Musiques du Rajasthan


Immense région semi-désertique à l’ouest de l’Inde, le Rajasthan, pays des Maharajas, est né de la fusion de petits royaumes qui furent sous protectorat britannique jusqu’en 1948. C’est l’un des plus
grands Etats de l’Inde : 342.000 km2 et 32 millions d’habitants appelés les Rajpoutes.

Dans la tradition populaire du Rajasthan, on distingue deux sortes de musiciens : les professionnels et les non-professionnels. Ces derniers font de la musique d’une manière spontanée durant les fêtes, les pèlerinages ou tout simplement pour se distraire. Quant aux musiciens professionnels, ils forment des communautés qui sont liées à une ou plusieurs castes par une sorte de contrat ancestral, au terme duquel ils doivent fournir des prestations musicales en de nombreuses occasions, telles que naissance, mariage, funérailles, offrandes religieuses ou divertissements. Les différentes communautés de musiciens se distinguent par l’origine, le statut social, le répertoire et les instruments de musique utilisés ; c’est le cas des Langa et des Manghaniyar.

Les Langa sont les musiciens des Sindhi-Sipahi, caste de petits éleveurs et de pasteurs, qui vivent à demi sédentarisés dans cette région de sable et de soleil, le désert de Thar. Les langa possèdent également quelques troupeaux de vaches et de chèvres ; ils sont aussi bien chanteurs que musiciens et se divisent en deux groupes, selon qu'ils jouent des instruments à cordes : vièles sarangi (1, 3, 12, 15); ou à vent (2, 5, 6, 8 ,14 : flûte ou hautbois) ; certains d'entre eux jouent de la guimbarde (4, 10) ou accompagnent musicalement les spectacles de marionnettes (7).

Les Manghaniyar, dont le nom vient de « manghana » qui veut dire mendier, appartiennent à une autre communauté de musiciens du désert ; possédant quelques arpents de terre, ils sont néanmoins très pauvres et la musique constitue souvent leur principale source de revenus. Ils utilisent la vièle kamayacha, le tambour à deux peaux dholak et les claquettes appelées khartal (9, 11, 13).

Les enregistrements réunis sur ce disque ont été recueillis en direct, sur le terrain, parmi les communautés de musiciens du Rajasthan.


1. DANSE RAJPOUTE
Sindhi sarangi, dholak



Cette danse est jouée sur une vièle appelée sindhi sarangi car il provient du Sind, province pakistanaise voisine.
On désigne par vièle la catégorie des instruments à cordes de la famille du luth, dont le son est produit par frottement sur les cordes avec un archet—vièles, violes, violons). Creusée dans un seul bloc de bois, la caisse a une forme de huit. Le manche est court et large, de manière à pouvoir recevoir en plus de ses quatre cordes mélodiques, de nombreuses cordes sympathiques qui vibreront sous l’archet de l’exécutant. Ses flancs sont étroits et la partie supérieure n’est pas recouverte de parchemin mais
reste ouverte. Il est accompagné par le tambour dholak, allongé, qui est frappé sur les deux faces, pour donner l’unité rythmique de la danse.
Cet instrument est considéré avec mépris par les castes supérieures. Ce sont des musiciens de castes inférieures qui l’utilisent, spécialement dans la musique de danse et le répertoire théâtral.


2. SOLO DE FLÛTE DOUBLE
Satara

Au Rajasthan, la flûte double satara est aussi appelée selon les communautés et les régions : pawa ou alghoja. Elle se compose de deux flûtes à bec, en bois, d’environ soixante centimètres de longueur chacune, dont l’une sert à produire un effet de bourdon (flûte femelle) et dont l’autre sert à la
mélodie (flûte mâle). Ici, le musicien Langa utilise la technique de la respiration circulaire. Le souffle continu permet de produire simultanément une mélodie rythmée et un bourdon stable et ininterrompu. L’air inspiré par le nez est simultanément exhalé par la bouche dans les deux flûtes, sans jamais
briser le cours de la respiration, ce qui est appelé respiration circulaire.


3. CHANT TRADITIONNEL DU MARWAR
Ravanhata

Jodhpur fut la capitale de l’Etat de Marwar qui devint, au XVème siècle, le plus vaste royaume du Rajasthan. Les Sarangiya Langa sont des chanteurs s’accompagnant eux mêmes avec une vièle. Ici, l’instrument utilisé, le ravanhata, est une vièle à long manche formé d'une tige de bambou et d’une demi-noix de coco tendue de cuir. On attribue son nom au Dieu Ravana qui fit apparaître l’archet sur la terre. Des clochettes fixées à l’archet scandent le rythme quand il glisse entre les cordes. C’est un instrument typiquement populaire.


4. IMPROVISATIONS SUR UNE GUIMBARDE


Au Rajasthan, la guimbarde s’appelle morchang et est réservée aux hommes. Elle mesure une quinzaine de centimètres de long. Elle est composée d’une languette métallique flexible dont une extrémité reste libre, l’autre étant fixée sur un cadre ouvert ou fermé, en fer forgé ou en acier, sur lequel prennent appui les mâchoires entrouvertes, entre les incisives. La languette, qui fait office d’excitateur, est pincée avec l’index droit et émet un son fondamental qui, selon la position des lèvres, des mâchoires et de la langue, se trouve amplifié. On peut jouer des mélodies grâce à l’étendue de ses harmoniques. Il n’y a pas de répertoire spécifique pour la guimbarde et la plupart du temps, il s’agit d’improvisations comme ici.

5. SOLO DE FLÛTE DOUBLE
Satara

Les Langa se divisent en deux sous groupes qui se différencient d’après les instruments qu’ils utilisent. Les Sarangiya Langa sont des spécialistes d’instruments à vent; ici, le musicien Langa utilise la flûte
double appelée satara. Il adjoint un effet de bourdon sur la flûte jumelle de celle sur laquelle est jouée la mélodie.

6. MUSICIENS DU FORT DE JODHPUR
Shanai, nagara

Les Maharajas, qui gouvernèrent le Rajasthan jusqu’à l’indépendance de l’Inde, entre tenaient à leur Cour des musiciens. Parmi eux, les Nagarshi, joueurs de timbales, nagara, appartenaient à des formations instrumentales appelées naubat. Elles comprenaient une ou plusieurs paires de timbales et
des hautbois, les shanai. La paire de timbales utilisée par les musiciens du Fort de Jodhpur se compose du nagara mâle dont la caisse hémisphérique est en cuivre et du nagara femelle plus petite et en fer. Elles sont toutes les deux couvertes de peaux de buffle tendues sur lesquelles le chef du groupe instrumental frappe avec deux baguettes effilées, en bois très dur, les shoba.
Deux hautbois appelés shanai se joignent aux timbales nagara.


7. LE KATPULI
Chant, tambour dholak

Le «katpuli» est une forme de spectacle propre au Rajasthan. Il met en scène des marionnettes à fils représentant des personnages et des animaux pour faire revivre les légendes et récits du passé. Le spectacle est accompagné par un chanteur jouant du tambour dholak, tandis que le marionnettiste
souffle dans une sorte de sifflet.

8. SOLO DE FLÛTE DOUBLE
Satara

Instrument traditionnel des gardiens de troupeaux du désert, la flûte double satara a été adoptée depuis des générations par les musiciens Langa. Ils en exploitent les ressources musicales avec une rare virtuosité et une technique consistant à alimenter la flûte sur laquelle est jouée la mélodie avec
un souffle rythmé et la flûte bourdon avec un souffle continu.


9. DANSE TRADITIONNELLE DE JAISALMER
Kamayacha, dholak

La vièle kamayacha est l’instrument favori des Manghaniyar. Elle mesure environ 70 centimètres de longueur et est composée d’une caisse hémisphérique et d’un large manche, taillés dans un seul bloc de bois de manguier. L’ouverture circulaire de la caisse de résonance est recouverte d’une peau de
chèvre. La communauté des Manghaniyar est concentrée autour de la ville de Jaisalmer, importante cité caravanière au cœur du désert de Thar. Autrefois, elle prospéra miraculeusement grâce au commerce et aux droits de péage. Ses Princes devinrent si riches que l’un d’entre eux put, au début de ce siècle, acheter en Europe 775 meubles en argent massif pour agrémenter son palais. Les Maharajas de Jaisalmer affirment descendre du Dieu Krishna, filiation qui les apparente à la race lunaire.


10. SOLO DE GUIMBARDE

Le résonateur constitué par la cavité buccale de l’instrumentiste permet de modifier le son produit par la guimbarde et de le renforcer.

11. CHANT TRADITIONNEL DE KHURI
Kamayacha, dholak, khartal

Ces jeunes chanteurs vivent en plein désert dans le village de Khuri. Les instruments qui accompagnent leur chant sont : la vièle kamayacha dont le nom, sinon la forme, rappelle celui de l’instrument persan, également à cordes frottées, kamanche, le tambour à deux peaux dholak et les claquettes khartal.
Les Manghaniyar sont réputés pour leur virtuosité dans le jeu de khartal qui consiste en deux paires de minces plaquettes de bois dur, que le musicien fait s’entrechoquer dans chacune de ses mains, à la manière des castagnettes espagnoles.


12. DANSE TRADITIONNELLE DU RAJASTHAN
Sindhi sarangi

Cette danse est jouée sur la vièle sarangi, instrument massif en bois, à table de peau.
Les temps forts sont accentués par le tintement des grelots. Chez les Langa, les hommes se consacrent très tôt à la musique, jouant pour eux-mêmes, composant, perfectionnant leur style ou leur technique,
et formant la jeune génération des musiciens.


13. CHANT TRADITIONNEL MANGHA-NIYAR
Kamayacha, dholak, khartal

Les Manghaniyar ne semblent pas être attachés à une caste particulière et entretiennent des rapports particuliers avec les Charan, caste de bardes, poètes et historiens. Leur répertoire comporte des milliers de chants d’origine et de caractère différents, qui célèbrent avec un égal lyrisme l’amour profane et l’amour sacré.


14. SOLO DE FLÛTE DOUBLE
Satara

La technique de la respiration circulaire décrite précédemment est utilisée par ce musicien. Le tuyau mélodique est placé au centre de la bouche et le bourdon dans la commissure droite. Ce dernier a le bec introduit à l’envers de telle manière que les trous soient placés au-dessous du tuyau bourdon ; ainsi, ils ne peuvent pas être, par inadvertance, obturés par les doigts de la main droite qui travaillent sur ceux du tuyau mélodique. Les deux flûtes sont soutenues par le pouce droit de l’interprète.


15. DANSE DE PUSHKAR
Sindhi sarangi

Invisible sur une carte à grande échelle, Pushkar est le centre spirituel du Rajasthan. Chaque année, au moment de la pleine lune de novembre, des milliers de pèlerins viennent se purifier dans le lac sacré de Pushkar. En même temps se déroule la grande foire aux dromadaires qui réunit toute la population du Rajasthan. Le mot «sarangi» signifie «mille nuances» et est attribué en Inde à plusieurs types de vièles. Ici, l’instrumentiste utilise la sindhi sarangi, d’origine pakistanaise.


GÉRARD KRÉMER