La seule chasse ouverte toute Vannée, la seule qui crée au lieu de détruire : la chasse au son. Elle aussi a ses Tartarin et ses Nemrod, Au nombre de ces derniers, Gérard Krémer, qui, étant en outre un grand voyageur, est en passe de composer, de tableau de chasse en tableau de chasse, un panorama musical du monde entier.
Cette escale d'aujourd'hui, en Polynésie, ne sera pas la moins attachante. Malgré l'ombre jetée sur elle par les expériences atomiques et par l'institution du tourisme, Tahiti garde une puissance de fascination exceptionnelle. Il n'est guère que Bali pour avoir inspiré autant d'épithètes séduisantes. On n'a que l'embarras du choix, et qui date de plus de deux siècles.
Bien qu'arrivés sur une frégate appelée «La Boudeuse», M. de Bougainville et ses marins sacrifièrent tant et si bien à Vénus que Vile ne pouvait recevoir d'eux d'autre nom que «La Nouvelle Cythère». Du Capitaine Cook, celui de «Terre chérie». Et ainsi de suite.
Que de propos enthousiastes également au sujet de ce Quatorze Juillet de Tahiti que sa longue durée a fait appeler «le» Juillet !
De tous ceux que j'ai entendus jusqu'à ce jour, celui-ci est le plus vivant. Peut-être parce qu'il en va des «Juillets» comme des récoltes vinicoles et que Gérard Krémer est tombé sur une très bonne année. Mais plus sûrement encore parce que la qualité de ses prises de son le rend particulièrement présent, nous y fait presque participer et, en tout cas, déclenche le voyage en imagination qu'il souhaitait.
Pour preuve du soin apporté par Gérard Krémer à ses réalisations, je vous dois, me semble-t-il, la petite information suivante. N'ayant pas eu la possibilité de s'assurer sur place de la totalité des titres qu'il avait enregistrés, il s'adressa à l'Association des étudiants tahitiens de Paris pour que ceux-ci l'aident dans l'identification restant à faire. Or, l'identification faite, ils demandèrent à réentendre les bandes, tant ils les trouvaient bonnes et fidèles.
D’où que vous soyez, de Lille ou de Marseille, de Toulouse ou de Strasbourg, je vous vois mal être plus Tahitiens que les Tahitiens. Et c'est donc à coup sûr que je vous souhaite un excellent Juillet. En quelque mois que ce soit.
JEAN THÉVENOT (1972)
Arès le Capitaine Wallis (1767) et à la veille de la Révolution française, le Comte de Bougainville débarqua, en plein Pacifique, sur une merveilleuse île qu'il nomma « la Nouvelle Cythère » (1768). Un an après, le Capitaine Cook, faisant la même découverte, demanda aux indigènes le nom de leur île ; ils répondirent : c'est "Tahiti" (Otaïti). Depuis, les travaux des ethnologues nous ont appris que ces indigènes, tes Maoris, étaient d'anciens navigateurs et qu'ils seraient venus d'îles lointaines toujours situées du "côté sous le vent" c'est-à-dire à l'ouest (îles de la Sonde et Malaisie),
Certaines théories tendent à prouver le contraire (expédition du Kon-Tiki, en 1947, voulant démontrer que les Polynésiens seraient venus du Pérou). Néanmoins, pour les Polynésiens le soleil couchant symbolise la mort et la terre des esprits vers laquelle ils retournent, mais le soleil levant représente le symbole de la vie, de l'espérance et des terres nouvelles. Chassés par des peuplades conquérantes, les Maoris quittaient généralement leur archipel lors d'une inversion du vent dominant pour se diriger vers des terres que les prêtres en transes ou les initiés affirmaient exister du côté du soleil levant. Les premières migrations auraient commencé au début de l'ère chrétienne. Ces extraordinaires navigateurs emportaient avec eux leurs coutumes, leur langage, leurs dieux et leurs cochons, dit-on ! Les divinités étaient honorées, en plein air, sur des autels de pierre en forme de pyramide tronquée : les maraé. Les divinités étaient nombreuses : Taaroa (Dieu créateur), Oro (Fils de Taaroa), Tané (Dieu de la guerre), Rà (Dieu soleil), Maui (Il fit sortir les îles de la mer en les péchant), Hiro (Dieu des voleurs). Le premier homme déifié, Tiki, créa avec du sable la première femme, Ahuoné, avec laquelle il eut une fille, Hina. Tiki s'éprit d'Hina, qui de honte se réfugia dans la tune, car sa mère avait surpris leur liaison. Depuis,
Hina règne sur la physiologie des femmes.
L'arrivée des premiers navigateurs européens bouleversa l'histoire de Tahiti. Pomaré Ier fonda une dynastie qui dura un siècle (du 18e au 19e). Pomaré V, le dernier, peu apte à supporter les problèmes du pouvoir, abdiqua en 1880 en faveur de la France. Papeete devint alors la métropole des Etablissements
français de l'Océanie, qui rassemblèrent progressivement les îles voisines, dont, la dernière en date, Bora-Bora (1888). L'administration civile s'y installa et ce fut le début d'une ère nouvelle.
Il n'y a peut-être pas de pays au monde où la prise de la Bastille soit célébrée avec autant d'éclat qu'en Polynésie française bien qu'elle n'ait véritablement aucune signification pour ses habitants (Tahiti venait juste d'être découverte au moment de la Révolution française). Pendant plusieurs semaines, toute l'activité des îles se trouve bouleversée par les festivités du juillet polynésien : le Tiuraï ("déformation du mot anglais July). Des petites baraques en planches recouvertes de feuillage sont installées çà et là afin de satisfaire le goût des Polynésiens pour les réjouissances en commun "Nous aimons faire la -bringue", disent-ils). Cette grande kermesse vous offre des dancings, des stands de tir, des manèges (les chevaux de bois appelés papio), des loteries où, si vous avez un peu de chance, vous gagnerez une noix de coco, un réveil ou un paréo (vêtement tahitien). Les concours de javelots, les courses de pirogues à voiles et de porteurs de fruits contribuent à faire revivre quelques traditions ancestrales.
Les Polynésiens, la fleur de tiaré (emblème de Tahiti) à l'oreille, aiment les plaisirs des îles : l'amour, la musique et la danse (sans oublier l'alcool). Plusieurs soirées sont consacrées aux concours de danses et de chant qu'ont répétés inlassablement, pendant des mois, les groupes des différentes îles. C'est
alors un véritable feu d'artifice de rythmes, de mouvements, de grâce et de beauté: des vahinés à la longue chevelure noire, au teint cuivré meuvent harmonieusement leur corps à la peau de satin.
Ces documents sonores ont été recueillis au cours de ces soirées, à Bora-Bora (île sous le vent) et à Papeete (Tahiti).
Si vous êtes "fiu" (expression tahitienne signifiant «en avoir par-dessus la tête») de votre pays, rêvez quelques minutes en écoutant ce juillet polynésien, qui évoque les temps où les pirogues fleuries chargées de vahinés accueillaient les navires, pour vous conduire vers les îles où l'amour, la musique
et la danse s'épanouissent au soleil.
INSTRUMENTS
Toéré : Tambour polynésien, fait d'un morceau de tronc d'arbre évidé (bois de tou, très dur) sur lequel on frappe avec des baguettes.
Pahu : Tambour recouvert d'une peau de requin.
Guitare : Elle fut introduite par les navigateurs espagnols et devint l'instrument national indispensable.
Ukulele : Petite guitare à quatre cordes (sol, do, mi. la) inséparable de la musique polynésienne.
CHANTS
Himéné tarava : Chœurs polyphoniques sans accompagnement interprétés par les vieux des villages selon des règles immuables de dissonances sauvages, retraçant les hauts faits des ancêtres (antiques légendes des îles).
Uté : Solo improvisé et rythmé par un chœur d'hommes et de femmes. Souvent, il s'inspire d'un thème très simple d'amour brisé (expression parfaite de l'âme tahitienne).
Chant Paumotou : On désigne par Paumotou les habitants de l'archipel des îles Touamotou, situées à l'est de Tahiti.
DANSES
Otéa : Danse en groupe sur accompagnement de batterie (toérés et pahus) dans laquelle on retrouve les gestes symboliques des guerriers et des pêcheurs.
Aparima : Danse chantée, généralement exécutée assis, mimée avec des mouvements gracieux des bras, des mains et des doigts.
Pao'a : Figure de danse individuelle de courte durée: souvent elle est improvisée par la danseuse qui se place au milieu de ses partenaires disposés en cercle.
GÉRARD KRÉMER