Qu’est ce que l’ethnomusicologie ?



Définition : petit essai critique sur la notion d'ethnomusicologie

On peut être surpris, en cherchant une définition de l'ethnomusicologie, de ne jamais en trouver une qui semble satisfaire tout le monde. Voilà une discipline qui, près d'un siècle après son apparition, ne laisse pas aisément circonscrire son objet !

Il n'est pas question ici de proposer une définition qui fasse l'unanimité. On pourra néanmoins tenter de cerner l'objet et, à l'analyse des multiples définitions que nous pouvons lire, comprendre un peu mieux les raisons de cette difficulté.


Elles semblent tenir :

 d'une part à la double nature de la discipline : l’ethnomusicologie a oscillé tout au long de sa courte histoire entre l’analyse scientifique des systèmes musicaux et la description ethnographique des contextes socioculturels dans lesquels se situaient ces musiques. A l'université, elle est une branche de la musicologie ou de l'anthropologie/ethnologie, bien que, comme le pense Simha Arom, de même qu'un ethnolinguiste est d'abord linguiste ou un ethnobotaniste, botaniste, l'ethnomusicologue est d'abord musicologue ! Cette idée de la prééminence de l'un ou l'autre des termes qui composent ce mot est une constante, et une conséquence logique de la double nature de cette discipline. Alan P. Merriam distingue ainsi les "ethnomusicologues musicologiques ou les ethnomusicologues anthropologiques". Et pourtant, l'ethnomusicologie ne doit pas se résoudre à privilégier l’une de ses composantes au détriment de l’autre, ni se résoudre à une simple juxtaposition des descriptions ethnographiques et musicologiques. Elle se doit de trouver son objet, sa raison d'être, en opérant une véritable synthèse, voire une fusion de ses deux termes. L'orthographe même du mot, sans trait d’union, qui fut adopté par la société américaine d’ethnomusicologie en 1956 démontre cette volonté. Notons qu'encore aujourd'hui, cette fusion n'est pas toujours envisagée. Marc Chemillier, co-auteur du site du laboratoire d'ethnomusicologie du musée de l'homme définit l'ethnomusicologie comme une branche de l'ethnologie (...qui vise à comprendre et à définir le rôle particulier des musiques de tradition orale dans les affaires humaines et dans les rapports que les hommes entretiennent avec le sacré...) !


 d'autre part à son champ d’étude qui, on va le voir, n’a jamais été clairement et unanimement défini.


- A quelles zones géographiques s’intéresse t-elle ? La question géographique est-elle même pertinente ?


- A quelles musiques, d'un point de vu morphologique ? Toute manifestation sonore produite par l’homme n’est pas émiquement considéré comme de la musique (cf. partie "Problématiques"). Est-on encore ethnomusicologue si le concept même de musique est absent de la société que l'on étudie ? La réponse à cette question légitime amène à rappeler l'existence de frontières culturelles que le chercheur doit nécessairement dépasser. On retrouvera la même problématique en ce qui concerne les instruments de musique (cf. "qu'est-ce qu'un instrument de musique?" dans la partie "Ethno-organologie").


- Qu’est-ce qui la distingue finalement de la musicologie ? Sur ce dernier point, faut-il revendiquer l’ethnomusicologie comme une discipline à part entière, distincte de la musicologie, et non comme une sous branche de cette dernière ?


Ces questions sont encore renforcées par le fait que l’ethnomusicologie a longtemps souffert d’un manque d'outils méthodologiques propres. Les outils graphiques de la notation musicologique classique ne suffisant plus à décrire des musiques qui sortaient des cadres connus, le chercheur a du en inventer de nouveaux. Il a du emprunter des modèles d'analyse à la linguistique et à la phonologie, ainsi qu'à l'acoustique. Il a subi l'influence des différents courants de l'anthropologie.

Pour en revenir aux origines, il apparaît qu'une première délimitation du champ ethnomusicologique a été tout naturellement faite à partir de la musicologie classique : l’ethnomusicologie s’intéresse à tout ce qui n’intéresse pas la musicologie !

Voilà une idée qui suscite bien des questions par le flou qu'elle dégage. Que l'on revendique ou non l’ethnomusicologie comme une discipline autonome, il est évident que :


1) les deux disciplines partagent des ressources communes et s'intéressent de la même façon à des activités de recherches connexes : l’archéo-musicologie ou l’organologie par exemple;

2) l’ethnomusicologie ne s’intéresse pas nécessairement aux musiques rock ou rap actuelles, qui n’intéressent pas non plus la musicologie classique;

3) cette affirmation omet totalement l'aspect anthropologique de l'ethnomusicologie;

4) cette opposition ne nous renseigne finalement pas sur ce qu'est l'ethnomusicologie, sans compter qu'il est plutôt maladroit de définir un objet par ce qu'il n'est pas !


Des définitions existent cependant. Elles sont nombreuses, parfois contradictoires, et semblent soit trop imprécises en usant de termes qui prêtent à discussion, soit au contraire, par souci de ne rien oublier peut-être, trop vastes.


De plus , le champ de cette science n'a pas cessé de s'agrandir, les conclusions de ses études de remettre en cause des certitudes qui semblaient acquises, et voilà ce qui explique en partie le nombre de propositions. C'est le lot de certaines disciplines qui ne peuvent se définir avant un minimum d'existence. Et un siècle, on le voit pour celle-ci, semble le minimum.


En 1977, l’ethnomusicologue Alan P.Merriam répertoriait 42 définitions (in Ethnomusicology, " perspective on definition ").


Selon Jaap Kunst (en 1959), la discipline étudie " toute musique tribale et folklorique et toutes sortes de musique d’art non occidentale ".

" Elle englobe l’étude des musiques primitives et traditionnelles du monde entier " ou " les cultures musicales originales de type archaïque de tous les peuples " selon Cl. Marcel-Dubois (en 1958).


" Les caractéristiques normales ou autres de l’art non européen " selon Marius Schneider (en 1957).


" La musique des sociétés illettrées, les musiques des hautes cultures de l’Asie et de l’Afrique du Nord, la musique folklorique de tradition orale des régions qui sont dominées par les hautes cultures " selon Bruno Nettl. (en 1964).


Ces quelques définitions, on le voit nous permettent d'ores et déjà de tirer trois conclusions.

D'une part elles se réfèrent à des termes qui par eux-mêmes prêtent à discussion (musiques folkloriques, primitives, hautes cultures, etc.). Concernant ces termes, je renvoie le lecteur au chapitre qui leur est consacré dans la partie "Problématiques".

D'autre part elles se réfèrent au terme "musique" comme s'il était acquis que ce terme renvoie à une même réalité partout. Y a-t-il en Occident même un consensus sur les sens de ce terme ?

Enfin, elles cherchent à délimiter un contour géo-culturel du champ d’étude, contour sujet à critiques notamment de la part de musicologues africains ou asiatiques qui se demandaient pourquoi l’étude scientifique de la musique écrite et classique de l’Occident se nomme " musicologie " tout court, alors que celles des musiques de tradition savante non occidentale est appelée " ethnomusicologie ". Question légitime. Un anthropologue africain ferait de l’ethnomusicologie en étudiant la musique de sa propre région, mais ferait de la musicologie en étudiant celle lointaine de l’Occident ?

On observera par la suite des définitions qui s’élargissent en se référant à des notions thématiques et plus anthropologiques : l'étude des musiques dans la culture et comme élément culturel; l'étude de la façon dont les gens se servent, jouent, composent et pensent la musique.


"On est ethnomusicologue non parce que l’on étudie l’histoire et le langage musical d’un pays non occidental mais parce que l’on étudie la musique dans les cultures" dira Alan P.Merriam en 1960. C’est vrai, mais cette proposition prête aussi à controverse car elle semble élargir bien trop le champ d’étude de la discipline.

L’ethnomusicologue se revendique alors comme étudiant une musique dans son contexte socioculturel ; il s’intéresse non seulement à la musique pour elle et à son rôle dans la société même mais aussi au comportement musical des hommes. On est bien dans l’ethnomusicologie. Ainsi une étude sur l’impact des chants révolutionnaires dans la classe ouvrière parisienne au début du XXè serait de l’ethnomusicologie ? Pourquoi pas !

En 1973, Merriam corrige son propos en "...la musique comme culture", et en 1975, il ira encore plus loin : "music is culture and what musicians do is society" !

Plus récemment, Helen Myers (in "Ethnomusicology, an Introduction, the New Grove Handbooks in Music, edited by H.Myers, 1992") conscrivait le champ d'étude de l'ethnomusicologie à "la musique populaire et traditionnelle, aux musiques de 'hautes cultures' asiatiques, aux musiques de traditions orales contemporaines, et à des concepts tels que les origines de la musique, les évolutions, les compositions et improvisations, la musique comme symbole, les universaux, la fonction de la musique dans la société, la comparaison entre les systèmes musicaux et les fondements biologiques de la musique et de la danse".

Elle ajoute ensuite que "les musiques d'art occidentales ne sont pas écartées, bien que peu d'études sur elles aient été menées par des ethnomusicologues".

Claudie Marcel Dubois en 1975 disait que "l'ethnomusicologie concourt au tracé de l'histoire d'une civilisation vivante : la musique mémorise les événements historiques. Elle concourt au tracé des activités techniques, culturelles, à saisir l'organisation sociale d'un groupe (...). Elle s'intéresse aux musiques de 'hautes cultures', aux musiques du monde africain et océanien et aux musiques paysannes et populaires d'Europe et d'Amérique latine. Quant aux caractéristiques primordiales des musiques étudiées par l'ethnomusicologie, ce sont : l'oralité et la musique comme intégrée dans le comportement d'un individu ou d'un groupe humain".


L'oralité est un des aspects récurrent pour de nombreux chercheurs. Elle apparaît comme un trait essentiel qui distinguerait l'ethnomusicologie de la musicologie. Dans certaines sociétés connaissant la notation musicale, l'oralité "réside alors dans le degré de création et de variabilité que le musicien apporte de son propre fait au contenu musical ou à ce fil conducteur que constitue l'écriture" explique Cl. Marcel Dubois.

C. Brailoiu définissait ainsi en 1958 l'ethnomusicologie comme "l'étude d'une musique qui, intégrée à l'existence de tout un chacun, et qui, concernant l'ensemble de ceux qui en font usage, se passe d'écriture, en connut-elle même une".

Cette distinction entre transmission orale et écrite des savoirs qui semble mettre d'accord un certain nombre de chercheurs se heurte quand même à quelques écueils. N'oublions pas que la musique classique occidentale s'est aussi servi de l'oralité dans la transmission de ses savoirs : que l'on pense simplement aux techniques d'improvisations et d'ornementations sur les basses chiffrées de la musique baroque. Par ailleurs, des études ethnomusicologiques actuelles ou plus anciennes ne se déroulent pas nécessairement au sein de sociétés à traditions orales. Un travail sur la chanson bretonne écrite sur feuilles volantes au cours de ce siècle, même si elle peut s'intéresser à la part d'oralité qui persiste dans son interprétation, va s'appuyer sur un support écrit.


Deux dernières définitions retiennent encore l'attention.


La première, (par Tran quang Haï, Michel Asselineau et Eugène Bérel in " musiques du monde ", guide pédagogique, éd.Fuzeau, 1993) propose l'ethnomusicologie comme un "terme qui désigne l’étude scientifique de toute manifestation sonore sans aucune exclusive géographique ou ethnique (...). Elle se distingue de la musicologie qui rend compte de la musique écrite occidentale (...)". On retiendra de cette proposition l'emploi judicieux du terme "manifestation sonore" en lieu et place de "musique", évitant ainsi le problème que peut susciter l'emploi de ce mot.


La deuxième propose "l'étude comparée des systèmes musicaux et de leurs cultures". Définition séduisante car elle permet à la fois d'éviter la plupart des pièges que nous avons relevés, et propose à l'ethnomusicologie un vrai champ disciplinaire. Cette idée de "comparaison" n'est pas neuve. Elle est même celle qui a guidé les premiers chercheurs à l'aube du XXè siècle. Rappelons nous que la discipline s'est d'abord appelée "vergleichende Musikwissenschaft" ou musicologie comparée ! (cf. partie "Historique"). On a bien sûr objecté avec raison qu'il reste trop de cultures musicales non étudiées pour se livrer à une comparaison et qu'il serait vain de vouloir comparer des musiques intrinsèquement incomparables faute de dénominateurs communs. Walter Wiora affirmait de plus en 1961 que l'aspect comparatif ne peut être qu'une méthode de travail, et pas une définition de discipline.

Abandonnant l'idée d'une définition formelle, Bruno Nettl (in "Musics of Many Cultures, an Introduction", edited by Elizabeth May, University of California press, 1980) tente une approche un peu différente. Dans une démarche rétrospective, il part de la réalité des études déjà menées et recoupe synthétiquement tous les points sur lesquels les ethnomusicologues s'accordent, c'est-à-dire :


1. à se déchirer entre deux idéaux :


- l'unité fondamentale que les hommes ont présenté en matière de musique et dans leurs comportements musicaux, et
- l'infinie variété des phénomènes musicaux présents dans le monde. Ou le débat de l'universel face à l'exception ;

2. sur la nécessité d'appuyer les recherches sur un travail de terrain ;

3. sur le fait que la musique peut être écrite, transcrite et analysée dans une forme compréhensible par tous ;

4. à étudier et comprendre la musique comme s'inscrivant dans une culture dont elle est le produit ;

5. à penser que, historiens ou non, il est nécessaire de s'intéresser aux processus qui font qu'une musique change, évolue, se stabilise ou disparaît, qu'il s'agisse d'une chanson, d'un répertoire ou d'une culture musicale entière.

Ces quelques définitions (une toute petite partie de ce qui existe) aident-elles à se faire une idée précise de ce qu'est l'ethnomusicologie ? Elles nous montrent en tout cas la diversité des propositions, et apportent la preuve que les champs d’investigation de la discipline ont évolués et évoluent encore : la dynamique des changements, l'acculturation, la formation de styles hybrides, les musiques de l'immigration ou les chansons perdues du Bugey sont aujourd'hui des problématiques de plus en plus souvent étudiées.

Et à défaut d'être universelle (elle en deviendrait trop vaste), une définition satisfaisante devrait rester ouverte tout en considérant que la double nature de l'ethnomusicologie ne la dispense pas de se prétendre originale et de se munir d'une véritable proposition scientifique qui la distingue nettement de ses "voisines", musicologie et ethnologie.

De plus, il convient d'éviter les définitions à rallonge. Outre que l'accumulation des termes précipite dans des pièges terminologiques et sémantiques, on ne peut définir une discipline en répertoriant bout à bout tout ce à quoi elle s'intéresse. Il faut un point de cohérence et de concordance qui n'a peut-être pas encore été trouvé.

Le fait est que le souci définitionnel est étonnamment présent dans la plupart des publications, même récentes. Helen Myers (ibid.) note ce phénomène, constatant tout en le regrettant qu'après un siècle, chacun y va encore de sa nouvelle définition.

Cela démontre en tout cas que la discipline est bien vivante !


HISTORIQUE

Le terme ethnomusicologie est assez récent. Il fut inventé en 1950 par Jaap Kunst (néerlandais, spécialiste de l’Indonésie). Son orthographe sans trait d’union fut adoptée par la société américaine d’ethnomusicologie en 1956 lors du congrès international des sciences anthropologiques et ethnologiques à Philadelphie. Ce choix orthographique répondait au désir de définir une discipline qui ne soit plus que la simple juxtaposition des deux disciplines dont elle empruntait les termes (cf. partie définition).

Si l'ethnomusicologie comme discipline scientifique est née vers la fin du 19è siècle, l'intérêt pour les musiques "lointaines" est beaucoup plus ancien. Intérêt ou désintérêt affiché d'ailleurs (que l'on se souvienne du mépris exprimé par Berlioz).

Sans support méthodologique précis, cet intérêt donna lieu à des écrits très sporadiques, parfois de grandes qualités, mais souvent emprunts de subjectivité.

Des modes "exotiques" ont existé au cours des siècles passés (turqueries, chinoiseries, serinettes...), certains instruments ont pu être ramenés de l'orient (comme le tympanon) et certains ouvrages consacrés à l'observation de pratiques musicales lointaines publiés. Il est délicat pour autant de déterminer un texte pionnier.

En 1619, Michael Praetorius dans son "syntagma musicum" décrit des instruments de musique venus de lointaines contrées et dont les modèles ne devaient pas être très répandus en Occident, et qui sert encore aujourd'hui de référence pour les organologues.

Plus tard, J-J.Rousseau, comme d'autres littérateurs le feront par la suite, s'intéressera avec une rare ouverture d'esprit à des musiques extra-européennes (transcriptions d'un "air chinois", d'une "chanson persane", d'une "chanson des sauvages du Canada", etc. in "Dictionnaire de musique", 1768).

En 1779, le père J.Amiot publiera le premier ouvrage sur la musique chinoise : "Mémoire sur la musique des Chinois" (réédition récente).

En 1784, William Jones écrit à Calcutta "On the musical modes of the Hindoos".

On peut encore citer les travaux de G.Villoteau sur l'Egypte (en 1813 et 1816).

Au 19è, le développement du commerce et des voyages va accentuer de façon significative cet attrait pour l'exotisme (les thèmes et les décors d'Opéra, par exemple, sont là pour en témoigner).

En France, suite au décret du 13 septembre 1852 qui ordonnait la publication d'un Recueil Général des Poésies Populaires de la France, Hippolyte Fortoul et J-J. Ampère organisèrent une grande enquête nationale qui donna naissance à un important travail de collectage de chansons. De nombreuses critiques que l'on formule volontiers de nos jours sur ces "folkloristes" du siècle dernier (méthodologie insuffisante, ignorance des problématiques de la chanson populaire, perception exotique du peuple, idéologie marquée et fort désuète, vocabulaire vieillot, intervention sur le répertoire par des transcriptions parfois très libres, etc.) ne démentent en rien l'intérêt de ces travaux. On sait aussi le rôle que jouèrent d'autres écrivains dans ce mouvement (G.Sand, G. de Nerval, etc.). Cette vogue naît probablement de la rupture avec les valeurs de l'ancien régime et de la volonté, chez les Romantiques surtout, de retrouver dans l'altérité des valeurs disparues ou de nouvelles sources "régénératrices".

On pourra lire sur le sujet l'ouvrage de Jacques Cheyronnaud ("Mémoires en recueils, jalons pour une histoire des collectes musicales en terrain français", Montpellier, ODAC, carnets d'ethnologie n°1, 1986) ou encore les articles de l'ouvrage "Collecter, la mémoire de l'autre" (Geste éditions, collection Modal, FAMDT).

1884 est une date souvent citée pour les débuts de l'ethnomusicologie. Le philologue et mathématicien Alexander John Ellis publie un article sur les échelles musicales dans différentes nations, premier travail comparatif ethnomusicologique.

A partir du dernier quart du 19è siècle, les écrits vont se succéder. Naîtront en Allemagne, aux Etats-Unis puis en Europe de l'Est les premières grandes "écoles" ethnomusicologiques.

Ce sont les expositions universelles qui, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle révélèrent au grand public les musiques extra-européennes. On découvrait ainsi ces "musiques bizarres" (dixit Julien Tiersot, 1905) lors des expositions de Paris de 1889 et 1900. Souvenons nous aussi de ces compositeurs tels Debussy qui écoutait avec fascination les sonorités subtiles du gamelan javanais.

Folkloristes, anthropologues, musicologues stimulèrent ainsi un mouvement de recherche qui ne parvint à s’ériger en discipline scientifique qu’avec l’apparition des premières techniques d’enregistrement (Charles Cros puis Thomas Edison).

C’est à l’anthropologue américain Jesse Walter Fewkes que l’on doit la première utilisation de l’enregistrement dans cette discipline, en 1889, avec une étude sur les chants des indiens Zuni du Maine, conservée à la bibliothèque du Congrès de Washington. (http://www.mnh.si.edu/anthro/laexped/fewkessns.htm pour des infos sur Fewkes)

La possibilité d’enregistrer des sons allait bien évidemment bouleverser de nombreuses choses. Elle permit aux premiers "ethnomusicologues" de conserver des données, de les étudier et de transcrire la musique avec bien davantage de précision. Les premières machines à enregistrer furent utilisées en Europe pour la première fois en 1894 par le Hongrois Béla Vikar qui les présenta à Paris en 1900. (http://emuseum.mnsu.edu/cultural/music/bela_vikar.html pour des infos sur Vikar).

La même année, le Dr Azoulay procède à des enregistrements lors de l'exposition universelle de Paris.

Le travail des nombreux chercheurs qui collectèrent ainsi des enregistrements sur cylindre détermina la création d’archives sonores. Les premières en Europe furent celles de l’Académie des sciences de Vienne en Autriche (1899-1900), mais ce sont surtout les archives de Berlin, créées en 1902 avec des enregistrements de l'orchestre de cour du Siam, qui étaient les plus riches. Ces archives furent en partie détruites ou dispersées au cours de la seconde guerre mondiale. (http://www.unesco.org/webworld/mdm/fr_nominations.html ou http://www.ethnomusic.ucla.edu/Archive/ear_fall_2000.htm pour des infos sur les archives de Vienne ou de Berlin).

C’est avec l’école de musicologie comparée de Berlin (la vergleichende Musikwissenschaft, premier nom de ce qui allait devenir par la suite l’ethnomusicologie ) que naquit en Europe la discipline, avec des chercheurs comme Carl Stumpf, Erich von Hornbostel, Otto Abraham. Cette école fondait sa démarche sur la conviction de la supériorité du domaine ouest-européen, conviction qui peut s'expliquer par l'absence de terminologie adéquate pour désigner ces manifestations musicales méconnues ou inconnues.

La France se dote dans le courant des années 30 d’institutions spécialisées et prend certaines initiatives : enregistrements de la firme Pathé pour le musée de la parole et du geste à l’exposition coloniale de Vincennes de 1931. En 1929, André Schaeffner crée au musée d’ethnographie du Trocadéro (le futur musée de l’Homme) un département d’organologie qui deviendra le département d’ethnomusicologie par la suite. En 1932, Philippe Stern crée au musée Guimet une section musicale sur l’Asie. En 1937, Georges-Henri Rivière crée le Musée national de Arts et Traditions populaires au sein duquel, en 1944, Claudie Marcel-Dubois ouvrira un département consacré à l’ethnomusicologie de la France (et des pays francophones). Ce département de la musique et de la, parole est aujourd’hui dirigé par Florence Gétreau. (http://www.culture.fr/culture/sedocum/atp-m-pn.htm pour des infos sur ce département).

De nombreuses missions en France ou à l’étranger sont dépêchées et donnent naissance à des études et monographies.

Ailleurs en Europe se développent des collections comparables. En Hongrie, avec Béla Bartok et Zoltan Kodaly, en Roumanie avec Constantin Brailoiu.

Après la deuxième guerre mondiale, l’amélioration des techniques d’enregistrement et surtout l’apparition des magnétophones à bandes dans les années 50 marque un tournant dans le collectage et augmente de façon significative le nombre de phonogrammes, leur qualité, et donc leur exploitation. L’étude des cultures musicales se trouve facilitée depuis par l’existence de collections sonores.

L'historique de l'ethnomusicologie a été traité dans un certain nombre d'ouvrages ou d'articles vers lesquels il faut naturellement se tourner pour des informations plus détaillées. On pourra lire avec intérêt le chapitre qui est consacré à cette discipline dans le "Précis de musicologie" de Jacques Chailley (Presses Universitaires de France) ou l'article de Charles Boilès et J-J.Nattiez "Petite histoire critique de l'ethnomusicologie" (publié dans la revue "Musique en jeu" n°28, septembre 1977).



PROBLEMATIQUES



Identité et récupération politique

L'identité est une problématique centrale en ethnomusicologie et plus largement en anthropologie.
Une identité ethnique se définit comme étant une communauté qui :
- se perpétue biologiquement ;
- partage des valeurs culturelles fondamentales (imaginaires, symboliques ou réalisations concrètes) ;
- intègre un champ d'interaction (par des échanges) et de communication (par la langue) ;
- compte avec des membres qui s'auto-identifient et sont identifiés par les autres comme distincts.

Des sociétés utilisent la musique pour construire ou produire une identité. La musique permet non seulement de penser son identité, mais aussi de la créer par des actes. Dans une recherche, il convient de ne pas omettre les éléments considérés par les musiciens comme porteurs d'identités.

L'idée, associée ici, de récupération politique se révèle pertinente sous deux angles d'approche.

D'une part, par la volonté avérée d'une population de brandir sa musique comme étendard politique (une distinction culturelle qui justifierait une revendication politique). D'autre part, par la récupération par un groupe politique (ou un Etat) extérieur qui détourne le sens de la production artistique et musicale d'une population afin de servir ses propres desseins.

Le "détournement" de travaux de chercheurs est parfois possible. Je me réfère encore au terrain français, prenant appui sur un article paru dans le journal "le monde" du 20/02/98 dans lequel, à partir des témoignages d'Olivier Durif et Gilles Servat notamment, l'auteur, Véronique Mortaigne, pointe le doigt sur la récupération nationaliste des notions de "tradition", de "folklore", etc. La chanson n'est ni de "droite" ni de "gauche", mais elle peut facilement le devenir ... Prudence.

Certaines "world music", soyons en sûr sont également orchestrées à dessein pour détruire ce qu'il reste de tradition. Entendre certains disques de mauvaise musique tibétaine diront certains, permet de mieux diffuser la culture de ce pays. Mais quelle culture ? La chinoise ?

De nombreux ouvrages ou articles développent cette question. On pourra entre autres se tourner vers le numéro 35 (nov. 1980) des Actes de la recherche en sciences sociales (Ed. de Minuit) consacré à l'identité, ou vers le n°3/1990 des "Cahiers de musiques traditionnelles" sur "Musiques et pouvoirs" ou encore au n°11-12 de l'Aquarium (Bulletin de liaison et d'information du centre de recherches administratives et politiques, université Rennes 1, 1993) sur "musique et politique" avec beaucoup d'intéressants articles (France et monde).



L'enregistrement et la re-création

Voici ébauchée une réflexion sur quelques problématiques que soulève l'existence des moyens mécaniques d'enregistrement du son.

D'une part par l'utilisation qui est faite de ces procédés dans les enquêtes de terrain, et la possibilité qu'ils offrent à une analyse musicologique minutieuse. Ce premier point est évoqué dans d'autres textes présentés sur ce site, on n'y reviendra pas ici.

D'autre part par leur utilisation commerciale de la part d'artistes ou de chercheurs.

Ce deuxième point sous-tend d'autres questions. Quelle démarche adoptent les artistes dans leur travail et quelle justification faut-il éventuellement donner à l'interprétation d'une musique sortie de son contexte d'origine ? Qu'en est-il de la question du droit ?

La fixation définitive sur des supports magnétiques d'un corpus musical fait naître deux attitudes, deux "écoles" possibles pour l'interprète actuel qui cherche du répertoire.

- Celle qui cherche la fidélité absolue à l'œuvre, imitant dans les moindres détails tous les particularismes entendus, même s'il est clair qu'il s'agit parfois de "lacunes" ou d'approximations évidentes (notamment dans les paroles).

Des interprètes recherchent aujourd'hui dans des phonothèques, des sources enregistrées qu'ils étudient et reproduisent à l'identique.

Un terrain qui n'a pas été envisagé sur des années donne naissance à des enregistrements parfois uniques qui seront ensuite pris comme modèles, comme canons. Un enregistrement n'est qu'une version parmi d'autres. Les terrains africains ont donné des exemples de mauvaises interprétations volontaires par souci de se "moquer du blanc", et dont les sources ont induits en erreur des chercheurs eux-mêmes.


- Et celle qui optera vers une (ré)interprétation personnelle et originale, privilégiant la démarche artistique. Elle "recherchera une imprégnation faite d'une dialectique fragile entre proximité et distance", selon les mots de J-F. Dutertre ("La voix parmi les recueils" dans "Collecter la mémoire de l'autre", ouvrage collectif de la collection Modal, Ed. Geste).

Faut-il justifier -et comment- la décontextualisation du répertoire ? Un chant de labour d'une région de France a-t-il encore la même valeur (et la même saveur) interprété sur une scène par un groupe de musiciens ? Ne conserver que la dimension musicale d'un chant fortement ancré dans une tradition ne revient-il pas à le dénaturer, voire à le trahir ? Il ne s'agit pas de répondre ici à ces questions, mais de soulever un problème maintes fois évoqué par des "puristes" de la tradition.

La réponse passe souvent par une justification par recontextualisation. On emprunte une musique, on modifie la fonction originelle (une berceuse dont la fonction première était de bercer deviendra une berceuse dont la fonction est d'émouvoir le public), on modifie le contexte et le rituel (cadre familial originellement, cadre de spectacle nouvellement), et on interprète après avoir éventuellement expliqué tout ça au public.

La question économique est, elle, plus cruciale. L'appropriation de certaines musiques ou chansons puisées dans le répertoire traditionnel pose un problème de droit malaisé à résoudre. A qui appartient la musique puisée dans des sources documentaires ? Au chercheur qui a effectué les enregistrements, à l'institution qui les abrite, à l'interprète, (surtout dans le cas d'artistes qui reproduisent à l'identique un enregistrement entendu) ?

La publication d'un disque à caractère scientifique pose le même problème en des termes encore plus difficiles, si l'on songe qu'il faudrait en principe pouvoir rémunérer les musiciens enregistrés, sachant les difficultés que cela présente lorsque l'enregistrement a été effectué il y a des années à l'autre bout de la planète, et qu'aucun contact n'a été gardé.

Concernant les problèmes de droit, on pourra trouver des informations auprès du Centre d'Information des Musiques Traditionnelles (http://www.irma.asso.fr/cimt/).




Les universaux en musique et la recherche globalisante

La recherche d'universaux en musique n'est pas du seul ressort des ethnomusicologues, même si par essence, leurs travaux ont pu nourrir de façon substantielle cette recherche.

La réponse à une interrogation du type " y a-t-il des universaux en musique" permet-elle de cerner la nature même de la musique, et de s'approcher d'une définition universelle ?

Le terme "universaux" pose déjà un premier problème : entend-on par là absolu (ou universel), général, très probable ?

Alfonso Padilla (in "les universaux en musique", Actes du 4è congrès international sur la signification musicale, publications de la Sorbonne) souligne le fait qu'une culture ait ou non un concept de musique, qu'elle considère ou non un phénomène comme musical, cela n'empêche pas qu'une autre culture le fasse. On ne peut donc pas proposer une définition universelle de la musique, mais on pourra chercher une définition à partir de la détermination de ses universaux. Analysant nombre d'études de chercheurs, Padilla synthétise en proposant cette grille d'universaux :



a) Du point de vue du caractère social général de la musique, nous dirons qu'elle :
- se trouve dans toutes les sociétés comme phénomène acoustique (pas nécessairement conceptuel);
- est destinée à être écoutée plus qu'à être lue;
- a un fondement biologique (inné et héréditaire) et aussi culturel (des conventions apprises);
- connaît des formes vocales dans toutes les cultures connues;
- accomplit un réseau complexe de fonctions;
- est en processus constant de changement.

b) Du point de vue des caractères acoustiques et du langage présents dans toutes les cultures musicales connues, la musique :
- se compose des éléments acoustiques fondamentaux : hauteur, durée, intensité et timbre
- est réglée par des préceptes et conventions (explicites ou non) touchant à la structure, la grammaire et la syntaxe de la musique, mais toutefois pas par des règles universelles.

c) Du point de vue des principes structurels plus généraux de la musique,
- elle se base sur le jeu dialectique d'opposition (dualisme) d'éléments contraires, et l'organisation du discours musical se fonde sur les phases de thèse, antithèse et synthèse plus ou moins stables;
- elle se base sur l'antinomie des principes de répétition / non répétition;
- elle repose sur les principes de tension et détente;
- dans toutes les cultures musicales connues opèrent quatre principes fonctionnels primordiaux : l'introductif, le principe d'exposition, celui de développement et le finissant et leurs combinaisons;

d) Du point de vue de la structure spécifique (de surface)
- de toutes les pièces musicales existantes ou connues, la musique ne connaît pas d'éléments absolument universels.


Si John Blacking avançait que les universaux ne doivent pas être cherchés seulement dans les propriétés acoustiques ou structurelles de la musique, mais également dans les conditions sociales où elle se produit, d'autres grilles d'universaux du point de vue de la structure spécifique de surface ont cependant été proposées.

Bruno Nettl (in "on the questions of universals", the world of music, vol. XIX, n°1-2, 1977) énumère ainsi des caractères structurels communs dans toutes les musiques connues :

- l'intervalle de seconde majeure;
- la ligne mélodique descendante;
- la répétition;
- la variation;
- la présence de certaines structures rythmiques;
- l'utilisation d'échelles tetratoniques et pentatoniques [le pentatonisme et ses différentes manifestations est aussi mis en avant par Tran Van Khê] composées d'intervalles de seconde majeure et de tierce mineure;
- le chant en octaves;
- la structure strophique des chants;
- l'utilisation d'idiophones.

On pourra lira sur le sujet, outre l'article d'Alfonso Padilla (ibid.), celui de Gilbert Rouget "La répétition comme universel du langage musical à propos d'un chant initiatique béninois" (in Firenze Léo S.Olschki editore MCMXC)

L'idée séduisante de recherche de traits universels, d'éléments formels que l'on retrouverait dans toutes les cultures du monde a été mise en pratique par certains ethnomusicologues dont la discipline est toute appropriée à ce genre d'études. Le résultat a donné naissance à des démarches globalisantes parfois fort contestables car trop ambitieuses.

On peut s'intéresser aux études d'Alan Lomax, ethnomusicologue américain des années 60. A partir d'un échantillon de 233 items, Lomax a tenté de mettre en évidence des relations entre musique et société : traits culturels et traits musicaux, à partir de styles d'exécution (Alan Lomax : "folk song style & culture", Ed. new Brunowick transaction book, 1968). Pour exemple, les voix haut-perchées, serrées, tendues seraient l'apanage des sociétés où les femmes sont interdites de rapports sexuels avant le mariage. Au contraire, des contacts sexuels faciles donnent lieu à la correspondance musicale suivante : chœurs, voix graves et ouvertes.

Un chant soliste serait la traduction musicale de sociétés très centralisées, une exécution sans leader celle d'une société à la structure politique simple, un chœur à l'unisson celle de sociétés à haut degré de cohésion ou encore un ensemble de chœurs diffus celle de sociétés dominée par une culture individualiste.

A partir de films, Lomax s'intéressa aussi à la danse en établissant une classification entre type de pas de danse et type de société (ex : pas contrôlés = sociétés de culture du riz ; pas creusés = sociétés nomades sans agriculture ; etc.).

Lomax établira ainsi une carte du monde des migrations et des grandes aires culturelles à partir de ses travaux.

Il ne s'agit pas ici de reproduire les conclusions de l'auteur dans leur intégralité, mais de donner un exemple d'une recherche (parmi d'autres) qui, malgré des dehors très séduisants, fit l'objet de nombreuses critiques : 233 items semblent bien peu pour tirer des conclusions si générales ; la cohérence des catégories de société n'est pas toujours bien pertinente, etc.

On comprendra dès lors que ce type de démarche est aujourd'hui regardée avec une attention très critique.


Problèmes de notation et de transcription

La transcription rend compte à la façon d'un croquis, d'une interprétation particulière, à un moment précis. Elle est descriptive. La notation est plus prescriptive puisque elle est faite le plus souvent par le compositeur, et indique la façon dont la musique doit être jouée. Elle se réfère à des signes graphiques ayant sens dans la culture où la musique est produite.

La transcription est une démarche analytique essentielle en ethnomusicologie. Avec ou sans l'aide de l'enregistrement, une telle démarche ne peut se faire sans le support de l'écriture.

C'est par elle que le chercheur va pouvoir décrypter les structures d'une pièce musicale.

Il faut ici distinguer deux éléments : d'une part les techniques mises en oeuvre pour obtenir les conditions favorables à une transcription correcte, et d'autre part les signes graphiques que le chercheur va employer pour la réaliser.

L'enregistrement et ses bonnes conditions favorisent évidemment un travail de transcription qui pourra ensuite se faire dans des conditions plus sereines. On connaît notamment les techniques de "play-back" expérimentées par Simha Arom en Centrafrique, dont on trouvera un exposé clair dans son article "un ethnomusicologue sur le terrain, itinéraire d'une démarche" (in "Aspects de la recherche musicologique au CNRS", éd. du CNRS).

Mantle Hood n'hésitait pas à préconiser l'apprentissage des instruments dont on voulait transcrire les morceaux. Dauer, lui, suggérait de se servir d'un support filmé afin de rendre compte au mieux de ce qui se passait. On comprend les difficultés que peuvent induire ces propositions. Dans tous les cas, il ne faut pas hésiter à chanter, ou à faire chanter et jouer les pièces musicales et à poser les questions nécessaires à une bonne compréhension de la pièce (cf. les protocoles d'enquêtes dans la partie "Le terrain").

Le problème du choix des outils graphiques se pose avec acuité dès lors que l'on se retrouve face à une musique qui échappe au système de notation occidental. Si celui-ci est adapté, il n'y a pas de raison de le refuser. Devant des échelles microtonales, des durées incertaines ou autre, il faut s'interroger sur un système de représentation pertinent. Soit il existe un outil vernaculaire que le chercheur va emprunter, soit il va devoir inventer le sien, à la fois approprié à sa transcription et renseigné de façon à permettre une compréhension et une relecture.

En ethnomusicologie, nous sommes confrontés à des problèmes de transcriptions musicales, dès lors que ce que l’on perçoit auditivement n’est pas clairement identifiable comme une note d’une hauteur précise ou un rythme mesurable.

Nous sommes alors dans la nécessité de s’interroger sur les principes même qui prévalent à la musique, et à sa conception.

Les chants bön tibétains par exemple s’entendent comme un son guttural rauque, d’une longueur et d’une hauteur indéterminée. Une notation notes à notes, outre qu’elle aura du mal à rendre compte des glissendis, des hauteurs très approximatives, et des longueurs incertaines, ne pourra qu’être critiquable en ce sens qu’elle aura fait fi des principes même qui régissent à la création de ces chants.

Le problème se pose aussi en des termes plus sournois pour l’ethnomusicologue. A l’écoute d’une musique que nous pensons pouvoir décomposer, analyser et donc graphier aisément, par la nette clarté d’un rythme mesuré ou de notes au tempérament juste, s’accompagne parfois un discours des producteurs de cette musique qui, lui, s’avère tout différent de ce que l’on avait perçu.

Des concepts que nous croyons universels sont aussi éloignés de cette culture que les leurs de la nôtre. C’est un son de plusieurs secondes, modulant dans la hauteur et dans les inflexions qui sert pour eux d’unité minimale, et la somme de ces unités qui crée "l’œuvre". Ou encore le timbre qui détermine la substance, et non pas des agencements mélodico-rythmiques.

La graphie doit rendre compte du phénomène sonore en des signes pertinents et non calqués mécaniquement de son propre système.

On parle aussi, souvent, de présentation paradigmatique (en colonnes) et de présentation syntagmatique (éléments mis à la suite). La première peut être préférable à adopter dès lors qu'elle permet de mettre en évidence des cycles et des variations.

Parmi la profusion d'articles consacrés en tout ou partie à ces problèmes de notation / transcription, on pourra lire celui de Claude Laloum "à bâtons rompus, ethnomusicologie et musiques graphiques" (dans la revue "Musiques en jeu" n°13 : notations et graphismes) ou encore le numéro 12/1999 (dossier : "noter la musique") des "Cahiers de musiques traditionnelles", dont je donne ici le résumé.

Transcrire ou décrire : tel est le dilemne auquel sont souvent confrontés les ethnomusicologues. A qui s'adresse la notation ? au praticien ? au musicologue ? Quel est son but ? aide-mémoire ? aide à l'apprentissage ? fixation ? possibilités comparatives ? Qu'y a-t-il lieu de noter ? hauteurs, durées, timbre, geste du musicien ? Où en sommes-nous aujourd'hui avec les nouveaux outils technologiques (ordinateur, playback, Sonagraph, etc.) dont nous disposons ? Doivent-ils nous conduire à abandonner la notation sur portée ? Qu'en est-il par ailleurs de l'étude des notations musicales rencontrées dans certaines traditions ? Quels en sont les principes et comment fonctionnent-elles au sein de leur culture ? Quels sont enfin les enseignements que ces notations nous fournissent sur les méthodes cognitives qu'elles mettent en jeu ?



Processus d'acculturation, de métissage, de transculturation et syncrétismes musicaux

Ces processus ne sont pas propres à l'ethnomusicologie, certes, mais celle-ci en est un témoin direct. Beaucoup d'études actuelles rendent compte de ces changements induits par la présence de plus en plus marquée de l'influence occidentale à travers le monde. Musicalement, l'évolution se fait dans le sens de l'occidentalisation du langage (harmonisation, mise au tempérament égal, etc.). Ces processus rencontrés par les chercheurs sur leur terrain leur font se poser la question même du sens de leur travail et renvoient à la question de "l'authenticité". (cf. le chapitre sur "que reste t-il à étudier, à collecter").

Face à une évidente transformation des répertoires, l'école de "l'ethnomusicologie d'urgence" préconisée par Gilbert Rouget en France (in Le Monde du mardi 30 sept.1997) s'oppose à l'école des "métissages".

La question des contacts entre groupes ethniques ou sociétés diverses, des interactions et des conséquences de ces échanges est traitée dans de nombreux ouvrages d'anthropologie. L'idée que la diversité et l'authenticité culturelle d'un groupe ethnique serait la conséquence de son isolement s'oppose à celle qui défend l'existence naturelle des échanges ; échanges qui renforceraient même la "culturation".

Fredrik Barth, anthropologue norvégien (in "ethnics groupes and bondaries", Oslo), distingue 3 types de réactions de la part de sociétés confrontées à la domination d'une autre :

1. Le groupe essaie de s'incorporer au modèle industriel et culturel, tout en essayant de sauvegarder ce qui peut l'être. C'est l'intégration et souvent la disparition de ses particularismes culturels.

2. Le groupe cherche à s'intégrer économiquement mais cherche à conserver de façon énergique son identité culturelle.

3. Le groupe essaie d'accentuer sa différence en se développant, pour mieux se protéger, et participe à des échanges.

La France n'a vu ses chansons dites "traditionnelles" survivre (comme pratique de la musique traditionnelle et non comme pratique traditionnelle de la musique pour reprendre un chiasme déjà entendu) que là où existait une volonté identitaire forte, une volonté politique et sociale commune de différenciation.

Parmi les très nombreux articles, on pourra lire celui de Margaret J. Kartomi "the processes and results of musical culture : a discussion of terminology and concepts" (in ethnomusicology, may 1981). Kartomi analyse clairement les termes et les concepts.

On pourra aussi se diriger vers le numéro thématique des "Cahiers de musiques traditionnelles", Vol.13/2000 dont voici le résumé :



MÉTISSAGES

Un courant important de la création artistique contemporaine, tant savante que populaire, est fondé sur les rencontres et les emprunts interculturels. Le phénomène n’est cependant pas nouveau : réalité tant physique que sociale et culturelle, le métissage adopte en musique des formes extrêmement variées. Quelles en sont les modalités ? Comment le métissage s’opère-t-il dans tel ou tel contexte ? En quoi se différencie-t-il des cas de "fusion" et d’hybridation liées à la world music moderne ? En définitive, toute musique ne témoigne-t-elle pas, à un degré ou à un autre, de processus de métissage ? C’est à ce type de questions que ce volume tente d’apporter des éléments de réponse à travers une série d’études, non seulement sur les grandes cultures métissées comme celles qu’on peut les observer sur le continent américain, mais aussi sur des cas particuliers significatifs de métissage historique ou, a contrario, sur des expériences récents de rencontre interculturelle pouvant contenir les germes de phénomènes durables.

Que reste t-il à collecter, à étudier ? Nouveaux terrains de recherches

Question récurrente et légitime, car c'est un fait indéniable et pas seulement pour la musique : le monde se globalise. On entend les mêmes musiques du fin fond de l'Asie aux capitales européennes, et le jeune Indien d'Amazonie se sent davantage attiré par le poste qui diffuse les succès antillais que par les chants traditionnels de son village. Il continue à les apprendre parfois, naviguant sans mélange entre sa culture d'origine et celle importée des centres urbains qui l'attire de façon indéniable. Un phénomène qui se ressent chez les plus jeunes, dans le souci de sortir d'un sentiment d'isolement et dont Jean-Michel Beaudet nous donne un bel exemple avec son étude des Indiens wayampi guyanais ("souffles d'Amazonie", Nanterre, société d'ethnologie; 1997, pages 164-168) .

Parfois aussi, en une génération, un pan entier de culture musicale disparaît, faute de relève. C'est le cas de la tradition des harpes d'Afrique centrale, quasiment disparue (cf. catalogue de l'exposition "La parole du fleuve, harpes d'Afrique centrale", Cité de la musique, 1999). Ce phénomène pose de façon cruciale à l'étudiant et au chercheur : que reste t-il ou que va t-il rester à étudier dans les prochaines années ?

Il faut, malgré l'acuité du problème, relativiser cette notion d'urgence qui se dégage de ce constat. Nous voyons dans les préfaces des ouvrages de certains folkloristes français du siècle dernier poindre des questions similaires. Certains tenaient leur travail comme une urgence et beaucoup de choses avaient déjà disparues. Le problème se voyait déjà souligné, alors que la discipline était encore en gestation !

Excepté le drame que constitue la perte de savoirs pour la richesse et la diversité de l'humanité, la recherche en ethnomusicologie a su répondre à ce problème. Des terrains disparaissent, mais d'autres se créent. Outre que des traditions originales restent encore bien vivaces dans de nombreuses régions du monde malgré l'envahissement de la culture occidentale, ces processus d'acculturation et de métissages ouvrent des champs d'études originaux. Si des répertoires disparaissent, d'autres sont maintenus en vie et se transforment en s'adaptant d'une façon encore peu étudiée aujourd'hui.

La discipline s'ouvre à la sociologie en étudiant des contextes musicaux liés par exemple aux musiques urbaines ou à l'immigration (cf. les travaux de Sophie Chevalier sur les pratiques musicales de la communauté portugaise à Paris et dans sa région ou ceux de Mehenna Mahfoufi sur la communauté maghrébine à Lyon et sa région, in rapport commandé par la direction de la musique et de la danse, & la société française d'ethnomusicologie).

Des manifestations musicales originales, riches ou innovantes perdurent ou se (re)créent. Gageons avec optimisme que l'ethnomusicologie n'a pas fini de donner du travail à ses chercheurs.


Traditionnel, populaire, folklorique et autres dénominations

Selon les époques, les pays et les auteurs, on trouvera différentes appellations de la discipline :

ethnologie musicale, ethno-musicologie, ethnophonie, folklore musical, folk-music, géographie musicale, musicologie comparée (vergleichende Musikwissenschaft), musique ethnique, musique exotique, musique folklorique, musique populaire, musiques de haute culture, musiques du monde, musiques extra-européenne, musiques primitives, musiques traditionnelles, world music, etc.

Tous ces termes ne renvoient pas à une même réalité disciplinaire. Le champ d'étude, les outils méthodologiques, l’ethnocentrisme ont beaucoup variés et ont conduits à l'emploi de cette terminologie abondante.

Des mots couramment utilisés aujourd’hui comme "musiques du monde", "musique extra-européenne" ou "musiques traditionnelles" sont certes commodes à employer mais sont sujets à critiques dès lors qu’ils ne cernent pas exactement les limites à peu près établies de la discipline. D'autres débordent complètement du cadre des musiques auxquelles s'intéresse l'ethnomusicologue ou au contraire ne définissent qu'une partie d'entre-elles.

Revenons sur les principales qualificatifs que l’on trouve aujourd’hui.

- Musique des sociétés de haute culture : ces sociétés de "haute culture" désignent les cultures dont l'origine remonte aux premières grandes civilisations urbaines. Elles possèdent un sens de leur histoire grâce à l'utilisation de l'écrit qui fixe le passé et l'archive (par opposition à la tradition orale). Cette dénomination est assez unanimement acceptée en anthropologie. Musicalement, cela va concerner les musiques "classiques" de la Chine, de l'Inde, de l'Indonésie, des pays arabes, etc. On peut toutefois remarquer que ce terme "haute culture" doit en principe s'opposer à "basse culture", ce qui n'est pas le cas. Utiliser une expression renvoyant dans d'autres contextes à un jugement de valeur est préjudiciable. Celà pourrait pousser à considérer que les hautes cultures , celles de l'écrit, sont supérieures hiérarchiquement aux cultures de l'oralité. D'autant que l'on sait que les sociétés qui expriment les modalités de fixation et de transmission de leurs musiques via un support écrit ne se passent pas non plus de l'oralité. Il peut donc sembler plus pertinent, pour des raisons à la fois éthiques et de cohérence scientifique de préférer les termes de "musiques de traditions écrites" et "musiques de traditions orales".

- Musique folklorique : sur un plan étymologique -folklore- désigne, en anglais, le savoir du peuple. Ce terme devrait être synonyme de musique populaire. Or, de façon très dommageable, le terme folklorique renvoie aujourd'hui en Occident le plus souvent à une idée d'archaïsme, à une image de re-création à vocation touristique de pratiques musicales et festives. Il a pu aussi incarner des identités nationales de manière idéologiquement fabriquée (ex. des pays de l'Est). Il est pourtant évident que des groupes folkloriques en France et ailleurs opèrent un véritable travail artistique et patrimonial.

- Musiques archaïques : le terme d'archaïsme définit ce qui date d'une autre époque et apparaît comme désuet ou périmé. Triste sort pour l'ethnomusicologue si son champ d'investigation devait se limiter aux musiques archaïques !

- Musiques du monde : traduction française du terme world-music. Toutes les musiques sont "du monde". Et c'est là la seule critique que l'on peut opposer à cette dénomination souvent usitée : de par son imprécision, elle ne renvoie finalement à rien de très clair. Et si l'on veut entendre par ce vocable "du monde" les musiques autres qu'occidentales, on est en droit de se poser la question suivante : à quel monde appartient la musique occidentale ?

- Musiques ethniques : A décrypter les définitions de l'ethnomusicologie, on aura compris que si cette dernière s'intéresse aux musiques ethniques, elle se penche évidemment bien au-delà. Ce terme ne se valide donc que pour une certaine catégorie des musiques étudiées. A moins de convenir par exemple que les Bretons ou les Basques forment une entité ethnique cohérente, on préférera éviter son emploi dans un contexte général.

- Musiques exotiques : l'exotisme se dit de ce qui appartient à un pays étranger et lointain, de ce qui en provient et se distingue par un caractère original. Si on excepte le côté désuet du terme, on comprend bien à la lecture de cette définition, que l'exotisme n'est pas une composante suffisante pour englober tous les champs pris en compte par l'ethnomusicologie.

- Musiques extra européennes : voilà encore une dénomination souvent employée. L’ethnomusicologie s’intéresse aussi à des musiques européennes !

- Musiques populaires : s'applique étymologiquement à "tout ce qui est propre au peuple, qui s'y rattache ou qui s'y adresse". La musique 'tekno' par exemple est aujourd’hui une musique populaire. Pourtant l’ethnomusicologie ne s’y intéresse pas directement (sinon qu'éventuellement sous un angle d’approche du type : métissages, influences occidentales dans une culture x ou y).

- Musiques primitives : le qualificatif "primitif" est usité pour certaines sociétés très loin du stade de l’industrialisation. On sait évidemment que l'état de développement économique d'une société n'influe en rien sur son degré de complexité musicale. Le terme 'primitif' est à exclure, à mon sens.

- Musiques traditionnelles : Etymologiquement (du latin traditio : action de livrer, de transmettre), ce mot s'applique à tout ce que l'on sait ou met en pratique par transmission le plus souvent –mais pas uniquement- orale, génération après génération. La tradition ne correspond pas nécessairement à tout ce qui est transmis mais à ce qui est reconnu comme venant du passé. On s'en sert constamment pour valider ou invalider la nouveauté. Le qualificatif "musiques traditionnelles" désigne t-il le mode de transmission (oral, par imitation) de la musique ou/et les contextes traditionnels dans lesquels on pratique cette musique ou/et encore la société elle-même qualifiée de traditionnelle ? Mais quelle société n'est pas ou n'a pas de structures fondées sur une tradition ? Il y a aussi des traditions ou des attitudes codifiées très traditionnelles dans la musique classique occidentale; que l'on pense par exemple au public des salles de concert ou de théâtre !

On pourra lire avec intérêt, sur ce sujet, l'ouvrage de Jean During "Quelque chose se passe : le sens de la tradition dans l'Orient musical" (Ed. Verdier, 1994), qui, à partir de l'exemple iranien, passe en revue les différentes notions qui gravitent autour des multiples acceptions du mot.

- World music : catégorie marketing inventée par les maisons de disques dans les années 1980. On range sous cette dénomination toutes les musiques dont les sonorités font appels à des techniques ou des instruments exotiques (selon la définition citée plus haut). On peut y retrouver par exemple un chanteur malien dont la musique emprunte à l'Occident, comme un compositeur français contemporain qui mêlera quelques sons de tablas et de sitar à ses synthétiseurs. Qu'on ne voit là aucune critique sur la valeur esthétique de ces musiques, mais juste l'idée que la world music est souvent assez éloignée de ce qu’étudie l’ethnomusicologie.

Entre tous ces termes et les musiques qui entrent dans le champ d'étude de l'ethnomusicologie, il y a des aires de rencontre, parfois vastes, mais pas d'équivalence exacte. Les musiques ethniques rentrent complètement dans le champ ethnomusicologique mais ne le remplissent pas entièrement. A contrario, les musiques traditionnelles le remplissent aussi en partie mais le débordent largement.

Pour des raisons évidentes de commodité, et parce qu'il n'existe pas de terme en parfaite corrélation, sinon celui de "musiques de l'ethnomusicologie" dont on comprend aisément les réticences qu'il pourrait susciter (par son flou), on ne s'interdira pas l'emploi de certains de ces termes. Il s'agit juste d'avoir conscience de leurs limites sémantiques, et de les choisir précautionneusement.


N'oublions pas, pour finir, que toutes ces catégories sont de purs concepts occidentaux. Un travail de terrain privilégiera les catégories locales, indigènes, vernaculaires.

Y a-t-il une conception universelle de la musique ?

Dans l'esprit et le discours du musicien, du musicologue et même du citoyen non spécialiste, le terme "musique" renvoie le plus souvent à une réalité bien établie et acceptée. Quand bien même une définition exacte du terme est difficile à négocier et que des nuances d'ordre affectives et esthétiques interviennent nécessairement dans certains jugements subjectifs.

Ce "confort intellectuel" est remis en question dès lors que l'on élargit son champ d'investigation dans l'espace et dans le temps. Le "concept globalisant" du terme est loin d'être universellement partagé.

Au Tibet, par exemple, le terme "n'ga-ro" désignera toute émission sonore, qu'elle soit "musicale" ou non et aucun terme n'existe pour cerner le champ que l'on associe en Occident à la musique (Ricardo Canzio).

Le mot "musique" n'a pas d'équivalent non plus en arabe yéménite de même qu'il n'en n'a pas en arabe classique, du moins pas avant le 20è siècle, nous apprend Jean Lambert dans "la médecine de l'âme" (Nanterre, société d'ethnologie, 1997, page 26).

Simha Arom signale que, à sa connaissance, il n'y a aucun terme dans aucune langue africaine pour dire "musique". Il y a bien des mots pour dire "chant", pour désigner certaines catégories de chants, pour les répertorier, mais le mot "musique" n'existe pas; ou encore, il n'y a pas de termes génériques pour "mélodie" ni "rythme" (in "de l'écoute à l'analyse des musiques centrafricaines", analyse musicale n°1, 1985, pages 35-36).

Ailleurs, c'est la danse qui, si étroitement liée à la musique instrumentale, ne se distingue d'elle par aucun mot distinct (chez les Dan de Côte d'Ivoire, le terme "ta" recouvre une catégorie d'expression artistique comprenant la danse, la musique instrumentale et le chant dansé ou dansable).

En Occident, nous donnons au terme une signification plus étroite qu'il en eut à l'origine, puisque, comme nous le montre l'étymologie, il s'agissait d'abord en Grèce antique, de l'ensemble des activités gouvernées par les muses.

On remarquera donc l'impossibilité d'arriver à une définition universellement satisfaisante de la musique au vu des conceptualisations distinctes. "Le fait musical est un fait social et anthropologique total", disait Molino.

L'ethnomusicologue doit donc parfois prendre en compte des champs connexes non musicaux, dans l'acception occidentale du terme, mais pertinents dans celle de la culture étudiée.