Thème et folklore chez Chopin

article du Blog pianart







Chopin est un musicien très populaire et pour le néophyte il pourrait faire figure de compositeur à succès : valses, mazurkas et polonaises (à danser ?), musique de salon, musique d’ambiance… nombre de ses compositions sont parfois affublées de titres imaginaires.


Souvenons nous de cette pensée de Hugo Rieman (1849-1919) - Grand musicologue du XIXème siècle :" Ceux qui comptent Chopin parmi les compositeurs de salon ont sur la conscience une dangereuse confusion de termes . On serait plutôt autorisé à mettre la musique de Chopin en opposition directe avec la musique de salon , car celle-ci se donne des apparences de virtuosité , tandis que la musique de Chopin paraît souvent facile , et en réalité demande toujours un degré avancé de maîtrise technique " ......." L’historien de la musique a de la peine à trouver le groupe de musiciens dans lequel il faudrait placer Chopin "......

L’histoire de la musique, depuis, a fait le ménage et la musique de Chopin est appréciée actuellement à sa juste valeur, le statut de grand compositeur classique lui est définitivement acquis.

La tentation reste encore grande de le considérer comme un musicien "nationaliste", la seule réponse à cette interrogation est de considérer la transcendance et le caractère rare de son œuvre : le folklore et les thèmes utilisés dans sa musique, lorsqu’ils le sont, proviennent d’une source d’inspiration supérieure, Chopin n’insiste jamais, il suggère ! Sa puissance créatrice et son inventivité se révèlent d’une façon miraculeuse. Parmi ses grands contemporains certains ont pressentis très tôt la quintessence de son œuvre, et même si Chopin était un génial improvisateur, sa préoccupation majeure était la concision voire la simplicité (pas étonnant alors que la majeure partie de son œuvre soit consacrée au piano). Le peintre Delacroix écrira peu de temps après la mort de Chopin qu’il était "un véritable artiste" et n’hésitera pas à le placer dans le même cercle de compositeurs que Mozart.

Si on range d’un côté les Etudes , Préludes , Sonates , Scherzos , Ballades , Nocturnes et Concertos , formant déjà un fabuleux héritage , il reste cependant une autre partie de l’œuvre qui est parfois controversée à savoir les Mazurkas , les Polonaises et les Valses .

Chopin n’utilise quasiment pas ou très , très rarement des thèmes ou des airs connus, il faut citer comme exception la " Fantaisie sur des airs polonais " opus 13 , sans doute le jeune pianiste pensait devoir se plier à une certaine mode pour attirer l’attention, cependant dans ses rondos " à la manière de " avec les opus 5 (à la mazurka) et opus 14 (le cracovien) il n’y a aucun thème populaire reconnaissable. Ces 2 rondos ont un charme indicible fort appréciable et un rapprochement du rondo opus14 avec le style nordique semble de bon aloi : voire le style d’Edouard Grieg que l’on surnomme parfois "Le Chopin du Nord".

Les Polonaises et les Mazurkas sont des sommets d’expressivité (Chopin en profite pour créer des combinaisons et des harmonies nouvelles surtout dans les mazurkas), rechercher des thèmes populaires dans ces œuvres reviendrait à chercher "une minuscule perle dans un grand sac de billes", quant à pouvoir les danser reprenons l’expression de Robert Schumann "des canons cachés sous des fleurs" . Compositeur et auteur critique Hector Berlioz également contemporain de Chopin était subjugué par cette musique, voici son témoignage : "Il y a des détails incroyables dans ses Mazurkas, encore a-t-il trouvé le moyen de les rendre doublement intéressants en les exécutant avec le dernier degré de douceur , au superlatif du piano , les marteaux effleurant les cordes, tellement qu’on est tenté de s’approcher de l’instrument et de prêter l’oreille comme on ferait à un concert de sylphes ou de follets. Chopin est le "Trilby(*)" des pianistes..." Berlioz voyait en Chopin le miniaturiste.

La Polonaise Fantaisie opus 61 quant à elle , se révèle être une œuvre extraordinaire , on est à cent mille lieues de penser à un quelconque thème folklorique , c’est l’œuvre d’un visionnaire.

Les Valses tiennent une place à part , elles paraissent exister pour "épater la galerie" , certaines sont envoûtantes (opus34 n°2 , opus64 n°2), mais là, toujours point de danse ni folklore ni de thème connu .

Les Ballades sont des créations de Chopin d’un genre nouveau , on cherche souvent à les associer à des thèmes littéraires de grands poètes , œuvres de grands contrastes elles s’y prêtent également bien par leur forme narrative , cependant rien ne permet de confirmer les intentions de Chopin qui avait une aversion pour la musique à programme .Quant aux Chants Polonais (voix et piano) poèmes mis en musique avec accompagnement , Chopin avait-il vraiment l’intention de les publier ?

L’exemple du Scherzo n°1 opus 20 est poignant , après un déferlement indescriptible , dans la partie centrale se dégage une cantilène douce et apaisante. Qui pourrait alors se douter que l’on retrouve le thème d’un chant de Noël polonais très populaire ? Il suffit d’exécuter les 2 exemples ci-dessous pour s’en convaincre, Chopin joue t’il un chant de Noël ? L’inspiration du compositeur se manifeste ici probablement avec le sentiment d’avoir perdu ses attaches, ce thème de Noël est transfiguré car il est varié et ne correspond pas littéralement à la mélodie, en outre il n’y a pas d’insistance dans l’exploitation du thème lui-même , ce thème furtif , estompé et innocent (car il s’agit d’une berceuse) apparaît alors comme une éclaircie avant que le déferlement initial ne reprenne . Chopin est souvent attiré par les contrastes, et le " clair-obscur " dans cette composition nous renseigne sur son état d’âme, l’improvisateur semble faire un mauvais rêve ou être envahi par de sombres pressentiments et son esprit est saisi d’un instant de nostalgie irrépressible. Un scherzo comme jamais on n’aurait pu l’imaginer avant Lui !


(Début du chant de Noël populaire polonais)


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N’oublions pas le petit côté "cosmopolite" chez Chopin, il a su reproduire des instantanés ou des impressions fugitives , et au demeurant il était un excellent imitateur, que dire de sa Tarentelle opus 43 et de sa Barcarolle opus 60 qui sentent à plein nez l’Italie , du Boléro opus 19 et des 3 Ecossaises opus 72 ? On souhaiterait sans doute y entendre des airs à la mode , mais le style reste toujours le même : simplement évocateur dans le rythme et la tonalité . Il faut souligner à ce propos que la Barcarolle est un véritable bijou , elle occupe une place de choix dans l’œuvre de Chopin.

En conclusion on pourra voir le folklore dans la musique de Chopin comme des idées qui ne dépassent pas le stade de la suggestion , le caractère abstrait qui en découle s’affranchit de toute frontière , mais Chopin était un polonais en exil , plus polonais que la Pologne elle-même diront certains , le drame qu’il confie à son piano s’adresse à toute l’humanité (reprenons Schumann une nouvelle fois : "des canons cachés sous des fleurs").

Et pour trouver une musique à thème il faudra puiser dans les œuvres sans numéro d’opus telles que les Variations sur un air allemand , le Duo pour flûte et piano , le Souvenir de Paganini , la Variation pour l’Hexaméron sur " l’Air des Puritains " de Bellini , le Duo piano-violoncelle sur le thème " Robert le diable " de Meyerbeer , c’est à dire des œuvres marginales mais toutefois non dénuées d’intérêt ,deux exceptions néanmoins : les Variations opus 12 sur un air de Harold" Je vends des scapulaires " et les fameuses Variations opus 2 sur " La ci darem la mano " de Mozart au sujet desquelles Schumann s’exclama "Chapeau bas Messieurs, un génie !"… Hommage de Chopin à Mozart...