Citation et collage


Le Petit Déjeuner (1914) de Gris, technique du collage




Citation et collage permettent d'élargir les dimensions psychologiques : des époques et des espaces différents sont présents simultanément.

“Citation et collage sont une des tares de la musique du XXè siècle, bien que des chefs d’oeuvres les aient utilisés (Sinfonia de L. Berio et Hymnen de K. Stockhausen). Cela montre le désarroi des créateurs qui ne croient plus aux vertus d’un langage mais se sécurisent avec des références passées qui deviennent mortes dans ces contextes.” (Philippe Manoury)


La citation

La citation est une forme évidente de travail sur la mémoire, en ce sens elle est un des phénomènes les plus saillants de la postmodernité et un terrain d’observation privilégié de celle-ci. Elle acquiert une valeur particulière dans le cadre du postmodemisme.

La citation est une technique ancienne qui permet de nouer des liens et de donner à une oeuvre une signification empruntée à l'extérieur d'elle-même (citation de BACH par BERG), ou qui peut avoir une fonction parodique (KAGEL).

La pratique de la citation a de tout temps existé en musique. Elle apparaît même comme une des composantes les plus importantes de l'écriture musicale, comme en témoigne la variété des termes techniques qui désignent et recouvrent cette pratique : arrangement, coloration, contrafacture, fragments, paraphrase, parodie, pastiche, pot-pourri, transcription, variations sur un thème...
En musique, l'emprunt semble donc aller de soi et concerne aussi bien des thèmes, des formules, des figures, des manières, des styles.
Tout oeuvre musicale est en effet en relation plus ou moins étroite ou plus ou moins éloignée avec d'autres oeuvres musicales (antérieures ou contemporaines)...
De fait, toute création artistique est assurée par une dynamique entre l'absorption (la tradition) et la transformation (la novation) mises en œuvre par chaque créateur.
Cette pratique de la citation, assumée depuis des siècles par les compositeurs, relève autant du savoir-faire musical que des mécanismes, volontaires ou non, de la réminiscence, issus de la mémoire musicale propre à chaque créateur.

C'est ainsi que la Quatrième Symphonie, en ré majeur, K 19, de Wolfgang Amadeus Mozart est une imitation de l'Ouverture n°1, op. 3, de Jean-Chrétien Bach, ou encore que le thème de l'andante sostenuto de la Sonate pour violon et piano en ut majeur, K 296, du même Mozart est emprunté au thème de l'ariette Dolci Aurette du même Jean-Chrétien.
Et il y a les concertos-pastiches de Mozart, les citations imaginaires chez Igor Stravinski ou Béla Bartók, les citations populaires sublimées chez Gustav Mahler (valses, marches militaires, chansons de rues, musiques foraines), les « tombeaux » et hommages divers (de Henry Purcell à Maurice Ravel, Manuel de Falla, André Boucourechliev, Franco Donatoni...).

La citation musicale, si elle a toujours été pratiquée, a cependant pris, dans les années 1960, un tournant : elle est devenue l'objet même de certaines compositions. Aux siècles précédents, la citation allait de soi, ainsi que l'anonymat dans lequel on laissait alors les auteurs cités !
Désormais les compositeurs revendiquent cette pratique faisant partie intégrante de la réflexion sur l'écriture et le langage musical.

Citons, parmi les créateurs les plus importants se rattachant aux diverses pratiques en la matière :

  • Bernd Alois Zimmermann et son esthétique pluraliste (Présence, « ballet blanc » pour trio avec piano, 1961 ; Musique pour les soupers du roi Ubu, « ballet noir » pour orchestre, 1966 ; Requiem für einen jungen Dichter, pour récitant, soprano, baryton, trois chœurs, bande magnétique, orchestre, combo de jazz et orgue, 1967-1969)
  • Luciano Berio et ses techniques de commentaires jouant avec la mémoire et ses « catalogues de références », ce qu'il appelle aussi ses « documentaires sur un objet trouvé » (Laborintus II, pour voix, orchestre de chambre et bande magnétique, 1965 ; Cela veut dire que, 1969 ; Sinfonia, pour huit voix solo, chœur et orchestre, dont un mouvement est construit sur des fragments d'œuvres de Mahler, Ravel, Richard Strauss, 1968)
  • Mauricio Kagel et sa distanciation parodique de travestissement (Ludwig van, 1969 ; Aus Deutschland, 1981 ; Sankt-Bach-Passion, 1985)
  • Karlheinz Stockhausen et ses techniques métamusicales d'intermodulation (Hymnen, 1967 ; Licht, cycle de sept opéras commencé en 1977 et devant totaliser, une fois terminé, quelque 25 heures de musique)
  • Franco Donatoni qui se veut un « élaborateur » anonyme et subjectif et qui a ainsi renoncé à inventer la matière de ses œuvres (Etwas ruhiger im Ausdruck, pour cinq instruments, 1967 ; Voci, pour grand orchestre, 1972-1973 ; Tema, 1981).

Dans Les cinq paradoxes de la modernité (1990), Compagnon écrit : « L’architecture postmoderne rêve d’une contamination entre la mémoire historique des formes et le mythe de la nouveauté. En empruntant un terme à la critique littéraire, disons que la postmodernité vise à un “dialogue” entre des éléments hétérogènes. On pourrait résumer son ambition sous le nom d’“architecture dialogique”, faisant jouer ensemble des formes en provenance de traditions diverses, mises à plat dans le temps et qui ne sont plus perçues dans leur historicité. »

Compagnon l’applique à l’ar­chitecture, nous l’appliquons à la musique. La perception des musiques citées et citantes s’enrichit mutuellement de ce dialogue.

Luigi Nono : Fragmente-Stille, an Diotima (1980)

voir l'analyse : Fragmente-Stille, an Diotima (1980) de Luigi Nono


Voir également l'exemple de :
Bernd Aloïs Zimmermann (1919-1970), le pluralisme stylistique


Le collage

Le collage consiste quant à lui à assembler une oeuvre d'art nouvelle à partir de matériaux et de techniques différents.

Claudy Malherbe, "Ellipses" (Cahiers Perspectives, n°2, avril 1987) :
Si la technique des collages, quoi doit beaucoup aux manipulations issues de la bande magnétique, a donné l'occasion à certains créateurs de jouer de manière souvent savoureuse avec des éléments disparates pris dans des esthétiques différentes, le travail de musiciens tels Debussy ou Bartók – lorsqu'ils infléchissent la tradition classique au moyen d'attributs appartenant au gamelang javanais ou à la musique traditionnelle d'Europe centrale – nous donne l'exemple d'une véritable intégration structurelle.
Leurs successeurs ont montré qu'il est possible, au moyen de mécanismes formels - non obligatoirement dévolus à l'unique manipulation musicale - qui produisent des assemblages musicalement significatifs, de parvenir à la réécriture d'une musique préexistante. Ce sont des échelles définies par une arithmétique qui font entendre dans Pléiades de Xenakis des fragments de gong balinais, ou la dilatation du mantra (thème-cellule) original du Mantra de Stockhausen qui fait ressembler tel passage de l'ouvre à la musique de Bartók ou à celle de Thelonious Monk. La réécriture dans ce cas peut être fortuite, elle n'est pas volonté imitative ni décorative, il y a intégration et symbiose imposée d'en haut par l'ordre structurel, et si le risque de cette méthode est l'éclatement de l'unité stylistique, son avantage vient de ce qu'elle peut en proposer une nouvelle. Aux prises avec ce matériau multiforme, le compositeur devra chercher les conditions de la cohésion interne de l'oeuvre, en ayant conscience que son intégration dans le champ esthétique ne sera pas anodine (tant les parties qui la composent sont chargées de connotations profuses), mais en sachant le bénéfice qu'il pourra en tirer : trouver finalement sur sa table de travail des éléments et des structures qui figurent la complexité du monde actuel.
Le collage peut être considéré comme un cas étendu de citation et donc comme un autre cas de réécriture, mais l’idée de disparité entre le contexte qui emprunte et ce qui est emprunté n’existe plus. Cette pratique n’est pas récente, outil de la modernité, elle l’est aussi du postmodernisme.
En 1978, Jean-Yves Bosseur repère différentes catégories de collage selon les morphologies et les fonctions :

  • « l’assemblage-collage » (Rozart Mix de Cage pour bande - 1965),
  • le « chiasmage » ou « col­lage complexe » composé d’une multitude de frag­ments (repiquage de disques de jazz pour Imaginary Landscape n°5 de Cage - 1952),
  • « l’anti-collage » qui consiste à ne livrer qu’un détail d’un tout et à le disséquer (les musiques populaires dans Tactil de Kagel - 1970),
  • le « collage narratif » - par les « brassages qu’il suppose » - qui a un sens dramatique et le « collage- témoignage ».

Luciano Berio : Sinfonia (1968)

voir l'analyse : Sinfonia (1968) de Berio



sources :
- Musique et post-modernité de Béatrice Ramaut-Chevassus (PUF, 1998, Paris)
Vocabulaire de la musique contemporaine (éd. Minerve)
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/citation-musique/