Le flamenco



L’origine du mot flamenco est fort douteuse et fait l’objet de nombreuses interprétations. Le musicologue J. Rodrigez MATEO (La copla y el canto popular en Andaloucia, 1946) le rapproche du terme flameante (c’est-à-dire ce qui est brillant, voire resplendissant) alors que Manuel Garcia MATO (El canto flamenco, 1950) lui attribue le sens de flaman (clair) et d'enflammé pour définir le style et le tempérament passionné des pratiquants de cet art (gitans ou non).

Circonscrit à la région d’Andalousie, le flamenco façonné par les influences maures et gitanes, semble s’être élaboré au cours du premier quart du XVIIIe siècle : le cante s’extériorise avec l’apparition des premiers chanteurs “reconnus” (dont Tio Luis de la Juliana, à Jerez aux environs de 1775).

« On peut affirmer sans risque d’erreur que les premiers chanteurs connus sont tous gitans. L’adoption du flamenco par les payos (andalous non gitans) ne se fera que dans la seconde moitié du XIXe siècle... » (Flamenco Parcours d‘un art, Éric Perez, PUL 1992). C’est à cette époque que s’ouvrent les Cafés de “Cante” (2) (les Cafés Chantants) où l’on vient entendre des chanteurs accompagnés ou non de danseurs. Il se produit alors un engouement pour tout ce qui est gitan : costumes, fêtes, chants, danses... En 1922, Manuel de Falla, Frederico Garcia Lorca, Andrés Segovia ainsi que d’autres artistes organisent le Concours de Cante Jondo afin de promouvoir le chant flamenco.
Aujourd’hui, le flamenco, continue sa route portant toujours en lui l’émotion et la sensibilité gitanes si particulières à l’Andalousie.

Le flamenco est avant tout un art de soliste : jamais de duos, encore moins de chœur, rarement plus d’un danseur ou d’un guitariste à la fois.

Pendant longtemps on a réparti le chant flamenco en trois grandes catégories :

  • le cante grande ou jondo (grand chant - chant profond),
  • le cante medio (chant intermédiaire),
  • le cante chico (petit chant).


2. Le premier s’ouvre en 1842 à Séville. Dix ans plus tard, on compte plus de 60 Cafés Chantants dans les principales villes d’Andalousie. Les plus grands disposent d’une salle de spectacle d’environ 500 places. Silverio Franconetti sera la grande vedette de ces Cafés.


Cependant pour l’aficionado ou le cabal (le connaisseur, l’initié) les formes prises par le cante flamenco sont extrêmement diverses et les types de chants (ou palos) fort nombreux. De ce fait, la frontière entre le folklore andalou et le flamenco n’apparaît pas de manière évidente.
Dans le cante flamenco, il n’existe pas de règles établies ou de langage défini pour le “non initié”, tout n’est qu’une question d’expression, d’impression, de sentiments ressentis, de passion... c’est pourquoi chaque aficionado a sa “palette” d’adjectifs pour qualifier la voix de tel ou tel chanteur, souvent en
toute subjectivité : voz raja, flamena, cantaora...
La voix du chanteur de cante flamenco recherche les effets de vibrato (en particulier labiaux “el babeo”), les émissions gutturales ou nasales. L’artiste utilise des effets de silence, à l’inverse d’ornementation mélismatique ainsi que des productions sonores d’onomatopées (lalias) caractéristiques de certains chants.
La capla est un mot espagnol qui signifie à la fois “strophe” et qui s’applique aussi à une forme poétique populaire très usitée. À l’origine, cela pourrait être un quatrain détaché d’un romance se présentant sous la forme de quatre vers octosyllabiques (sept syllabes selon le compte français) dont le 2è et le 4è vers riment imparfaitement. De caractère anonyme, transmise de bouche en bouche
depuis des siècles, la copla parle de l’amour, de la joie, de la mort, de la douleur, de la passion ou des persécutions subies. Diffusée par le chant, la copla est devenue par l’interprétation du chanteur et sa conscience artistique l’expression cathartique du peuple andalou.
On retrouve les mêmes difficultés déjà évoquées pour cerner le baile flamenco. Plus facilement répandu par le biais des spectacles, il en a subi aussi plus de déformations. Autrefois art de la tradition reçue au sein de la famille ou du village, dont la technique et la virtuosité étaient assez souples pour permettre toutes les innovations personnelles, le baile flamenco s’inscrit, aujourd’hui, comme un art qui s’apprend au sein d’académies, au risque de perdre sa force vitale intérieure et ce qui faisait de lui un “véritable mystère gitan”.
« Il ne faudrait plus parler de chant profond que pour évoquer les chants légués par la tradition, alors que les créations modernes s’auto-suffisent dans la grande famille du flamenco. Copier le passé grâce aux nombreuses anthologies existantes ou se tourner définitivement vers la création sont les deux
options pour un choix qui ne s’impose pas... L’auditeur flamenco doit accepter cette pluralité, car c’est en dépassant les polémiques superficielles que cette musique imposera une image sereine de sa condition présentant actuellement diverses facettes. Flamenco‐introverti, flamenco‐fiesta ou flamenco‑
pub... et peut-être flamenco tout simplement, comme jazz ou “musique classique” même si les mots sont impropres. »
(in Flamenco, Parcours d’un art, Éric Perez, PUL 1992).


Parmi tous les chants et toutes les danses relevant du style flamenco on peut citer (liste non exhaustive) :

Les chants sans guitare (a palo seco)

  • les romances : chants épiques ou narratifs qui puisent leur substance poétique dans des épopées diverses très populaires en Andalousie au XVIIIe siècle.
  • les tonás : forme dialectale andalouse de tonadas qui désigne les chants populaires en Espagne.
  • les carceleras : chants qui parlent des persécutions des gitans et qui racontent la prison.
  • les martinetes : (martinete : marteau du forgeron). Chants des gitans chaudronniers : « le son de l’enclume est presque toujours interprété de manière arythmique dans tous les martinetes, apportant la preuve d’une liberté ancestrale en matière de rythme dans les chants sans guitare (palmas : battements des mains)...
  • les saetas : chants interprétés pour la Semaine Sainte dans toute l’Andalousie. « La grande force de ce chant réside dans le caractère improvisé dece texte sur des mélismes d’une grande richesse. Il s’agit d’une prière individuelle adressée à la Vierge, au Christ ou aux Saints. »
  • Les deblas.

Les chants et danses avec guitare :

  • Les soleares : danses solennelles et chants nostalgiques, avec claquements des doigts, évoquant la solitude, les souffrances de l’amour et les angoisses de la mort,
  • la caña, chant à caractère funèbre, cante flamenco,
  • Les siguiriyas ou seguidilles gitanes : chants plaintifs, pathétiques et incantatoires,
  • les tangos (à ne pas confondre avec le tango argentin), accompagnés par des taconeos (martèlement des talons), permettent aux danseuses de mettre en valeur leur savoir‐faire,
  • les bulerias : chants et danses de réjouissance et de fête qui s’interprètent à un tempo très rapide et en rythme syncopé,
  • Le fandango (et ses dérivés, la malagueña, la granaz’na, le taranto) constitue la forme de chants et danses d’Andalousie la plus connue et d’une grande diversité,
  • Les alegrias et cantiñas : chants pleins de gaieté. La alegria n’est que la déformation de la jota d’Aragon.


Influence du flamenco

De nombreux compositeurs espagnols comme F. PEDRELL, E. GRANADOS, I. ALBENIZ, J.TURINA, M. OHANA, M. DE FALLA... y trouvent l’une des sources de leur inspiration.
C’est aussi le cas d’autres compositeurs européens. GLINKA découvre le flamenco lors d’un voyage en Espagne. Il en rapporte de nombreux thèmes qui affleurent dans “Souvenirs d’une nuit d’été à Madrid”. Il communique son goût pour la musique gitane à RIMSKY‐KORSAKOV, BORODINE, MOUSSORGSKY.
G. BIZET est attiré par l’Espagne : dans “Carmen”, il reprend le thème d’un “polo” chanté par le ténor GARCIA.
M. RAVEL évoque le “cante jondo” dans “L’Heure espagnole”, “L’aldorado del gracioso”, le “Boléro”.
Cl. DEBUSSY, J. MASSENET, E. LALO, C. SAINT‐SAENS sont sensibles aux beautés de la musique andalouse.
H. VILLA-LOBOS utilise les accords et les harmonies de la musique flamenca.


Petit lexique du flamenco

Compas : carrure cyclique du rythme dans le flamenco. Élément fondamental de la forme.
Falseta : mouvement mélodique de la guitare. Ce vocable provient sans doute de l’italien = falsetto (fausset).
Rasgueado : jeu de la guitare avec l’extension des doigts. Contrastes entre arpèges, obtenus par détentes diagonales. Ils établissent les formules harmonico-rythmiques qui déterminent le mouvement de base et la tonalité de chaque genre ou toque. Ils servent aussi de ponctuation.
Taconeo : jeux de talons de la danseuse ou du danseur flamenco. On ne décolle généralement pas la pointe de la chaussure du sol.
Duende : démon de l’inspiration qui anime danseurs, chanteurs, guitaristes...
Pitos : sifflements et claquements secs des doigts.
Golpes : coups portés sur la guitare pour accentuer le rythme.
Jaleos : encouragements des assistants (Olél...)
Voz afilla : voix rauque, brisée.
Bailaor : danseur ‐ Bailaora : danseuse.
Tocaor : guitariste.
Palmas : frappement de mains pour accompagner les chants.
Zapateado : danse non chantée qui met en valeur le jeu des pas du danseur.