Les cinq étages de Pierre-Jean de BÉRANGER



L’auteur : Pierre-Jean BÉRANGER (1780-1857)


  • C’est le plus célèbre chansonnier du XIXème siècle et le premier a être reconnu comme tel
  • Etait engagé sur le plan politique (a soutenu Bonaparte / a été farouchement opposé à Charles X puis a soutenu Louis Philippe)
  • Auteur très prolifique, on lui doit des centaines de chansons politiques, anticléricales, sociales et polissonnes.
  • Etait admiré par de grands poètes : Chateaubriand, Sainte-Beuve, Hugo, Stendhal et plus tard Mallarmé.
  • L’un de ses poèmes a été mis en musique par R. WAGNER (Les Adieux de Marie Stuart)



Le texte

  • le thème : la chanson conte l’ascension puis la déchéance sociale d’une grisette, du rez-de-chaussée à la mansarde. Au-delà des situations équivoques qu’il laisse supposer, Béranger dresse un portrait touchant de la coquette.
  • texte composé de 6 strophes de 10 vers contenant 8 pieds chacun (= comme La liberté des nègres puisqu’il s’agit de la même musique)
  • A chaque strophe, les 2 derniers vers sont répétés, donc toujours structure en couplets / refrain


Dans la soupente du portier,
Je naquis au rez-de-chaussée.
Par tous les laquais du quartier,
A quinze ans, je fus pourchassée ;
Mais bientôt un jeune seigneur
M’enlève à leurs doux caquetages :
Ma vertu me vaut cet honneur,
Ma vertu me vaut cet honneur,
Et je monte au premier étage,
Et je monte au premier étage.

Là, dans un riche appartement,
Mes mains deviennent des plus blanches.
Grâce à l’or de mon jeune amant,
Là, tous mes jours sont des dimanches.
Mais, par trop d’amour emporté,
Il meurt. Ah ! pour moi, quel veuvage !
Mes pleurs respectent ma beauté,
Mes pleurs respectent ma beauté,
Et je monte au deuxième étage,
Et je monte au deuxième étage.

Là, je trompe un vieux duc et pair,
Dont le neveu touche mon âme.
Ils ont d’un feu payé bien cher,
L’un la cendre et l’autre la flamme,
Vient un danseur nouveaux amours ;
La noblesse alors déménage.
Mon miroir me sourit toujours,
Mon miroir me sourit toujours,
Et je monte au troisième étage,
Et je monte au troisième étage.

Là, je plume un bon gros Anglais,
Qui me croit veuve et baronne,
Puis deux financier vieux et laids,
Même un prélat : Dieu me pardonne !
Mais un escroc, que je chéris,
Me vole en parlant mariage…
Je perds tout, j’ai des cheveux gris,
Je perds tout, j’ai des cheveux gris,
Et je monte encore un étage,
Et je monte encore un étage.

Au quatrième, autre métier :
Des nièces me sont nécessaires !
Nous scandalisons le quartier,
Nous nous moquons des commissaires.
Mangeant mon pain à la vapeur,
Des plaisirs je fais le ménage.
Trop vieille, enfin, je leur fais peur,
Trop vieille, enfin, je leur fais peur,
Et je monte au cinquième étage,
Et je monte au cinquième étage.

Dans la mansarde, me voilà :
Me voilà pauvre balayeuse !
Seule et sans feu, je finis là
Ma vie au printemps si joyeuse.
Je conte à mes voisins surpris
Ma fortune à différents âges ;
Et j’en trouve encore des débris,
Et j’en trouve encore des débris,
En balayant les cinq étages,
En balayant les cinq étages.



-> Dans le 3è tome des oeuvres complètes de Béranger, éditées en 1836 par H. Fournier, on dit que ce texte peut être chanté sur l’air de "Dans cette maison à quinze ans (celui qui est enregistré ici) ou J’étais bon chasseur autrefois".

Ci-après : les deux timbres avec les paroles du même texte.



Il existe une version parlée phonographique de ce texte par le sociétaire de la comédie française Maurice de Féraudy (1859-1932), elle a été enregistrée en (1909).

Il existe actuellement 3 enregistrements de cette chanson : celle de Germaine MONTERO (1955), celle de Michèle BERNARD (1993) et plus récemment, celle de Arnaud MARZOTTI (2008).



L’interprétation de Germaine MONTERO

(choisie pour la bac)


Germaine Montéro (1909-2000) poursuivit une carrière de comédienne sous la direction de Federico Garcia Lorca à Madrid puis de Jean Vilar en France dans des textes de Paul Claudel et Bertold Brecht notamment. Interprète de la chanson française et espagnole, elle se mit au service des poètes : Pierre-Jean de Béranger (1780-1857), Aristide Bruant (1851-1925), Pierre Mac Orlan (1882-1970), Jacques Prévert (1900-1977) et Léo Ferré (1916-1993).
Entre 1934 et 1984, elle joue aussi dans plusieurs films.




  • Sa version de la chanson Les cinq étages date de 1955.
  • La chanteuse est accompagnée par un piano seul
  • Au tout début et entre chaque strophe, le piano monte la gamme (de sol m) pour évoquer la montée des étages. Plus la chanson avance, plus la montée de la gamme est lente. A la fin de la chanson, pour symboliser la déchéance, la gamme est maintenant descendante (sans le fa# = mineur mélodique descendant)
  • A part cela, le piano est très discret et sur chaque strophe n’accompagne qu’avec des accords

Le texte est organisé en 6 couplets de 10 vers aux rimes alternées. La structure musicale propose une organisation différente : 4 phrases A B C D dont seule la 3ème n’est pas répétée. L’harmonie est clairement établie en mi mineur ; toutes les phrases sont posées sur la tonique sauf la 3ème, sur la dominante.

Le contour mélodique est, comme il se doit pour une chanson servant de timbre, simple et facile à mémoriser. La charpente mélodique nous livre un petit secret de fabrication :





Les 3 premières phrases sont conjointes (à l’exception du 1er intervalle) ou recto-tono (C). Seule la dernière phrase est plus « travaillée » sur le plan mélodique. C’est effectivement celle qui va marquer l’auditeur de la façon la plus significative, à la manière d’un refrain lancinant. Cette sensation a été parfaitement préparée par l’immobilité de la 3ème phrase.

A noter : les 3 phrases « mobiles » sont toutes dotées d’une direction descendante, ce qui incite plutôt à l’utilisation de ce timbre pour des textes nostalgiques ou « sérieux ».

L’accompagnement en accords plaqués, très sobre, participe un peu plus à la réalité du texte en réalisant des transitions entre les couplets sous forme de gammes ascendantes (mineur ascendant), figurant à la fois la montée à l’étage supérieure et suggérant la diminution d’énergie de la dame qui grimpe aussi… en âge (tempo ralenti). La gamme devient descendante (mineur descendant) pour la chute de la chanson, illustrant la déchéance sociale de la coquette « grimpeuse ».


Comparaison des deux chansons La liberté des nègres et Les 5 étages :
  • même musique mais textes très différents : un texte grave dénonçant l’esclavage / un texte badin évoquant les misères d’une grisette
  • atmosphères différentes : très expressive voire profonde / satirique, badine
  • tempos différents : modéré / plus rapide
  • Tonalités différentes : ré m / sol m
  • instrumentations très différentes : orchestre dont les instruments jouent un rôle important et qui changent à chaque strophe / simple piano = soutien harmonique + gamme qui donne une unité à la chanson
>> A la première audition, on ne remarque pas que les 2 chansons sont écrites sur la même musique car leur texte est très différent et car elles ne sont pas arrangées de la même manière.