Ferré - Green




Cette chanson, sur un poème de VERLAINE est parue en juin 1964 dans un album intitulée "Verlaine et Rimbaud chantés par Léo FERRE".
Le chanteur appréciait particulièrement ces deux poètes. Dès 1926, il écrit d’ailleurs sa première mélodie sur un poème de VERLAINE "Soleils couchants", il n’a que 10 ans !






Le texte

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.

J’arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête.
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.


  • Poème publié par Verlaine en 1874, il fait partie du recueil "Romances sans paroles" et plus particulièrement des "Aquarelles"
  • Les poèmes de ce recueil ont été écrits en Angleterre, alors que VERLAINE avait quitté sa femme Mathilde pour Arthur RIBAUD. Ils étaient en effet partout tous deux en voyage en Angleterre puis en Belgique.
  • "Green" a pour sens verdure, vert, mais aussi jeune, naïf, et inexpérimenté. C’est un poème d’offrande et d’amour particulièrement harmonieux dans lequel le poète recherche la réconciliation avec la femme aimée.
  • Poème régulier, de facture assez classique :
    • composé de trois strophes de 4 vers (quatrains) avec des rimes croisées.
      • blanche / vous / branches / doux
      • rosée / front / reposée / seront
      • tête / baisers / tempête / reposez.
    • les vers sont des alexandrins
  • le langage est soutenu, le vocabulaire très recherché "souffrez que" "l’humble présent"...
  • les constructions de phrases sont élégantes et un peu archaïsantes en particulier les inversions : « à vos yeux si beaux, l’humble présent soit doux » ou « ma fatigue à vos pieds reposée". Il y a beaucoup de raffinement et de préciosité. C’est un poème qui rappelle ceux que l’on faisait à la Renaissance.


La musique

  • caractère raffiné empli de douceur et de tendresse rendu musicalement par :

    • l’utilisation de la tonalité de Réb majeur
    • l’accompagnement dans le style impressionniste :
      • halo sonore réalisé par la harpe avec des motifs pentatoniques
      • d’abord sur puis sur 
      • accords tenus des cordes frottées (= nappes sonores)
      • nuances plutôt en demi-teintes (PPP / P)
      • harmonies recherchées (solb 7M / lab 7/4)

  • structure strophique

    • même musique pour chacune des strophes
    • la mélodie épouse parfaitement le texte
      • une phrase musicale = un hémistiche (hémistiche = la moitié du vers)
      • A chaque fin de l’hémistiche, il y a un arrêt (ronde ou silence) :


  • recherche de simplicité (comme pour "avec le temps")

    • ambitus d’ une 12ème (du sol grave au ré aigu)
    • ligne mélodique conjointe
    • pas vraiment de figuralismes, juste un élan lyrique sur les vers centraux (montée vers l’aigu)...
      • Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous.
      • Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
      • Et qu’à vos yeux si beaux
      • ... qui se réitère dans les strophes suivantes puisque c’est la même musique
    • écriture rythmique qui suit la prosodie naturelle du poème
      • alternance rythme binaire / ternaire (triolets de croches ou de noires)
      • on remarque comme pour "Avec le temps" que FERRE ne suit d’ailleurs pas la rythmique indiquée
    • peu d’harmonies, pas plus d’ un accord par mesure (REb / mibm7 / REb / SOLb...)

  • orchestration : orchestre symphonique dans lequel dominent les cordes frottées et la harpe. Le piano et les vents (surtout des bois) apportent des touches de couleur
    • 1ère strophe : la harpe nous met d’emblée dans une atmosphère impressionniste. Les cordes frottées entrent sur des accords tenus, une contrebasse joue la basse en pizziccati.
    • Après "qui ne bat que pour vous" apparaissent les vents (bois + peut-être cors) sur des notes tenues.
    • 2ème strophe : Même traitement que la 1ère strophe. Mais après "rêve des chers instants", on entend un piano sur une descente en triolets.
    • 3ème strophe : idem avec en plus après "et que je dorme un peu ", des accords tenus aux vents.
    • Il y a donc une légère progression dans l’orchestration au fils des strophes mais elle reste toujours raffinée.




Autres versions de Green

  • Claude DEBUSSY (1862-1918)
Green est la 5ème mélodie du recueil Ariettes Oubliées (1888), sur des poèmes de VERLAINE.


° ressemblances :
- recherche d'un climat de douceur
- atmosphère impressionniste: halo sonore / de nombreux arpèges au
       piano (surtout sur la 2ème strophe)
- la mélodie suit la rythmique naturelle du texte donc fluidité du
rythme avec une alternance de rythmes binaires et ternaires ° différences :
- tempo plus animé, moins statique
- paroles un peu moins compréhensibles
- chanteur lyrique qui roule les "r"
- le piano est très présent, est un véritable partenaire de la voix alors
l'orchestre chez FERRE est plus un soutien
-> présence d'un petit motif sonore présent dans l'introduction,
et dans les interludes (passages entre les strophes)
- structure : A B A' (on retrouve la musique de la 1ère strophe sur la
3ème strophe sauf que cela change sur les deux derniers vers )
Pas de répétition du dernier hémistiche comme le fait FERRE
- pas de césure systématique à l'hémistiche (notamment dans la 2ème
strophe)
- quelques effets de figuralismes
accélération du tempo sur "que le vent du matin" (effet bourrasque de vent)
montée de la ligne mélodique sur "chers instants" ralentissement sur "délasseront"
decrescendo / ralentissement / descente de la ligne mélodique sur le dernier vers


  • Gabriel FAURE (1845-1924)
Green est intégré au recueil Mélodies de Venise (1891), 1ère réussite de FAURE dans le domaine de la mélodie.

  • Reynaldo HAHN (1875-1947) chanteur, compositeur et chef d’orchestre, originaire de Caracas (VENEZUELA) et naturalisé français.
Le poème de VERLAINE est repris sous le titre Offrande dans le recueil Vingt mélodies (1888-1890).


Ces versions datent toutes de la même époque (fin XIXème siècle, début XXème (de 1888 à 1891)) et ont été composées du vivant de P. VERLAINE.
Ce ne sont pas des chansons mais des mélodies (genre qui appartient à la musique savante). Elles sont toutes accompagnées par un piano et peuvent être indifféremment chantées par un homme (baryton) ou une femme (soprano).