cependant faire attention car l’imitation de l’antiquité n’est pas une copie (imiter l’antiquité c’est s’en inspirer pour la dépasser). Dans l’idée d’Imitation il y a des idées de dépassement permanent du modèle. La musique va marquer quelques retards en ce domaine par rapports aux arts plastiques puisque le mouvement antiquisant n’apparaîtra qu’a partir de le 2ème moitié du siècle (cela se conçoit car on ignore tout de la musique de l’Antiquité [on connaît sa théorie mais les gens du moyen âge la connaissaient aussi…]). Imiter l’antiquité n’est donc pas simple… Un des fruits les plus importants de l’Antiquité sera le chromatisme (on sait que les grecs avait un genre chromatique), ainsi on invente un nouveau chromatisme (qui n’a plus rien à voir avec celui des grecs) qui est le chromatisme harmonique (qui va être un des éléments importants du langage de la Renaissance après 1550). Une autre invention est la mesure à l’antique (qui sera un fiasco total), puis vient ensuite le récitatif (qui continuera son chemin au baroque et au-delà encore ; en effet le récitatif est le moyen supposé du théâtre grec).
Mis à part cette imitation de l’antiquité, il y a aussi l’humanisme. L’humanisme est le fruit de l’imitation de l’Antiquité, il en découle. Il se traduit par un goût de l’expérimentation. Puisqu’on ne reproduit plus un modèle, il faut bien expérimenter de nouvelles choses en se fondant sur sa propre expérience : cela nécessite une confiance en soi et un décloisonnement des disciplines.
La conséquence musicale de l’humanisme c’est avant tout l’expression des passions humaines, la mise en valeur des textes. La musique se fait attentive au mot et elle se fait attentive à la pensée qui en découle (on a pas attendu le baroque pour cela [avec la théorie des passions]). La conséquence de cela est un goût pour le verticalisme, l’harmonie et un goût pour l’écriture monodique.
Le dernier aspect fort important de cette Renaissance c’est tout le mouvement religieux de réforme protestante et de contre-réforme. La réforme protestante va susciter un immense renouveau qui dépasse le domaine religieux, théologique. Cette réforme aura des conséquences artistiques profondes mais aussi des conséquences morales et politiques. Une des conséquences de la réforme sera l’effort du monde catholique pour reconstruire le catholicisme ébranlé par la réforme (c’est ce qu’on appellera la réforme catholique ou contre-réforme, tout cela sous l’égide de Rome). Cette réforme catholique va donner un coup d’accélérateur énorme à la production de musique religieuse. Cette réforme catholique est scellée dans les actes et dans les travaux du Concile de Trente qui s’est achevé en 1563. Ce Concile de Trente fixe les critères musicaux de la contre-réforme : il prône le retour à un langage clair qui préserve l’intelligibilité des paroles. Un autre synonyme de « réforme catholique » ou de « contre-réforme » est « réforme tridentine » (expression qui découle de la ville de Trente). Les principes tridentins vont pour certains conduire à une certaine modernité (sens du texte, …) et pour d’autres à un certain académisme. Le musicien religieux personnifiant, incarnant les principes tridentins est Palestrina.
A ce sujet voire l’ouvrage de Paul FAURE : « La Renaissance », Paris, PUF, collection Que sais-je ? n° 345.