Océanie




Dans les îles et les civilisations de l’océan Pacifique, désignées sous le nom général d’Océanie, on distingue quatre aires géographiques : l’Australie, la Mélanésie, la Polynésie et la Micronésie. Notre analyse musicale détaillée de cette superficie suivra donc cette répartition.






A la suite de la convention établie par les explorateurs et les cartographes européens des XVIIIè et XIXè siècles, les îles du Pacifique centre et sud sont habituellement divisées en trois régions, la Mélanésie, la Micronésie et la Polynésie (du grec melas, « noir », mikros, « petit », polus, « nombreux » et nêsos, « île »). L’ensemble de ces régions couvre une vaste étendue d’océan (155 millions de km2, vingt fois la taille des Etats-Unis), mais les îles elles-mêmes n’occupent qu’une surface de 458 000 km2 (en excluant la Papouasie-Nouvelle-Guinée), inférieure à celle de l’Espagne. La Mélanésie est située au nord-est de l’Australie et comprend la Nouvelle-Guinée (la plus grande île du monde), l’archipel Bismarck, les îles Salomon, Vanuatu (anciennes Nouvelles-Hébrides), les îles Loyauté, la Nouvelle-Calédonie et les îles Fidji. La Micronésie, au nord de la Mélanésie, comprend les archipels des îles Mariannes, Carolines et Marshall ainsi que Kiribati (anciennes îles Gilbert). La Polynésie, à l’est, correspond à un grand triangle délimité par Hawaï au nord, la Nouvelle-Zélande au sud-ouest et un groupe d’îles à l’est.
La préhistoire du Pacifique a été en partie reconstituée à partir de témoignages archéologiques. Les premiers colons sont sans doute venus de l’Asie du Sud-Est en Nouvelle-Guinée il y a quelque 20000 ans. Pour le reste de l’Océanie, on ne trouve aucun signe de colonisation antérieure au second millénaire avant Jésus-Christ. En suivant à la trace le chemin de la poterie Lapita, on a découvert que ses auteurs avaient atteint les Fidji dès l’an 1000 avant Jésus-Christ et Tonga vers 500 avant Jésus-Christ.
La mer a façonné tous les aspects de la culture océanique ancienne. Mais, pour les peuples du Pacifique qui étaient d’excellents navigateurs, l’océan constituait davantage une route qu’une barrière et l’on ne trouve pas, même sur les îles éloignées, l’isolement culturel auquel on pourrait s’attendre. Avant l’arrivée des Européens, le surpeuplement a toujours stimulé la migration et provoqué des guerres féroces entre les îles, dont on retrouve encore de nos jours les échos dans des danses dynamiques comme le haka maori.
Les navigateurs européens qui ont atteint le Pacifique aux XVIè et XVIIè siècles ont trouvé des cultures néolithiques simples avec des technologies basées sur l’utilisation de la pierre, de l’os et des coquillages. Des récits anciens parlent de façon précise et détaillée de la musique et de la danse locales. Dans les journaux du grand navigateur anglais James Cook, on peut lire, par exemple, cette description soigneuse de la danse de Tonga me’elaufola à laquelle il a assisté en mai 1777 :

« Le concert ayant continué pendant environ un quart d’heure, vingt femmes sont entrées dans le cercle... et ont commencé par chanter un air doux auquel le choeur apportait des réponses dans le même ton ; elles étaient répétées alternativement. Pendant tout ce temps, les femmes accompagnaient leur chaut de plusieurs mouvements très gracieux des mains vers leur visage et dans d’autres directions, en faisant constamment un pas en avant, puis en arrière avec le même pied, pendant que l’autre restait immobile. Elles ont ensuite tourné leur visage vers l’assemblée, ont chanté pendant quelque temps et se sont doucement retirées en un ensemble vers la partie du cercle située à l’opposé de la hutte où étaient assis les principaux spectateurs. Après cela, l’une d’entre elles s’est avancée de chaque côté, se rencontrant et se croisant sur le devant et continuant à tourner jusqu’à ce qu’elles s’arrêtent...
« Leur façon de danser est alors devenue plus rapide ; elles se sont mises à faire un genre de demi-tour en sautant et ont battu des mains et claqué des doigts en répétant certaines paroles avec le choeur. Vers la fin, comme la musique était de plus en plus rapide, elles ont changé de gestes et d’attitudes avec une vigueur et une dextérité merveilleuses ; certains de leurs mouvements seraient peut-être pour nous indécents. »

D’autres voyageurs, moins admiratifs, ont trouvé les chants du Pacifique monotones, discordants, lugubres, car ils n’étaient pas habitués à leur style Engmelodik, limité à quelques notes et à une étendue mélodique étroite.

Au début du XIXè siècle, des groupes de missionnaires congrégationalistes, méthodistes, anglicans et catholiques ont commencé à fréquenter le Pacifique. Au cours de leur ministère, ils ont attaqué et détruit les coutumes locales, l’organisation sociale et les valeurs qui leur semblaient iniques et menaçantes pour leur conception de chrétiens occidentaux. Dès 1890, le me’elaufola de Tonga, que Cook avait décrit de façon si enthousiaste un siècle auparavant, était condamné comme une « danse païenne » et interdite sous peine d’une amende de cinq dollars. Pour remplacer les chants locaux, les missionnaires avaient introduit des hymnes chrétiens (hîmene).

D’autres visiteurs, de tempérament romantique (Melville, Somerset Maugham, Gauguin), ont perpétué un mythe des mers du Sud symbolisant l’innocence et le bonheur du noble sauvage polynésien. Rupert Brooke écrivait en 1914 : « Dans les Mers du Sud, le Créateur semble s’être mis en quatre pour montrer ce qu’il pouvait faire. Imaginez une île dont le climat est le plus merveilleux du monde, tropical mais toujours rafraîchi par une brise de mer. Ni malaria, ni autres fièvres. Ni bêtes dangereuses, ni serpents, ni insectes. Du poisson à attraper et des fruits à cueillir. Et un sol, un ciel et une mer d’une beauté immortelle... Et les choses que la civilisation a oubliées ou qu’elle ignore sont là aussi, au milieu des polynésiens : beauté, courtoisie et joie. » C’est ce mythe des mers du Sud perpétué par les hommes d’Eglise et les romantiques, ce mythe de l’insulaire licencieux, insouciant, que les écrivains, les artistes et les compositeurs du Pacifique ont toujours tenté de détruire.

Pendant la seconde moitié du XIXè siècle, presque toutes les îles du Pacifique sont tombées sous la domination politique de pays européens et des Etats-Unis. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la plupart d’entre elles ont acquis une autonomie locale et certaines ont obtenu leur indépendance. Dans toute l’histoire du Pacifique, les arts visuels et les arts d’expression ont été moulés par l’interaction de ces nombreuses forces contradictoires : isolement et insularité, échanges culturels, migration et, au cours des derniers siècles, occidentalisation et modernisation. La musique a toujours joué un rôle essentiel dans les cérémonies, les rituels et la vie quotidienne.

L’Australie

Jusqu’à la fin du XIXè s., la composante prédominante de la population de ce continent était d’origine anglo-européenne. L’immigration de nouveaux groupes ethniques, qui se produit encore de nos jours, a fait de l’Australie, un territoire culturellement très hétérogène. Pour les chercheurs de musique populaire, ce phénomène est particulièrement intéressant à cause du principe anthropologique de la survivance périphérique, qui fait que les plus anciennes manifestations d’un genre musical ou d’un chant doivent être recherchées, non dans le centre de la zone de développement d’une culture donnée, mais, de préférence, dans des lieux de diffusion plus reculés. En Australie, on enregistre ainsi des versions archaïques de musiques anglaises, irlandaises, écossaises et, également, italiennes, grecques, allemandes, hollandaises et de différentes régions d’Asie ; des musiques fidèles aux plus anciennes traditions se sont ajoutées, tour à tour, à de nombreuses et nouvelles formes musicales. Dans chaque société, les chants populaires constituent des documents significatifs des attitudes collectives et individuelles, à tel point que l’on pourrait tracer une histoire de l’Australie à travers ses chants sur les prisonniers, sur l’élevage d’animaux, sur le travail des champs et des mines et, également, sur les luttes soutenues sur le territoire. En outre, en Australie, on a vu apparaître aussi bien la musique européenne classique et moderne, que la musique légère d’empreinte internationale. Quand ces formes d’expressions musicales tentèrent d’assumer un caractère plus spécifiquement national, la plus importante source de matériau existant était constituée par les traditions des aborigènes, dont la musique retiendra notre attention.
En général, la population aborigène survivante s’est plus ou moins assimilée à la société occidentale et à son style de vie. Toutefois, il existe encore quelques tribus semi-nomades qui peuvent fournir des indications sur les traits caractéristiques et les valeurs culturelles des indigènes. Ces petits groupes, dans leur recherche de nourriture et d’abri, ont besoin de temps d’organisation commune. L’une des plus importantes composantes de leur système communautaire est religieuse : c’est pour cette raison que domine fortement la relation qui lie l’individu au reste de la création et à sa propre structure sociale, à l’intérieur de laquelle chacun appartient à un clan. De cette façon, même lors de marches ou de chasses solitaires, le simple individu ne se sent jamais spirituellement seul. Dans ce cadre, la musique et la danse jouent un rôle important. La musique des aborigènes peut être subdivisée en trois catégories : musique sacrée, musique secrète et musique profane. Chaque clan a ses propres danses et ses propres chants spécifiques, qui permettent de l’identifier par rapport à ceux qui n’en font pas partie, et de faire connaître les anciennes traditions et les croyances du groupe aux générations suivantes. Un chant sacré peut devenir « secret », quant les symboles attribués par le clan à de nombreuses paroles du texte sont enseignés aux membres plus jeunes, lors de cérémonies d’initiation. L’histoire longue et complexe de l’homme et de ses relations avec le monde spirituel et terrestre est transmise de la même façon, à travers danses et chants, certains de ceux-ci devenant secrets et donc, étant réservés au cercle des initiés appartenant au clan. De cette manière, les aspects “éducatifs” des danses et des musiques dépassent parfois leur valeur “artistique”.
Les chants profanes ont également de l’importance. Par exemple, dans les réunions corobarree, la musique et la danse sont souvent utilisées entre les différents clans et tribus, non seulement pour divertir les participants, mais également pour maintenir une atmosphère amicale dans une situation potentiellement difficile. Comme, de temps à autres, la musique peut assumer ces importantes fonctions, le chanteur d’un clan jouit d’un certain prestige, soit dans son propre groupe, soit dans les autres groupes qui ont pu l’écouter. Un autre exécutant tenu en grande considération est le joueur de long tube, appelé dijeridoo (ou digeridu). Le matériau préféré dans la fabrication de cet instrument, (bien qu’aujourd’hui on emploie également des tubes de plastique et de métal), est toujours constitué des traditionnelles branches creuses d’eucalyptus, jugées meilleures pour le timbre qu’on en retire et parce que, sur leur surface, on peut peindre - de manière plus efficace - les représentations typiques du clan ou de sujets mythiques. En général, une des extrémités du tube est recouverte de cire d’abeilles, ce qui permet de jouer l’instrument comme une trompette. Comme l’embouchure est grosse, on obtient diverses nuances de timbre en modifiant la tension labiale. En inspirant par le nez, un interprète habile peut exercer une pression constante dans le tube, produisant ainsi un son intense continu. Bien que le ton du dijeridoo soit en général indiqué par la fondamentale, sa quinte et la dixième, la combinaison des timbres et des rythmes multiplie beaucoup les possibilités sonores de l’instrument. En général, la musique des aborigènes a comme soutien la scansion régulière de sons secs, réalisés par des bâtons à percussions ou, dans certains genres et dans certaines tribus, le bruit produit par un boomerang.
Dans la culture aborigène traditionnelle, on peut trouver d’autres instruments, mais les caractéristiques principales de la musique sont comprises dans les chants et dans les accompagnements du dijeridoo ou des bâtons à percussions. La société moderne ayant envahi de plus en plus les territoires et la vie de ces populations, la musique aborigène est devenue un des emblèmes et un des témoignages les plus importants aussi bien de leur ancien patrimoine que de leur position dans le monde actuel.


La Mélanésie

L’île la plus étendue de la Mélanésie, la Nouvelle-Guinée, est aujourd’hui divisée politiquement en deux états : Irian occidental et Papouasie-Nouvelle-Guinée. La présence de langues et de cultures diverses dans l’île, dont beaucoup n’ont pas encore été étudiées, est une conséquence de la typologie particulière des installations, isolées et éparpillées dans la jungle, dans les aires montagneuses et dans les zones côtières. Le caractère fonctionnel que la musique a assumé dans les cultures tribales est, peut-être, l’élément qui, plus que tout autre, mérite de retenir notre attention. La tendance occidentale à séparer le domaine de l’art de la vie pratique est absente de Nouvelle-Guinée : un chant de guérison ou de lamentation funèbre ne sera pas exécuté sans que l’on vérifie à quoi il se réfère; les danses et les événements musicaux de grande portée ne s’organisent que si l’on y voit une raison précise. Ceux-ci peuvent ensuite être réalisés par un interprète de valeur, désirant montrer ses propres capacités, mais seulement dans le contexte d’une cérémonie intégrant toute la société. De nombreux événements de ce type, tout en reflétant la créativité indigène, sont indiqués avec le terme pidgin, sing sing. Les Occidentaux sont parfois stupéfaits de vérifier la présence, dans cette musique, de la polyphonie et des triades, qui, généralement, ne sont pas une conséquence des influences occidentales. La polyphonie - qui, à l’oreille sonne de façon extrêmement moderne - est rendue possible par le fait que les interprètes ne sont pas liés à une composition écrite, mais, au contraire, arrivent à organiser ensemble un événement sonore en fonction des exigences d’une cérémonie. De même, les masques et les costumes utilisés pour cet événement sont appropriés et élaborés. Le moyen expressif le plus élaboré est le chant, reposant essentiellement sur l’échelle pentatonique, souvent accompagné par des tambours de forme cylindrique ou à sablier, avec une seule peau, généralement joué par les danseurs eux-mêmes. Dans les régions côtières, l’ouverture et la partie terminale du tambour peuvent reproduire la forme d’une bouche de crocodile (comme la musique, les instruments sont liés au milieu ambiant). Le signe symbolique est d’ailleurs évident dans les figures reproduites à l’extrémité des grands tambours à fente, creusés dans des troncs d’arbre. Les images reportées sur les instruments ne sont pas des décorations, mais, plutôt, des symboles historiques, généalogiques ou religieux que, seuls, les initiés sont en mesure de comprendre. Par exemple, il existe des flûtes liées au monde des ancêtres, dont les dessins - en même temps que le son sortant de l’instrument - ne sont dévoilés que dans les cérémonies d’initiation. La musique, les rites et les instruments de musique sont utilisés, dans la majeure partie de la Mélanésie, pour enseigner l’histoire, les croyances, les valeurs culturelles. Les chansons et les images d’un groupe de Nouvelle-Guinée, qui, par exemple, représenteraient un avion, sont des expressions de ce que l’on appelle « cargo cult » (fétichisme magique des objets et des produits européens). Elles reflètent également la vitalité des moyens traditionnels de communication, au contact de la réalité du monde moderne.
De nombreuses mélodies mélanésiennes ont une étendue importante et peuvent être structurées à divers niveaux tonaux : d’autres sont très réduites et répétitives. On comprend la logique de leur structures en gardant présente à l’esprit la règle générale qui fait dépendre la forme de la fonction. Ainsi, par exemple, dans le cas d’un médecin cherchant à atteindre l’esprit disparu d’un malade, ou dans le cas d’un chant de travail, la musique donnera-t-elle plus de place non pas au dessin mélodique mais respectivement, à la parole et au geste. Ceci dit, dans la musique mélanésienne, la parole a moins de poids que dans d’autres régions de l’Océanie : les objectifs rituels et fonctionnels sont tellement importants qu’il existe de nombreuses pièces dans lesquelles le texte est dépourvu de signification ou utilise une langue archaïque, incompréhensible depuis longtemps.
Parmi les autres formes instrumentales, on peut citer le bourdonnement du rhombe, instrument constitué d’une planchette de bois, fixée à une corde et que l’on fait tourner au-dessus de la tête, de façon à produire un son profond, considéré comme sacré et secret par de nombreux groupes mélanésiens : le bourdonnement ne peut être utilisé (et officiellement écouté) que par des personnes déterminées et dans des conditions particulières.
La même chose se produit pour les blocs de bois frottés en Nouvelle-Irlande. Pour certains, leur étonnant son pénétrant - obtenu en frottant, avec la main, les diverses lamelles creusées dans un bloc de bois - n’est pas un son, mais la voix d’une divinité.
Le même son peut avoir une fonction très pratique, comme celle d’attirer les poissons ou de communiquer à distance. Dans les îles Salomon, le groupe connu sous le nom arè arè met un soin particulier à tailler des syrinx de longueurs différentes, chacune d’entre elles possédant deux rangées de tuyaux, pour en amplifier l’étendue. De tels groupes ont fait naître une sorte de répertoire dont certains morceaux, aux titres précis, sont composés par des musiciens qui, comme cela se passe dans d’autres zones de l’Océanie, détiennent et peuvent se réserver les droits d’exécution. L’étude de ces pièces, composées et enseignées oralement, démontre un sens élevé de l’unité et du contraste entre les éléments, ainsi que de la structure formelle complexe. De même, la langue indigène (naturellement, dans un cadre de référence lié aux régions), révèle une perception profonde de l’esthétique et de la théorie musicale.
Par exemple, la parole au signifie bambou ; par conséquent, le terme général utilisé pour désigner les instruments de musique sera également au, puisque celui-ci est le matériau adopté pour la construction de nombreux instruments; par la suite, le terme désignera les instruments occidentaux et les groupes instrumentaux, surtout les ensembles composés de syrinx. Tous les autres instruments sont classifiés : les tubes qui composent une syrinx et la façon avec laquelle on en joue, portent un nom bien défini. De même, les intervalles définis par des sons produits par les différents tuyaux et l’acte même de jouer avec le tuyau. sont dotés d’un nom spécifique. Autrement dit, la terminologie et la théorie musicale, très analytiques, ont été formulées dans un contexte purement oral.


La Micronésie

Les deux autres zones du Pacifique se distinguent de la Mélanésie par leur tendance, en substance, à considérer la musique et la danse comme « appendices » de la poésie. Pour ce motif, la chorégraphie et la musique chantée en groupe sont plus uniformes et de moindre envergure. Ceci ne signifie pas que toute la musique soit monodique : en général, dans les accompagnements chantés des danses, quelques voix maintiennent un bourdon rythmique, alors que d’autres chantent à l’unisson, en harmonies parallèles ou en triades. La multiplicité des styles ne doit pas surprendre, si l’on pense aux grandes distances qui séparent les îles et les atolls. Le facteur unificateur est. peut-être, la mer, thème constant de nombreuses musiques et danses. Par exemple, la mer est présente dans le fait qu’elle fournit des peaux de requin pour les tambours et des coquillages servant à construire des trompettes. Les bâtons à percussion réciproque, les flûtes et les guimbardes se trouvent là où la canne et le bambou pourvoient à leur construction.
Dans certaines îles, il est possible d’écouter le son délicat des flûtes nasales utilisées pour l’exécution de musique à usage personnel ou pour les sérénades ; mais la source principale de la mélodie reste la voix humaine. Les premiers explorateurs furent enchantés par la beauté des chants et des danses, mais, dans certains cas, l’oreille occidentale fut déconcertée par des sons glissés et par des voix aux timbres bizarres et inhabituels. Ce n’est qu’en adoptant les critères modernes d’analyse ethnomusicologique que l’on a pu comprendre en quoi la valeur artistique de cette musique pouvait consister, c’est-à-dire. non pas dans la réalisation des notes d’un dessin mélodique, mais plutôt dans les réalisations particulières des glissés qui le suivent et le précèdent.
De même. il faut bien comprendre que la valeur de “timbre” est un fait culturel et non une constante universelle. Quand les cultures sont exposées à l’influence des modèles appartenant à d’autres aires culturelles, la notion de ce qui doit être considéré comme “correct” est modifiée. En traitant la Polynésie, nous verrons l’influence exercée par l’Occident sur l’Océanie.


La Polynésie

Dans les comptes rendus des voyages du capitaine James Cook, à travers la Polynésie (1768-1779), les références à la musique et à la danse sont fréquentes. Dès leur arrivée, les missionnaires et les navigateurs effectuèrent de profonds changements, et les grands courants d’immigrations d’Occident, d’Asie et de d’Océanie provoquèrent des déchirements ultérieurs. ressentis jusqu’à nos jours. A une période récente, on a vu naître un intérêt pour faire revivre et sauvegarder les arts traditionnels. Nous commencerons l’analyse à partir de ces derniers pour nous tourner ensuite vers l’analyse de formes plus acculturées. Comme dans une grande partie de la musique polynésienne, la parole exerce une fonction centrale, on peut écouter des chants exécutés à une seule voix, plus récités que chantés, ou comportant peu de notes, typiques de la psalmodie. Les plus dramatiques sont les chants haka, qui accompagnent les danses fermées des Maoris de Nouvelle-Zélande : les paroles sont prononcées rythmiquement, avec une intonation ascendante, et avec une gradation variable de l’intensité sonore. L’exécution peut également comporter, de la part des danseurs, des battements de mains, des battements de pieds et de hanches et, même. la contraction du visage en des expressions féroces. En revanche, dans les chants généalogiques patere des Maoris. on note une grande attention à maintenir un centre tonal (oro). autour duquel se placent des hauteurs moins déterminées. Certains chants waiata des Maoris sont mélodiquement plus variés, mais, en général, le nombre des notes est encore plutôt limité ; et le fait que la mélodie serve à favoriser la mémorisation de textes rend la musique plutôt “redondante” pour l’oreille occidentale.
Dans les îles Hawaï, les chants remplissent la même fonction. De même, les ambitus mélodiques de la musique classique de danse hula sont peu développés. Au cours de l’exécution, le danseur hula, dont les mouvements ont un rapport avec le texte, est accompagné par de sobres percussions et par la voix d’un chanteur. Peu avant l’entrée du chanteur, les premiers mots d’un vers employé sont souvent prononcés et utilisés comme moyen d’isoler l’exécution du contexte. Le milieu naturel des îles polynésiennes se reflète dans les instruments utilisés pour l’accompagnement : à Hawaï, les plumes des oiseaux tropicaux ornent les grelots faits avec des courges (uli uli), alors que des fragments polis de roche volcanique (ili ili) sont utilisés comme castagnettes. Deux grosses courges évidées peuvent être unies pour former un ipo galbé en forme de sablier, que l’on frappe avec la main contre le sol et sur le côté. Le tambour cylindrique hawaïen pahu, à une peau et au fond ouvert, est le modèle le plus typique de Polynésie. On trouve également des trompettes en coquillage, utilisées partout comme moyens de signalisation, et la flûte nasale, employée comme instrument soliste à Hawaï et chez les Maoris. En Océanie, on n’a que peu d’exemples d’arc musical : à Hawaï, il se combine avec la structure des guimbardes qui sont à l’origine du ukeke : on place une fine tablette de bois dans la bouche, et la corde, qui est accrochée devant, est pincée. Toutefois, les instruments à cordes les plus répandus dans la Polynésie actuelle, sont la guitare et l’ukelde. Ce dernier fut créé par les Hawaïens sur le modèle du bragha portugais, importé dans l’île autour de 1880, par des gardiens de troupeaux sud-américains.
Bien plus intéressante que les origines de cet instrument est la façon dont les Hawaïens y adaptèrent leur style d’exécution et y jouèrent leurs musiques, selon leurs propres nécessités. Bien que les missionnaires aient alourdi les musiques indigènes par des harmonisations de type occidental et privé les mélodies de leur préciosité tropicale “païenne”, la naissance d’une musique légère panocéanique a redonné vie, au moins en partie, à la fluidité mélodique de la musique traditionnelle, en la mélangeant à des conventions occidentales. Le style de la guitare hawaïenne reflète ce style de compromis, puisqu’une barre métallique est faite pour glisser sur les cordes à la hauteur de la touche. produisant des lignes mélodiques moins rigides et avec un nombre plus grand de sons glissés. Une autre combinaison intéressante de moyens expressifs occidentaux avec des éléments océaniens, est représentée par la tradition himene, liée initialement à Tahiti. Dans ce contexte, le chant polyphonique tire ses propres racines des hymnes chrétiennes, mais, en même temps, cette musique fait apparaître le bourdon et les harmonies parallèles appartenant à la tradition océanienne.
La musique étant généralement liée au style de vie et aux croyances d’une société donnée, le XXè s. - compte tenu des grandes mutations sociales qui se sont produites - a, semble-t-il, voué à l’extinction les arts traditionnels d’Océanie. Les habitants des îles, bien que se déplaçant encore en canoë et utilisant des tas de pierre pour marquer les frontières des champs, travaillèrent également dans des hôtels, auprès des compagnies aériennes et dans les nouvelles industries.
Mais, à partir de 1950, les habitants ont commencé à prendre conscience de leur propre caractère ethnique, et les arts se sont avérés des instruments efficaces pour donner forme et impulsion à un telle prise de conscience. Les danses et les formes musicales plus anciennes ont repris vie : de nos jours, d’une part, l’Océanie voit le reflet d’un nouveau type d’organisation socio-économique à travers de nouveaux modes d’expression musicale. d’autre part. elle conserve de vivants témoignages des moyens expressifs classiques et des anciens chants populaires.


source : tiré de l'encylopédie La musique, éd. "livre de poche"