Musiques et chants des Amérindiens
Peuples Maya, Totonaque, Cora - Mexique
Native americans music and songs
Maya, Totonac and Cora peoples - Mexico Mexique
Musiques et chants des Amérindiens Peuples Maya, Totonaque, Cora
Durée totale : 68’15
« La flûte s’était tue ; seul, le tambour vibrait à intervalles réguliers, on aurait dit les battements d’un pouls. Cette musique caverneuse, incompréhensible, encerclait l’esprit, faisait battre le cœur à chaque coup, annihilait la volonté. »
David Herbert Lawrence, Le Serpent à plumes, 1926.
Musiques des communautés indigènes du Mexique
Parler de musique indigène pose d’emblée le grave problème de la quasi disparition des traditions musicales antérieures à la colonisation espagnole. “Conquistadores” et missionnaires eurent très vite conscience de l’importance centrale de la musique dans la vie sociale et religieuse des peuples mexicains. Peu après la conquête, Torquemada relate dans sa chronique que “(…) ceux de cette Nouvelle-Espagne [le Mexique] possédaient leurs propres chants et danses idolâtres qu’ils chantaient jour et nuit dans leurs temples”, et il ajoute que cette forme de dévotion “ne devait jamais manquer dans le temple, comme si le démon voulût imiter Dieu qui, en ses Églises, est continuellement adoré de la sorte”. De même qu’ils firent bâtir les églises sur l’emplacement d’anciennes pyramides, les Espagnols s’employèrent à détruire la tradition musicale autochtone ou à l’exploiter à des fins évangélisatrices. Trois ans à peine après la prise de Mexico, le franciscain Pedro de Gante fonde une école de musique à Texcoco (1524) ce qui démontre une relative urgence. En 1555, le “Concilio Provincial Mexicano” ordonne que “les Indiens ne chantent pas leurs chants rituels et histoires anciennes, sans qu’ils soient au préalable examinés par des religieux ou des personnes qui entendent fort bien la langue”. L’évangélisation fut, en ce domaine, d’une grande efficacité d’autant que les indigènes étaient généralement d’une habilité artistique surprenante : “(…) et j’ai entendu des musiciens espagnols affirmer que ce que ces Indiens apprenaient, on ne l’apprenait pas en Espagne en deux ans ; car en deux mois, ils parvenaient à chanter de nombreuses messes, magnificats et motets”. (Memoriales de Motolinia) Aux XVIe et XVIIe siècles, la tradition musicale d’Espagne connaît un âge d’or d’une prodigieuse vitalité : elle brasse indifféremment éléments populaires et savants, et circule librement entre les diverses couches de la société. La conception traditionnelle est radicalement opposée dans les civilisations américaines : chez les Mayas, les Toltèques puis les Aztèques, la musique instrumentale, la danse, le chant sont strictement contrôlés et réglementés par les castes de prêtres. Leur destination est presque exclusivement religieuse et rituelle. L’art musical a un caractère collectif, fonctionnel mais aussi ésotérique et sacré : ainsi la signification de nombre de chants n’était pas connue des “profanes”, pas plus que le symbolisme des danses. L’extrême “fermeture” de cette conception explique, qu’après l’anéantissement des élites religieuses mexicaines, la tradition “ouverte” des Espagnols n’ait guère eu de mal à s’imposer auprès des populations démunies et désorientées. De nos jours, une grande variété de vestiges archéologiques (flûtes et percussions pour l’essentiel) et le témoignage de chroniqueurs attestent, sans pouvoir le ressusciter, de l’extrême richesse du passé musical préhispanique. De nombreuses fêtes ont conservé, de façon plus ou moins consciente, leurs références aux anciennes mythologies. Les tambours sacrés des Aztèques (“teponaztli” et “huehuetl”) sont toujours utilisés de nos jours. Mais le grand paradoxe culturel de la conquête est sans doute que, par souci d’efficacité, les communautés indigènes, dispersées en milieu rural, furent plus soumises à l’influence hispano-européenne que les centres urbains. Dans ceux-ci, les populations métissées développaient sans contraintes, ou presque, une tradition musicale de plus en plus distincte de l’espagnole. D’où il ressort que la musique que l’on peut, à bon droit, appeler “indigène” témoigne le plus souvent d’un conservatisme hispanique étonnant. La réunion d’éléments précortésiens et de traits archaïques espagnols ou européens nous amène à considérer l’art musical indigène du Mexique comme foncièrement “acculturé”, si par acculturation l’on entend l’impossibilité de se référer à un système culturel homogène.
Les Mayas : Ce groupe se partage entre le Guatemala et le Mexique ; au Mexique, ils se trouvent dans les états du Yucatán, Campeche, Chiapas, Tabasco et dans le territoire de Qintana-Roo. Considérés par certains spécialistes d’histoire pré-colombienne comme le peuple le plus brillant d’Amérique, les Mayas, entrés en décadence avant l’arrivée des Espagnols, ont laissé comme témoignage de leur splendeur passée, les ruines d’Uxmal, Palenque, Chichen Itza, etc. Aujourd’hui, ils constituent la majorité du peuplement de cette région, où le métissage biologique a peu joué, à la différence du reste du Mexique. Ils conservent l’usage de leur langue, avec une grande variété dialectale. A l’intérieur de cette grande famille, il faudrait distinguer de nombreuses régions très différentes géographiquement, malgré une relative homogénéité culturelle, 200 000 indigènes sont, de nos jours, rattachés au groupe Maya.
Les Totonaques : Survivants d’un ancien peuple soumis par les Aztèques, ils vivent dans l’état de Veracruz et de Puebla, sur le versant atlantique. Ceux de Papantla célèbrent avec solennité la semaine sainte, Corpus Christi, l’Ascension, la Toussaint et Noël. Comme les deux groupes précédents, ils sont très attachés à la conservation de leurs coutumes indo-coloniales, menacés par la modernisation. Les Totonaques sont au nombre de 50 000 environ.
Les Coras : Dans la sierra du Nayarit (Ouest) vivent quelques 15 000 Coras, peuple combattant tardivement soumis au XVIIIe siècle, appelés “Crocodiles” par leurs voisins Huicholes, car de cet animal ils avaient l’agressivité. Aujourd’hui, paisibles paysans, ils vivent autour de Jesús Maria, Santa Teresa et Mesa del Nayar. Ils célèbrent longuement les fêtes religieuses catholiques, conservant aussi les fêtes agricoles de la fécondité de la terre.
MUSIQUE MAYA
Les Lacandons
Environ deux cents Indiens Lacandons vivent disséminés en hameaux dans la partie Est de l’état de Chiapas, aux confins du Mexique et du Guatemala, sur un territoire de 10 000 km2, montagneux et recouvert d’une épaisse jungle. On les considère comme les plus purs descendants des Mayas. Ils parlent, avec peu de variantes, le maya “classique” du Yucatán. Jusqu’à un passé très récent, les Lacandons étaient pratiquement les derniers indigènes mexicains à conserver dans toute sa pureté leur vie traditionnelle, protégés qu’ils étaient par le milieu naturel. Ils vivaient en complète autarcie (de la culture du maïs essentiellement) et conservaient la tunique ancestrale ainsi que la longue chevelure. Préservés de l’évangélisation, ils continuaient à pratiquer leur religion polythéiste. Ils sont actuellement menacés, dans leur existence même, par la pénétration d’indigènes plus christianisés vers les terres qu’ils habitent et cultivent, ainsi que par l’essor de l’exploitation de l’acajou dans cette région. Par ailleurs, une mission protestante s’est employée à convertir les Lacandons. Tous les témoignages laissent apparaître que la culture musicale de ces indigènes est relativement rudimentaire : peu d’instruments (flûte de roseau, hochets, tambours en poterie, carapace de tortues percutées), chants cérémoniels “monotones” et ne comportant qu’une échelle réduite de notes.
1. SOLO DE FLÛTE
2’47 Région du Lacanhá, Chiapas, septembre 1970. Pièce interprétée par le chef du village (K’ayum Chan K’in Yuk ou Chan K’in Viejo, en photo sur la couverture du livret) sur une flûte de roseau. L’échelle de notes peu développées et la saisissante monotonie la rapproche par le caractère, des chants cérémoniels.
2. “CRISTO ME AMA, LA BIBLIA DICE ASI”
4’09 Région du Lacanhá, Chiapas, septembre 1970. Cet enregistrement et les deux suivants constituent des documents fort intéressants sur l’acculturation musicale au moment même où ce phénomène prend naissance. Il s’agit, en effet, pour le premier exemple, d’un cantique protestant (“Le Christ m’aime, ainsi dit la Bible…”) que les missionnaires protestants ont récemment enseigné aux indigènes dans le même but évangélisateur que les prêtres catholiques de la Conquête. La structure du choral protestant a été pour ainsi dire “noyée” dans une interprétation hétérophonique des plus insolites et la “monotonie” propre aux chants Lacandons a été réintroduite par les exécutants qui répètent à satiété la même séquence.
3. “JESU CRISTO…”
1’42 Région du Lacanhá, Chiapas, septembre 1970. Second exemple de cantique protestant. L’exécution hétérophonique est plus accentuée encore au point que l’on a l’impression d’écouter quelque fugue déformée. Les interprètes sont les mêmes que dans l’enregistrement n° 2, c’est-à-dire le “presidente” du village et un garçonnet.
4. CANTIQUE ET FLÛTE
1’45 Région du Lacanhá, Chiapas, septembre 1970. Interprétation du cantique “Cristo me ama…” auquel s’adjoint la flûte solo (cf. n°1). On ne peut guère parler ici de polyphonie mais plutôt d’une simple superposition, la flûte ne concertant pas vraiment avec les voix. Cette pièce est à rapprocher de l’enregistrement n° 21. Les interprètes sont les mêmes que dans les numéros précédents. Nota : Le chef K’ayum est mort en décembre 1996, à l’âge de 104 ans d’après son fils (d’autres disent … 115 ou 124 ans !). Il a eu 21 enfants avec 4 femmes dont deux lui ont survécu.
Les Tzotzil
Les Tzotzil, également descendants des Mayas, constituent avec les Tzeltal et les Tojolabales un groupe d’environ 130 000 indigènes qui habitent les zones montagneuses de l’état de Chiapas, autour de la ville de San Cristobal de las Casas. L’évangélisation et la conquête ne s’y firent pas facilement : des soulèvements armés eurent lieu aux XVIIIe et XIXe siècles et, de nos jours, le catholicisme de ces communautés est empreint de traditions séculaires et d’apports originaux. Leur musique, malgré un caractère souvent profane (usage de marimbas et d’accordéons), est toujours fonctionnelle, liée au culte ou aux principaux événements de la vie sociale. Elle laisse apercevoir un contact avec la musique des métisses (“ladinos”).
5. CHULMETIC ROSARIO
4’30 Zinacantán, Chiapas, avril 1969. Cette pièce religieuse est chantée pour louer la Vierge du Rosaire (Chulmetic Rosario). Les instruments (violon, guitare, harpe) sont de filiation européenne, mais leur facture est particulière : le violon possède deux cordes ; la guitare en compte douze groupées par trois ; la harpe est accordée selon le mode majeur et comprend treize cordes mélodiques et quatre basses. Malgré l’instrumentation (les anciens Mexicains ne connaissaient pas d’instruments à cordes) et la stricte alternance “tonique-dominante”, cette musique est unique en son genre au Mexique par la majesté du tempo ainsi que la technique vocale qui rappellent sans doute son passé préhispanique.
6. FLÛTES ET TAMBOURS CÉRÉMONIELS
2’21 Zinacantán, Chiapas, avril 1969. Les “toques” de flûte et de tambours servent toujours, à Zinacantán, à annoncer un dignitaire de la communauté, à accompagner une procession, ou à ouvrir une des très nombreuses festivités du calendrier tzotzil. Ici, l’instrumentation paraît être “indigène” (flûte de roseau à trois trous, deux tambours à double peau), mais la musique est certainement plus influencée par l’Espagne : on y trouve un écho probable de la musique militaire qui impressionna fortement les indigènes.
7 et 8. PIÈCES POUR ACCORDÉON
1’47 et 1’05 San Juan de Chamula, Chiapas, septembre 1970. De petits accordéons modernes sont souvent utilisés chez les Tzotzil. La musique d’accordéon reprend les mêmes schémas rythmiques et mélodiques que celle qui est destinée aux instruments à cordes. Sa fonction est également religieuse et l’accordéoniste joue parfois des heures durant, en introduisant fort peu de variations.
9. FÊTE DE PAQUES A CHAMULA
1’39 Chamula, Chiapas, avril 1969. Les alentours de San Cristobal de las Casas, sur les hauteurs de l’état du Chiapas, près du Guatemala, comptent de nombreuses communautés d’indigènes. Ce sont de lointains descendants des Mayas qui ne parlent pas ou peu l’espagnol et s’expriment en dialecte préhispaniques (Tzotzil et Tzeltal principalement). Convertis au christianisme sans grande conviction, les Indiens Tzotzil de Chamula ont conservé très largement leurs traditions et rites anciens. Pendant la Semaine Sainte, l’intérieur des églises est “hérissée” de harpes et de guitares égrainant sans cesse et tristement les mêmes accords. Le jour de Pâques, en revanche, la fête éclate, les cloches battent à la volée, les pétards explosent. On déploie des étendards pauvres mais bariolés, les tambours résonnent. Une sorte de carnaval païen se déroule célébrant la résurrection du Christ.
10. ALFEREZ CAPITAN
1’41 Zinacantan, Chiapas, avril 1969. Flûte de bambou à 3 trous, 2 tambours. Pièce jouée à Zinacantan pour annoncer une fête et célébrer un haut dignitaire de la communauté : l’Alferez, gardien des rites et des traditions. Interprétée par des instruments d’origine préhispanique (les anciens Mexicains ne connaissent pas d’instruments à cordes), cette musique tzotzil paraît paradoxalement plus marquée par l’influence européenne que celle destinée aux violon, guitare et harpe (n° 11 suivant).
11. SAN LORENZO TAVINAJEL
3’39 Zinacantan, Chiapas, avril 1969. Guitare, harpe, violon à 2 cordes, chant. Tant du point de vue de l’harmonie que de la facture et l’accord des instruments (de fabrication locale et aux normes spéciales), cette musique est influencée de façon décisive par le contact européen. Mais le style de l’interprétation semble rappeler un passé culturel plus ancien. Comme toute la musique tzotzil, cette pièce a un caractère religieux et fonctionnel.
MUSIQUE DE VILLAGE DU YUCATÁN
12, 13 et 14. TROIS FANFARES
0’59, 0’57 et 0’53 Bekal, Yucatán, septembre 1970. Bekal est un village situé au cœur de la péninsule du Yucatán près du site archéologique d’Edzna. Chaque année, à l’occasion de la “Fête de la Pluie et de la Vierge”, une famille différente reçoit tous les habitants. La fête est agrémentée par l’exécution de fanfares par la “banda” du village. Les fanfares sont un précieux témoignage de l’acculturation musicale au Mexique. Les “bandas” d’instruments à vent (nos fanfares municipales) ont été popularisées au cours du XIXe siècle et le dictateur Porfirio Diaz fit imposer la construction de kiosques à musique dans tous les villages de la république. L’inspiration des “bandas” est ouverte à toutes les influences, tous les styles musicaux, de l’opérette viennoise à la danse indigène. Ici, se succèdent trois pièces : l’une influencée par les rythmes afro-cubains qui se sont implantés sur la côte atlantique du Mexique ; la seconde est de franche filiation espagnole : on y reconnaît le rythme caractéristique de “la jota” ; la dernière, la plus insolite, est un “blues” nord-américain que la “banda” a inclus à son répertoire.
MUSIQUE TOTONAQUE
Les quatre danses enregistrées à Papantla, lors de la fête de Corpus Christi, fournissent un excellent exemple de ce que sont, de nos jours, les danses indigènes : un langage musical le plus souvent hispanisé (cf.n° 16), un argument chorégraphique qui peut être emprunté aux mythologies européennes (n° 17 et n° 18), une finalité pratiquement toujours religieuse qui perpétue, dans l’esprit sinon dans la lettre, la tradition préhispanique. On peut parler à propos de ces danses d’une véritable “esthétique de la monotonie”, le même thème musical pouvant être répété des heures durant ; l’endurance des danseurs n’en est que plus étonnante et nous rappelle que les danses préhispaniques avaient souvent pour but de provoquer l’extase religieuse des participants : «Avec tout le corps, ils travaillaient à appeler et servir les dieux et c’est pourquoi ce soin laborieux qu’ils mettaient à élever leur cœur et leurs sens jusqu’à leurs démons, et cette persévérance d’une journée et d’une partie de la nuit, ils les appelaient “maceualiztli”, ce qui veut dire “pénitence” et “mérite”» (Memoriales de Motolinia).
15. DANZA DE LOS HUA-HUAS
1’53 Papantla, Veracruz, mai 1970. Cette danse est traditionnellement associée à la célèbre “danza de los voladores” qui est une des plus anciennes que l’on connaisse au Mexique et dont on rencontre des variantes au Guatemala et au Nicaragua. Le caractère symbolique et cosmologique des “voladores” est aujourd’hui établi. “Los hua-huas” sont également apparentés à la danse des “Quetzalines” (état de Puebla) ainsi qu’en témoigne l’instrumentation (une flûte de roseau à quatre trous et un petit tambour à deux peaux joués par le même exécutant) et les parures des danseurs (de grandes coiffes circulaires autrefois en plumes précieuses de quetzal).
16. DANZA DE LOS NEGRITOS
2’22 Papantla, Veracruz, mai 1970. Danse réputée pour la qualité de ses exécutants et la difficulté de son “zapateado” (pas de danse d’origine andalouse, particulièrement vif). Le violon et la guitare, de facture courante, ainsi que la ligne mélodique font de cette pièce l’une des plus “hispaniques” du répertoire totonaque. Cependant, son symbolisme nous échappe : tous les ensembles de “negritos” (s’agit-il d’une allusion aux groupes d’esclaves noirs ayant vécu dans la région de Veracruz ou simplement à la parure noire des exécutants ?) comportent un danseur déguisé en “mariée” dont la présence équivoque n’est pas élucidée.
17. DANZA DE LOS SANTIAGUEROS
3’59 Papantla, Veracruz, mai 1970. Il s’agit, là, à proprement parler de théâtre religieux, vivant vestige, semble-t-il, du Moyen Âge européen et comparable au théâtre oriental. La musique constitue un fond à l’action mais a, en même temps, un caractère directement dramatique. Aucun “lieu scénique” ne sépare les musiciens, acteurs et public. Des scènes de la vie de Saint Jacques (Santiago) sont reconstituées avec une extrême stylisation. Le jeu est dicté par le débit monocorde et rapide du récitant (en espagnol archaïque) et s’agrémente de combats à l’épée et d’interventions de bouffons. Les musiciens jouent d’une longue flûte en roseau et d’un tambour de type militaire.
18. DANZA DE CRISTIANOS Y MOROS
2’26 Papantla, Veracruz, mai 1970. Les luttes entre Maures et Chrétiens, d’une telle importance dans l’histoire de l’Espagne et dans la tradition lyrico-narrative des “romances”, trouve un écho au Mexique dans nombre de “Danzas de Cristianos y Moros”. À la différence du numéro précédent, l’élément chorégraphique l’emporte sur le théâtral (avec pour point commun la lutte contre les Maures que symbolisait Saint-Jacques en Espagne). Les danseurs sont divisés en deux groupes s’affrontant en des combats stylisés. Ils se différencient par leurs emblèmes : casques parés de demi-lunes pour les Maures, panaches aux couleurs du drapeau mexicain pour les Chrétiens. Cette dualité se retrouve dans d’autres danses à caractères préhispaniques : on peut donc se demander s’il s’agit là d’une reconstitution “historique” ou du travestissement d’anciennes danses symboliques (flûte de roseau et tambour militaire ; sonnailles des danseurs).
MUSIQUE CORA
Les enregistrements suivants ont été effectués à Jesús Maria (état de Nayarit) à l’occasion de la Semaine Sainte (avril 1970). A cette époque de l’année, les Amérindiens Coras qui vivent en “rancherias” (petits hameaux) dispersés dans la montagne, se réunissent à Jesús Maria où se trouve l’église pour célébrer la Passion et la Résurrection du Christ. En fait, c’est à un véritable carnaval “païen” que l’on assiste et la tradition chrétienne n’offre que des repères à des rites d’une complexité et d’une minutie remarquable. La musique tient une place considérable dans le déroulement de la fête. Les témoignages de missionnaires jésuites du XVIIIe siècle (“Apostolicos afanes de la Compañia de Jesús”) indiquent que les Coras possédaient l’arc musical qui fut peut-être le seul instrument à cordes pré-hispanique. De nos jours, ils n’emploient guère que des flûtes et des percussions. Leur musique reste rigoureusement fonctionnelle. Pour endurer la longue semaine de festivité, les Coras ont recours à une drogue, le “peyote”, dont l’usage séculaire fut également observé par les Jésuites : “racine diabolique qu’ils buvaient, une fois moulue, pour ne pas ressentir l’épuisement de si longues fêtes”.
19. MUSIQUE DU VENDREDI SAINT
1’56 Jesús Maria, Nayarit, avril 1970. A chaque journée de la Semaine Sainte est affectée une musique différente dont l’instrumentation reste fixe : une flûte de roseau à 6 trous et un petit tambour à une peau, percuté par deux baguettes et recouvert d’un drap noir. Les musiciens accompagnent les groupes de Coras déguisés en “Juifs” et chargés de poursuivre le Christ. Ils jouent également lors des pauses, entre chaque phase de la Passion, et la musique est alors dansée.
20. DANSE “MARITSE” (DANZA DE LA TORTUGA)
1’18 Jesús-Maria, Nayarit, avril 1970. Cette danse est un exemple très révélateur du caractère “païen” de la Semaine Sainte Cora. Exclusivement exécutée par des hommes (les femmes ne prennent d’ailleurs pas part aux fêtes), elle donne lieu à des parodies d’accouplements homosexuels. Elle reste cependant plus proche d’une bouffonnade humoristique que d’un rituel érotique. L’accompagnement instrumental est le même que dans le numéro précédent mais les danseurs marquent un certain nombre de pauses en entrechoquant des sabres de bois (les armes des “Juifs”).
21. MUSIQUE D’ÉGLISE CORA
2’57 Jesús-Maria, Nayarit, avril 1970. Une musique d’un caractère particulier est destinée à l’accompagnement des rites pratiqués à l’intérieur de la petite église de Jesús-Maria. Musiciens métis et indiens se réunissent en une formation orchestrale des plus insolites qui comprend : quatre violons, quatre “guitarras sextas” (guitare de type moderne), un tambour, un triangle et une flûte. Les instruments à percussion et la flûte sont joués par des Indiens. La partie de flûte est tout à fait indépendante de la mélodie jouée à l’orchestre. Le flûtiste est debout et avancé pour se distinguer du reste des musiciens. La parenté de la partie de flûte avec les accents plaintifs accompagnant la capture du Christ donne à penser qu’elle symbolise la voix douloureuse se mêlant à la légèreté d’une musique plus mondaine. Mais, peut-être, peut-on y voir aussi la volonté de mettre en valeur symboliquement la tradition musicale indigène qui ne connaissait pas les instruments à cordes.
22. LAMENTATIONS ET DANSE DES “JUIFS”
1’35 Jesús-Maria, Nayarit, avril 1970. Durant la journée du Vendredi Saint, le Christ (joué par un petit enfant) est poursuivi à travers tout le village, suivant un parcours bien déterminé : à plusieurs reprises “l’enfant-Christ” prend refuge dans une maison. Les “Juifs”, dont les corps sont, ce jour-là, peints de noir, l’attendent à la porte après une course haletante. Lorsqu’il sort, tous se prosternent, comme atteints par la grâce, et se lamentent. Après une pause marquée par une danse, la poursuite reprend (même instrumentation que précédemment)
23. CAPTURE ET PROCESSION DU CHRIST CAPTIF
3’11 Jesús-Maria, Nayarit, avril 1970. Dans la soirée du Vendredi a lieu la capture du Christ. Une statue du sauveur est apportée sur le parvis de l’église. Elle est aussitôt entourée par des “centurions” (vêtus de blanc) qui l’enferment symboliquement dans une cage improvisée par de longues lances de bois. Le moment de la capture est d’une grande intensité émotive. Les lances s’entrecroisent avec fracas autour du Christ, alors que le tambour est percuté frénétiquement. Aussitôt commence la procession du captif qui fait le tour du village. La flûte exhale une sorte de longue plainte, cependant qu’on a recouvert le tambour d’un drap blanc. Le bruit d’une chaîne symbolique, régulièrement agitée, ponctue la marche douloureuse du Christ.
MUSIQUE DE PUEBLA
24.CHIRIMIAS I
1’41 Carnaval de Huexotzingo, Puebla, mars 1969. 2 tambours, 2 chirimias. Près de Puebla, au-delà des célèbres volcans qui ferment la vallée de Mexico, Huexotzingo est un ancien royaume préhispanique de culture Nahuatl. Opposé par son profond pacifisme aux Aztèques guerriers et dominateurs, il s’est illustré sous le règne du roi Tecayehuatzin (fin du XVe siècle) comme capitale des arts : “(…) maison de la musique, des livres de peinture, maison des papillons (…)” (Cantares Mexicanos). Durant le carnaval qui s’y déroule de nos jours, de nombreux groupes de musiciens jouent de la chirimia. Il s’agit d’un hautbois primitif qu’apportèrent les Espagnols après la conquête. Il était utilisé dans la musique ancienne ibérique.
25. CHIRIMIAS II
1’54 Carnaval de Huexotzingo, Puebla, mars 1969. 1 chirimia, 1 rejuinto de chirimia, 2 tambours. Le répertoire des joueurs de chirimia est le plus souvent puisé dans des airs à la mode que la facture ancienne des instruments “défigure” suffisamment pour les rendre méconnaissables.
26. DANSE DE L’OURS
1’44 Carnaval de Huexotzingo, Puebla, mars 1969. Violon, tambourin. Ce carnaval est l’un des plus célèbres du Mexique. Dans la pétarade des fusils archaïques bourrés de poudre, une curieuse danse est exécutée. Un danseur déguisé en ours imite la démarche pataude et grotesque de l’animal rythmée par le tambourin et un petit violon.
27. FANFARE MILITAIRE
1’03 Carnaval de Huexotzingo, Puebla, mars 1969. Nous avons ici préféré l’aspect documentaire à la valeur purement musicale. C’est la présence des troupes de Napoléon III, venues soutenir l’empereur Maximilien au XIXe siècle, qui explique le style français de cette marche militaire. L’uniforme des Zouaves, revêtu en signe d’amicale dérision le jour du carnaval, perpétue le souvenir de leur intervention.
MUSIQUE DE JALISCO
28. BANDA DE LOS MARINEROS
3’00 San Juan de los Lagos, Jalisco, février 1969. Ensemble d’instruments à vent et percussions. Corporations de danseurs, clowns et mimes, groupes de Mariachis, “bandas” d’instruments à vent voisinent à San Juan de los Lagos pour rendre hommage à la Sainte Vierge. La banda ou fanfare a un rôle particulièrement important dans la vie musicale mexicaine, comparable peut-être à celui des sonneurs municipaux (Stadtpfeiffer) des villes allemandes du XVI au XVIIIe siècles. “Leur répertoire est très varié et comporte non seulement des “mananitas” et de la musique pour accueillir les notables, mais aussi des danses traditionnelles et de la musique destinée au culte, aux concerts de midi et à la sérénade de rigueur la nuit. Ce répertoire inclut les ouvertures les plus connues, des fragments d’opéras, des valses de Strauss et de compositeurs locaux.” (Samuel Marti).
29. DANSE DES SABRES
1’31 San Juan de los Lagos, Jalisco, février 1969. La formation enregistrée lors du pèlerinage annuel de San Juan de los Lagos fait partie de la corporation des “concheros”, nom provenant de la guitare utilisée, la “concha” dont la caisse de résonance est faite d’une carapace d’animal. Comme les bandas, les concheros sont de toutes les fêtes, parés d’étoffes et de plumes magnifiques. La danse stylise un combat, prétexte à des figures très complexes où s’entrechoquent des sabres qu’on reconnaîtra aux cliquetis.
30. DANSES DE AGUASCALIENTES
1’51 San Juan de los Lagos, Jalisco, février 1969. Violon, gros tambour. Dès quatre heure du matin, bravant l’obscurité et le froid, les premières formations de danseurs arrivent sur le parvis de l’église, attendant que celle-ci ouvre ses portes aux pèlerins emmitouflés et fervents. C’est le début d’une réjouissance populaire qui va durer jusqu’au soir, véritable défi à l’endurance physique jeté par les danseurs dont le costume rappelle celui des anciens Aztèques. Au violon “colonial”, jouant sans cesse le même thème très simple, est associé le tambour “préhispanique” qui confère à la danse un caractère vif et guerrier.
31. CHANTS DES PELERINS
2’48 San Juan de los Lagos, Jalisco, février 1969. San Juan de los Lagos est le lieu d’un important pèlerinage annuel au début du mois de février. Pour adorer la Vierge apparue à un Indien, des milliers de pèlerins affluent de toutes parts en d’interminables processions d’où s’élèvent des chants d’une pénétrante beauté. Beaucoup ont mis un mois pour venir à pied de la capitale (environ 400 km). Cette dévotion populaire, en même temps que les chapeaux et les bâtons des pèlerins, évoquent irrésistiblement notre Moyen-Âge (dont le Mexique se rapproche par le record de jours de fête par an qu’il détient). Les concheros escortent les pèlerins lors de leur entrée à San Juan et le rythme de leurs tambours ponctuent les louanges à la Vierge.
Textes : François Jouffa et Serge Roterman.
Enregistrements de François Jouffa, Maurice Moréa et Serge Roterman, en février, mars, avril et mai 1969, puis en avril, mai et septembre 1970.
Photos : Sylvie Jouffa, François Jouffa, Maurice Moréa, René Raffray et Serge Roterman.
Ce disque est un hommage à José Raúl Hellmer (1913, Philadelphie, USA - 1971, Mexico, Mexique), le grand musicologue mexicain.
Remerciements à Demetrio Sodi, secrétaire général de l’Institut Indigéniste Interaméricain (Mexico), et à Carlos Dorhenburg. Aussi à Marcel Rothel et Marcelle Legrand.
Traduction anglaise : Adriana Casanova Roterman et Susie Jouffa.
Montage 2009 et premastering : Christophe Hénault, Art & Son Studio à Paris.
Conseillers technique et artistique : Alexis Jouffa et Benjamin Goldenstein.