Mozart - Symphonies 38 et 41 - une interprétation discutée


Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Symphonie n°38 en ré majeur KV. 504 « Prague » ; Symphonie n°41 en ut majeur KV. 551 « Jupiter ». Freiburger Barockorchester, direction René Jacobs. 1 CD Harmonia Mundi HMC 901958.

Une critique sévère

Deux symphonies de Mozart passées à la moulinette

Après la formidable réussite des Saisons de Haydn, et plus récemment d’un Messie de Haendel moins parfait mais néanmoins réussi, c’est avec le plus grand intérêt que nous attendions ces deux symphonies majeures de Mozart, enregistrées avec le même Freiburger Barockorchester. Hélas, cent fois hélas, les bras nous en sont tombés dès l’écoute des premières mesures de la Prague et malgré nos efforts de réécoute (cent fois sur le métier...), nous sommes restés catastrophés jusqu’à la fin de la « Jupiter ». Qu’est il donc arrivé au chef qui faisait chanter et respirer Les Saisons en leur donnant dynamique, couleurs et saveurs, pour nous « exécuter » ici deux symphonies de Mozart, et non des moindres, sans « respiration », à toute vitesse, aux couleurs totalement uniformes, à la sonorité parfois franchement laide, en grande difficulté sur les phrasés, très uniformes eux aussi, perdant toute spécificité au point de se ressembler comme deux gouttes d’eau, dénuées de la plus infime émotion musicale ? Essayons de comprendre avec quelques exemples précis.
D’abord tempo et phrasé, les deux allant toujours de pair, le premier devant servir le second. Ici c’est rapide, très rapide et cela va ruiner bien des phrases où Mozart a pris soin d’indiquer des nuances comme par exemple le premier forte de l’allegro de la n°38, où flûtes et hautbois jouent une série de croches descendantes tantôt liées tantôt pointées : là plus rien n’est audible, on ne peut même pas distinguer les notes tellement c’est mélangé, et ces notes ne sont pas là pour rien ! Ce défaut se reproduit systématiquement dès qu’il y a un groupe de croches ou doubles croches avec des nuances de phrasé qui alors s’envolent. Le même tempo rapide va mettre à mal la respiration naturelle de cette musique qui a tendance, ici à étouffer, là à se précipiter (un peu partout, mais particulièrement dans le Menuet et Trio Allegretto de la Jupiter qui semble craindre de retarder l’arrivée du finale), ailleurs à s’essouffler voire à tomber curieusement en panne de carburant (mesure 287 du mouvement I de la Jupiter, où le moteur « littéralement » s’éteint). Tous ceux qui attachent une importance primordiale à la logique musicale, à savoir pourquoi telle phrase succède à celle-ci et précède celle-là, risquent d’être fort marris devant l’effet puzzle et répétitif permanent de l’écoute (cela s’entend dès l’Adagio introductif de la 38 où l’enchaînement des passages forte / piano, rythmiques / mélodiques, ne s’impose pas comme une évidence, ou encore dans le trio de la Jupiter où les deux premières phrases ainsi jouées n’ont rien à faire ensemble, ce modèle se reproduisant de façon fractal tout au long des deux symphonies). S’ajoutent les soufflets (non marqués) qui apparaissent dès que les cordes doivent prolonger une note (ce qui la fait « couiner ») et qui bizarrement disparaît dès la mesure suivante quand la même note est jouée aux bois, tendue, avec du corps : où est la logique ? Enfin on notera des changements de tempo qui, selon les goûts, apparaîtront au mieux originaux, sinon bizarres ou déplacés.
De son côté l’équilibre sonore n’est pas totalement satisfaisant, bien souvent les bois sont oubliés (la fin du même Adagio introductif de la 38 où le basson, puis flûte et hautbois jouent un contre-chant qui passe à la trappe), par contre dès que timbales et cuivres observent un forte ensemble on reçoit comme un coup de feu dans les oreilles, donnant un aspect « belliqueux » à l’interprétation. Et le son lui même est parfois bien ingrat : les violoncelles et contrebasses sonnent pincés, comme atteints de sinusite aiguë.
Musicalement, il y a, ou plutôt il devrait y avoir quand même des grands moments, des
passages où l’on devrait se sentir pris et emportés, comme les développements et leur fugato qui ici, malheureusement, tombent à plat, ne donnent pas l’impression qu’on vient de monter d’un cran. Pis encore! Le final de la Jupiter, à lui tout seul un grand moment de la symphonie, mouvement absolument génial, mais tellement difficile techniquement et musicalement, sommet d’intensité qui doit progresser du début à la fin, clôt ici l’exécution, non en apothéose mais comme une « petite chose sans force ni puissance » qui ne réussit pas à se lancer ni à progresser et qui ne sera jamais le sommet d’intensité attendu.
Décidément il manque trop de chose à cette interprétation qui ne joue que sur la rapidité voire la précipitation des phrasés et du tempo, et le contraste entre les « coups de feu » évoqués plus haut et les passages piano trop atones, comme seuls ressorts musicaux, pour franchir le « cut » d’une version recommandable. Pourquoi une telle différence entre l’exemplaire réussite dans Haydn et le présent disque ? Mystère, mais c’est tellement énorme qu’on a peine à croire que les mêmes musiciens en sont les auteurs. Errare humanum est.

Rédacteur : Patrick Georges Montaigu pour ResMusica.com le 23/05/2007


Une critique plus nuancée

En transposant dans l’univers des symphonies l’atmosphère des drames mozartiens, René Jacobs fait-il fausse route ? Sans doute pas : s’il est un genre où Mozart s’est particulièrement distingué, c’est bien celui de l’opéra et l’on retrouve un peu partout dans son œuvre ce sens aigu de la mise en scène. Seulement, voilà : la tradition symphonique que les romantiques nous ont transmise a créé une coupure entre les deux mondes.
Symphonie ici, drame là, voilà qui semblait clair et finalement plus simple à gérer ! D’autant que la musique de Mozart est relativement malléable et qu’elle s’est prêtée aussi bien aux divines ampleurs de Furtwängler qu’à la dynamique et à la transparence de la « génération baroque ».
Je dois dire que je ne m’attendais pas à un tel choc esthétique lorsque j’ai mis sur ma platine ce disque, annoncé d’ores et déjà comme révolutionnaire. Non pas que le principe d’une relecture à la lumière du théâtre ait été inconcevable : Charles Rosen, dans ses analyses, a déjà souligné cet aspect et l’on peut aisément, préparé par d’autres lectures, imaginer quel en sera le résultat. Simplement, toute conception théorique se heurte à un écueil sérieux : la réception de la musique est avant tout une affaire physique et cette dimension est absente lorsque l’on cherche à imaginer ce que deviendra une œuvre, filtrée par une toute nouvelle approche.
Dans le cas des symphonies de Mozart, cette limite est apparue de façon évidente. Car ce qui distingue l’interprétation de René Jacobs des autres, c’est son impact corporel et l’effet qu’elle produit, en retour, sur l’imagination. Ce n’est plus, dès lors, une simple forme musicale, un objet de jouissance esthétique que l’on subordonne à sa perfection formelle, mais un formidable théâtre peuplé d’ombres grondantes et de femmes galantes aux sourires enjôleurs. À partir de là, c’est bien le mouvement qui prime, et les brusques sautes d’humeurs que l’orchestre traduit en multiples éclats sonores...
Je ne sais pas si ce disque fera école ni s’il marque l’origine d’un nouveau courant mozartien. Mais son audace et l’urgence qui l’accompagne en font un véritable modèle. Ce n’est sans doute pas rien...

Mathias Heizmann (Site Arte.TV)