Racines du jazz - introduction


Le jazz est issu de plusieurs courants. À travers le folklore vocal, spiritual et blues, et quelques souvenirs de percussion africaine, s’élaborent l’animation spécifique du swing et un certain nombre de thèmes qui appartiendront en propre à la musique négro-américaine. Ce folklore surgit simultanément, à la fin du 19ème siècle, en plusieurs endroits du sud des États-Unis.

Les esclaves déportés sur le continent nord-américain mêlent à leurs chants ancestraux la musique de leurs maîtres, qu’ils acclimatent. De cette rencontre entre la tradition africaine et les musiques savantes, populaires et religieuses occidentales vont naître des formes d’expression nouvelles : le cake-walk, le blues, les negro-spirituals, le ragtime et bientôt le jazz.
En près de trois siècles, au moins dix millions d’Africains ont été déportés de l’Afrique de l’Ouest jusque dans le sud des États-Unis d’Amérique.
Dans les sociétés africaines traditionnelles, la musique et la danse occupent une place centrale : la plupart des moments de la vie quotidienne ainsi que les rituels religieux ou sociaux sont accompagnés de chants et de danses, et l’interaction entre les exécutants et le « public » est telle que ceux-ci ne font souvent qu’un.
Les instruments et les techniques de jeux sont très variés. Parmi les plus répandus, citons les tambours, qui servaient de mode de communication, les trompes, pour les cérémonies et la guerre, et les instruments à cordes des conteurs (harpe-luth kora des griots, par exemple)…
La richesse des expressions vocales et le caractère rythmique prononcé des musiques de l’Afrique de l’Ouest ont souvent frappé les observateurs européens. Une des formes les plus courantes du chant est l’appel et réponse antiphonique [1]. On retrouvera ce procédé dans les shouts [2] des esclaves américains.
Au 17ème siècle, dans une société coloniale américaine principalement rurale, le violon est l’instrument à danser par excellence et de nombreux esclaves musiciens en jouent. Dans les États de la Nouvelle-Angleterre, les maîtres sont moins durs que dans les États du Sud. Certaines sectes protestantes vont même jusqu’à enseigner la musique aux esclaves. À cette époque, on commence à chanter des psaumes « africanisés » dans les églises et les temples, mais aussi lors d’occasions profanes.
Au 18ème siècle, les chants dans les églises évoluent ; le recueil Hymns and Spiritual Songs(1707) du Dr. Isaac Watts obtient un franc succès, en particulier chez les esclaves. Des musiciens noirs animent des fêtes (Thanksgiving DayElection Day…) et jouent dans des bals pour les Blancs. La « gigue des Nègres » est même fort appréciée. Dans la communauté des esclaves, le dimanche est consacré à la musique et à la danse. Les maîtres y sont caricaturés : c’est le cake-walk des origines.
Pendant les guerres d’indépendance, des esclaves deviennent musiciens au sein de l’armée. Les premières sociétés religieuses noires sont créées vers les années 1790. Dans les camps meetings – grands rassemblements religieux multiraciaux –, on pratique toute sorte de chants sacrés et profanes (chants de travail, notamment), ainsi que les ring shouts et autresshuffle steps [3]. Les hymnes y sont parfois interprétés de manière très libre.
19ème siècle : diversification des formes.
Vers 1830, les minstrels [4] – « humoristes » blancs grimés en noir – se produisent dans des spectacles ambulants. Leurs chansons sont inspirées de chants d’esclaves, avec des apports de chansons irlandaises et écossaises, notamment. Malgré la mauvaise image du Noir qui est souvent véhiculée dans les textes, ce genre plaît à tel point que les Noirs commencent, eux aussi, à le pratiquer.
Au milieu du 19ème siècle, avant la guerre de Sécession, l’activité de musicien se professionnalise. Les artistes ambulants sont nombreux et des concerts interraciaux sont organisés dans un contexte où les abolitionnistes gagnent du terrain. Dans les plantations, les chants accompagnent tous les travaux : la musique augmente la productivité et fait parfois oublier aux esclaves leur misérable condition. À La Nouvelle-Orléans, les « créoles de couleur » libres jouent un rôle social important. La musique instrumentale s’y développe : fanfares, ensembles jouant des danses européennes, réunions festives d’esclaves…
Les formes musicales sont nombreuses : field hollers [5], field calls (cris des champs comme les corn songs), chants satiriques fondés sur des rumeurs, chants des rues, chants de travail… Le shout n’est pas perçu comme une danse, mais comme un acte de foi. L’état de transe peut se produire pendant ce rituel où l’on chante des spirituals, ceux-ci n’étant pas réservés à l’église. Dans toutes ces formes musicales, l’improvisation est très présente et la rime non obligatoire. Les observateurs blancs sont frappés par la beauté des mélismes et la précision des rythmes. L’expression vocale, utilisant les modes pentatoniques et les échelles plagales, est riche de nombreux effets.
Après la guerre de Sécession, des negro-spirituals sont édités (Go down Moses est le 1erspiritual publié en 1861) et, en 1897, le premier ragtime composé par un Noir – Harlem Rag, de Thomas (« Tom ») M. Turpin (1873-1922) – est imprimé sur une partition. Un groupe d’étudiants noirs, les Fisk University Jubilee Singers, fait connaître les spirituals au monde entier lors d’une tournée en 1871.
À la fin du 19ème siècle, les minstrels noirs développent une sorte de compagnonnage musical. Malgré l’émancipation, la situation des Noirs ne s’est guère améliorée : ils restent principalement cantonnés dans leurs enclaves. Mais, en dépit des difficultés, beaucoup de familles noires font l’effort d’acheter un instrument à clavier. Et comme le piano est trop cher, l’harmonium et le petit orgue apparaissent dans les salons. Le rag, ou « piano gigue », est pratiqué par des musiciens presque clochards qui, de bars louches en saloons, jouent pour presque rien un répertoire afro-américain naissant. La musique est très syncopée et devient l’accompagnement du cake-walk, qui est désormais une danse avec des règles plus définies.
1. Relatif à l’antiphonie, lorsqu’un soliste répond à un groupe vocal.
2. Cérémonie religieuse organisée par les esclaves noirs des États-Unis et composée de chants associés à une gestuelle (marche rythmique en cercle…), pour contourner l’interdiction de danser dans les églises. C’est pourquoi on ne croise pas les pieds dans le ring shout.
3. Littéralement, « glissements des pieds ». À l’origine, pas de danse glissé, utilisé dans les ring shouts, pour contourner l’interdiction de danser dans les églises. Le shuffle désigne une formule rythmique qui diffère selon les styles.
4. Aux États-Unis, musicien (chanteur et instrumentiste) blanc grimé en Noir avec du bouchon brûlé et imitant la musique des Noirs dans des spectacles itinérants, les minstrel shows.
5. Cris de ralliement ou chants de travail des esclaves noirs des États-Unis, caractérisés par la technique de l’appel-réponse.
l'esclavage
Le peuple Noir : UN PEUPLE SANS DROITS 

« Ma mère il faut absolument que je fasse un disque de gospel et que je dise à Jésus que je ne puis plus sentir, seule, ce lourd fardeau sur mes épaules. » 
Aretha Franklin s’adressant à Mahalia Jackson 


Tout commence dans l’abomination. Quatre siècles d’horreur méthodique et de souffrance étouffée, quatre siècles traversés d’épouvante et de honte, tout un cortège de misères et d’infamies, quatre siècles de drame qui verront s’entasser dans le Nouveau Monde une population de quinze millions d’esclaves noirs, arrachés à leur terre d’Afrique, et dont près de deux millions mourront en cours de route.

La grande blessure

La découverte des Indes par Christophe Colomb en 1492 a bouleversé l’ordre de la vieille Europe. Les Espagnols et les Portugais ont bâti au 15ème siècle un vaste et puissant empire colonial. La Grande-Bretagne, la France et la Hollande suivront vite le mouvement et s’engageront dans la même politique mercantile : investir les terres encore vierges, établir des comptoirs, piller les matières premières, écouler sur le Nouveau Continent les produits fabriqués en Europe. Le besoin de main-d’oeuvre devient urgent. Il faut trouver des hommes à l’entretien peu coûteux et à la rentabilité immédiate. Une marchandise humaine, à la fois moteur actif et monnaie d’échange de la nouvelle politique économique.

Les maquignons, les rabatteurs et les marchands d’esclaves s’organisent rapidement pour puiser dans le réservoir de l’Ouest africain. Mandingues, Wolofs, Coromantins, Mendé, Soussou, Fon, Yorouba… vont constituer le stock d’hommes nécessaire au remplacement d’une population indienne décimée par les batailles de conquête, le travail forcé et les maladies.
Dès 1503, on voit arriver sur l’île d’Hispaniola (aujourd’hui Haïti) les premières cargaisons de ce que l’on appellera pudiquement : « bois d’ébène ». Sur les recommandations de Bartolomé de Las Casas, évêque soucieux du sort réservé aux Indiens mais beau coup moins scrupuleux lorsqu’il s’agit d’hommes noirs, le monarque espagnol Charles Quint cède une patente à un négociant flamand, accordant ainsi l’autorisation d’importer 4 000 esclaves par an dans les territoires fraîchement conquis.

Le commerce triangulaire devient florissant et s’accélère davantage chaque année. Venus d’Europe à bord de navires spécialement aménagés pour la traite des esclaves, les négriers approchent les côtes occidentales de l’Afrique avec une cargaison de pacotille (perles de verre, poudre et fusils, eau de vie et laine…) qu’ils échangent contre des esclaves, la plupart du temps recelés par des chefs de tribus africains eux-mêmes. Les prisonniers ache minés en long troupeau par des marchands noirs ou arabes sont capturés au cours de razzias et de battues organisées parfois très loin des côtes. Après les tractations d’usage, souvent assez longues, les courtiers et les capitaines anglais, danois, français, espagnols ou portugais embarquent le bétail humain, préalablement examiné et jaugé avec minutie pour éviter les imperfections et affections susceptibles de gâcher la marchandise. Ensuite, les esclaves sont jetés sans ménagement à fond de cale, les hommes à l’avant, les plus coriaces enchaînés deux par deux, les femmes et les enfants isolés à l’arrière. Commence alors la deuxième étape du voyage du triangle négrier, les conditions de traversée sont effroyables. Dépouillés de leurs vêtements, marqués au fer rouge, les esclaves sont entassés dans des compartiments de planches extrêmement exigus. La nourriture est indigente, les tentatives de révoltes matées dans le sang et les châtiments sont expéditifs pour les fauteurs de troubles. Après plusieurs mois de calvaire, les esclaves sont débarqués à l’autre bout de l’océan et cédés contre des lettres de change ou des produits tropicaux que les marchands négriers s’empressent d’écouler dans un troisième temps sur le marché européen. Café, sucre, chocolat, tabac et épices sont devenus des produits à la mode fort recherchés. Chaque voyage, qui dure en moyenne dix-huit mois, est une affaire hautement rentable.

La plupart des Africains sont envoyés au Brésil, dans tout l’archipel des Antilles et dans l’empire continental espagnol (Mexique, Pérou, Colombie, Venezuela…). Il faut attendre l’année 1619 pour voir arriver le premier chargement d’esclaves en Virginie. Un négrier hollandais les vend aux planteurs de tabac qui démarrent ainsi l’institution esclavagiste dans les colonies britanniques. Plus tard, dans le traité d’Utrecht (1713-1715), l’Asiento, qui donne droit à l’importation aux Indes de 4 800 esclaves noirs par an, est accordé à l’Angleterre pour une durée de trente ans. Philippe V, alors roi d’Espagne, contestera ce privilège et contraindra l’Angleterre à lui déclarer la guerre.
1619 : Arrivée des premiers esclaves africains dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord, à Jamestown (Virginie).
Les cadences de travail sont infernales, les familles sont organisées selon le bon vouloir du maître et le mariage entre esclaves n’est pas reconnu par la loi. Les ethnies sont mélangées afin d’anéantir leurs systèmes d’organisation tribale (=
détribalisation) et de limiter les tentatives de révoltes.
Les
codes noirs vont effacer toutes traces de la culture d’origine et limiter les contacts des esclaves avec le monde extérieur : l’anglais devient la seule langue tolérée, les religions, les coutumes ancestrales sont bannies, l’usage des instruments de musique (tambours, flûtes, …) est sévèrement réprimé.
A l’origine du Blues, du Jazz et de toute la (ou les) Musique Noire-Américaine était l’esclavage.
En effet dans les grandes propriétés (plantations de coton, tabac, canne à sucre, etc.) des états américains sudistes tels que Texas, Virginie, Alabama et autre Louisiane, les patrons blancs, craignant les révoltes, s’ingéniaient à casser toute possibilité d’organisation de leurs esclaves : les tribus étant systématiquement éclatées, les familles séparées, les rites, langues, instruments musicaux proscrits ; interdiction leur était faite d’une quelconque référence à leur culture d’origine, d’une pratique culturelle autre que celle de leurs « maîtres ».
Dès lors ils n’eurent d’autre ressource que d’utiliser leur voix, leurs chants. Puisqu’ils ne pouvaient utiliser leur langue ni leurs textes, ils utiliseraient celle du « maître » dont les mots et les sons n’auraient de toutes façons pas la même signification pour eux : c’est la naissance du minstrel song, worksong, gospel, negro-spiritual…

En 1750, on compte déjà 236 000 esclaves noirs dans les colonies britanniques de l’Amérique du Nord, dont 200 000 répartis dans les plantations du Sud. Le besoin des propriétaires se fait de plus en plus pressant. Les exploitations s’agrandissent, le rende ment augmente, la consommation européenne exige toujours plus de produits exotiques et l’esclavage se développe davantage. La terre d’Afrique continue d’être saignée à vif pour que fleurissent les champs d’Amérique et que s’engraissent les ventres du Vieux Continent.
Certes, les esprits de l’Occident marquèrent quelques «inquiétudes ». Montaigne s’était ému en son temps, tout comme certains philanthropes anglais. Voltaire, dans Candide, ne voulut pas manquer à son idéal éclairé en ventant les vertus du « bon sauvage ». Cependant, les philosophes des Lumières cultivèrent quelques zones d’ombre. Et les prétentions humanistes affichées par les penseurs français du 18ème siècle prêteraient plutôt à sourire aujourd’hui, si le sujet n’était aussi douloureux.
Pour preuve, la curieuse définition relevée dans le fameux dictionnaire encyclopédique de Diderot et d’Alembert :
« Nègres : Considérés comme esclaves dans les colonies de l’Amérique. L’excessive chaleur de la zone torride, le changement de nourriture et la faiblesse des hommes blancs, ne leur permettent pas de résister dans ce climat à des travaux pénibles. Les terres de l’Amérique, occupées par les Européens, seraient encore incultes, sans le secours des Nègres, que l’on y a fait passer de presque toutes les parties de la Guinée. Ces hommes noirs très vigoureux et accoutumés à une nourriture grossière, trouvent en Amérique les douceurs qui rendent la vie animale bien meilleure que dans leur pays. Ce changement en bien les met en état de résister au travail et de se multiplier abondamment. »

Montesquieu, pour sa part, écrira
en 1748 dans son livre De l’esprit des lois, des choses assez édifiantes pour mériter d’être rappelées ici :
« […] Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l’idée que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir […] Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui, chez les nations policées, est d’une si grande conséquence. Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens […] ».

Heureusement, Condorcet dans ses
Réflexions sur l’esclavage des Nègres (1781) saura élever le débat en faisant preuve d’une plus saine clairvoyance.
En 1794, deux ans après le Danemark, la France, alors sous la Convention, abolit l’esclavage grâce aux arguments de l’abbé Grégoire. Mais le commerce, qui dans ce pays somnole plus qu’il ne s’endort, se réveillera à nouveau en 1799 avec Bonaparte qui rétablit un trafic trop lucratif pour être si tôt abandonné. Officiellement, les Etats-Unis s’opposeront à l’importation d’esclaves africains le 2 mars 1807. Une pieuse décision qui s’avérera très rapidement inutile. D’autres pays se donneront bonne conscience : la Suède (1813), la Hollande (1814), l’Espagne (1820), le Portugal (1830) et enfin la France (1848). Mais tous ces décrets entraveront peu le commerce négrier qui se poursuivra malgré tout au 19ème siècle sous des formes plus pernicieuses.
1861-1865 : La Guerre de Sécession permit aux noirs des états du Sud d’être libérés, laissant malgré tout les mentalités des sudistes toujours aussi intolérantes.
Avec la fin de l’esclavage et l’affranchissement des esclaves noirs, ceux-ci purent librement voyager, quitter les propriétés du sud où ils ne trouvaient plus de travail pour se ruer vers les grandes cités à la recherche d’un emploi que le développement du tissu industriel rendait plus probable. Ce faisant, ils eurent accès à divers instruments tels que guitare, harmonica, piano avec lesquels ils mirent en musique leur quotidien de « Nègre » non plus esclave, certes, mais toujours en proie à la ségrégation raciale : Bus, écoles, habitations, restaurants, toilettes, bars pour noirs :
le Blues était né.

Dès lors, de rural et acoustique avec une instrumentation réduite à la base, le blues devient vite urbain et électrique avec une orchestration/instrumentation qui s’enrichit au fur et à mesure des migrations intérieures et dont le son (la couleur sonore) se modifie en fonction de la ville dans laquelle il se fixe : la Nouvelle-Orléans, Chicago, Détroit, New-York, …
 
Mais si l’abolition de l’esclavage permis la libre circulation des noirs dans tout le pays et leur autorisa – à travers l’accès à l’instrumentation musicale – un patrimoine musical propre avec la reconnaissance de ses racines, elle permit aussi à une petite frange d’entre eux connaissant la théorie musicale d’accéder à l’œuvre des grands compositeurs pianistiques européens du 19ème siècle. De cette rencontre naît une musique élaborée, écrite, d’inspiration noire et syncopée… d’où son nom :
Ragtime (« temps déchiré »).
Le « bon esclave » (synonymes : « bon Nègre » ou « Oncle Tom », c’est le Noir tel que les Blancs ont envie de le voir rester…), dévoué et soumis, n’est qu’une image forgée et véhiculée par les Blancs. Dès le début de l’esclavage, des Noirs se rebellèrent en opposant une résistance tenace. Echappés des plantations et des ateliers, ou bien rescapés de naufrages de bateaux négriers, les Marrons se réfugient dans les bois, dans les montagnes ou dans des endroits inaccessibles et forment des communautés. Retirés de presque toute influence extérieure, les Marrons joueront un rôle important dans l’histoire de la musique du Nouveau Monde, en préservant de nombreux aspects de la culture africaine.

Dizzy Gillespie, à propos de la naissance du jazz, dit : « L’explication sociologique de la naissance de cette musique qui est la notre est que les noirs d’Amérique n’avaient plus de tambours ».
codes noirs
La première protection légale des esclaves fut octroyée par la fameuse ordonnance de mars 1865, ou code noir. Or, la lecture de ce code à notre époque sociale, est très décevante. Ce texte ne semble apporter aucun progrès par rapport aux coutumes les plus barbares. A la première évasion de l’esclave, et si celle-ci durait plus d’un mois, il avait les oreilles coupées et était marqué de la fleur de lys. A la deuxième, il avait le jarret coupé. A la troisième, c’était la mise à mort. Il nous paraît étrange, aujourd’hui, que le Code noir ait pu apparaître comme apportant des progrès sensibles au sort des esclaves et que son édition ait pu exciter la fureur des maîtres, tyran locaux contre lesquels l’administration paraît bel et bien avoir été impuissante. Pas plus que l’église à ses débuts, la royauté n’aurait eu le pouvoir de placer des barrières infranchissables devant l’esclavage. Elle y avait d’ailleurs recours elle-même, largement, sur les mers et dans les colonies. Un certain nombre des dispositions de l’ordonnance de 1685, visiblement inspiré par le clergé, donnaient cependant une existence légale à la famille de l’esclave, son mariage était désormais solennisé comme celui de l’homme libre ; si le consentement du maître est nécessaire, ce dernier ne peut imposer le mariage à un esclave contre son gré. Les membres de la même famille ne pouvaient être vendus séparément. A près de trois siècle de distance, le Code noir nous paraît avoir eu surtout pour résultat de hisser l’esclave du rang de la brute où l’avaient ravalé les socratiques à un niveau intermédiaire entre les biens meubles et les hommes libres.

abolition de l'esclavage
ABOLITION DEFINITIVE 
DE L’ESCLAVAGE 
DANS LES COLONIES FRANCAISES 

REPUBLIQUE FRANCAISE 
LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE 

Au nom du Peuple Français, le gouvernement provisoire, considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine, qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir, qu’il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Egalité, Fraternité, décrète :

Article premier. L’esclavage est entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises.

Art. 2. Le système d’engagement à temps établi au Sénégal est supprimé.

Art. 3. Les gouverneurs et commissaires généraux de la République sont chargés d’appliquer l’ensemble des mesures propres à assurer la liberté à la Martinique, à la Guadeloupe et dépendances, à l’Ile de la Réunion, à la Guyane, au Sénégal et autres établissements français de la côte occidentale d’Afrique, à l’Ile Mayotte et dépendances et en Algérie.

Art 4. Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines afflictives ou correctionnelles pour des faits qui, imputés à des hommes libres, n’auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés les individus déportés par mesure administrative.

Art. 5. L’Assemblée Nationale réglera la quotité de l’indemnité qui devra être accordée aux Colons.

Art. 6. Les colonies purifiées de la servitude et les possessions de l’Inde seront représentées à l’Assemblée Nationale.

Art. 7. Le principe que le sol de la France affranchit l’esclave qui le touche est appliqué aux colonies et possessions de la République.

Art. 8. A l’avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d’acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînera la perte de la qualité de citoyen français. Néanmoins, les Français qui se trouveront atteints par ces prohibitions au moment de la promulgation du présent décret auront un délai de trois ans pour s’y conformer. Ceux qui deviendront possesseurs d’esclaves en pays étrangers par héritage, don ou mariage devront, sous la même peine, les affranchir ou les aliéner dans le même délai, à partir du jour où leur possession aura commencé.

Art. 9. Le ministère de la Marine et des Colonies et le ministre de la Guerre sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.
Fait à Paris, en Conseil du Gouvernement, le 27 avril 1848.