La démarche post-moderne de Luciano Berio


A la fin des années 1960, Luciano Berio, qui avait été un compositeur sériel et électroacousticien (il avait fondé le premier studio de musique électroacoustique en Italie [Studio di fonologia de la RAI à Milan]), prend ses distances vis-à-vis des mouvements d’avant-garde pour développer un travail de type post-moderne. Il s’est lancé dans une construction d’archétypes des différentes formes d’expression pour une formation donnée. Par exemple dans Sinfonia (1968-69), Coro (1975 [revue en 1977], pour chœur et grand orchestre), Recital (1972, pour chanteur seul) et le Concerto pour 2 pianos et orchestre (1972-73, il travaille sur les relations entre solistes et orchestre) : Berio fait le tour de toutes les expressions possibles pour chaque formation. Il base ce travail sur l’intégration d’éléments musicaux provenant du répertoire savant ou populaire : les thèmes, les techniques de jeu.

Il fait ce travail de synthèse, d’inventaire (qu’il a fait pour chaque instrument solo) dans ses Sequenze : il passe en revue toutes les techniques de jeu et les possibilités des instruments.
Par exemple : Sequenza III, pour voix. On y trouve toutes les techniques vocales possibles.



Le symbole de cette démarche post-moderne est le 3ème mouvement de la Sinfonia qui cite le scherzo de la 2ème symphonie de Mahler (servant de trame du début à la fin) auquel se greffent des éléments d’origines très diverses (citations musicales [Mahler, Stravinsky, Debussy, Boulez] et littéraires aussi).

Voir l'analyse de cette oeuvre sur edmu.fr

Coro (1976)

La manière dont il intègre le répertoire populaire n’est pas foncièrement différente de la manière dont il travaille sur le répertoire savant (il y a un plan d’égalité). Une des œuvres dans laquelle il va intégrer le répertoire populaire est Coro (pour chœur et orchestre) où le chœur est exploité dans toutes les configurations possibles (grand chœur, petit groupe isolé…).
Coro (1976) est sans doute l’un des sommets de son œuvre, une anthologie de l’homme, de son aventure et de son paysage intérieur. Les langues, les folklores, les styles y sont brassés avec violence et tendresse. Berio en dit la chose suivante :

« On y trouve exposés et parfois combinés entre eux des techniques et des modes populaires les plus divers sans aucune référence à des chants particuliers. Il ne s’agit donc pas simplement d’un chœur de bois et d’instruments mais aussi d’un chœur de techniques diverses allant du lied à la chanson, des hétérophonies africaines à la polyphonie. Dans l’éventail plutôt large des techniques adoptées dans Coro, l’élément populaire n’est naturellement pas le seul »


Episode 6 "Venid a ver la sangre por las calles" : citation littéraire de Pablo Neruda (« Venez voir le sang répandu dans les rues »).




Episode 17 "Pousse l'herbe e fleurit la fleur" : chanson yougoslave (sans soucis de démarche authentique) intégrée dans une trame beaucoup plus large, superposée (contrepointée ?) à des éléments complètements différents, hétérogènes (sorte d’incrustation). C’est un travail de mosaïste...




Ainsi, Berio considère le répertoire populaire comme intégré à son patrimoine musical au même niveau que la musique savante.


Cries of London (1974-76)

Dans les Cries of London (1974-76), Berio travaille sur des textes de cris de marchands londoniens. Parfois il reprend des mélodies originelles, parfois il fait des fausses mélodies populaires. C’est une écriture à mettre en parallèle avec le Chant des oiseaux de Janequin : onomatopées, coup de langue… Cela dit l’écriture reste savante : c’est une juxtaposition de styles.

“Le vendeur d’ail” (Garlic, good garlic) de Cries of London de Berio

Le texte :
Garlic, good garlic
the best of all the cries.
It is the physic
'gainst all the maladies.
It is my chiefest wealth,
good garlic for the cry.
And if you lose your health
my garlic then come buy,
my garlic come to buy.



Dans le même registre, les Folksongs de Berio sont moins intéressants : c’est une série de vraies et fausses mélodies populaires de différentes parties du monde. C’est une œuvre un peu plus marginale.