Renaissance - La musique profane : la chanson française

La musique profane : la chanson française (la chanson en langue française)
Après la mort de Josquin, la chanson cesse d’être un genre international (ce qui était pourtant une caractéristique de l’époque de Josquin). Désormais chaque pays ou chaque région traite la chanson selon un style qui lui est propre, un style particulier. Ainsi les compositeurs du Nord de l’Europe vont conserver, perpétuer la tradition josquinienne tandis qu’à Paris apparaît un style nouveau : la chanson parisienne. C’est un genre qui va dominer toute la production profane dans la première moitié du 16ème siècle.
1°) La chanson polyphonique parisienne (1528-1550) :
a) L’histoire et les genres :
Le changement se fait avec le règne de François Ier. A la cour de François Ier s’établit un style général joyeux, franc qui allie la sensibilité à une évidente truculence. C’est une cour qui fuit l’austérité. L’Humaniste est épris de nouveauté, il est amoureux de la vie et s’en est donc finit de la langueur des chansons bourguignonnes (comme les chansons des albums de Marguerite d’Autriche). On préfère désormais une large palette expressive qui va des évocations les plus délicates au réalisme le plus cru. On aura donc des pièces courtoises (comme par le passé), des chansons anecdotiques, des chansons à boire, des chansons à danser, des chansons humoristiques, des chansons érotiques qui utilisent de nombreux sous-entendus.
Les tendances poétiques de cette époque sont peut-être rassemblées, résumées, illustrées dans l’œuvre, la production de Clément MAROT. Dans les chansons (celles de Marot entre autres), le texte est simple, direct, concis, dans un esprit populaire.
En 1528 paraissent les « Chansons Nouvelles mises en musique à quatre parties » (c’est une anthologie d’auteurs divers) publiées à Paris par l’éditeur parisien Pierre ATTAINGNANT. C’est le premier recueil de musique imprimé en France (il y a donc un retard par rapport à Venise où le premier recueil est de 1501). Cet éditeur va publier, jusqu’en 1552, une cinquantaine de volumes du même genre. Tout cela constituant un corpus d’environ 1500 chansons. Parmi tout ces volumes, il y aura des anthologies mais aussi des volumes dédiés à un seul compositeur.
b) Forme et style :
Les formes fixes (ballades, rondeaux, virelais) avaient déjà été abandonnées à l’époque de Josquin : elles sont définitivement oubliées. Il n’y a plus de formes fixes mais des strophes simples, par exemple : un quatrain (4 vers) ou un dizain (strophe de 10 vers) avec des vers de 8 ou 10 pieds (c’est à dire octosyllabes ou décasyllabes).
Désormais le texte dicte sa loi à la forme musicale et la musique commente le texte en racontant le poème de façon syllabique. C’est une des caractéristiques essentielles du style : une déclamation syllabique avec des phrases musicales qui sont moulées sur les vers. Il n’est pas rare qu’on ait des entrées en imitations d’une voix à l’autre mais ces imitations sont la plupart du temps courtes.
Si la musique se moule sur le texte cela reste bien vrai du point de vue prosodique mais pas du tout du point de vue du sens du texte. C’est à dire que la musique n’illustre jamais le texte : il n’y a pas d’expression figurée des mots, il n’y a pas de figuralismes. C’est quelque chose qui se répandra plutôt dans la 2ème moitié du siècle et sans aucun doute sous l’influence du madrigal italien qui donnera naissance au procédé madrigalisant (= madrigalismes).
Toute l’expression dans cette chanson française de la première moitié du siècle passe par le rythme, par une espèce d’animation permanente, une espèce de vivacité permanente des 4 voix.
L’écriture à 4 voix est l’écriture type. Il y a donc une réduction par rapport à Josquin où on était très souvent à 5 voix.
c) Claudin de SERMISY (vers 1495, 1562) :
Il a fait toute sa carrière à Paris. Il a peut-être fait un séjour en Italie du Nord. Il nous a laissé 150 chansons de qualité très égale et qui sont cependant très variées.
C’est l’auteur principal de la première anthologie d’Attaingnant de 1528 (la moitié des pièces de ce recueil est due à Sermisy).
Le poète favori de Sermisy est Clément Marot mais on trouve aussi des poésies de François Ier.
Parmi ses 150 chansons, 110 ont été composées entre 1528 et 1536. Sermisy est donc un des premiers représentants, chronologiquement, de ce genre nouveau.
Le style est avant tout vertical, avec un débit rapide, des entrées en imitations très courtes. Il s’agit de chansons galantes parfois grivoises. Le style est donc très élégant, clair, équilibré. Les formes sont simples : AABA, ABCA, AABCA, AABCC… (toutes les combinaisons sont possibles puisqu’il n’y a plus de formes fixes).
La phrase musicale est syllabique surtout dans le début des vers puis parfois pour terminer le vers il y a quelques vocalises. La musique respecte toujours parfaitement la prosodie du texte. Comme le style est vertical, on comprend parfaitement les paroles (le texte est très clairement compréhensible).
C’est un art de cour élégant et Sermisy va donner à la chanson parisienne une de ses formes les plus achevées dans ce 16ème siècle.
Exemple : chanson « Tant que vivrai » à 4 voix qui comporte 2 strophes dont le texte est tiré d’un recueil de Clément Marot intitulé « L’adolescence Clémentine ». Ce texte est parut en 1524 et sa version musicale dans le recueil de 1528 d’Attaingnant.
Il y a une mélodie principale clairement en majeur au caractère alternativement élégiaque et dansant. Cette mélodie est désormais placée au supérius. La forme est AAB et une harmonisation note contre note (donc parfaitement verticale). Cette chanson a eu beaucoup de succès : elle a été rééditée de nombreuses fois, elle a été réduite (comme on le disait à l’époque) pour des instruments très divers. Sa version réduite au luth seul est mise dans cette forme par un compositeur italien qui séjourne à Lyon : Bianchini. Sa version pour voix seule et accompagnement de luth est mise dans cette forme par Andrian Le Roy.
Chanson « Tant que vivrai »
Il y a une rupture stylistique avec le contrepoint de l’époque de Josquin.
d) Pierre CERTON ( 1572) :
Sa carrière s’est entièrement déroulée à Paris. Il a laissé 300 chansons avec encore des textes de Clément Marot mais aussi de Mellin de Saint-Gelais, Maurice Scève et Ronsard (qui sera surtout caractéristique de la génération suivante).
Sa production s’étend sur une période plus longue que celle de Sermisy et elle va montrer un compositeur qui dans la 2ème moitié du siècle est apte à s’adapter au changement de style.
Parfois chez Certon les thèmes amoureux tendent un peu trop franchement au gaillard, au leste. Plus encore que chez Sermisy, l’écriture est verticale, harmonique. Les imitations n’en sont quasiment pas car il s’agit de petits échanges d’une partie à l’autre qui sont plutôt des espèces de questions réponses rythmiques pour animer le rythme (c’est un petit jeu rythmique plus que de véritables imitations).
e) Clément JANEQUIN (vers 1485, 1558) :
C’est le représentant le plus typique, le plus caractéristique de la chanson parisienne de la 1ère moitié du siècle mais dont les chansons ont paru après celles de Sermisy (la plupart entre 1540 et 1550). Il nous a laissé 300 chansons environ.
Janequin montre un goût pour les textes légers, grivois. Il aime aussi les effets pittoresques avec les répétitions de syllabes, les onomatopées. Il aime le réalisme (parfois un peu cru). Il adopte donc un ton gaillard et il montre une grande verve mélodique et rythmique.
Il traite aussi les sujets amoureux traditionnels et adopte alors des rythmes plus calmes, des valeurs plus longues.
Janequin excelle dans les chansons descriptives (c’est une chose tout à fait nouvelle dans laquelle il va devenir très vite le maître). Par exemple, la chanson « La Guerre » (= « La bataille de Marignan ») ou « Le chant des oyseaulx » (= « Réveillez-vous cueurs endormis ») ou encore « La chasse ». Il s’agit de chansons avec onomatopées. Ces chansons descriptives, qui ont valu sa célébrité à Janequin, datent d’avant 1529 et elles ont influencé considérablement les contemporains (Sermisy, Certon, …). Ces chansons ont été diffusées dans toute l’Europe grâce à l’imprimerie (on en trouve même la trace au Mexique).
Exemple de chansons :
« Le chant des oiseaux » : cette chanson apparut en 1528 chez Attaingnant dans un recueil qui n’est pas la toute première anthologie mais qui est un recueil dévolu à Janequin (« Chansons de Maistre Clement Janequin ») qui contient aussi « La guerre » et « Le chant de l’Alouette ». Ce « chant des oiseaux » est une chanson à refrain que l’on pourrait peut-être apparenter au virelai. Elle comporte 4 couplets : le 1er couplet est consacré aux oiseaux en général, le 2ème couplet au petit sansonnet de Paris, le 3ème au rossignol et le 4ème au coucou. Chacun de ces couplets commence par une partie discursive (c’est à dire une partie qui supporte du texte) puis le langage se transforme petit à petit (dans chaque strophe) en en une polyphonie d’onomatopées qui trouve toute sa virtuosité dans le couplet du rossignol. Cette chanson s’apparente aussi à la vieille tradition des chansons de mai, des chansons de printemps. C’est une esthétique qui est bien aux antipodes des longues plaintes amoureuses de Marguerite d’Autriche.
« Il estoit une fillette » : c’est une chanson à 4 voix qui a été publiée dans le 8ème livre d’Attaingnant en 1540 (c’est encore un de ces volumes consacré entièrement à Janequin). Cette chanson est devenue très populaire et elle a été reprise par de nombreux éditeurs, transcrite au luth, à la guitare, pour voix et luth … Elle a même servi de timbre à un Noël (autrement dit on a changé le texte et on a gardé la musique car elle était très populaire : on a mis des parole de Noël [= travestissement : chose qui se fait assez facilement lorsque la mélodie a imprégné tous les esprits et que tout le monde la connaît]). En fait, cette chanson est une gauloiserie narrative (qui raconte l’initiation amoureuse, l’initiation sexuelle d’une fillette) et que Janequin traite en contrepoint note contre note dans un style très animé et une déclamation syllabique relativement rapide et dans un style rythmique qui évoque aussi la danse (tout doucement on commence à percevoir ces grands modèles de danses qui vont constituer bientôt les couples de danses pavane-gaillarde… ; ici c’est un rythme de pavane ou peut-être de branle). Cette chanson comporte 4 sections répétées c’est à dire AABBCCDD puis reprise de DD. Chaque section comporte 2 phrases aux carrures très régulières de 8 tactus (tout cela évidemment dans la perspective chorégraphique car c’est une chanson qui peut être dansée). Malgré cela Janequin réussit à dramatiser le récit dans la 3ème section où il accélère le débit.
f) Quelques autres compositeurs :
Passereau (qui est assez proche de Janequin), Jean Maillard, Antoine de Mornable ou encore Pierre Regnault (qui porte le pseudonyme, le surnom de Sandrin)… Ils sont environ une cinquantaine.
2°) Le centre Lyonnais :
Il est bien difficile de parler de chanson lyonnaise parce que Lyon, à cette époque, est une ville de carrefour (une sorte de ville de point de rencontre) où se croisent l’influence parisienne et l’influence italienne.
Lyon aura très vite le promoteur de sa musique, comme il y a Attaingnant à Paris, il y aura un éditeur lyonnais qui s’appelle Jacques MODERNE. Ce Jacques Moderne va publier lui aussi une série de 11 livres (donc moins qu’Attaingnant à Paris) qu’il intitule « Le Parangon des chansons » (parangon = modèle). La publication de ces 11 livres s’étale de 1538 à 1543.
Puisqu’il n’y a pas de véritable chanson lyonnaise, ces livres présentent un contenu très éclectique : il y a donc des chansons parisiennes mais aussi des productions flamandes, italiennes, allemandes et même espagnoles.
Voici quelques musiciens Lyonnais : Dominique Phinot, François Layolle et Pierre de Villiers.
3°) La chanson flamande :
a) Le cadre historique et le style :
Paris est le centre le plus brillant de la chanson mais il y a d’autres foyers de création qui enrichissent le répertoire de langue française. Un de ces foyers est le répertoire des Flandres (la chanson française des Flandres) où Charles Quint règne depuis 1515. Dans cette cour de Charles Quint, les fêtes, les tournois et les chasses se succèdent. Dans cette cour de Charles Quint des Flandres on trouve des flamands mais aussi des espagnols (n’oublions pas que Charles Quint est roi d’Espagne) et on y trouve aussi des gentilshommes bourguignons dont la cour a disparu (l’unité française a supprimé la cour de Bourgogne).
Le style est donc divers en fonction des influences locales mais il y a aussi des traditions qui sont des traditions beaucoup plus polyphoniques (c’est au fond la vieille tradition franco-flamande) et puis il y a bien sûr la personnalité des compositeurs qui fait cette production est assez diversifiée.
Comme à Paris avec Attaingnant et comme à Lyon avec Moderne, il faut un éditeur pour publier toutes ces chansons : c’est Tylman SUSATO (il est aussi compositeur) qui publie à partir de 1543 (jusqu’en 1555), 14 recueils de chansons qui sont composés par des artistes locaux (en général des artistes de la cour impériale de Charles Quint). Parmi ces auteurs il faut retenir les noms de Nicolas Payen, Thomas Créquillon, Jean Le Cocq, Cornelius Canis, Pierre de Manchicourt et surtout Nicolas Gombert.
A Anvers et à Louvain (qui sont les grandes villes de cette région) on reste plus fidèle qu’à Paris au style et à l’enseignement de Josquin des Prés : donc une écriture plus dense, plus « musicale », plus travaillée sur le plan polyphonique avec des imitations plus strictes et plus suivies que dans la chanson parisienne, avec des développements plus importants et une forme plus volontiers continue (pas de formes strophiques, il n’y a pas de répétitions comme dans la chanson parisienne).
b) Nicolas GOMBERT (vers 1495, 1556) :
C’est le continuateur de Josquin des Prés, c’est l’admirateur, émule de Josquin et il va systématiser les procédés josquiniens : l’imitation cette fois-ci prend toute sa dimension systématique et syntaxique. La base de l’écriture, la base de la polyphonie c’est l’imitation permanente.
Il a laissé plus de 100 chansons de 3 à 6 voix (on est bien dans la veine josquinienne car on ne s’est pas centré sur l’écriture à 4 voix comme à Paris).
Il utilise, comme Josquin, très volontiers le canon. Lui aussi écrit un « Chant des oiseaux » (par imitation) et il va traiter à 3 voix les thèmes de Janequin en mettant en œuvre les ressources du contrepoint josquinien : c’est donc un résultat complètement différent de la chanson parisienne.
c) Clemens non Papa (vers 1510, 1555) :
Pour le distinguer du pape Clément on lui ajoute « non Papa » à son nom.
Il a laissé une œuvre très variée. D’abord on le trouve dans les recueils d’Attaingnant (c’est à dire dans les recueils parisiens). Il commence donc à travailler dans le style de la chanson parisienne homophone.
Par exemple dans la chanson « Le blason du laid tétin » de 1556 (le blason est une espèce de description, d’hommage) : Clemens non papa répond à une chanson (une poésie plutôt) de Clément Marot mise en musique par Janequin sous le titre « Blason du beau tétin » (1536). Le texte est un véritable retournement parodique du blason initial. Dans le « Blason du beau tétin », Marot s’employait à louer la beauté et les vertus du sein féminin (= le tétin). Naturellement la chanson retournée de Clemens non papa dit tout le contraire. Dans cette chanson qui est typiquement parisienne, la fibre contrapuntiste de Clemens non papa est tout de même apparente et que là l’écriture verticale s’associe au contrepoint horizontal et aux imitations.
chanson « Le blason du laid tétin »
4°) La chanson française dans la 2ème moitié du 16ème siècle :
On quitte désormais toute la sphère d’influence de Marot pour rallier celle des poètes humanistes : Du Bellay, Baïf, Jodelle et tout particulièrement Ronsard (qui les domine tous).
a) L’influence de Pierre de Ronsard :
Ronsard est le chef de file d’un mouvement littéraire et poétique : la pléiade. Mais Ronsard est aussi un chanteur, un luthiste et il trouve à la double pratique de la poésie chantée et de l’accompagnement un intérêt tout particulier. Il pratique donc le chant en s’accompagnant et cela va l’amener à théoriser la fusion nécessaire entre la poésie et la musique. Il va faire la théorie de ses idées dans l’« Abbrégé de l’Art poétique françoys » (1565) et également dans la préface de ses « Mellanges » (1572).
Nous sommes bien dans une perspective renaissante donc antiquisante. Ronsard cherche par là à renouer avec le mythe d’Orphée le poète-musicien par excellence et il souhaite proposer ce type de modèle et cette pratique à tous les musiciens de son temps. Ainsi, à partir de 1550, Ronsard va destiner une partie importante de ses œuvres littéraires à la musique. Ainsi des sonnets, des chansons, des odes, des hymnes sont conçus pour être mis en musique.
En 1552, il publie le premier livre des « Amours » qui comporte un supplément musical de 10 pièces dues à Janequin, Certon, Muret et Goudimel. Parmi ces 10 pièces, 4 sont des « passe-partout » (un passe-partout est une chanson sans paroles qui permet à plusieurs poésies, à plusieurs sonnets, de structure absolument semblable, de s’adapter sous la même musique) : pour se faire la phrase musicale a donc été calquée sur la rythmique poétique. Dans cette perspective le texte est donc premier (il est en quelque sorte le message dont la musique est le véhicule). Puisqu’une seule musique convient à des textes différents, cela prouve que la musique tire sa vie du rythme verbal mais non pas du tout du sens du texte (puisque le texte est interchangeable). C’est pour Ronsard une manière d’authentifier cette fusion de la poésie et de la musique. Ronsard a d’ailleurs dit : « La poésie, sans la grâce d’une plaisante voix (sous-entendu chantée) n’est nullement agréable ». Cette idée est extrêmement importante parce qu’elle renverse les rôles du poète et du musicien tels qu’on les concevaient jusqu’alors (certaines chansons du moyen âge avaient un mépris total du texte littéraire et on n’en tenait compte que progressivement du texte) : on arrive à un point culminant, un sommet de l’importance du poème sur la musique. Le texte dans ces circonstances ne peut donc plus être prétexte à des jeux contrapuntiques. Devenu premier, le texte dicte sa loi : cette idée ne va cesser de prospérer pour parvenir au récitatif d’opéra 30-40 ans plus tard (rien ne vient comme ça par enchantement mais la cause profonde est un petit peu plus éloignée…).
Après le Supplément musical des Amours, Ronsard devient le poète français le plus fréquemment mis en musique. On peut dire qu’une cinquantaine de compositeurs du 16ème siècle vont traiter des œuvres de Ronsard parmi lesquels Clément Janequin, Pierre Certon, Goudimel mais aussi Roland de Lassus (qui appartient à la génération suivante), Jacques Mauduit, Guillaume Costeley et Claude Le Jeune.
A partir de 1556, divers recueils sont consacrés entièrement aux poèmes de Ronsard : par exemple, les recueils de Pierre Cléreau, de Nicolas de La Grotte, de Philippe de Monte, d’Anthoine de Bertrand ou encore de Guillaume Boni.
b) Claude Goudimel (vers 1520, 1572) :
Il publie ses premières chansons en 1549. Il entre en relation avec Ronsard et il collabore à la publication des « Amours ».
Goudimel est avant tout connu comme musicien protestant (c’est un auteur de musique religieuse protestante). En effet, il a mis en musique le psautier Huguenot. Mais la réussite de ses chansons est aussi intéressante.
Goudimel a parfois un côté un peu austère qui puise encore sa source dans la tradition josquinienne et donc il s’écarte un petit peu parfois du dynamisme, de la vivacité, de la légèreté de la chanson parisienne. Cela n’empêche pas que le style est tout de même harmonique et qu’il utilise volontiers des contrastes expressifs.
c) Anthoine de Bertrand (vers 1530, 1581) :
Il consacre la majeure partie de son œuvre à Ronsard. Il met donc en musique et il publie, en 1576, les « Amours » de Pierre de Ronsard. Ce livre est réédité en 1578 sous le titre « Premier livre des Amours de Ronsard ». Il fera suivre la même année le « Second livre des Amours » (1578) et également un « Tiers livre de chansons » (tiers = troisième) dans lequel il y a des poètes divers.
Le style de Bertrand est nettement plus harmonique que celui de Goudimel et on voit nettement apparaître une organisation tonale. La grande nouveauté, d’ordre expressif, consiste à mettre en valeur le mot ou même le mot pour son sens et cela afin de capter l’attention de l’auditeur (on est aux antipodes de cette musique médiévale qui n’est pas faite pour être écoutée et qui n’a aucune valeur expressive). En pratiquant cela, Anthoine de Bertrand s’inspire des techniques italiennes des madrigalistes. Cela n’empêche pas de soigner la prosodie qu’il conjugue donc au madrigalisme.
Exemple : chanson « Qui voudra voir dedans une jeunesse ». Le madrigalisme est assez difficile à saisir comme ça à la première audition : sur les mots « grave majesté » la tessiture est grave, sur « rit » il y a des mélismes (les rires appellent toujours les mélismes : cela est vrai jusqu’à Fauré…).
Chanson « Qui voudra voir dedans une jeunesse »
d) Guillaume Costeley (vers 1531, 1606) :
Il a publié la plupart de ses chansons en 1570 dans un recueil intitulé « Musique ».
Il se place dans le droit héritage de Janequin et on peut dire qu’il fait la transition entre l’époque de Janequin (c’est à dire la première moitié du siècle) et celle des musiciens italianisants des années 1570-80.
Dans son recueil « Musique », on note une grande variété : 101 chansons (la plupart à 4 voix), 3 motets. On trouve aussi bien des chansons spirituelles, des Noëls, des blasons, des épigrammes narratives ou encore des chansons de genre bataille comme chez Janequin (par exemple, « La prise de Calais » et « La prise du Havre »).
En outre, Costeley innove dans deux directions : dans son recueil, il groupe à part un espèce de petit sous-ensemble intitulé « Meslange de chansons en façon d’airs » (c’est le tout premier musicien à utiliser ce terme d’« air », cependant c’est une distinction d’ordre sémantique mais pas du tout sur le contenu musical [on est bien en peine de voir en quoi ce petit sous-ensemble se distingue des chansons]) ; d’autre part Costeley s’intéresse au genre chromatique dans une chanson spirituelle intitulée « Seigneur Dieu ta pitié » (le chromatisme est encore une des nouveautés de cette fin de 16ème siècle toujours dans l’esprit antiquisant puisque les Grecs étaient réputés pour utiliser le genre chromatique).
d) L’essor des académies et des cénacles :
Il s’agit de l’équivalent des camerate italiennes qui ont contribué au développement de l’opéra.
Si des nouvelles relations se sont tissé entre la poésie et la musique, si on cherche à réaliser cette fusion entre la poésie et la musique c’est parce qu’il y a eu des relations entre poètes et musiciens. Ces 2 types d’artistes ont le sentiments de renouer avec une tradition lointaine qui est perdue depuis l’antiquité grecque. Et pour concrétiser cet effort de réunion ils vont se rassembler dans des cénacles, des académies qui se tiennent dans des salons parisiens mais aussi dans des châteaux de province. Ces cénacles ou académies sont entretenues par des mécènes extrêmement cultivés (on fera la même chose en Italie : camerate de Jacopo Corsi ou de Bardi). Dans ces cénacles ou académies français on chante des chansons en s’accompagnant au luth et on discute, on débat de problèmes musicaux.
Une des salons les plus brillant est celui de Catherine de Clermont (c’est la duchesse de Retz) sous le règne de Charles IX.
Une de ces académies prend un tour un peu particulier : c’est l’académie de poésie et de musique de Baïf et Courville.
5°) L’académie de poésie et de musique de Baïf et Courville :
Jean Antoine de Baïf est un poète humaniste de la pléiade et il réunit en 1567 des amis humanistes dont le musicien chanteur et luthiste Thibault de Courville.
En 1571, le roi Charles IX accepte les statuts (qui sont assez ambitieux) de cette académie, de ce cénacle. L’ambition de l’académie c’est qu’elle cherche à créer en quelque sorte une œuvre d’art totale où tous les arts fusionneraient en une création unique (derrière cela on est bien à la recherche de quelque chose que l’on a pas encore trouvé : l’opéra… en France on y parvient pas mais en Italie cela sera une réussite).
Les membres de cette académie de poésie et de musique se réunissent le dimanche matin dans l’hôtel particulier de Baïf et ils vont travaillé comme une sorte de société secrète pendant 3 ans (sans aucun échanges avec le public et sans publier jamais aucune production importante signé par des académistes). Les travaux de l’académie, contrairement aux camerate italiennes, vont déboucher sur une nouvelle élaboration du rapport musique – poésie : ce n’est pas une grande nouveauté puisque Ronsard avait déjà beaucoup travaillé sur le sujet en imaginant cette technique des passe-partout.
Baïf recherche un dénominateur commun entre la poésie et la musique (il se dit qu’il doit y avoir quelque chose qui est commun aux deux genres) et il croit le trouver dans le rythme. Pour lui le rythme poétique et le rythme musical doit constituer un seul et même langage. La poésie grecque et la poésie latine sont rythmées de longues et de brèves (ce qui n’est pas le cas de la poésie française). Les poètes de l’académie vont décider, artificiellement (c’est en cela que consiste l’échec), de rythmer la poésie française c’est à dire de qualifier chaque syllabe de longue et de brève : c’est ce que l’on va appeler la poésie mesurée à l’antique avec sa conséquence « la musique mesurée à l’antique » (s’en est donc finit des blanches, des noires traditionnelles et des mesures qui commencent à apparaître : on rythme avec des longues et des brèves exclusivement pour créer des pieds comme dans la poésie latine et dans la poésie grecque). Ce procédé a un défaut capital : il adopte un rythme artificiel à la prosodie française qui par essence n’est pas rythmée. Tout cela dans cette perspective de restaurer le chant orphique. La conséquence est que le rythme s’appauvrit et les musiciens qui pratiquent la mesure à l’antique pendant quelques années vont s’empresser de monnayer les petites valeurs pour donner un peu de diversité ou par exemple de conserver le rythme stricte pour le texte et faire un mélisme musical.
Les principaux compositeurs de musique mesurée à l’antique sont Claude Le Jeune et Jacques Mauduit.
a) Claude Le Jeune (vers 1530, 1600) :
Il a laissé 2 « Livre des meslanges » et un grand recueil intitulé « Le printemps » qui est sans doute l’ensemble profane le plus caractéristique de Claude Le Jeune. Ce recueil, « Le printemps », d’airs mesurés à l’antique a été publié après sa mort en 1603. 33 poèmes en vers à l’antique sont dû à Baïf. « Le printemps » constitue donc sans doute la production la plus importante de musique mesurée à l’antique avec collaboration de Baïf.
Le Jeune va suivre strictement les schémas prosodiques déterminés par le poète selon la métrique antique gréco-latine mais il utilise quelques monnayages pour obtenir un peu de variété.
En général, chaque pièce est formée d’une sorte de refrain appelé rechant et de couplets (dont le texte change chaque fois) appelés chant.
Exemple : « Revecy venir du printans » (= revoici venir le printemps).
Dans cette chanson, le canevas métrique du chant et du rechant sont les mêmes. Tous les vers sauf un sont construits sur la même grille rythmique : . La variété provient du nombre de voix (le rechant est à 5 voix alors que les chants sont à 2, 3, 4 et 5 voix).
Chanson « Revecy venir le printans »
On voit tout de suite la monotonie de ce type de structure. Le rythme est toujours le même, la mélodie change rarement (ce qui change c’est les monnayages, les ornementations). Les monnayages mélismatiques, lorsqu’ils sont là, ils n’ont pas seulement la valeur de variété mais ils cherchent aussi parfois à exprimer ou à émouvoir : c’est la cas dans une autre chanson de printemps « O Rôze, Reyne des fleurs » (les mélismes s’associent à l’élargissement du tempo pour exprimer l’extase contemplative : c’est donc un effet madrigalisant, figuraliste pour montrer cette croissance permanente de l’amoureux qui contemple la bien-aimée).
Très vite, on a reconnut au 16ème siècle que la musique de Le Jeune était une musique agissante puisqu’elle produit un effet. Et dans l’esprit des contemporains si elle est agissante, si elle produit un effet sur l’auditeur c’est parce qu’elle associe l’harmonique (c’est l’invention moderne) et la rythmique (qui est évidemment tirée de l’Antiquité).
On est bien dans cette philosophie, cette pensée de l’imitation : on imite l’Antiquité mais on la dépasse (on ne fait pas seulement de la rythmique antique, on ajoute autre chose : l’harmonie). Il y a donc une fusion entre la modernité et l’ancien.
Claude Le Jeune n’a pas laissé que ces chansons, ces airs mesurées (qui sont au nombre de 33 dans « Le Printemps ») mais il y a aussi dans « Le Printemps » 6 chansons traditionnelles (qui ne sont donc pas en vers mesurés à l’antique mais qui sont en vers rimés). Il y a en particulier un « Chant de l’alouette » et un « Chant du rossignol » qui sont des chansons de Janequin et auxquelles Le Jeune a ajouté une 5ème voix (dans la dimension verticale) et il va transformer ces chansons, les amplifier, les développer davantage.
b) Jacques Mauduit (1557, 1627) :
C’est un musicien qui va faire la transition au baroque. Il va œuvrer surtout à une époque où Baïf est mort et il va déformer, transformer un peu le but initial de l’académie de poésie et de musique en lui donnant un caractère plus musical que littéraire.
En 1586, il met en musique les chansonnettes mesurées à l’antique de Baïf. Il s’agit de 23 pièces qui dénotent une inspiration grave, des textes simples, des strophes brèves, un style sobre. L’écriture se fixe à 4 voix sans changement d’effectif entre chant et rechant. Une écriture qui se veut rigoureusement syllabique, sans monnayages.
Avec Mauduit s’achève l’histoire le l’académie de poésie et de musique mais son action va se prolonger dans la création de l’air de cour.
6°) Les débuts de l’air de cour :
L’évolution de la chanson polyphonique depuis Josquin jusqu’à Claude Le Jeune montre l’importance sans cesse grandissante du style harmonique, du verticalisme, du style syllabique. Ce style triomphe du contrepoint imitatif c’est à dire du contrepoint franco-flamand (qui, s’il subsistait encore un peu dans la musique française profane, a été complètement éliminé par la mesure à l’antique : avec la mesure à l’antique on ne peut pas faire de contrepoint).
Dans les 30 dernières années du siècle apparaît le terme d’« air ». Ce titre d’air, on le mélange à celui de chanson dans les recueils. L’air à ses débuts est donc polyphonique, il a une forme strophique, il est syllabique et il est dépourvu d’ornements.
L’expression « air de cour » apparaît pour la première fois dans le titre d’un recueil publié par Adrian Le Roy en 1571 et intitulé « Livre d’airs de cour mis sur le luth ». Il s’agit de transcriptions pour voix seule et luth de chansons polyphoniques (on a gardé le supérius vocal et par dessous on a réduit au luth les autres voix en ornant parfois un petit peu). Vers 1596, l’expression s’applique à tous les airs (tous les airs s’appèleront air de cour qu’ils soient chantés à plusieurs parties, à voix seule avec ou sans accompagnement instrumental…). Pourtant ce n’est pas vraiment un genre de cour (c’est le paradoxe de la chose). C’est en général l’évolution d’une œuvre : on la présente d’abord dans sa version polyphonique puis quelques années plus tard (ou quelques mois plus tard si elle a du succès) on la publie sous forme voix seule, puis ensuite on lui ajoute son accompagnement au luth.
On ne peut parvenir à ce résultat que si le supérius a le premier rôle. Dans l’air de cour, c’est bien la partie supérieure qui a toute l’importance puisque c’est elle qui va porter le texte si l’on supprime les autres voix. En fait, l’air de cour ne va prendre son véritable essor qu’à partir de 1600.
7°) L’influence du madrigal italien :
Cette influence est surtout sensible dans la 2ème moitié du siècle et elle culmine vers 1570.
Les français ont un goût marqué pour la forme du sonnet (le sonnet c’est le grand modèle donné par Pétrarque). On va se mettre à imiter le style de la frottola, l’écriture à 5 voix et surtout ce que l’on va appeler les madrigalismes. C’est à dire que la musique illustre, par un mouvement, par une harmonie, par un tempo, un mot du texte (c’est ce qu’on appellera au 18ème siècle le figuralisme : le figuralisme c’est la systématisation, la mise en théorie de ces procédés qui n’arrivent ici que de manière spontanée).
Cette influence du madrigal s’exerce directement sous le contrôle des italiens : il y a des italiens qui viennent en France et la musique italienne grâce à l’imprimerie est diffusée en France. Mais il y a aussi une influence indirecte qui est celle d’un compositeur flamand établit à Munich et qui est Roland de Lassus.
a) Roland de Lassus (vers 1532, 1594) :
Il est parfois tellement italianisant que l’on trouve son nom sous la forme italienne Orlando di Lasso.
Lassus, à l’âge de 23 ans, publie ses premières chansons françaises. Il les publie à Anvers mais aussi à Venise et 2 d’entre elles seront publiées à Paris en 1557.
Ce compositeur va connaître un immense succès jusqu’à la fin du siècle.
Il nous a laissé 46 chansons françaises (la plupart à 4 et 5 voix).
Par rapport à tous les compositeurs déjà cités, ses choix poétiques sont originaux : par exemple, Alain Chartier, François Villon (qui donnent peu de textes pour la mise en musique) mais aussi Baïf puisque Lassus va se familiariser avec la musique mesurée à l’antique. Ses chansons publiées en 1576 comportent des pièces mesurées à l’antique.
Plus que les français, Lassus a le sens du comique voire du burlesque. Ses chansons fourmillent de trouvailles techniques qui témoignent d’une connaissance et une influence du madrigal. Plus que celle de ses contemporains, la musique de Lassus recherche l’expression aussi bien par le langage harmonique que par les mélodies. Comme les italiens, il cultive le chromatisme à des fins expressives et pour souligner le texte (mais pas gratuitement pour faire jolie).
Exemple : « Bonjour mon cœur » qui appartient au 1er livre de ses chansons et publié chez Susato à Anvers en 1564. C’est un texte de Ronsard (qui l’avait publié en 1556 dans un recueil intitulé « Nouvelle Continuation des Amours »). En 1559, Goudimel avait publié des chansons à 4 voix dont cette poésie.
Le style est essentiellement syllabique, vertical et au fond, bien qu’on soit en polyphonie vocale, il s’agit d’une sorte de monodie accompagnée. Le caractère peut-être le plus frappant de cette chanson est sans doute la recherche d’une prosodie la plus exacte possible. C’est un véritable chef d’œuvre dans le domaine prosodique.
Chanson « Bonjour mon cœur » de Lassus