Asie centrale (in MGG, version française)




Version française (sans les photos) d'articles parus en allemand dans 
Musik in Geschichte und Gegenwart, Kassel. 1998  puis révisé pour l'édition de 2015  p. 2318-2380

I. INTRODUCTION  II. KAZAKHS & KIRGHIZs III. OUZBÉKISTAN & TADJIKISTAN  IV. OUÏGOURS  V. TURKMENES

ASIE CENTRALE

I. INTRODUCTION 

              
L’Asie Centrale est définie ici comme l’ensemble des républiques du Turkménistan, du Kazakhstan, d’Ouzbékistan, de Kirghizistan, du Xinjiang (anciennement Turkestan Chinois) et du Tadjikistan. Elle est actuellement peuplée par une majorité de 40 millions de Turcophones (dont environ 18 millions d’Ouzbeks, 10 M de Kazakhs, 4 M de Turkmènes, de 4 M de Kirghizes et 10 M d’Ouïgours) et 6 millions de Tadjiks iranophones. On ne prend pas en compte ici les populations de culture différente comme les Russes (majoritaires dans certaines régions), qui ne prennent pas part à la vie culturelle et musicale traditionnelle. Du point de vue de la culture et de l'ethnicité, l’Asie Centrale comprend également le nord est de l'Iran et le nord de l'Afghanistan, mais ces régions ne sont pas prises en compte dans cet article.
Bien que comptant 90% de turcophones pour 10% d’iranophones, l’Asie Centrale, notamment dans les régions du sud, porte toujours la marque des civilisations iranosogdiennes et scythes (les Saka qui vivaient dans l’actuel Kazakhstan), bactriennes, et tokhariennes qui ont précédé les Türks et les Mongols. Les Khorezmiens, de nos jours intégralement ouzbeks, descendent des Alains d'origine iranienne qui parlaient des dialectes iraniens jusqu’au 11ème  s. mais furent complètement turcisé dès le 13ème s. Dans les villes du Turkestan, le turc ne devient une langue littéraire qu’à partir du 16ème s. et longtemps encore, le persan resta la première langue de culture. Par ailleurs, le sentiment d’appartenance à l’ethnie tadjike, ouzbèke ou autre était tout à fait secondaire par rapport au fait d’être citoyen d’une ville de haute culture comme Boukhara ou Samarcande.
             

            L’ANTIQUITE ET LE BRASSAGE DES CULTURES

 Par sa position, l’Asie Centrale fut un centre de convergence de grandes cultures, et dans une moindre mesure, de diffusion vers l’Inde et la Chine. Certains instruments comme les luths à long manche et table en bois, montés de 2 ou 3 cordes (huo-pu-ssu = kopuz / la pu pu = rabâb, pi’pa = barbat) se sont répandus parmi toutes les populations nomades et sédentaires par les routes des caravanes. Il en est probablement de même des vièles aux cordes en crin (liées à la domestication du cheval par les Turco-Mongols) ou encore du luth piriforme barbat qui apparaît vers le IIe siècle A. C. en Asie Centrale avant de se répandre en Inde, en Perse et en Chine. 
 Des scènes ou figurines montrant des instruments grecs (aulos, lyre, flute de pan) sont nombreuses, notamment en Bactriane. Des scènes mythologiques grecques avec des tambours sur cadre et des flûtes de pan se trouvent sur un rhyton parthe (trouvé au Turkménistan) et daté 2ème s. AC. La lyre grecque est encore représentée au 6ème s. dans les fresques sogdiennes d’Afrâsiâb (Samarqand). 
 Les sculptures bouddhistes de Bactriane du 2ème s. AD montrent des instruments plus typiquement orientaux : tambours biface en forme de tonneau, harpe arquées, à côté d’un aulos double, luth à manche court à la caisse en forme 8, que l’on trouve parallèlement avec le luth à caisse ronde entre le 1er et 4ème s. à d’Afrâsiâb (culture sogdienne). Des figurines en terre cuite de Qashqadarya et du Khorezm (1er -3ème s.) représentent des joueurs de harpe à 13 cordes, de flûtes droites et traversières, et de luths à long manche.
 Un plat en argent parthe-bactrien du 5ème-6ème s. AD montre un joueur de tambour biface en sablier et joueur de luth à manche long (dotâr, tanbur du Khorâsan) avec une position de main toujours attestée de nos jours.
 Au Turkestan oriental (oasis de Khotan), de musiciens avec flûte droite (ou hautbois) et traversière, de nombreuses figures en terre cuite du 2ème-3ème s AD. montrent des singes jouant du luth barbat, de la flute de pan, du tambour en sablier. Des figures analogues se trouvent au 7ème s. en Bactriane et Tokharistan avec flûte traversière et tambour en sablier.
 L’antique harpe arquée apparaît encore à Panjikent (Tadjikistan) au 7-8ème s. sur des scènes religieuses témoignant d’un grand raffinement artistique ; on y voit également la harpe angulaire et le luth à manche court (barbat), joués par des femmes ou des être célestes féminins. À la même époque est attesté l’usage de deux type de harpes et d’un luth barbat plus grand que par le passé. Des ocarinas sogdiens du 8ème-10ème s. donnent la gamme la si do ré mib.
 Les représentations de scènes musicales sont généralement liées à des rites ou images religieuses et sont le symbole de la félicité chez les bouddhistes. La qualité artistique de ces représentations suggère que la musique avait aussi une grande place dans la sphère profane.
 Parallèlement à ces cultures urbaines et raffinées, il existe des évidences de cultures musicales primitives comme des collections de flûte en os, des ocarinas, ou les fresques du 2ème s. AC gravées dans les rocher du Ferghana kirghize et du Kazakhstan montrant des danses collectives, liées à la chasse, où les participants se tiennent par la main.
  Un pèlerin chinois qui voyagea en Kirghizie en 630, relate déjà la beauté des musiques de cette région. Le rayonnement de la musique centre asiatique est attesté par la présence de de plusieurs orchestres d’Asie Centrale (Kucha, Samarcande, etc.) en Chine à la cour des Tang (7e-9ème siècle). Après une longue période d’islamisation, sur laquelle on sait peu de choses concernant la musique, les signes d’un brillant renouveau sont perceptibles au 15ème s. sous les Timourides, à Herât et Samarcande. À cette époque les influences turco-mongoles sont sensibles dans le choix des instruments de musique et peut-être des formes musicales, préparant la scission avec la culture musicale perso-arabe. Les artistes du grand Khorâsân étaient encore invités à se produire à la cour moghol d’Akbar (16ème s.), et les relations avec l’Inde sont attestées par des écrits théoriques en persan. Après cela commence une période de transformation et de fermeture aux apports extérieurs. Durant tout le 19ème siècle, l’Asie Centrale est politiquement coupée de la Perse et de l’Afghanistan, et la musique d’art s’y développe de façon complètement indépendante, rompant les derniers liens avec l’ancienne tradition moyen orientale.
 En dehors des grands centre urbains, les nomades kazakhs, kirghizes ou turkmènes (parfois plus ou moins sédentarisés) élaborent également des formes professionnelles très sophistiquées et originales, mais en raison de son caractère fondamentalement oral, cette tradition n’a pas laissé de traces écrites qui permette de reconstituer son évolution en deçà du 19ème siècle.

            L’EPOQUE MODERNE ET CLOISONNEMENT

 Dès le milieu du 19ème  s. en réaction à l’annexion du Turkestan par les Russes, se sont opérés parfois des retours à la tradition ancienne. A la fin des années 1920, l’Asie Centrale fut morcelée en républiques socialistes d’Ouzbékistan, de Tadjikistan, de Kazakhstan, de Kirghizie et de Turkménie et isolé de l’Orient non soviétique, y compris la Kashgarie sous contrôle chinois depuis 1877. Les frontières ne rendaient pas compte de la répartition réelle des différentes ethnies, si bien que chacune des républiques comporte des minorités parfois importantes : Tadjiks en Ouzbékistan et réciproquement, Ouïgours au Kazakhstan, Ouzbeks en Kirghizie et au Xinjiang, etc. Malgré cela, chaque république fut incitée à développer son identité, ce qui impliquait une langue, une musique et une littérature dites “nationales” qui dessinait de nouvelles aires musicales. La politique culturelle et l’occidentalisation qui s’exercèrent en Asie Centrale, tant soviétique que chinoise, menacèrent souvent les traditions musicales dans leur authenticité ou leur existence même. Après la révolution bolchévique furent écartés ou persécutés les musiciens de cour ainsi que les soufis et les religieux souvent détenteurs de traditions musicales ; en 1952 l’enseignement de la musique ouzbek fut suspendu et l’on tenta de résorber la musique nationale dans les arrangements symphoniques écrits généralement par des Russes ; après quelques années cependant, on restaura le répertoire traditionnel mais figé dans des interprétations collectives et académiques. L’acculturation russe se manifeste dans la diffusion d’un langage musical et chorégraphique hybrides, d’instruments occidentaux, et un brassage des traditions nationales qui contrebalançait la séparation artificielle de certaines ethnies. La censure politique et culturelle s’exerça tant en Chine qu’en U.R.S..S. sur les textes à résonance religieuse, mystique, animiste et féodale, tandis que l’on promouvait des auteurs officiels, exaltant notamment l’idéologie dominante. A partir des années 1970, les musiques traditionnelles sont revalorisées.
 Aux actifs de cette politique culturelle, on citera toutefois le développement de la collecte (notamment au Xinjiang) et de la musicologie, l’établissement de versions canoniques (maqâm ouzbek et tadjik, muqam ouïgour), la création de conservatoires et de salles de concerts, d’unités professionnelles de musiciens, ainsi que de clubs d’amateurs, l’accès pour les femmes à la musique savante et à certains autres genres, la préservation des danses et la valorisation du métier de musicien. Dans l’ensemble, beaucoup de pratiques musicales se perpétuèrent dans la sphère privée ou dans la clandestinité (dans le domaine religieux), tandis que de grands artistes surent maintenir la pureté et l’authenticité d’un héritage désormais confronté à d’autres dangers. Après leur renaissance comme nations indépendantes en 1991, les nouveaux États d’Asie Centrale s'appliquent à reconstruire leur passé culturel, notamment en éliminant l’apport russe et soviétique et en s’enracinant dans la culture islamique.

MUSIQUE URBAINE ET NOMADE

 Parmi les peuples d’Asie Centrale, les Kazakhs, les Turkmènes et les Kirghizes n’ont été sédentarisés et organisés en états nationaux que depuis un siècle environ et ont conservé beaucoup de traits culturels nomades. A l'inverse, les Ouïgours, les Ouzbeks et les Tadjiks ont eu durant des siècles une civilisation urbaine organisée en petits royaumes comme ceux de Samarcande, Qoqand, Kashgar, Kutcha, Khotan, Turfan, etc. Ce clivage entre la culture urbaine et l’ancienne culture nomade explique, au-delà des parentés linguistiques, les affinités existant entre certains peuples comme les Tadjiks et les Ouzbeks, les Ouzbeks et les Ouïgours, les Kirghiz et les Kazakhs. Il se reflète également dans les formes et les pratiques musicales : — prédominance du rôle des bardes (épiques, lyriques ou les deux ensemble) chez les Kirghizes, Kazakhs, Qaraqalpaks et Turkmènes, — prédominance des grands cycles de compositions (Maqâm) et connexions avec les traditions et la théorie moyen-orientales chez les Ouïgours, les Ouzbeks et Tadjiks du Nord. Ces différences reflètent également, d’une part l’ancienne culture animiste et chamanique des Türks orientaux, et d’autre part les “religions du salut”, le Zoroastrisme, le Bouddhisme, le Manichéisme, le Christianisme nestorien, et finalement l’Islam qui s’imposa comme religion et culture parmi les populations urbaines et sédentaires, et dans une moindre mesure parmi les nomades ou les sédentaires récents. 
 L’antique composante chamanique subsiste dans la technique vocale caractéristique de l’esthétique des bardes épiques (zhïrau kazakh et qaraqalpak, bakhshï ouzbek), avec l’utilisation d’une voix “étranglée”, “intérieure” riche en harmonique, et apparentée aux techniques mongoles. Cette voix grave contraste avec la voix aiguë et étendue des chanteurs classiques ou semi-classiques des genres urbains. Ce clivage correspond actuellement aux aires culturelles iraniennes d’une part et turco-mongoles d’autre part, mais il est possible que dans la haute antiquité ces peuples aient tous partagé le même type d’expression. 
 Entre ces deux univers se situent une catégorie de bardes (bakhshï turkmènes, ouzbek et qaraqalpak, hâfez ouzbek, khorezmien et tadjik) chantant des poèmes lyriques, didactiques ou religieux ressortissant davantage à la culture littéraire. Pourtant leur nom même indique qu’ils conservent quelque chose de l’antique fonction magique de la musique : chez les Kazakhs, Kirghiz, Ouzbeks et Tadjiks, bakhshï désigne encore le chamane qui guérit par des invocations et des chants accompagnés au tambour sur cadre. Chez les Turkmènes et Qaraqalpaks, il désigne le barde professionnel qui, avec l’islam, a peut-être succédé au chamane. De même, le terme hâfez (qui, en Ouzbékistan et Tadjikistan désigne tout chanteur) réfère étymologiquement à celui qui connaît le Coran par cœur. Ainsi la musique, même dans ses formes les plus artistiques, ne saurait être soustraite à sa vocation sacrée, magique ou au moins didactique et morale. Au Kazakhstan, les chanteurs et instrumentistes traditionnels disent encore tirer leur pouvoir des esprits (arwâh) et certains instruments sont investis d’un pouvoir magique.
 Soixante dix ans d’idéologie matérialiste ont favorisé les formes d’expression séculaires en tentant d’épurer l’art des bardes du “féodalisme” et des “superstitions” qui caractérisent l’ancienne culture türk. Le processus d’occidentalisation qui accompagnait cette politique s’opère de nos jours non à partir du sommet (excepté au Turkestan chinois), mais à partir des nouveaux besoins du public crées par la perte du mode de vie traditionnel, la décontextualisation de la musique et l’ouverture aux musiques légères internationales. Cependant certains éléments de la culture traditionnelle refont surface et l’on voit réapparaître des formes de mécénat privé. L’indépendance des républiques d’Asie Centrale soviétiques en 1991, a été suivi à un revivalisme des traditions musicales, tant au niveau des formes que du message.


II. KAZAKHS & KIRGHIZ



          Introduction. 
 Les Kazakhs et les Kirghiz ont en commun un passé encore proche de nomades et de pasteurs, une langue, des traditions et des musiques voisines. Sur environ 10 millions de Kazakhs, 7 vivent dans la république du Kazakhstan sur un immense territoire allant de la mer caspienne à la Chine et un million au Xinjiang, auxquels s’ajoute des minorité en Mongolie et Ouzbékistan. Dans l’antiquité, le Kazakhstan était peuplé de Scythes d’Asie (Saka), de langue indo-iranienne, auxquels se mêlèrent plus tard les hordes des Türks Oghuz puis Qiptchaq. De culture fondamentalement nomade, les Qiptchaq ou proto-Kazakhs n’avaient ni souverain ni sentiment d'unité politique. Leur territoire fut contrôlé par la Horde d’Or composée de Türks et de Mongols conduits par Gengis khan. Après sa chute, vers 1500, l’ethnie kazakh se détacha du khanat ouzbek avec lesquels elle avait fait alliance, et fonda son royaume. 
 Les Kirghizes sont environ 4 millions dont 3 millions vivent dans la république de Kirghizistan, les autres étant nombreux au Xinjiang et en Afghanistan tandis que de petites communautés se trouvent dans les pays voisins. Les Kirghiz, qui ne sont pas d'origine turque mais sibérienne, furent turcisés très tôt et intégrés à la grande confédération des Türks Oghuz. On les désignait sous le nom de Qara Kirghizs pour les distinguer des Kazakhs qui étaient aussi appelés Kirghiz. Venus de l’ouest, ils chassèrent les Ouïgours de la Mongolie au 9ème s., puis, repoussés vers le sud durant les invasions mongoles, ils s’établirent dans les montagnes du Pamir. Les Kirghiz furent les vassaux et alliés des khan kazakhs, notamment contre les Mongols turcisés de Kashgarie, puis contre les Qalmuks, au cours d’une guerre dont le vainqueur, Manas, est le personnage fondateur de la tradition des bardes manaschi et aqyn. Ils ne s’islamisèrent que tardivement et, comme les Kazakhs, restèrent fermés aux influences du Moyen-Orient, notamment en ce qui concerne la musique. Si l’on prend la musique kirghize comme référence, les musiques des autres peuples türks peuvent se ranger ainsi par ordre décroissant d’affinités : Kazakh et Qaraqalpak ; Khakas et Altaï ; Ouïgours et Ouzbek ; Tatars, Bashkir et Nogaï. Par rapport aux Ouzbeks et Turkmènes, les Kazakhs et les Kirghizs ont davantage conservé les anciennes formes musicales turques. Ils ont en commun — des instruments de musique : dombra (luth kazakh à deux cordes) / komuz (luth kirghiz à 3 cordes); qobyz / kiak (vièle monoxyle à deux cordes) ; sybyzghy / choor (flûte de roseau) ; shan-qobyz / temir komuz (guimbarde) — des formes instrumentales : küi /küü (pièce instrumentale narrative) ; — des compétitions instrumentales : tartis (küi de dombra) / alym savak (küü de komuz) ; — de catégories de bardes aqyn / akin. — des genres (maktau / maktoo) et des compositions anciennes. Leurs traditions se distinguent aussi de celles des autres peuples d’Asie Centrale par la place qu’elles laissent au femmes dans la pratique musicale, même professionnelle. Depuis le milieu des années 1990 on constate une renouveau d’intérêt pour le folklore, et l’on se met à étudier les instruments selon la tradition orale et à constituer des ensembles avec des instruments traditionnels. On compte actuellement 84 écoles musicales pour les enfants réparties dans tout le pays, un Conservatoire, et un Institut des Arts à Bishkek à Karakul.



A. KAZAKHSTAN


          AIRES MUSICALES

 Les Kazakhs se répartissent en trois grands groupes (juz) : grand, moyen et petit, qui, dans le passé (et dans une moindre mesure de nos jours) nomadisaient selon un axe nord (au printemps) sud (en hiver), ou en cercles de points d’eau dans les déserts de Qaraqum et Qyzylqum ou encore des vallées aux pâturage dans les régions montagneuses de l’Alatau. Ces circuits ont été coupés par la politique de peuplement russe, les régions administratives actuelles ne reflètent pas les aires culturelles. Ainsi les Kazakhs de Kustanay et Aq mola, au nord du pays, ont des traditions très proches de celle de la région de Qyzyl-Orda. D’autres particularités culturelles et musicales sont liées à l'organisation clanique. De plus, le nomadisme des Kazakhs de l'ouest correspond à une autre culture musicale que le seminomadisme des groupes de l'est. De nos jours, bien que le luth dombra soit joué partout, la musique instrumentale est plus développée à l'ouest et l’art vocal plus répandu à l'est ; au Sud on apprécie surtout le bardes épiques zhyrau, et au Centre les chanteurs änshy. La tradition musicale, par essence rurale bien très sophistiquée, a été mieux conservée dans les campagnes, notamment les régions de Qyzyl-Orda, Tage Qorgan (à l’ouest), et parmi les Qaraqalpaks.
             
          1. CATEGORIES DE MUSICIENS
 L’idéologie soviétique considérait la culture kazakh comme une “pré-culture” qui devait s’épanouir en sortant du féodalisme, et niait le fait que l’essentiel de la musique était dans les mains d’artistes hautement qualifiés, appréciés par toutes les couches de la société et appartenant à trois ou quatre catégories professionnelles bien distinctes.
             
          A. ZHYRAU ET ZHYRSHY.  
 Dans le passé, le zhyrau (zhyr = poésie épique) était un dépositaire, un créateur et un interprète des grandes épopées. Ses fonctions sont apparentées à celles du chamane (bakhsy) : comme lui il est appelé par une vocation, communique par son chant avec les esprits des morts, les âmes des héros, et ses esprits protecteurs (aruah ou arka, “ancêtres”) dont il recherche l’alliance et qui l’inspirent. Les affinités entre chamane et zhyrau sont attestées par l’usage d’un instrument commun : le qobyz qui est souvent encore considéré comme chargé de pouvoirs spirituels. 
 Le zhyrau était placé aux côtés du khan et on ne faisait rien sans lui demander son avis car les esprits lui dévoilaient l’avenir. Comme porteur de l’histoire du peuple et représentant de pouvoir spirituel, le zhyrau n’a pas survécu aux changements culturels et sociaux du XXe siècle et à la répression de l’idéologie féodale dont son art était le symbole. Son successeur, le zhyrshy ne crée plus que de petites épopées, ne voit pas l’avenir et n’a plus de rôle politique. Toutefois, il est encore le dépositaire de sagesse et des valeurs morales, et son comportement sérieux le distingue des autres chanteurs et lui vaut le respect. Dans son rôle d’éducateur il s’adresse parfois à un auditeur en particulier à travers des poèmes didactiques et sapientaux. Les poèmes épiques remontent au 15ème s. et à la formation de la nation Kazakh, ainsi qu’au 17ème s., époque de la guerre contre les Jungar-Qalmuks. Les histoires les plus fameuses sont celles du héros et défenseur des faibles Qambar Batyr (ou Qambar Khan, personnage également légendaire pour les Turkmènes et les Kirghiz) de Alpamys (chanté aussi par les Ouzbeks) ainsi que des personnages de romances comme Qyz zhibek ou Ayman i Sholpan. A l’ouest les épopées sont toujours versifiées et chantées, mais dans d’autres régions on alterne la déclamation de prose et le chant de poésies, comme c’est aussi le cas des épopées amoureuses. 
 Il semble qu’à l’origine le zhyrau cantillait et déclamait les textes sans instrument, et que plus tard il s’accompagna au qobyz comme le font toujours les zhyrau Karakalpaks, avant d’adopter le dombra comme les bakhshy ouzbek. Le chant épique demande une voix de gorge caractéristique, qobyz dybyzy, riche en harmoniques et apparentée, quoique moins grave, à l’ichka dybyz des zhyrau Karakalpaks ou des bakhshy ouzbeks.
  Le zhyrau, comme son équivalent kirghiz le manaschy (qui chante sans instrument), suit un canevas de base qu’il adapte à chaque performance. Ainsi la narration d’une histoire comme celle de Idigei dure deux jours mais peut être réduite à quelques heures selon la demande du public. Une performance complète de zhyrau commence par un bastau, une introduction qui sert à préparer l’auditoire, se poursuit par des terme et des tolgau sur le thème de l’existence ; lorsque “son dos est brûlant” (c’est à dire que “les esprits des ancêtres l’inspirent”), il aborde les chants épiques, et dès lors, rien ne peut l’interrompre. 
 Les bardes qui ne parviennent pas à la maîtrise totale du chant épique sont appelés zhyrshy, tout comme les manaschy kirghizs qui ne sont pas parvenus à la maîtrise du genre sont appelés chala manaschy (demi manaschy). Bien qu’ils ne soient pas sollicités pour improviser selon les circonstances, comme les bardes aqyn, ils savent aussi improviser des vers, et certains cumulent les rôles de zhyrau etaqyn
 Avec l’évolution du contexte de performance, la tradition épique se limite de plus en plus à de brèves séquences poétiques, terme, forme qui servait seulement d’intermède dans les longs récits épiques. Récemment les bardes ont choisi ce répertoire et ont été appelés termechi
  Les grands représentants de cet art furent Bukhara Zhyrau (ca. 1693-1787), et Makhambet Utemisov (1804-1846). 

          B. AQYN

 De nos jours le rôle du zhyrau a été éclipsé par celui de l’aqyn. Cela tient au démantèlement de la société traditionnelle, ainsi qu’au fait qu’avec la soviétisation, il fallut choisir un personnage emblématique de la culture musicale : le zhyrau représentait le passé et les “superstitions”, la culture féodale et le pouvoir des chefs de tribus, alors que l’aqyn, qui chantait pour son clan, représentait la voix du peuple. 
 La séparation entre poètes et musiciens ne remonte qu’au XXe siècle, et si de nos jours les poètes sont encore appelés aqyn c’est parce que, par définition, l’aqyn composait les poèmes qu’il chantait. Pour éviter la confusion, le simple poète est appelé jazba aqyn, et suyirip salma aqyn un improvisateur de vers. Aqyn au sens courant désigne un chanteur populaire jouant du dombra et capable d’improviser des vers. Dans le passé, les aqyn étaient au service d’un khan et donnaient des prestations à l’occasion de funérailles, ou dans des joutes visant à déprécier les aqyn des clans rivaux et qui se déroulaient en même temps que des courses de chevaux des concours de lutte, et de joaillerie. De nos jours l’aqyn est patronné par son clan, notamment dans les joutes musicales aytis annuelles où il déploie ses talents d’orateur et d’improvisateur de vers. 
 Contrairement au zhyrau, l’aqyn est attaché au présent et aux circonstances auxquelles il s’adapte en improvisant. Toutefois il n’exprime pas ses sentiments personnels et tout ce qu’il chante est censé représenter son clan. Le zhyrshy est tourné vers le passé et situe l’homme dans son axe temporel, historique et horizontal, tandis que l’aqyn établit une connexion verticale avec l’invisible. Il remplit lui aussi certains aspects de la fonction chamaniques : dans le langage courant, un aqyn ainsi qu’un instrumentiste (küishy) doit avoir les esprits avec lui (“dans le dos”, arka), sans quoi son art reste sans effet. 
 Le répertoire des aqyn se compose de panégyriques (maktau) des pièces didactiques (tolghau, nazihat) dans le style récitatif du terme et zheldirme, ainsi que de mélodies tirées des épopées héroïques et lyriques et arrangées en chansons.
 L’aqyn le plus célèbre de son temps fut Jambul Jabayev (1846-1945). A l’âge de 35 ans, au cours d’un concours aitys, il l’emporta sur le fameux aqyn Qulmambet. Illettré, il pouvait parler en vers et connaissait d’innombrables oeuvres (y compris des poètes classiques) qu’il cantillait sur une douzaine de formules mélodiques très simples en s'accompagnant au dombra. Il s’adapta très bien au système et chanta les éloges de Staline et du système soviétique dans des vers de sa composition, ce qui fit de lui une grande figure médiatique reléguant dans l’ombre d’autres aqyn non moins talentueux.

          C. SAL SERE  
 Le mot sere suggère l’habileté verbale et physique et s’applique à un chanteur qui excelle dans l’improvisation, ainsi qu’à un acteur, un acrobate, un bon chasseur. Sal et sere ou sal-sere est un chanteur lyrique qui exprime des sentiments intimes et personnels liés à l’amour, à l’éloignement ou à la nature. Son comportement dans la société est de ce fait tout différent de celui de l’aqyn ou du zhyrau. Bien qu’il soit très respecté aussi, traditionnellement, il ne pouvait s’assoir comme le zhyrau au côté du khân.
 En dehors du cadre traditionnel, les chanteurs sont appelés änshi ou ölengshi (än, öleng = chanson, terme qui n’est jamais appliqué au chant épique ou rituel) avec cette nuance qu’un ölengshi peut écrire un texte de chanson. 
 Le style de la chanson professionnelle fut élaboré par des compositeurs comme Birjansal Kojagulüly (1825-1887), Zhaiau-Musa Baijanüly (1835-1929), Kenen Azerbaiev (188419..... ) qui laissèrent entre 30 et 50 oeuvres.
D. LES GENRES DE FEMMES Une des particularités de la culture Kazakh est l’importante participation des femmes à la vie musicale. Alors que les hommes chantent toujours avec un instrument, certains chants a capella ne peuvent être interprétés que par les femmes, dans des réunions familiales ou pour accompagner certains rites. Les femmes ont l’exclusivité de la guimbarde (shan qobyz) et de l'ocarina et elles ont traditionnellement accès au répertoire de chansons lyriques des aqyn et des änshi qu’elles accompagnent au dombra. Par contre, (sauf exception) elles ne chantent pas celui des sal-sere et des zhyrau et elle ne peuvent porter officiellement le titre d’aqyn, la coutume ne permettant pas qu’elle mène une vie professionnelle. 

          2. Instruments
 Le dombra est un luth à 2 cordes, long d’un mètre environ dont la caisse piriforme, taillée dans un tronc de cèdre ou faite de lattes collées, est recouverte d’une table en conifère. Les dombra de l’ouest ont une caisse large, ovoïde et peu profonde, et un manche plus fin et moins long qu’à l’est. Le dombra à 3 cordes était encore en usage au milieu du siècle au Nord-est (Semey). Les dombra d’hommes diffèrent de ceux de femmes dont la caisse est plus petite et les décorations abondantes ; chacun a le sien et l’on ne touche jamais celui de l'autre. 
 Autrefois le dombra ne comportait que 9 frettes, disposées différemment selon les régions, et donnant une gamme diatonique plus deux tons. La frette de la tierce était parfois déplacée pour produire une tierce neutre. De de nos jours le dombra possède 15 à 17 frettes donnant une échelle chromatique afin de pouvoir jouer différents répertoires. Les chanteurs suppriment souvent les frettes qui ne leur servent pas (notamment la quinte augmentée et la neuvième mineure, configuration courante dans d’autres luths d’Asie Centrale). Ses deux cordes de nylon (remplaçant le boyau) sont accordées en quarte (ré-sol, ong borau), parfois en quinte (teris borau), en seconde (shalys borau) ou à l’unisson (qalys borau). La mélodie se joue le plus souvent sur la corde aiguë.   
 Le qobyz (parfois appelé qil qobyz, “q. à crins”) est une vièle monoxyle taillée dans un bloc de bouleau ou de mûrier dont la caisse, en forme de poire renversée, est recouverte dans sa partie étroite d’une peau de chameau sur laquelle repose un grand chevalet. Les 2 cordes en crin de cheval, accordées, en quarte ou quinte donnent un son voilé et riche en harmoniques. C’est un instrument typiquement türk utilisé par les anciens zhyrau et par les chamanes et guérisseurs bakhsy, ainsi que pour l’interprétation de certains küi simples et d’airs populaires, mais d’un usage beaucoup moins courant que le dombra. Les femmes qui le jouent sont des chamanes. 
 Le sybyzghy, d’un usage restreint, est une flûte de roseau ou bois tourné percée de 4 à 6 trous dont l’embout est placé entre les incisives (selon une technique répandue parmi les Türks). On y joue des pièces tirées du répertoire des bergers, des arrangement d’airs populaires et de pièces de dombra., ainsi que des küi spécifiques.
 Plus populaires sont la guimbarde shan-qobyz, maintenant intégrée dans les orchestres folkloriques, ainsi que les ocarinas usqyryq et tastauik. Certains instruments disparurent à la fin du 19ème s. mais sont à nouveau utilisés dans ces ensembles, comme la harpe shertar, la cithare zhetighen, le surnai (clarinette de roseau), le dauylpaz une timbale en bois fixée sur la selle d’un cheval et jouée dans les ensembles militaires ou pour la chasse, accompagnant le hautbois kernei. Les textes anciens citent aussi les cor (buqshak), la clarinette simple kamys surnai et double kosh kamys.  
 Les instruments sont encore souvent marqués par des tabous. Le son du qobyz est considéré comme ayant des vertus thérapeutiques, même en dehors de tout contexte rituel et le qobyz d’un grand musicien est conservé comme une relique qui apporte la protection. La tête du qobyz a souvent la forme d’un visage et le corps de l’instrument est conçu de manière anthropomorphique en trois parties : tête (les chevilles étant les oreilles) corps et pied.
          3. Formes musicales

          A. FORMES VOCALES

 La musique des Kazakhs et des Kirghizs est vive et expressive et exige des aptitudes vocales, et dans le jeu des luths dombra et komuz, une virtuosité instrumentale. Même les mélodies populaires kazakh (chant de travail) couvrent souvent une octave ou davantage. Les tempo rapides et les rythmes irréguliers sont très courants : les mesures bicrones (aqsaq : 2+3, 3+4, 2+3+3, etc.) ainsi que l’alternance de mesures différentes, lui confère une grande originalité parmi toutes les musiques d’Asie intérieure.
 Les théories soviétiques sur la culture se sont appliquées à trouver des formes musicales correspondant aux phases fondamentales de développement de la société. Cependant, s’il existe quelques chants de travail liés au bétail (zhylqish äni = pour les chevaux, qoishi äni = pour les moutons, chant de femmes pour le démontage des tentes), en milieu rural, ce sont les formes élaborées de chant et de musique instrumentale qui occupent une position centrale. Il existe aussi des chants correspondant aux différentes phases des noces : - zhar zhar (genre qu’on retrouve chez les Ouzbeks et les Turkmènes) dont les vers de 7 et 6 syllabes mélangent le sérieux et la plaisanterie. C’est un chanté alterné par deux groupes, sur une tessiture limitée ; - qyz synsu marque le départ de la fiancée de la maison familiale, et betashar le dévoilement du visage pour l’accueil dans la nouvelle maison. Il est chanté dans le style des lamentations par un barde s’accompagnant au dombra.. Il existe aussi des berceuses, des lamentations funéraires zhoqtau, des chants de guérisons bedik et d’autres pour les bons voeux du nouvel an (nauruz).  
 La ligne mélodique, qui émane de la déclamation très expressive du texte est soit de type descendant, soit de type ascendant-descendant. Le chant épique commence par une note aiguë et longue, suivie d’une descente progressive sur la fondamentale. La plupart des chants utilisent une gamme, parfois deux, avec beaucoup de sauts de sixte et de quinte, mais les mélodies folkloriques chantées par les femmes couvrent généralement seulement une sixte. Le pentatonique pur (de type do la sol mi ré Do) est rare, mais les mélodies contiennent parfois des structures pentatoniques très développées. 
 Les styles vocaux diffèrent selon les régions : — au sud (Aral, Semirechie, rives du Syr darya) les contours sont simples et les rythmes réguliers ; — à l’ouest (rives de la Caspienne) les chants lyriques utilisent une grande tessiture, mais on trouve aussi des terme dans le style récitatif ; au centre, les mélodies et la structure poétique sont complexes et utilisent de grands moyens expressifs.
Les chants épiques se font sur des vers de 11 ou 7 syllabes. Les 7 syllabes sont groupées en 4 + 3 (ex. : Kulbai baiding / ögizi). Cette formule peut être étoffée en neuf par l’ajout de deux chevilles (oi), soit 4 + 1 / 3+1 = 9. Les vers de 11 syllabes sont plus courants, mais alors que chez les Türks la division est 4 + 4 + 3 ou 6+ 5, chez les Kazakhs elle se fait en 3 + 4 + 4 ou parfois en 4 +3 + 4. On trouve aussi des poèmes alternant 6 et 7 syllabes. 
 On distingue les genres mélodique än et récitatif zhyr (poésie épique), ainsi que le terme (sur 7 syllabes) et zheldirme (“galop du cheval”) au débit rapide et syllabique (11 syllabes). Terme et zheldirme , qui atteignent leur sommet au 19ème s., sont des formes laissant place à l’improvisation et demandant de grandes capacités vocales. Ils sont chantés par les aqyn et les zhyrau sur des formules mélodiques amples avec des notes très tenues. Du point de vue poétique, le terme est un genre plutôt monorime de 6 ou 8 vers syllabiques barmaki dont l’unité ou cohérence vient des répétitions ou refrains, entre lesquels il est possible d’improviser. ll traite des thèmes comme le bien et mal, la justice, l’amitié, le courage.  

          B. FORMES INSTRUMENTALES : LES KÜI  

 La musique kazakh atteint un sommet de sophistication dans les küi, compositions pour solo instrumental dont la durée ne dépasse pas 2 à 6 minutes. S’il n’existe qu’une vingtaine de küi de sybyzghy et une cinquantaine de küi de qobyz, ceux de dombra se comptent par centaines. On les range en deux catégories selon leur origine et leur style : 
-                  style tokpe, de l’ouest, région de Mangishlaq, en bordure de l’Ouzbékistan et Turkménie. Les cordes, presque toujours accordées en quarte, sont frappées simultanément, produisant des effets de biphonies (notamment quarte et quintes). L’instrument est fretté selon l’échelle : ré mi fa fa# sol la sib si do ré mi fa# sol la
-                  style shertpe du Centre et du Sud, où les cordes (accordées en quinte ou quarte) sont plutôt pincées comme dans le jeu de la guitare. L’instrument est fretté selon l’échelle : ré mi fa# sol la si do# ré mi. 
 De nos jours ces deux styles se mélangent parfois dans certaines pièces, et, avec la création d’écoles de musique, les interprètes ne sont plus limités au répertoire d’une région particulière, même s’ils restent attachés à leur tradition d’origine.
 Les küi sont des pièces narratives ou descriptives profondément liés à des représentations, scènes ou événements, et aux sentiments ou pensées qu’elle suscitent. Inspirés par une situation, ils prennent tout leur sens lorsqu’ils sont joués au moment voulu : fête, demande en mariage, rite d’hospitalité, condoléances, lamentations. Un küi comme "Le chameau blanc" (Aq botoy) — en deux parties, l’une tragique l’autre joyeuse- était joués pour conjurer de grands désastres. Les thèmes de la nature et des animaux sont une source d’inspiration important, comme en témoigne des titres comme Le cygne, La gazelle boiteuse, L’oie sauvage, La steppe d’or, etc. En général, les ethos rythmiques se ramènent aux différents pas du cheval (trot, galop, promenade).
  Dans le contexte traditionnel, avant de jouer, le musicien raconte l’histoire du küi et éventuellement comment ou de qui il l’a appris, préparant ainsi le public à une meilleure écoute. Le rapport entre le thème et la musique n’est pas évident, mais il semble que certaines scènes soient décrites par des séquences bien identifiées. Ainsi la mort doit être annoncée par un chant funèbre estirton ou des lamentations zhoktau. Il existe aussi des küi satiriques, humoristiques ou philosophiques dont l’argument est souvent l’opposition du bien et du mal, et la victoire par la lutte et le courage. L’aspect narratif des küi vient peutêtre de son développement parallèle à celui de la poésie épique, mais avec l’apparition des küi de virtuosité destinés aux concerts publics, cette forme s’est progressivement s’affranchie de la narration tout en conservant un aspect magico-poétique qui attire le respect du public. 
 Certains küi sont attribués au légendaire barde Qorqut (9ème s. ?), d’autres à Baizhigit (m. 17ème s.), Abylai Khan (1710-1780). Le genre connaît son plein essor au 19ème s. avec notamment Makhambet (m. 1846), Tättimbet Qazanghapüly (1817-1862), Däuletkerei Shyghaiüly (1820-1887), et Qürmanghazy Saghyrbaiüly (1818-1879) auteur de Sary arqa (la Steppe d’or), le küi emblématique des Kazakh. Il est à l’origine d’une école de dombristes dont Dina Nurpeis (1861-1955) fut une fameuse représentante. Les derniers grands créateurs furent Qazanghap Tilepbergenüly (1854-1927) et Sugir (m. 1953). Ils composèrent tous pour le dombra, à l’exception d’Yqylas (1843-1916) qui laissa des küi de qobyz et Sarmalai (1835-1885) qui jouait le sybyzghy. Ces compositeurs-interprètes, connus sous leur prénom, laissèrent chacun entre une vingtaine et une cinquantaine de compositions car la conformité à l’esprit de la tradition et à l’exigence de qualité limite la production d’oeuvres nouvelles. Si la créativité dans ce domaine a baissé à partir des années 1930, de nos jours, il y a toujours des compositeurs et interprètes de qualité. Chaque maître élabore ses propres interprétations ou versions et certaines pièces deviennent progressivement des “genres” aux variantes nombreuses, comme Aqqu (tiré du répertoire des femmes), Aqsaq Qulan (tous deux joué aussi par les Kirghizs), Qosbasar, Aqzheleng, etc. Le répertoire des dombristes de village comporte un cinquantaine küi, et celui des grands professionnels atteint plusieurs centaines. 
 La diversité des küi ne permet pas de dégager des critères de composition très précis. Le küi est comparé à une montagne : (bas, registre grave étant le sommet et sagha, registre aigu, la base) ou au corps humain (bas la tête, orta le corps, sagha le pied). Cette tripartition correspond à un thème de base, dans le grave, qui peut être complexe, un second thème (situé entre une quarte et une octave au dessus), puis une récapitulation du thème initial. Une autre forme simple consiste en thème et variations ou en trois parties A B A ou A B C. Les küi complexes comportent 4 ou 5 parties (bolim) A= bas buyn (buyn= strophe, partie), B = orta buyn, C = birinci sagha, D = ikkinchi sagha, souvent agencées selon le schémé A Ba Cba Dcba.
 -bas buin est une entrée très variée, avec un rythme rythme spécial Elle dure le temps qu’il faut pour préparer l’auditoire
 -negizgi buyn présente toujours une mélodie originale qui caractérise le küi ; elle n’autorise pas l’improvisation et sa fin doit être clairement marquée.
 -orta buyn, ou buyn moyen, précéde l’étape sagha qui correspond au développement et à la culmination du küi. Le premier sagha (birinci sagha) peut être précédé d’une introduction (kishi sagha), de même que le second sagha (ikkinchi sagha) peut être introduit par un section appelée ulken sagha.
 Le küi ne doit pas comporter de contraste mélodique et le passage d’une séquence à l’autre, qui doit être naturel, est facilité par des petites liaisons. Certains motifs se retrouvent d’un küi à l’autre. La performance du küi utilise le principe de répétition avec variations ce qui engendre des variantes dans lesquelles certaines sections sont omises ou répétées.
 Le schéma suivant indique les différents registres du dombra utilisé dans les différentes phases du développement d’un küi .
          


          4. Performance
 L’aitys est une ancienne tradition de concours de bardes, courante dans toute l’Asie centrale, qui fut remise officiellement à l’honneur à partir de 1980 au Kazakhstan. Il met face à face deux poètes improvisateurs zhyrshy  ou aqyn qui rivalisent en improvisant des vers sur un thème imposé (aussi bien lyrique qu’humoristique) et une mélodie donnée en s’accompagnant au dombra (ou parfois seulement en déclamant). Dans les ötürük aitys les propos doivent rivaliser d’absurdité jusqu’à ce que l’un des deux aqyn soit incapable d’aller plus loin. Si la compétition oppose un homme et une femme, c’est sur le thème de l’amour. Les joueurs de küi (küishy) ont aussi des compétitions tartys où ils représentent souvent leur propre clan.
 Traditionnellement, la musique kazakh est un art de soliste dont le cadre privilégié est l’invitation privée qonaqasi (équivalent du gap ouzbek). A partir de 1930 on constitua des ensembles d’instruments nationaux mais repensés selon les critères de l’orchestre symphonique (dombra et qobyz tenor, alto, contrebasse, etc.). Leur répertoire comprenait quelques pièces classiques occidentales et des küi traditionnels simplifiés, accélérés et orchestrés. A une époque où la musique traditionnelle était bannie, c’était la seule manière de préserver quelque chose du patrimoine kazakh. A partir de 1980 apparaissent des groupes plus légers jouant des instruments kazakhs, dont plusieurs, comme le shertar, le kernei, le zhetigen sont des reconstructions d’instruments anciens. Ces ensembles appelés otrar sazi (du nom d’une antique cité kazakh) interprètent des küi nouveaux conçus pour eux notamment par le dombriste Nurgis Tlendiev dans un style oriental, essentiellement monodique malgré des éléments polyphoniques, qui a recueilli l’adhésion du public.
 Dans l’ensemble le chant populaire a subi l’influence très marquée de l’opéra et de l’opérette, affectant même le timbre de voix avec la disparition des timbres riches en harmoniques. Ce nouveau style se propage partout avec la radio et les concerts. Par ailleurs, l’art des bardes et des  küishy repose sur la communication avec un public initié aux canons de perception et à des codes d’interaction où le bénéfice social dépasse la demande esthétique. La performance n’atteint toute son intensité que lorsqu’elle se détache sur les représentations poétiques voire magiques qui sont à l’origine même des compositions, et que l’interprète doit susciter par ses commentaires. Or les conditions du concert ne permettent plus cette mise en condition et favorisent les performances brillantes et faciles, mais dépouillées de leur aura poétique. Malgré ces changements, beaucoup d’artistes et de musicologues sont conscients de l’importance de préserver les formes et l’esprit traditionnels et il est permis de penser qu’ils parviendront à les transmettre aux générations futures.


B. KIRGHIZSTAN 


         CHANT PROFESSIONNEL

 La tradition kirghiz distingue plusieurs catégories de chanteurs, bien que certains pratiquent deux ou trois genres différents.  
 La plus prestigieuse est celle des manaschi, les chanteurs de l’épopée de Manas dans laquelle tout l’épique kirghiz a été unifiée. Manas avait libéré les Kirghizes du joug des Qalmuks à une époque dont la datation officielle remonte à dix siècles, mais qui pourrait être le 17ème siècle selon certains. Le cycle de Manas et de ses 40 compagnons se poursuit après la mort du héros avec les aventures de son fils Semetei ou Er-Töshtük. On chante aussi les épopées Göroglu, Altin ara, Arman Bet, Kurmanbek, l’héroïne Jange Marza, ainsi que la romance Ozobey Kinsijan. Des pièces instrumentales (küü) leur sont parfois dédiées, ainsi qu’à Kambarkan, un personnage légendaire qui est considéré comme le fondateur de la musique kirghiz. Chez les Kirghiz le chant épique a des racines plus anciennes qu’ailleurs en Asie Centrale car il a servi à rassembler les tribus et a fait d’eux une nation indépendante. On a collecté 2 millions de vers de Manas, et certains bardes comme Saiakbai en on dicté jusqu’à 500.000. L’ensemble constitue non seulement un corpus de contes et légendes, mais une encyclopédie de la culture kirghiz donnant des informations sur la vie quotidienne, la médecine, l’astronomie, la géographie, l’éthique, etc. On distingue deux corpus : le grand Manas de 400.000 vers, en 3 parties (Manas, Semetei et Seitek) et le petit Manas totalisant 84.000 vers et constitué de nombreuses sections ; à la différence du grand Manas, on l’accompagne au komuz
  On distingue deux écoles de narration du Manas : celle d’Issyqkul dont le fondateur est Saiakbai Karalaev, et celle de Tanshan fondée par Saginbai Orozbakov. La vocation des manaschi est souvent marquée par des rêves, des visions, des contacts avec les esprits, et validée par une sorte d’initiation.
 Le barde manaschi chante a capella au cours de performances qui peuvent durer une nuit entière. Son chant est parfois proche de la déclamation, parfois plus mélodique. Il utilise une quarantaine de mélodies dont l’expression est très contrastée : tranquille et monocorde pour les introductions et les descriptions, animée pour les batailles, pathétiques (dans le style koshok) pour la mort des héros. Les rimes ne sont pas régulières : parfois les vers ne riment pas, d’autres fois de nombreuses rimes identiques se suivent. Les intonations sont très variées et contrastées et la palette expressive est très large (rires gémissements, cris, larmes), faisant intervenir le mime pour suggérer le galop du cheval, le combat, la chasse, la prière, la malédiction etc.
 Les grands manaschi furent notamment Sayakbay Karalaev, Moldobasan Musulmankulov, Balyk (1783-1873), Keldybek Karybozov (1800-1880) et Nazar Bolotov (1835-1893). 

 Les bardes akyn sont des chanteurs et poètes populaires professionnels capables d’improviser des vers en s’accompagnant au luth komuz. Le terme akyn dérive de akhun qui, en Asie intérieure, a le sens de lettré et s’applique à certains chanteurs. Leur répertoire, chanté dans un style récitatif, comprend les formes dastan (narratif) et terme , dans lesquels on distingue les catégories : — didactique et moral (sanat, nasiat, etc.) ; - solennel pour les fêtes et les hôtes (kuttuktoo : félicitations, salamdashuu : salutation, maktoo et arnoo : panégyrique - kordoo : critique, réprobation, ou attaques visant les rivaux ou ennemis. Par rapport au manaschy, l’akyn est considéré comme chanteur “réaliste” car il relate souvent des événements dont il a été témoin. Il chante cependant aussi des mélodies empruntées aux épopées et arrangées en chansons ainsi que de petites épopées qui se distinguent du manas par le fait qu’elles sont cantillées sur des mélodies différentes et accompagnées par le komuz ou parfois par la vièle kiak. Comme les autres chanteurs kirghiz et kazakhs, les akyn, utilisent une voix de gorge riche en harmonique, mais leur style se différencie du fait qu’il ne comporte pas de pause entre les vers.
 Les akyn étaient au service d’un chef, et tenus à des obligations liées à certaines circonstances officielles, notamment la dépréciation des rivaux et de leurs akyn. Cette tradition s’est maintenue dans les aitish ou compétitions d’akyn. Certains akyn devinrent les porte paroles de la lutte contre le pouvoir féodal comme Togolok Moldo (1860-1942), élève du grand akyn Muzook, qui milita également pour l’émancipation des femmes et fut persécuté par les chefs manap et bai. Toktogul Satilganov (1861-1933) fut un grand akyn dont la mère composa de fameuses lamentations koshok. On peut citer également Sagymbai Orozbakov (1867-1930), Janybai Kodzetov (1869-1942), Bagysh Sazanov (1873-1958), Ahmat Rusmendiev (1891-1966), Mamet Chakamarov (1896-1973), Berybai Sultanov (1897-1940).

 Le terme yrchy (de yr : chanson) désigne actuellement un chanteur populaire doté d’une belle voix et s’accompagant au komuz, mais qui ne compose pas de mélodies. On distingue plusieurs sous-catégories de yrchy (opéra, variété, etc.). Le tökme yrchy (l’équivalent du sal seri ou du sorup salma kazakh) est capable d’improviser des vers (tökme) en toute occasion. Il s’accompagne au komuz sauf dans la région d’Osh où il chante sans instrument. Son répertoire comporte des éloges, des conseils (nasiat), dans la forme terme et des chansons d’amour que l’on range en 3 catégories :küigön (brûlure) aux sentiments très intenses, seketbai aux sentiments doux dédiés à une femme, sur un rythme à 5 ou 8 temps, ou arman  chantant l’amour déçu. Musa Baetov (1902-1949) fut un important dépositaire et compositeur de chansons populaires, ainsi que Atay Ogonbaev (1904-1950), élève de Toktogul.

         Les compétitions aitis

 Traditionnellement, l’aitis kirghiz est une compétition de chanteurs improvisateurs akyn qui se déroule dans le contexte de le fête toy, des funérailles ou au cours de grandes invitations données par les nobles, sous la yourte ou en plein air, et se déroulant durant l’été. Chaque école d’akyn développe son propre système d’improvisation avec son répertoire de clichés poétiques. On distingue les compétitions dites chon alkar aitis (opposant les grands akyn), mayramdik saltanat aitis (compétitions des fêtes) ; kayi aitis (opposant des femmes) tamasha aitis (humoristique), sin aitis (avec des chansons critiques et satiriques) ; tert akyn aitis (opposant trois ou quatre akyn). Généralement, le plus âgé commence, avec une présentation du thème au komuz, puis il chante avec le komuz et passe la mélodie à son rival. La forme est A B A B dans laquelle chacun doit présenter ses variations Toutes les parties de tous les participants sont dans le même mode et la même gamme.

         Chants populaires

          Les régions où la tradition musicale kirghiz est restée la plus pure sont Naryn et
Issyqkul. Les chants populaires yr ou obon sont liés à la vie nomade et pastorale. Le bekbekei (lit. “bien surveiller”) était chanté par les femmes les nuits d’été pour garder les troupeaux des loups. Il finit par une note très longue et aiguë ou par des rires et des exclamations. Le shyryldan est une forme voisine chanté par les gardiens de vaches en toute saison, notamment dans les jours les plus froids et lors des invitations où l’on sert le plat national besh barmak. La fabrication du premier alcool de lait jument khumys dans les pâturages d’été était l’occasion d’une fête ülüsh (“partager”) où l’on chantait ces chansons. Le dambir bash est un chant dévoué aux esprits protecteurs de l’agriculture et de l’élevage. Le opmaida est un très ancien chant de laboureurs du sud du Kirghizistan. On le chante à l’automne, sa forme est en couplet avec refrain. Il existe des chants pour la moisson, la chasse, le filage, le tissage, etc. ainsi qu’un répertoire de berceuses (beshik yri), d’enfants, de jeunes hommes et de jeunes filles, des chants humoristiques, et des formes narratives (zhomok) récités par un zhomokchu qui s’accompagne parfois au luth komuz. Les femmes aussi peuvent chanter des chantefables où alternent la déclamation et le chant. Certaines formes se prêtent à l’improvisation de paroles (kaila), pratique courante chez les Kirghizs.  Les différentes phases de la noce comportent des chansons (yr) particulières, gaies ou solennelles : Durant la première partie du mariage, un akyn chante un toy bashtar, puis kyz zhigit, puis zhar keruu, le plus important étant le zhar zharai, un chant qu’on trouve chez tous les türks d’Asie Centrale. Lorsqu’on chante à la fiancée les avantages de sa position d’épouse, elle doit écouter en pleurant. Le kyz uzatuu est une variété de lamentations chanté a capella, lorsque la fille quitte la maison pour aller dans celle du fiancé. Le kelin aluu toiu se chantent lors d’une cérémonie appelée kuda tushuu où les fiancés font connaissance. Qyz oinu, moins répandu de nos jours, est une chanson de mariage qui accompagne les jeux. Certaines classifications rendent compte des classes d’âge des chanteurs (chants de filles, de fiancée, de jeunes, etc.)
 Les lamentation koshok sont chantées a capella par les femmes, lors des enterrements ou des commémorations funéraires qui se tiennent un an après le décès ; Ces cérémonies occupent une place très importante dans la vie kirghiz. En dehors de ce contexte, ils sont chantés aussi par les hommes qui par ailleurs ont leurs propres chants funéraires okurou.  Les musiciens doivent présenter toutes leurs capacités vocales et leur façon personnelle d’interpréter les mélodies et les textes présente des traits hétérophoniques. Tous les airs sont en mode majeur, qui est perçu comme tragique, avec  des phrases se terminant en glissando de la tonique vers la grave. Chez les Kazaks, le même genre est appelé zhoktau ou daus. Chez les Kirghizs le zhoqto est une élégie chantée au cours des épopées pour célébrer la mort d’un héros ; elle peut être accompagnée au komuz. 
 Il existe beaucoup de chansons pour les enfants dont les genres les plus courants sont salbilek, kaak, kargalar, torpogum, kirmichek, silkinchek, ulagin, etc.
 Les chants de chamanes bakhshilar yri sont accompagnés par un bâton à clochette bakhshi asamusa ou asatayak. et suivent la forme A B C. Parmi les femmes chamanes (bakhshi) on distingue celles qui récitent et celles qui chantent (shynkyldagan). Une autre catégorie de chanteurs religieux sont les duvana, derviches qui chantent des formules coraniques, sans instruments sur un tétracorde ionique. Le zharamazan, que l’on trouve aussi chez les Kazakhs, Turkmènes, et Karakalpak, se chante dans le mois de ramazan à l’aube ou au coucher du soleil et en particulier le dernier jour.
 Comme chez les autres peuples nomades Türks, la danse est peu répandue, mais il existe une pratique correspondant à une sorte de transe où une personne danse au rythme de la musique jusqu’à tomber d’épuisement, après quoi on on joue doucement pour le calmer et l’aider à retrouver ses esprits.  

         Instruments 

 Le temir komuz ou (ou jiz komuz) est une guimbarde en métal dont le jeu est assez développé pour jouer des chansons. Il est donc considéré non pas comme un jouet mais comme un instrument qu’on joue parfois en duo avec la flûte choor, ou avec un autre guimbarde. Il combine une ligne aiguë en harmoniques et un ostinato dans le grave, comme dans le chant diphonique khömei dont le principe est connu des Kirghizs. Le zhygach ooz komuz est une guimbarde en bois.
  Sur l’ocarina chopo choor (“flûte d’argile”) on joue des pièces qui imitent parfois les chants d’oiseaux.
 Le choor (parfois appelé sybizgi) est une flûte droite en roseau ou en bois tourné et percée de 5 ou 6 trous donnant une gamme diatonique, avec parfois des 3/4 de tons.  Le kiak (ou kil kiak) est la variante kirghiz de la vièle monoxyle kazakh qobyz , dont la caisse est en forme d’amande renversée. Il est taillé dans un bloc d’abricotier et la partie inférieure, plus étroite, est recouverte d’une peau de bélier. Ses deux cordes de crin de cheval sont accordées en quarte ou quinte. Moins répandu que le komuz il se joue en solo ou pour accompagner le chant. De nos jours, il est associé au komuz ou à d’autres instruments dans des ensembles folkloriques.
 Le komuz est un luth à la caisse piriforme et au manche long dont la caisse plate et peu profonde est taillée dans un tronc d’abricotier (parfois avec le manche), et couvert d’une table en conifère. Son manche n’a pas de frettes et ses 3 cordes sont en boyau ou nylon. Il mesure environ 88 cm de long pour une longueur de corde de 60 cm. Le komuz est l’instrument le plus courant, notamment pour accompagner le chant. Son invention est attribué au légendaire Kambar protecteur mythique des chevaux et des bergers : il découvrit que les boyaux de mouton tendus donnaient un son et inventa le komuz qu’il monta de ces cordes. Depuis, la tradition veut que les musiciens fabriquent leur propre komuz.. 
             
 Les accords de base(tolgoo) sont au nombre de six, la corde aiguë étant toujours située au milieu : chyng tolgoo (“accord tendu”) : mi (1ère) la (2ème) mi(3ème), bosh t. (ou kambarkan, “accord relaché”): ré la ré, ong (“accord droit”): mi la ré, sol tolgoo (“accord gauche”) : mi la la (8ve inférieure), ters bosh : sol la ré, bosh ters : ré la sol et aussi shyngyrama : ré la mi, qui est le plus répandu avec les trois premiers.
 La jeu du komuz, très élaboré et virtuose, utilise des contrastes de sonorités et une variété des doigtés de la main droite (comparable à la technique de la guitare flamenco) qui lui donne une riche palette expressive. Certaines pièces demandent des gestes et attitudes théâtrales, et sans interrompre la mélodie, les joueurs de komuz font des démonstrations acrobatiques, jouant avec l’instrument derrière leur dos ou comme s’ils étaient à cheval dessus, le bercent comme un bébé ou le pointent comme un fusil. Les grands interprètescompositeurs de komuz furent Tilen, Toktogul Satilganov, Kurenkei (1826-1907), son fils Muratali Kurenkaev (1860-1949) (qui jouait de tous les instruments et avait un très large répertoire couvrant tous les styles et genres traditionnels), Toktomambet Orozov (ou Karamoldo), Ibraim Tumanov.  
 Le surnai est un hautbois en bois tourné, courant dans toute l’Asie. La longue trompe de métal kernei et le dool étaient des instruments militaires en usage jusqu’au milieu du XIXe Quelques mélodies de ce répertoire ont été adaptées pour le kiak.  
 Les chamanes bakhshi utilisent des percussions et scandent le nom d’Allâh avec le hochet achataiak. Les autres idiophones sont le dowul, doolbas, le dap, le nagra (nacaires) jikesan (ou jilajil) des grelots autrefois pendus au cou du chameau et utilisés dans les marches militaires. L’épopée de Manas mentionne beaucoup d’instruments disparus.

         Formes des chants

 Les gammes des chansons sont souvent du type diatonique majeur, parfois mineur, mais jamais purement pentatoniques bien que des éléments pentatoniques soient courants. Une échelle de base que l’on trouve dans les épiques et qui engendre plusieurs gammes heptatoniques est do si(b) la SOL ré, où sol peut être considéré comme tonique supérieure et tonique inférieure. Certains y voient des relations possibles avec la musique des slaves orientaux.
 La structure générale des chants est montante puis descendante dans un ambitus ne dépassant guère l’octave (ou la sixte). Souvent la mélodie provient de la libre déclamation du texte. Dans les récitatifs au tempo rapides, (qui comme chez les Kazakhs, sont appelées zheldirme “galop de cheval”) on chante une note par syllabe. Les mélismes fleuris se font sur des interjections hors texte et certains chants lyriques sont très développés, usant fréquemment de descentes en rosalie. 
 Le rythme est généralement calqué sur le mètre dont le plus usuel est en 7 syllabes (4+3), souvent allongé en 8 (4+4 ou 5+ 3). Un autre formule répandue parmi tous les peuples türks est 11 (4+4+3). La forme de quatrain AABA est prédominante et les lignes mélodiques sont alors du type ABCD ou ABCB, tandis que les chants populaires peuvent être mono ou bi thématiques A et AB. Leur mode est diatonique, et leur mouvement descend souvent en mélismes assez longs.

         Les compositions instrumentales küü -

 Les Kirghiz comme les Kazakhs ont développé le principe des pièces instrumentales descriptives ou narratives, küü, jouées au komuz, au choor et kiak. Les küü les plus nombreux sont destinés au komuz, mais certains küü peuvent être adaptés à d’autres instruments. Après s’être présenté lui-même, l’interprète doit raconter l’histoire du küü, la signification de son nom, parler de son auteur, des conditions de son inspiration, etc. A l’origine, le küü était probablement un élément d’une histoire, puis il s’en est détaché pour devenir autonome, seul le titre rappelant son origine. Enfin les compositeurs ont suivi cette tradition narrative, bien que l’on trouve rarement de rapport précis entre les phases de la narration et la forme musicale.
 Certains küü connaissent beaucoup de variantes et constituent un genre. Les küü destinés au choor, instrument pastoral joué par les bergers, évoquent souvent la beauté de la nature ou imitent la voix des oiseaux comme le rossignol ou le cygne (Akkuw un küü connu aussi des Kazakhs qui était à l’origine pour la flûte). Le küü Botoy (un genre très répandu), évoque l’égarement du petit chameau, la désolation de la mère et les joies de la retrouvailles. Certains küü proviennent de l’épopée Manas ; ceux qu’on appelle koshok sont des élégies célébrant la mort des héros. Les küü de komuz jouisse d’une audience populaire malgré leur complexité et leur sophistication. Lors des compétitions alym savak entre joueurs de komuz les mélodies étaient en partie improvisées. L’un commence et l’autre doit lui répondre en continuant avec le même küü, et celui qui ne peut continuer a perdu. Dans un autre genre de rencontre ulap chertme, 5 ou 6 musiciens enchaînent chacun une partie du küü.  

         Formes des küü 

 Les traits stylistiques des küü de komuz sont : - les changements de texture (une, deux, ou trois voix) et des éléments d’harmonie - les contrastes dynamiques - l’alternance de stabilité métrique et d’hétérometrie - les changements de tempo (de lent à rapide) dans certaines séquences. Ces traits sont plus caractéristiques des anciennes compositions que des modernes, peut-être influencées par les critères de régularité de la musique occidentale.  Du point de vue de la composition, les Kirghiz distinguent 3 sortes de küü   1) obon küü de forme simple, comme une chanson.
2)               zalqar küü, plus importants et longs, au caractère “philosophique”. Ce genre a été élaboré par des compositeurs comme Karamoldo .
3)               aitim küü qui demande une virtuosité théâtralisée : on imite par exemple les oiseaux ou la dernière flèche qui part. Ce genre, dont les fondateurs principaux sont Toktogul, Niaza Aly et Atai Shekirbek est très prisé dans la vallée de Talas (région d’Osh). 
 L’unité de certains küü n’est pas évidente, mis à part des récurrences de type rondo où les variations du thème sont engendrées par des variations de doigté. Certains sont entièrement basées sur ce principe. Ceux qui suivent une grande forme, comme Kambarkan comportent 3 parties : un thème et ses variations, un second thème dans l’aigu, une reprise du thème initial, avec conclusion. 
 Comme chez les Kazakhs, le registre grave (bas) correspond au sommet et le registre aigu à la base ou pied (ayak). On distingue 3 positions de jeu  :-basse mouun küü qui caractérise le genre Kambarkan ; la moyenne bel küü les genres Tolgoo et Krebez ; l’aiguë (ayak ou kokurok küü) les genres Botoy et Shyngaram.

Jean During (avec une contribution  de Razia Sultanova)

III. OUZBÉKISTAN & TADJIKISTAN 



1. Les formes musicales classiques Tadjik-Ouzbek
Science musicale, histoire, systèmes, pratiques

A. LES SOURCES DE LA SCIENCE MUSICALE

(par Sacha. Djumaev)

         L’histoire de la science musicale tadjik-ouzbek peut s’envisager en six étapes. 
1)    De nombreuses variétés d’instruments à percussions, de cordophones et d’aérophones - datant du 2ème s. A. C. au Ve A.D. ainsi que des peintures, terres cuites, sculptures, etc. attestent le développement de la musique savante dans la Bactriane, le Tokharestan et la Sogdiane. On ne dispose pas de sources écrites sur la musique de cette période dont la science était peut être transmise oralement seulement. 
2)    D’après les sources islamiques, le légendaire Bârbad (fin 6ème s.), barde de la cour sassanide, originaire de Marv (actuellement au Turkménistan) établit le plus ancien système modal connu de 360 mélodies (dastân), sept modes khosravâni (parde ou maqâm), 30 lahn (dont les noms nous sont parvenus). Il ne laissa probablement pas d’écrits mais sa conception influença l’élaboration du système des modes persans et centre asiatique à l’époque islamique. 
3)    Le remarquable développement de la science musicale dans le monde arabo-
islamique durant le 10 - 13ème  s. est en relation directe avec la culture centre asiatique qui compte beaucoup de savants et musicologues tels que Fârâbî (873-950) de Fârâbî sur le Syr Daria, Avicenne (Ibn Sinâ) (980-1037) des environs de Boukhara, Muh. al-Khwârazmi (910980) auteur d’un chapitre sur la musique dans son encyclopédie Mafâtih al-‘ulûm ou le fameux savant et théologien Fakhr al-Dîn Râzi (1149-1209) qui rédigea au Khorezm son encyclopédie scientifique Jami’ al ‘ulûm (1179) comportant un chapitre didactique sur la musique. Ces auteurs, et d’autres dont les travaux ont été perdus, ont crée ce qu’on peut appeler une “école scientifique orientale”, s’appuyant sur l’héritage grec et romain. Il existait probablement une autre école, parallèle à celle-ci, mais moins scientifique et plus pratique, qui représentait l’ancienne école perso-khorassanienne. Il ne reste qu’un ouvrage pour étayer cette hypothèse, l’opuscule unique, en persan, de Muh. Neyshâpuri (fin XIIe, début XIIIe s) consacré à l’ancien système khorassanien de 12 modes, qui était en rapport avec l’école de Boukhara. 
4)    Durant le 15ème s. Samarcande et Herat furent de grands centres musicaux. Après la prise de Baghdad en 1392, Tamerlan amena avec lui à Samarcande le fameux musicien et théoricien Khwâje ‘Abd al-Qâder Guyande al-Marâghi (m. en 1435 à Herât) auteur du traité persan Jami’ al-alhân (achevé vers 1405). Il s’établit à Herât où la pratique et la théorie musicale furent florissantes sous le règne du timouride Huseyn Bayqarâ (1469-1506) durant lequel le fameux auteur soufi ‘Abd al-Rahmân Jâmi (1414-1492) écrivit son Resâlât al-Musiqi, et Zayn al-‘Abedîn al-Husainî (fin 15ème s.) son Qânun-e ‘elmi o ‘amali et Kamâl al-din Banâ’î (m. 1512) son Resâle'i dar musiqi. Après Safî al-Dîn, tous les théoriciens écrivent en persan, qui était devenu une langue scientifique. Les traités de musique de l’école de Herât étaient basés sur l’approche mathématique de l’école “scientifique Orientale” dans la continuation de Fârâbî, Ibn Sinâ et Safî al-Dîn Urmavî (13ème s.), mais ils mettaient l’accent sur l’organisation des modes en 12 maqâm, 6 âvâz, 24 sho’be déjà exposée par Marâghi. De nombreux autres traités ne nous sont pas parvenus, comme ceux de Abu’l-Vafâ’î Khwârazmi, Bû ‘Alîshâh, Divânâ Hisâmi, Shihâb al-Din ‘Abdallâh Marvârid (m. 1526 à Herât), Zahir al-Dîn Bâbûr (m. 1530) etc. 
 5.) Après la chute de Herât, Boukhara devint le grand centre musical de l’Asie Centrale, et jusque dans les années 1920 fut le principal foyer de la science musicale de toute l’Asie intérieur. Un des fondateurs de l’école scientifique de cette période fut le poète et musicologue Najm al-Dîn Kawkabî Bukhârî (m. en 1531) élève du fameux sheykh soufi khorassanien Khwâje Yusûf Burhân (al-Din) de Herât (m. c. 1492). Kawkabi rédigea un traité consacré globalement au système des 12 maqâm. Il écrivit aussi des poèmes didactiques sur les rythmes (usûl) et les modes et réforma la théorie des maqâm en s’appuyant sur les traditions de Herât et de Boukhara. Du 16ème  au 18ème s., Kawkabi et ses disciples eurent une influence jusqu’en Iran et en Inde du Nord. A cette époque plusieurs musiciens, poètes et soufis de Boukhara émigrèrent en Inde et laissèrent des traités de musique comme Qâsim ibn Dûst ‘Ali al-Bukhâri auteur du Kashf al-avtâr (1580). Darvîsh ‘Alî Changî (m. 1620), formé par Hasan Kawkabî, un disciple de Najm al-Dîn Kawkabî, rédigea un important “Traité de musique” qui donne de nombreuses informations sur l’histoire de la musique, les musiciens, les théoriciens et la musique de l’Asie intérieure à différentes époques notamment au 15ème et 16ème s. 
6) Au cours des 17ème -19ème s. de nombreux traités de musique anonymes en tadjikpersan virent le jour, décrivant toujours le système des 12 maqâm d’après le traité de Darvish ‘Ali. A partir du 18ème s. apparaissent à Boukhara les premiers traités sur le Shash maqâm. Une nouvelle tendance semble alors se dessiner dans la musique savante A Boukhara, dans le Khorezm et le Farghâna, on compila des collections(bayyâz) de poésies classiques en persan-tadjik et parfois en ouzbek, destinées à être chantées dans des maqâm particuliers (Buzruk, Navâ, Segâh, etc.) Ces compilations donnent aussi les noms des rythmes usûl et des indications sur les structures des formes musicales. Ils sont parfois rattachés à de courts traités dans lesquels mentionnant des légendes, des mythes et des histoires sur les maqâm. Un fait intéressant dans la pratique et la théorie du Khorezm (Khiva) est l’invention de notations de tanbur vers 1874 par Pahlavân Niyâzbashi Khwârazmî (1825-1897). Dans ce système furent notés les maqâm de cette tradition ainsi que d’autres sortes de musiques. De nos jours et probablement depuis bien longtemps, l’approche scientifique de la musique, développée entre le 10ème et le 16ème siècle, est devenue hermétique pour les musiciens, ce qui ne les a pas empêché de transmettre la tradition classique et ses règles.



B. LA MUSIQUE D’ART 


 Les Ouzbeks et les Tadjiks établissent une distinction de niveau entre deux genres, qui, selon les critères occidentaux, correspondent tous deux à la musique classique : -d’une part les grands cycles de compositions dont le plus prestigieux est le Shash maqâm, -d’autre part les compositions autonomes non organisées en cycles. Les premières constituent un corpus stable et fermé, supposé ancien, dont les auteurs ne sont généralement pas connus. Les secondes se conforment pour l'essentiel aux mêmes principes structurels et esthétiques, mais dans des formes plus dépouillées et plus concises ; dans l’ensemble, elles sont moins anciennes et leur compositeur est généralement connu. Ce genre est appelé khalq muzikasi (“musique du peuple”) en ouzbek et musiqi-i khalqi en tadjik, ce qui ne signifie pas qu’il soit par essence populaire ou folklorique, ni non plus léger (par opposition à une grande musique) mais qu’il est ouvert et enrichi constamment par les oeuvres d’interprètescompositeurs (bestekâr). Les grands cycles comme le Shash maqâm sont devenus des emblèmes culturels nationaux et les mélodies qui le composent sont toujours appréciées ; cependant de nos jours, le répertoire khalqi tend à supplanter le maqâm canonique dans sa fonction de musique “classique”. 
 Dans l’usage courant actuel, la catégorie khalq musiqasi englobe aussi bien des chants très savants que de simples airs de danse ou des chansons populaires urbaines dont la facture présente des traits classiques. Les pièces instrumentales y sont très rares, mais il est possible d’interpréter les chansons sur les instruments seuls. Il n’y a pas de clivage très net dans les pratiques musicales et les interprètes formés à la musique “classique” passent aisément du genre classique au genre populaire urbain (mavregi, lapar khâni, etc.) selon la demande du public. De même, ils peuvent chanter en ouzbek ou en tadjik, utiliser des instruments modernes (accordéon, synthétiseur) pour jouer des airs traditionnels, ou adopter des chansons étrangères (persanes, afghanes, arméniennes ou âzeri). 

         Maqâm et musique de cour 

 La musique d’art atteignit son apogée à partir du 15ème siècle, à la cour des émirs de Boukhara et Samarcande, et plus tard à la cour de Khiva (Ouzbékistan) Qoqand (vallée de Farghâna), ainsi que dans des villes comme Khujand (Tadjikistan) et à Kashgar et Yarken (Turkestan chinois). Selon certains témoignages, cet art était une synthèse d’éléments persans, turcs et arabes, voire même mongols et chinois. Il s’agit d’une musique bien distincte de celle pratiquée dans le monde rural ou nomade par la complexité de ses formes et par les poésies qu’elle utilise. 
 A la cour des émirs et des khans des répertoires organisés en cycles ou suites, appelés Maqâm, furent élaborés vers la fin du 18ème siècle, succédant à l’ancienne organisation modale en 12 maqâm. Le répertoire de Boukhara était le Shash maqâm (en persan :“six maqâm”), celui de Khiva (Khorezm) le Altï yarim maqâm (en ouzbek : “six maqâm et demi”), et celui de Qoqand ou Khujand Chahâr maqâm (en persan : “quatre maqâm”). Quoique bien distinctes, ces traditions et leur répertoire présentent un grande unité formelle et stylistique. Le Shash maqâm boukharien est la plus importante tradition classique des Ouzbeks (qui vivent aussi dans le Nord du Tadjikistan) ainsi que des Tadjiks du Nord (qui vivent aussi à Boukhara et à Samarcande en Ouzbékistan). 
 Selon les régions ou les publics, la musique d’art se chantait en persan, en ouzbek, ou les deux à la fois. Le Shash maqâm boukharien, également en usage à Samarcande et Panjikent, était entièrement chanté sur des vers classiques en persan, la langue de culture de cette région. Ce n’est qu’à partir des années 30 que l’on y adapta des poèmes anciens en türk tchagataï, ou modernes en ouzbek. En revanche, les maqâm du Khorezm et en partie ceux du Farghâna sont traditionnellement chantés en langue türk, sauf exception. Après la constitution des états ouzbeks et tadjiks en 1929, le Shash maqâm se scinda en deux branches linguistiquement distinctes (ouzbek et persan) et depuis lors, des efforts ont été faits de part et d’autre pour maintenir cette distinction. 
 Jusqu’à la révolution bolchevique de 1917 les musiciens de haut niveau bénéficiaient du patronage de l’aristocratie à la cour de Boukhara et de Khiva. Ceux de la cour de Qoqand furent dispersés avec la liquidation de ce khanat et sa colonisation par les Russes dans les années 1860, mais leur répertoire se perpétua notamment à Tachkent sous le nom de maqâm de Farghâna-Tachkent. Les musiciens de l’émir de Boukhara étaient appelés ratifakhôr ("appointés") et n’avaient pas le droit de se produire en privé. Les chanteurs étaient rangés en deux catégories, les reqâbi qui pratiquaient le Shash maqâm comme cycle, et les sawt-khân qui chantaient des pièces vocales individuelles. Le genre Maqâm était pratiqué dans les cérémonies et les événements sociaux, aussi bien à la cour que parmi les gens : fêtes de réjouissance (toi) données à l'occasion d'un mariage, d'une circoncision, d’une naissance ou de la visite d’un hôte de marque, fêtes du calendrier (nouvel an, nawruz) avec spectacles en extérieur, ou banquets et soirées plus restreints. Avec la révolution bolchévique, les musiciens de cour furent considérés comme des suppôts du féodalisme, et la musique dut se frayer un chemin dans la nouvelle société. De nos jours, les musiciens ont généralement acquis leur art au conservatoire, dans un club culturel officiel, ou en écoutant des disques, tandis que l’apprentissage traditionnel qui consiste à vivre dans la proximité d’un maître (ostâz) est plus rare. Toutefois depuis les années 2000, dans la plupart des cultures d'Asie centrale, on valorise à nouveau le modèle de transmission idéal de maître à disciple (ustad-shâgird).

         LE SYSTEME MUSICAL

         Traits caractéristiques  
         Les traits caractéristiques de la musique d'art sont :  
 -Échelles de 12 intervalles chromatiques, gammes diatoniques, heptatonisme (avec motifs pentatoniques dans le maqâm Buzruk). Dans le passé, certains tons étaient abaissés grâce aux frettes mobiles, donnant approximativement un 3/4 de ton abaissé d'environ 2 commas, comme dans le mode Bayat. Certains musiciens en ont conservé le souvenir sous forme de nuances d’intonation ou d’ornementation. L'étude des intonations antérieures à l'ère soviétique n'a pas été entreprise. La rareté des intervalles de ton augmenté constitue un trait particulier des musiques d’art de Transoxiane.
 -Prépondérance des tempo lents. Lignes mélodiques douces sans grands sauts d’intervalles ; — structure progressivement ascendante, puis descente ; — utilisation d’un grand registre vocal ; - organisation architecturale du répertoire : groupes et sous-groupes de pièces, de modes, de rythmes, constituant des vastes ensembles distincts ; - quasi absence de genre non mesuré, pas d'improvisation, mais larges possibilités d’interprétation ou d’arrangement ; — place privilégiée du chant en solo.

         Le Shash maqâm
 Le Shash maqâm a pris forme au 18ème siècle, mais son principe remonte à l’ancienne suite arabo-persane nowba et se retrouve dans les traditions arabo-andalouses et ouïgoure. Le terme maqâm évoque l’idée de “grande musique”, de structure de cycle ou suite, et accessoirement l’idée de “mode mélodique”. Shash maqâm signifie à la fois “six suites” de pièces vocales et instrumentales régies par des principes d'organisation rythmique et mélodiques, et “six modes” (ou plus précisément, six organisations de types mélodiques). Chaque “suite” porte le nom de sa mélodie modale initiale, soit dans l’ordre : Buzruk, Râst, Navâ, Dogâh, Segâh, Irâq. En plus de ces six “modes”, il existe des types mélodiques subordonnés appelés sho’ba (de l'arabe “branche”), qui s’adaptent au contexte modal, comme Bayât dans le maqâm Navâ ou Oshshâq dans le maqâm Râst. Ces sho'ba peuvent servir de base à la composition de pièces indépendantes du Shash maqâm.
  Selon Is’haq Rajabov, la transformation du système des 12 maqâm et de leurs sho’be (qui remonte au 13ème s. à Nishâpuri et Safioddin), en 6 maqâm (ou suites) s’est amorcée en Asie Centrale au 17ème siècle. Dans le Shash maqâm, les sho’be de l’ancien système correspondent aux compositions vocales maîtresses, intitulées Nasr, et sont au nombre de douze : en Buzruk : Nasrollâhi et Ozzâl ; en Râst : Oshshâq et Sabâ-Nawruzi ; en Navâ : Bayât, Âraz et Hoseyni; en Dogâh : Chargâh, Âraz et Hoseyni ; en Segâh : Khârâ-Nawruzi et AjamNawruzi ; en Irâq : Irâq Mohayyeri. A ces sho’be peut s’ajouter Râk, une pièce instrumentale dans le maqâm Râst. 
 Les pièces constitutives d’un maqâm sont toujours désignées par deux noms : celui du cycle rythmique (qui détermine aussi une forme, un “mouvement”) et celui du mode de base (parde, litt. “doigté”). Par exemple Talqin-i Navâ signifie “le talqin (et son rythme propre) du maqâm Navâ”; Tasnif-i Dogâh signifie “le tasnif appartenant au maqâm Dogâh”. Le premier terme (talqin, tasnif, etc.) renvoie à un cycle rythmique (osul) dont une douzaine environ sont utilisés dans le maqâm. Ainsi, tous les talqin ou tasnif suivent le même cycle rythmique. Seuls les tarâna n’ont pas de rythme spécifique. Dans le maqâm, les mélodies sont désignées par un mode et un cycle, tandis que le titre des mélodies khalqi réfère seulement au poème chanté, au caractère expressif ou à un mode sans référence au cycle.

         Organisation du Maqâm
 Le Shash maqâm totalise environ 252 pièces réparties en six cycles ou maqâm, dont la structure de base de chaque cycle se compose des formes Tasnif, Mukhammas, Sarakhbâr, Nasr et Ufar. Certaines autres formes n’apparaissent que dans un ou deux maqâm, comme les pishrow, sam’â et khafif. De même, les tarâne sont accessoires. Sa structure générale est la suivante :

         I. Section instrumentale Mushkilât (de la racine shkl, “forme”).
            Chaque maqâm commence avec 4 à 8 pièces instrumentales dans les formes suivantes, dans l’ordre, les plus importantes étant soulignées : 

Le tempo s’accélère légèrement d’une pièce à l’autre, ce qui est aussi plus ou moins le cas des pièces vocales.
             
            II Section vocale, Nasr (litt. “texte”) 
A premier groupe de sho’be
Il comprend 12 à 17 pièces vocales (sho’be, litt. “branches”) dans l’ordre suivant :
Sarakhbâr correspondant au rythme du coeur, appelé aussi zarb ol-qadim), Tarâna
(entre 2 et 6 pour chaque maqâm)
Talqin (5/8 +2/4), Tarâna (entre 0 et 1), (3 Tarâna dans les maqâm Buzruk et Irâq), Nasr (6/4) (sauf dans Irâq), Tarâna (entre 0 et 2), Nawruz (en Râst et Segâh), Tarâna (entre 0 et 2), Ufar.
Certaines pièces n’apparaissent que dans un ou deux maqâm, comme Mohayyer, Nasrollâhi en Buzruk, Talqincha-i nawruz en Râst, Âraz, Tarâna et Hoseyni en Navâ et Dogâh.
 Les Sarakhbâr, Talqin et Nasr sont de forme complexe et développée, tandis qu’Ufar est plus simple et évolue sur un rythme de danse. Les Tarâne, de facture plus légère et construits sur des poèmes populaire (souvent en métrique syllabique), ont une fonction d’intermède. Dans le passé, les maqâm proprement dits, avec leurs différentes sections citées jusqu’à Ufar étaient désignés par le mot sarakhbar ; l’expression “sarakhbar-i Navâ” équivalait à Navâ proprement dit sans ses sho’be. De nos jours le terme maqâm englobe également les grandes parties appelées sho’be (annexes).

         B. Second groupe de sho’be
         (Le maqâm Irâq ne comporte pas de second groupe)
       1ère SOUS-SECTION. Chaque maqâm comporte entre 5 et 6 pièces parmi les formes

(Le maqâm Segâh n’a qu’une sous-section).

 On voit que l’enchaînement Mughilcha, Talqincha, Qashqarcha, Saqinâme et Ufar peut être considérée comme le centre de l’organisation maqâmique en général. Le principe structurant un maqâm est l’évolution ou la variation rythmique, bien plus que modale. Le Tasnif reflète fidèlement l’esprit du maqâm sans ses modulations, et les pièces instrumentales ont des structures différenciées, mais d’’un maqâm à l’autre, les pièces portant le même nom de forme/rythme (comme Sarakhbâr, Mughilcha’i, Talqincha, etc.) diffèrent peu dans leur structure générale, si bien qu’on a pu dire qu’il s’agit de variantes de la même composition. De plus, à mesure qu’un maqâm progresse de la section I à IIA et IIB, les mélodies se ressemblent davantage et dans les sho’be vocaux c’est à peu près la même ligne mélodique qui est adaptée à des structures rythmiques et métriques différentes. 
 Dans le passé, rares étaient les maîtres qui avaient une tessiture suffisante pour chanter tout le répertoire. Les chanteurs étaient généralement spécialisés dans une forme (Talqin, Mughilcha, etc.) et la performance d’un maqâm était assurée par plusieurs chanteurs intervenant en fonction de leur spécialité. Les tarâna, dont l’interprétation est plus facile, étaient souvent chantés par des amateurs parmi le public, ce qui permettait aux chanteurs de se reposer. On peut supposer que cette spécialisation leur permettait une plus grande maîtrise rythmique et donc une liberté d’interprétation et d’improvisation qui s’est quelque peu perdue. 

         Rythmes et Mètres
 Les formules rythmiques sont appelées osul (litt. “principes”), terme qui s’applique aussi à la danse et connote donc un “mouvement” au tempo et à la structure rythmique spécifique. Le style classique demande une grande sobriété d’interprétation, et seuls les Mughilcha et Sâqinâme autorisent des variations significatives (qochirim). On dénombre environ 20 osul dont cinq ou six sont cités dans les anciens traités arabo-persans et se retrouvent sous des formes différentes dans les traditions turques et arabes. La forme tarâne correspond pas à un cycle particulier et peut ses faire sur des mesures variées :

En plus de ces rythmes, il en existe d’autres dans le répertoire khalqi qui n’ont pas de nom.  
 Les poèmes chantés sont empruntés aux auteurs classiques persans (Rudaki, Hâfez, Sa’di, Jâmi, Amir Khosrow, Bidel), türks-persans (Fuzuli, Navâ’i), türks (Mashrab, Saqqâki) ou à des poètes locaux moins connus (Hilâli, Khojandi). Ils sont construits sur des mètres dont les plus courants sont :

Les poèmes des tarâne sont de facture populaire et ne suivent pas la métrique classique.

         Structures mélodiques et modales du Shash maqâm
 Chaque pièce s’articule en un certain nombre de “lignes”de texte (khatt) c’est à dire de phrases mélodiques basées sur un vers (mesra) qui sont suivies d’un hang, une vocalise mélismatique sur des mots étrangers au poème (dâd, ey yâr, ey jân, etc.). Le hang ne se fait pas forcément dans les premiers vers, mais à mesure que l’on progresse dans le poème, il devient plus important et atteint son plein développement au cours des culminations awj. Dans cette phase, qui correspond au cœur du poème, le rythme du chant est moins marqué et il est même possible de briser le cycle.
           Toutes les mélodies partent du registre grave, progressent lentement vers leur sommet
(awj) puis redescendent assez vite au grave. A l’exception des tarâne tous les airs chantés du
Shash maqâm peuvent se diviser en 5 moments : darâmad (introduction), miân khatt (section médiane) un ou deux awj (apogée), do nasr (répétition du thème fondamental à l’octave), foruvard (descente, conclusion). Lorsqu’il y a deux awj, le premier est dit “moyen” et le second, “grand”. Les modulations éventuelles (namud) interviennent dans cette section. Les compositions khalqi suivent la même structure, mais dépassent rarement 3 sections. Les pièces instrumentales du Shash maqâm suivent une structure de rondo alternant un “refrain” (bâzgui) et des sections variées (khâne, litt. “chambre”), agencées selon la formule a ab abc abcd, etc.
             
 Les musiciens n’envisagent pas les maqâm et sho’be comme des entités modales abstraites, mais comme des pièces autonomes réunies par affinités, conception qu’on retrouve dans le Muqam ouïgour. Il existe bien des noyaux modaux qui permettent d’identifier une pièce sans l’avoir entendue : ré mi sol pour Buzruk, ré-fa pour Navâ, cependant ces noyaux sont quelque peu ambigus, comme si au-dessus de la configuration d’intervalles et de mouvements mélodiques, existait une forme latente identifiable malgré les différents aspects qu’elle peut prendre. Ainsi certains “modes” comme Oshshâq se transforment lorsqu’ils sont introduits dans un autre contexte modal. L’identification d’une pièce entendue pour la première fois est un jugement complexe qui prend en compte plusieurs paramètres autre que les “noyaux” ou la structure modale. Ce que l’auditeur repère tout de suite, c’est le genre rythmique, non la forme modale. A l’origine chaque maqâm et ses modulations était construits sur l’échelle de tanbur (qui était diatonique) et un accord particulier de l’instrument, mettant en valeur certaines résonances. Cet usage s’est perdu et avec l’utilisation de frettage chromatiques les modes sont transposés sur différents degrés. De plus, pour des raisons de tessiture, il est fréquent d’enchaîner plusieurs séquences d’un maqâm, mais en transposant certaines d’entre elles, au préjudice de la cohésion modale du maqâm

 Le namud est la figure modale initiale, l’« indicatif » d’un sho’be de référence ou d’emprunt qui lui donne son nom. Il apparaît dans la section awj (culmination) comme un motif “étranger” dans le contexte modal d’un sho’be donné, comme brève citation d’un autre maqâm. S’il appartient au sho’be lui même, il se démarque alors des autres sections (par ex. de Donasr, une variation du premier khatt développé à l’octave) par quelque élément comme la hauteur. Certains namud circulent dans diverses sections, comme namud-i Navâ dans le Sarakhbâr de Navâ et dans d’autres sho'be, namud-i Nawruz-i Sabâ en Râst, dans le 1er groupe de sho'be de Segâh. Ils sont en général enchaînés par deux ou trois, parfois avec des awj spécifiques. L’utilisation de namud-s dans une composition exige une bonne maîtrise technique, c’est pourquoi on ne les trouve que dans le répertoire sophistiqué du Shash maqâm. Certains awj sont des stéréotypes que l’on retrouve dans divers développements de maqâm ou de compositions isolées et qui portent un nom, comme awj-i zebâ pari, ou awj-i turk. Les grandes sections se terminent par un supâresh, une conclusion sur un tempo rapide qui résume le développement mélodique du sho’be. 

PERFORMANCE ET COMPOSITION 

 La première transcription du Shash maqâm fut faite en 1924 par Uspensky, à partir des versions d’Âta Jalâl Nasiroghli (m. 1928) et Atâ Ghiâs. Elle ne comporte pas les paroles parce que les officiels ouzbeks voulurent cacher le fait que tous les poèmes du Shash maqâm étaient en persan. Par la suite on y adapta des vers ouzbeks et l’on publia une version persane (entre 1950 et 1967) pour le Tadjikistan et une version ouzbek pour l’Ouzbékistan. La version tadjik, éditée par V.M. Beliaev, est basée sur trois transmetteurs : Bâbâqul Feyzollâev, Shahnazar Sâhibov, Fazloddin Shahâbov. Elle comprend 5 volumes totalisant 1200 pages. La version ouzbek publiée par I. Akbarov (1959) doit beaucoup à Yunus Rajabi (1897-1976) qui fixa définitivement le corpus ouzbek en synthétisant plusieurs sources différentes, et provient également de transmetteurs tels que Âta Ghiâs et Âta Jalâl, M. Tashpulatov, B. Zikriev, M. Tâlmasov, I. Davidov, M. Mullâqandov. 
 L’ouvrage Uzbek khalq musikasi (éd. Akbarov 1959) consiste en une compilation du Shash maqâm, du maqâm de Farghâna-Tachkent, de pièces classiques (khalqi) et populaires, etc. Par la suite le Shash maqâm fut édité séparément par F. Karomatov et Is’haq Rajabov (1970). Yunus Rajabi restaura le Shash maqâm en collaboration avec les meilleurs maîtres et composa lui-même certaines sections “manquantes”. Les musiciens interprètent ces notations selon les directives de la tradition orale. Récemment sont parues les notations d'A. Babakhanov, le petit-fils du dernier chanteur de l'émir de Boukhara (Jung, 2010). Une édition exhaustive, à la fois prescriptive et analytique, est préparée à Dushanbe par Abduvali Abdurashidov. Son interprétation et a été publiée en DVD.

 Le Shash maqâm étant un répertoire fermé, les compositeurs s’expriment dans un genre parallèle, appelé khalqi, qui varie entre le style classique et semi-classique et qui suit les mêmes principes que le Shash maqâm. Parmi les principaux compositeurs on peut citer : Mullâ Toichi Tashmuhamedov (1866-1943), Shâhrahim Shâhomarov (1876-1945) Dâmla Halim Ibadov (1878-1940), Tokhtasin Jalilov (1896- 1966), Matyâqub Kharratov (du Khorezm, 1889-1952) I. Rajabi (1897-1976), Mohammadjân Mirzâev (n. 1909), Mamurjân Uzakov (1904-1964), Kamiljân Âtaniâzov (du Khorezm 1917-1975), Ârifkhân Hâtamov (n. 1925), Rasul
Qâri Mamadaliev (1928-1976), Bâymohammad Niâzov (n. 1927) Tâlibjân Sâdiqov (19071957), Fakhreddin Sâdiqov (1914-1976). La créativité n’étant pas séparé du rôle des interprètes et des transmetteurs, il convient de citer également les plus fameux, tels que Ahmad Dânesh (1827-1897), et ses élèves Isâ Makhdum  (1827-1888), Abdulqâder Khâja-i Sawdâ (1823-1873). Parmi les contemporains de Ata Jalâl (1845-1928), les chroniques mentionnent les noms de Ata Ghiâs, Abdokarim Tanburi, Nazrollâhbek Tanburi, Qâri Najim, Qâri Kamâl, Turâbqul Mehtar, Levicha Bâbâkhânov (1873-1926) et Hâji Abdolaziz Rasulov (1852-1935). Les grands interprètes de la génération suivante sont notamment Jurakhân Soltânov (1893-1964), Berta Davidova (n. 1922) Barnâ Is’hakova (n. 1927), Turgun Alimatov (n. 1922), Arif Alimaqsumov (n. 1929) Fattah Khân Mamadaliev (n.1928) Jurabeg Nabiev, (n. 1941), Monâjât Yulchieva (n. 1960), Nodira Pirmatova (n.1976).  

             


Performance et instruments  
  Le style classique tadjik-ouzbek réunit un soliste accompagné de deux ou trois instruments. L’instrument principal pour l’accompagnement du Shash maqâm était le tanbur, associé au tanbur à archet (appelé satâ(r). Le luth à deux cordes en soie dotâr n’intervenait pas dans les pièces instrumentales, mais de nos jours il a trouvé une place essentielle aux côtés du ghijak (vièle à pique) et du rabâb (luth à table en parchemin, emprunté aux Ouïgours vers 1920). La flûte traversière nay, est également d’usage courant, tandis que la double clarinette qoshnay (empruntée au Khorezm) est plus rare. Le tambourin dâyera est présent dans toutes les formations. Les voix recherchées sont puissantes, nasales, tendues, et d’une grande tessiture.  
 On sait que certains musiciens commençaient leur performance en improvisant sur leur instrument dans le style non mesuré dit shahd, puis chantaient un Sarakhbâr en s’accompagnant au satâ. En abordant les pièces plus nettement rythmiques des sections talqin et nasr, ils laissaient l’archet et pinçaient les cordes avec un onglet à l’index (technique du tanbur) ; dans les pièces conclusives Saqinâme et Ufar, de caractère dansant, ils s’accompagnaient au tambourin (dâyera), soutenu par un ou deux instruments. Dans la seconde moitié du 20ème s. l’ensemble traditionnel a été été étoffé par les luths târ et ‘ud, et la cithare qânun empruntés aux Azerbaïdjanais et Arméniens.
 Durant la période soviétique, on recadra la musique classique tadjik-ouzbek comme un art profane destiné à la performance en salle de concert et réunissant de vingt à quarante instrumentistes et choristes. En dehors des interprétations officielles en grands ensembles, le maqâm est toujours joué par des solistes dans des cérémonies et des contextes sociaux dont l'atmosphère incite au recueillement tels que les réunions amicales régulières (gap, ziâfat, majlis, gurung) où l’on discute en mangeant et buvant, ou encore les âsh, réunion matinale qui consacre solennellement le mariage. 
 En dehors de quelques tentatives isolées, le maqâm de Boukhara (comme celui de Khorezm) n’est jamais joué d’une manière exhaustive et cyclique, et les pièces sont fréquemment abrégées. Dans le passé les chanteurs devaient être capables d’adapter instantanément un texte nouveau sur une mélodie connue, et dans les parties culminantes (awj) d’un chant, ils pouvaient introduire des variations, des modulations (namud) et dissocier le chant de la mesure. De nos jours c’est dans cette marge étroite de l’ornementation et de la variation (qochirim) que l’interprète déploie son art avec des broderies appelées soupirs (nâle) “douceurs” (shirin kâri), “saveurs” (tatlik).

Jean During (avec une contribution  de Razia Sultanova)


2. OUZBÉKISTAN 


             

         A. Maqâm de Farghâna

  La vallée du Farghâna, qui s’étend de Khujand (ex Leninâbâd) et Isfara (Tadjikistan) jusqu’à Margholân, Andijan et Qoqand (Ouzbékistan) possède son propre répertoire, le Chahâr maqâm (persan “quatre maqâm”) appelé en Ouzbékistan Maqâm de FarghânaTashkent. Il se chante d’une ville à l’autre en ouzbek (Qoqand, Andijan) ou en persan (Khujand, Isfara), mais du fait que les chanteurs du Farghâna se sont installés à Tashkent il a été fortement ouzbekisé.
 Le répertoire de Farghâna-Tachkent compte quatre maqâm autonomes : Bayât, Chârgâh, Dogâh-Hosayni, Gulyâr-Shahnâz. Dans chacun de ces cycles on enchaîne les formes suivantes, dans l’ordre : Mughilcha (5/4), Talqincha (3/8 +3/4), Qashqarcha (4/4), Saqinâme (4/4), Ufar (6/8). Les pièces les plus importantes qui le composent sont articulées en 3 grandes sections : introduction (darâmad), culmination moyenne (orta awj) et culmination (awj) vite suivie d’une conclusion. 
 Le style vocal du Farghâna est considéré comme plus agréable et plus doux que celui de Boukhara et il tend à se répandre même chez les chanteurs issus d’autres traditions. Il se distingue par ses riches ornements et un caractère stylistique qualifié de chapânlik, c’est à dire inattendu et habile. Si le Maqâm de Boukhara a bénéficié du prestige de la cour et d’une ancienne tradition littéraire et scientifique, celui du Farghâna est considéré comme le cœur de la vie musicale ouzbek et depuis plus d’un siècle compte les plus grands interprètes et compositeurs. La politique culturelle ouzbèke a contribué à sa diffusion, au détriment du Maqâm boukharien et khorezmi, ainsi que des textes des chants en persan . En tant qu’axe de circulation vers la Kashgarie, le Farghâna possède une tradition musicale assez proche de celle des Ouïgours. 
             

         B. Maqâm du Khorezm

 Le Khorezm était une entité politique autonome, turcisée vers le 12ème s., dont le niveau culturel fut exceptionnel jusqu’à la destruction de Khiva par Gengis Khân. A l’origine, le répertoire était composé de pièces autonomes, et ce n’est qu’au milieu du 19ème s. que furent organisées les le cycle de maqâm. Ce processus fut l’œuvre de Niâzjân Khoja, un grand musicien de cour qui se rendit à Boukhara à la fin du 18ème s. pour étudier le Shash maqâm. De retour au Khorezm il fonda une nouvelle école de maqâm et développa un répertoire original, notamment avec ses élèves Kâmil Khwârazmi, Firuz et Muhrkan. Le Altïyarïm maqâm du Khorezm (lit. “six maqâm et demi”) contient les mêmes maqâm que le Shash maqâm, mais augmentés de Panjgâh, inclus dans Râst. Il comporte des formes et des rythmes spécifiques comme les pishrow, et des formes dont le nom se retrouve dans le Shash maqâm, mais avec des contenus différents. Il semble que la partie vocale introductive était de rythme non mesuré (comme dans le Muqam ouïgour), avant d’être recadré en deux temps comme dans le sarakhbâr du Shash maqâm. Tout le maqâm du Khorezm a été noté en une tablature originale pour le tanbur, entre 1882 et 1884. 
         La structure générale du maqâm khorezmien est la suivante :

         I section instrumentale.  
 Entre 5 et 8 pièces parmi les formes : Maqâm, Tarji, Pishrow, Mukhammas, Saqil, Nim saqil, Zarb ol-fath, Samâ’i, Khafif, Pakhta zarb (Fâkhte), Ufar. Les quatre premières, ainsi qu’Ufar, se trouvent dans chaque maqâm.

         II Section vocale, naqsh

 Les principales sections sont : Maqâm (ou tan-i maqâm, “corps du muqâm”), Tarâna, Talqin, Suvârâ, Naqsh, Nasr, Ufar, Faryâd, Sabâ, Muqaddima ne se trouvent que dans certains maqâm.
 En plus des cycles du Shash maqâm, on trouve les suivants :

 Le genre suvâra de Khorezm est comparable au maqâm mais sous une forme réduite qui culmine très vite dans le registre aigu. Ii constitue un système clos de 5 sections importantes (suvâra) chacune suivis de chansons brèves appelées sawt. Sa thématique mystique et son expression pathétique en font un genre plus accessible aux amateurs que le maqâm.
 
             

         B. LES RÉPERTOIRES POPULAIRES URBAINS 

         Les troupes de musique de fête  

 Les fêtes toi, en particulier les noces, constituent l’événement central de la vie urbaine et rurale. Les noces comportent plusieurs phases étalées sur plusieurs jours, dans lesquelles la musique joue un rôle important.
 Le type de musique et d’artistes varie selon le lieu (dans la maison du fiancé, dans celle de la fiancée, dans les processions) et selon les étapes de la fête. A l’aube, durant le âsh, on joue de la musique savante grave et recueillie pour un public restreint. Dans la journée les troupes de mavregi jouent un bazm (fête) Jamshidi, et le soir, toutes sortes de musiques peuvent se succéder, jouées par des amateurs ou des professionnels. La plupart des chanteurs classiques se produisent dans les toi où ils étendent leur répertoire aux chansons populaires et en tirent l’essentiel de leurs revenus. Par ailleurs il existe plusieurs corporations de musiciens professionnels dont la fonction est d’animer les fêtes. 

 MEHTAR. Pour les fêtes publiques, les manifestations officielles et les processions de mariage, on recrute des bandes de mehtar, joueurs de hautbois conique surnay assistés de tambourins dâyera, des timbales naqqâra et de trompes karnâ donnant deux ou trois notes en ostinato rythmique. Au Khorezm, ces ensembles sont appelés sâzanda. Comme les autres troupes de fête, ils faisaient traditionnellement partie de guildes de musiciens, danseurs acrobates (mehtarlik) qui fut remplacée par l’Union Professionnelle des Artistes. Le répertoire de mehtar du Farghâna et de Hisâr (Tadjikistan) se compose de pièces classiques (râh en tadjik, yol en ouzbek, litt. “voie”, “type mélodique”) telles que Irâq et Chöl Irâq, Monâjât, Gardun-i Segâh. Il s’agit à l’origine de mélodies instrumentales sur lesquelles on a mis des paroles. Les pièces de ce genre comportent généralement une introduction de rythme non mesuré et deux ou trois sections sur des rythmes différents dont le dernier (Ufar en 6/8) est plus dansant. 
 Il existe un petit répertoire de compositions rythmiques, Pilla, jouées au dâyera, pour accompagner une danse de femme représentant la fabrication de la soie à partir du cocon. Cette danse, mise au point par Alim Kamilov et la danseuse Tamara-khânym vers 1934, suit une structure de rondo, alternant un cycle (osul) variable et un cycle invariable. Le genre raqs dersligi (leçon de danse), élaboré récemment, commence par un roulement riz, correspondant à la giration du danseur. On passe graduellement du simple au complexe dans des rythmes en 6/8 - 3/4 suivis de 6/4. Il peut se jouer à 2 ou 3 dâyera à l’unisson ou non. 

 SAZANDA. A Boukhara et Samarcande les troupes de sâzanda se composaient uniquement de femmes chantant et dansant en s’accompagnant du tambourin (dâyera). De nos jours, des hommes s’y joignent avec divers instruments ou pour exécuter des pantomimes tirées d’un ancien fond folklorique, devant un public mixte. Les danses et les chants (lapar-khâni) sont très spécifiques, et bien que les invités puissent y participer, ne sont bien exécutées que par des professionnelles. Le répertoire des sâzanda est composé de chansons au caractère léger, où alternent les voix d’une soliste et du choeur, ainsi que de quelques pièces classiques au caractère plus grave. Depuis quelques décennies, dans les groupes de sâzanda sont apparus des instruments traditionnels (luths târ et rabâb, viole ghijak) et modernes (accordéon et synthétiseurs) avec haut-parleurs et chambre d’écho. Cette évolution et acculturation est attestée dans la plupart des musiques légères d’Asie Centrale. 
             
 MAVREGI. Les troupes de musique de noce de Boukhara intègrent également un genre musical originaire de Marv (ville turkmène de culture persane) d’où son nom mavregi. Les ensembles de mavregi sont composés de cinq ou six personnes d’origine iranienne et chiite chantant en s’accompagnant au tambourin (dâyera). Leur performance (bazm) consiste en suites (payt) qui s’ouvrent avec un chant non mesuré Shahd (litt. “sirop de sucre”) suivi de plusieurs mouvements : Gardân, Sarkhân, Châr zarb, (qui peut avoir 5 ou 6 parties). La langue du répertoire des mavregi est le persan ou le tadjik, mais dans certaines chansons de noce on alterne des vers tadjiks et ouzbeks, procédé appelé shir o shakar (“lait et sucre”). Comme dans le répertoire des sâzanda , les chants sont antiphoniques, avec un soliste et un choeur.

 Dans le Khorezm, la musique de noce est dans les mains de groupes de femmes appelées khalifa, terme qui désigne aussi les détentrices d’un savoir religieux. Les khalifa chantent à deux, trois ou quatre (dont une danseuse) en s’accompagnant au dâyra. Elles se produisent plus souvent pour les femmes, mais sont assistées par des hommes qui jouent dans un style plus moderne. Leurs chansons sont groupées par cycles (dawr) dans lequel le tempo va en s’accélérant.
 La condition de musicien professionnel étant discréditée dans la culture musulmane, les musiciens de noce sont issus des classes inférieures de la population : les sâzanda sont en majorité des juives les mavregi sont des descendants des captifs vendus à Boukhara, et les khalifa sont issues du petit peuple.

 Le KATTA ASHULA est un chant de fête non mesuré, traditionnellement a capella, sur des vers classiques ouzbeks ou tadjiks, pratiqué dans le Farghâna. Généralement 3 ou 4 chanteurs se succèdent de manière ininterrompue, chacun chantant un distique. Le dernier, chantant l’apogée, est rejoint par un autre, puis le chant s’achève à l’unisson. On chante à pleine voix sur des notes longues, en tenant une petite assiette sur le côté de la bouche, pour diriger le son, et parfois pour battre le rythme. 
 Le katta ashula ressemble aux types mélodiques et aux awj du Maqâm : comme le falak tadjik, il commence très haut et son ambitus est étroit. Considéré comme une forme “artistique” durant la période soviétique, le katta ashula est lié, dans la vallée du Farghâna, à la pratique du zikr soufi et au haqqâni autrefois chanté dans les assemblées religieuses de derviches ou de laïcs musulmans aussi bien que juifs. De nos jours il se pratique lors des cérémonies funéraires ainsi que dans des contextes ordinaires où les femmes chantent entre elles et les hommes entre eux, pour exprimer des sentiments profonds. Les chanteurs, au nombre de deux ou trois, mettent la paume de la main ou une assiette sur le côté de la bouche. Ils peuvent mélanger deux ou trois textes de facture populaire (dobeyti : aaba, aaaa). Cette forme, très populaire en Ouzbékistan, est généralement enchaînée à une chanson mesurée assez rapide. Dans les régions bilingues, les vers tadjik-persans alternent avec les vers ouzbeks. 

         C. MUSIQUES POPULAIRES RURALES et RELIGIEUSES

 Le terme ashula désigne toute sortes de chansons qui constituent l’essentiel des pratiques musicales populaires englobant des airs de variété, les berceuses alla, les chansons à danser yalla, les quatrains lapar, les formes qoshiq, et celles plus élaborées comme le katta ashula et les chansons dites professionnelles. Généralement les ashula commencent dans le grave et montent progressivement.
 Le qushiq est une chanson folklorique de plusieurs strophes, dont l’une est un refrain (naqarât). Traditionnellement, ils sont crées simultanément, mais de nos jours, la poésie et la musique sont conçues à part. 

 Chant religieux. Dans l’ensemble, il n’y a pas de clivage net entre les domaines sacré et profane, notamment dans les pratiques musicales, à l’exception des chants rituels proprement dits (psalmodie du Coran ou de la Thora). Dans une même soirée un chant spirituel peut être suivi d’une chanson à danser, et selon certains, le Shash maqâm dans son ensemble porte la marque de l’éthique et de l’esthétique soufie. En marge du domaine “classique”, les soufis ont développé un répertoire vocal propre, appelé zikr maqâm, destiné à soutenir le rythme des litanies et invocations collectives (zikr) sur différentes formules respiratoires (Yek zarb, Du zarb, Se zarb et Châr zarb : soit un, deux, trois, quatre inspirations”). Certains chants classiques ainsi que le genre katta ashula sont d’origine soufie.
 Dans les villages de la vallée du Farghâna, une catégorie de femmes appelées âtin ây jouent un rôle important dans la perpétuation des traditions religieuses, morale et musicales. Elles sont issues de familles de religieux (mollâ) ou de récitants du Coran (qâri) et transmettent les valeurs spirituelles à travers leurs chants et leurs poèmes lors des événements marquants de la vie familiale (naissance, mariage et décès) et lors des fêtes religieuses. Leur rituel commence par une suite de prières hamd (louange à Dieu), na’t (louange à Muhammad et aux prophètes bibliques), louanges aux quatre califes, aux Imâms, aux grands sheykhs soufis. Leurs chants simples, répétitifs et proches du récitatif se font souvent en choeur et comportent des éléments de zikr, sur des poèmes ouzbeks. 

         Les bardes bakhshï et zhïrau  

 En dehors du Farghâna et des environs des grandes villes où la musique classique a une audience populaire, la tradition musicale des campagnes est dans les mains de bardes (zhïrau ou bakhshï selon les régions) perpétuant des formes musicales et poétiques anciennes. On les trouve notamment dans les régions de Qashqadaryâ et Surkhandaryâ. Le terme bakhshï atteste des connexions avec le chamanisme. Il s’applique selon les régions à deux catégories : les bardes proprement dits et les chamanes qui pratiquent la guérison par la transe en battant du tambourin et psalmodiant des formules islamiques. Comme les chamanes de leurs ancêtres nomades türks, les bardes sont les gardiens de la mémoire du peuple, à travers des récits épiques (histoire de Idigei) abondants en références animistes qui témoignent d’une vision sacrée de la nature. Même leurs mélodies instrumentales (kui) sont généralement narratives ou descriptives ; elles font plus qu’imiter les sons des animaux (galop du cheval par ex.), mais en donnent une représentation globale. Les Qongrat, Türks non ouzbek de Boysun, invoquent toujours par leurs chants un esprit féminin, Sus Khatïn, pour faire venir la pluie.  
 Un barde et ses 2 ou 3 élèves détiennent à eux seuls l'intégralité du répertoire. Dans une économie d’échange, ils jouent sans demander de rémunération, prenant ce qu’on leur donne. Ils ne travaillent guère que durant la saison des noces (toi) et exercent généralement un métier annexe le reste du temps. Les instruments sont limités et les formes peu variées (en dehors des textes) et peu perméables aux influences extérieures. Un trait musical caractéristique de l’univers magique des bakhshï est l’utilisation d’un timbre de voix grave riche en harmoniques (dérivé du khöömei mongol), Elle est qualifié d’ «intérieure» (ichqari âvâz) et opposée aux voix aiguës et “extérieures” (tashqari âvâz) des chanteurs des villes (hâfiz). Son ambitus de Sprechgesang suggère la concentration et l’introversion, et son absence de culmination (awj) contraste avec les musiques savantes et populaires urbaines des Ouzbeks et des Tadjiks. De même les instruments sont simples (luth dombira, clarinette sïbïzik) et utilisent une tessiture étroite mais un jeu dense. 
 Les chants s’organisent en sections terma (lit. “rassembler”) de dix à vingt minutes, et en longues narrations dastan sur des thèmes héroïques ou galants, en une poésie qui n’est pas conçue pour la lecture mais pour le chant. Certains bardes connaissent plus d’une cinquantaine de dastan. Les vers sont composés de 7, 11 ou 15 syllabes, divisés en césures de 3 segments ou plus et arrangés selon la structure AAAA AABA. Certains bakhshï ouzbeks, à l’instar des aqïn kazakhs, sont capables d’improviser des poèmes de circonstance. L’instrument des bakhshï est le dombira, luth piriforme, sans frettes, à deux cordes en nylon accordées en quarte. On y joue des pièces (kui) intitulées chupâncha, dombira kui, bakhshï, kui, etc. Le dombra est utilisé par les bergers pour rassembler les moutons ou les conduire à boire sur des mélodies spécifiques. 
 On distingue trois grandes écoles de bakhshï : 1) la région montagneuse allant du nordest de Qashqadarya à Boysun en Denau. 2) L’école de Shahr-i sabz, jusqu’aux plaines de Qarshi, 3) celle de Sherâbâd dans la plaine de Surkhandarya. Chacune a son style à elle et des traits techniques. 
 Les histoires (dastan) les plus courantes sont celles de Alpamïsh (héros Qongrat qui vainquit les Qalmuks, 12-13ème s., de Amir Teymur (Tamerlan), de Koroghly (héros légendaire du 16-17ème s. d’origine Tekke Turkmène, chanté dans toute l’Asie Intérieure).

 Les bardes zhïrau karaqalpaks ont conservé des formes narratives anciennes très proches de celles de leurs homologues kazakhs, chantées sur un ambitus restreint, avec une voix de gorge, accompagnée du qobuz vièle monoxyle à deux cordes en crin de cheval, qui est aussi l’instrument des anciens zhïrau kazakhs des chamanes türks. Ils chantent les histoire de Iedigei, de Shahryâr, de Qoblan ou des Quarante filles (qïrq qïz) et des récits historiques (tolghau) vestiges des antiques épopées türk.
 Un chant épique comporte 4 parties après lesquelles le barde récite de la prose : l’accordage, -la mélodie avec deux variantes - une déclamation - un chant final avec séquence mélismatique. Le zhïrau doit parvenir à une sorte d’état d'ébullition (qaynamaq) qui n’est pas sans rapport avec l’origine chamanique de sa fonction.
 Une autre catégorie de bardes karakalpaks sont les bakhshï qui chantent des poèmes lyrique (ghazal) ou épiques (dastan) et des chansons qoshïq. Il existe deux écoles, fondées au 19ème s. par Musâ Bakhshï et par Suiegho Bakhshï un barde d’origine turkmène. Les autres grands Les autres grands bakhshï furent Gharipniâz, Eshvâi, Gien, Akimbet. Leur art est proche de celui des Turkmènes Châdori, mais différent des Turkmènes Tekke auxquels ils ont emprunté les épopées épiques et lyriques Göroghli, Shahsanam et Gharib ou Sayatlï Emra. Beaucoup plus étendu que celui des zhïrau, leur répertoire comprend jusqu’à 80 types mélodiques (nâma) ainsi que des pièces instrumentales. Les modes suivent des gammes heptatoniques avec des intervalles de ton et demi tons, et les rythmes sont en 2, 3, 5, 6, 7 et 9 temps. Le bakhshï s’accompagne au luth dotâr à deux cordes en métal, soutenu par la viole qïrjäk et joue par ailleurs des pièces de dotâr solo. Les autres instruments sont la flûte traversière nay, le balaman (single reed pipe), et le tambourin dap ou dâyera. La guimbarde (shin kobuz, ouzbek changavuz), comme dans toute l’Asie centrale, est jouée par les femmes.   Dans le Khorezm, les bardes populaires chantent des mélodies de type urbain dans un style intermédiaire entre l’Ouzbékistan et l’Azerbaïdjan s’accompagnant au târ âzeri soutenu par le dâyera le balaman et éventuellement un accordéon.
  

3. TADJIKISTAN


         GENERALITES

 Les Tadjiks, de souche indo-iranienne de langue persane-tadjik, sont répartis au Tadjikistan, au Nord de l’Afghanistan ainsi qu’à Boukhârâ et Samarcande (Ouzbékistan), dans les campagnes ouzbeks, et au sud du Xinjiang (Chine). Le Tadjikistan, qui était autrefois contrôlé par les émirs de Boukhârâ, fut à partir de 1929 une des républiques socialistes d’U.R.S.S., puis déclara son indépendance en 1991. Ses 143100 km2 comptent 93% de reliefs montagneux, peuplés de près de 8 millions d’habitants avec une importante minorité türkophone Ouzbek (au nord-est et sud-ouest), Lakay et Kirghiz. 
 Le Tadjikistan comprend deux zones musicales bien distinctes malgré certains éléments communs : — a) le Nord, où l’on pratique un genre classique commun avec les Ouzbeks (Shash maqâm boukharien à Panjikent, et Chahâr maqâm du Farghâna à Khujand et Isfara), — b) le reste du pays, où les modes, les rythmes et les instruments sont tout différents. Malgré les difficultés de communication, la culture et la musique tadjik du sud présentent une unité. On peut distinguer deux grandes aires musicales : l’est avec le Badakhshân et l’ouest, avec notamment les district de Karâtegin (capitale Kulâb) et de Darwâz (Qala-i Khum), qui sont avec Gharm les principaux foyers musicaux. Il existe aussi des petites traditions distinctes comme dans la région de Hisar, et les traditions türk des Ouzbeks Lakay et des Kirghiz du Badakhshân. De même, la région montagneuse de Yagnâb, au Nord constitue une enclave où les cultures environnantes n’ont pas pénétré. La musique y a peutêtre conservé des éléments sogdiens mais se rattache apparemment à la culture musicale iranienne d’Asie centrale.
 Les Ouzbeks et les Tadjiks ont constitué durant des siècles une entité culturelle et politique homogène et bilingue, gouvernée par les Emirs de Boukhârâ et par des petits émirs locaux. Après la révolution, les villes tadjikes de Boukhârâ et Samarcande revinrent à l’Ouzbékistan et le Shash maqâm classique fut ouzbekisé. Si l’art classique du Maqâm (de Boukhârâ ou du Farghâna) est apprécié par les Tadjiks du nord, ceux du sud ne s’y sont jamais intéressé. Tout en préservant cette tradition, la politique culturelle promeut depuis quelques années des formes musicales plus enracinées dans le terroir. Les Tadjiks voient l’origine de leur musique d’art dans la cantillation des textes zoroastriens, ghata et se réclament du fameux musicien de cour Bârbad (VIe s) Leur musique populaire présente des traits spécifiques dont certains, peut-être très anciens, ont pu être préservés par les difficultés de communication et les contraintes climatiques qui définissent un mode de vie rural très stable.
             

         A -LA MUSIQUE PROFESSIONNELLE  

 La distinction entre musiques savante et populaire n’existe pas dans la tradition tadjik du sud et ne peut s’appliquer à l’art des hâfez ou bardes dits “professionnels”, l’équivalent tadjik des bakhshï ou zhïrau türks. S’ils chantent aussi des poèmes populaires, la majorité de leurs chants sont tirés de la littérature classique persane-tadjik qui jouit d’une large audience populaire. Comparée au Shash maqâm, ses rythmes sont brefs et moins variés, et surtout ses mélodies, plus simples et moins étendues, ne sont pas organisées et classées en longues suites, mais, regroupées au maximum par séquences de trois ou quatre. Le concept de maqâm n’y est utilisé que par analogie avec le maqâm classique et pour rendre compte de certains genres qui s’en rapprochent. Dans ces limites étroites, les hâfez ont développé une musique intimement liée au texte, combinant des rythmes à 4, 5, 6 ou 7 temps sur les mètres classiques (aruz), dans des mélodies aux contours peu contrastés. Ils s’accompagnent eux-mêmes au dotâr maida (dotârche, dombra), un petit luth à deux cordes sans frettes, au grand luth setâr à trois double cordes ou plus, parfois à la vièle ghijak ou au dotâr à frettes, seul ou soutenu par un ou deux instruments et un tambourin dâyera ou un tambour-calice en terre cuite tablak (région de Kulâb). Au Badakhshân, les hâfez s’accompagnent au luth rabâb ou tanbur à table en peau de cheval, utilisé d’une manière autant rythmique que mélodique. Certains hâfez réunissent des orchestres de nombreux instruments, notamment l’accordéon et le synthétiseur. 
 Ce qu’on attend d’un grand hâfez, ce n’est pas la beauté et la virtuosité de la voix, mais l’originalité et le style (oslub, mâherat), le goût dans le choix des poèmes et leur mise en musique. Sans ces qualités, le hâfez reste un amateur chantant pour son plaisir et celui de son entourage ; il sera invité à animer les noces de village et jouira de la respectabilité d’un lettré. Certains grands hâfez parvinrent à définir des styles régionaux qui furent adoptés par tous les autres, comme Aka Sharif Jurâyev (m. 1961) Adine Hâshimov (1937-1994) de Kulâb, et plus récemment Dawlatmand Khâlov dont les chants sont des arrangements d’airs du Pamir. 

 Un stade intermédiaire entre le maqâm et les chants des hâfez tadjiks est le maqâm de Darvâz, qui s’est développé à la cour de l’émir de Darvâz (Qala’i Khom) sous l’influence de musiciens originaires de Boukhârâ, mais utilisant les matériaux modaux et mélodiques, ainsi que les instruments régionaux, parfois adaptés (comme le dotâr). Il s’agit d’un petit répertoire de pièces plus élaborées que les chants des hâfez, enchaînées au nombre de 3 ou 4, et dénommées maqâm. Il comporte des pièces appelées Mostazâd (comme le maqâm boukhârien Navâ), ou Saqi Nâme, mais le nom des mode (maqâm) n'est pas mentionné, sauf depuis quelques temps sous l’influence des théoriciens, et par analogie avec les maqâm classiques (comme Navâ ou Segâh). Aka Sharif Jurâyev le fameux hâfez de Qal'a-i Khom, ranima et répandit ce style dans lequel il composa de belles pièces en arrangeant les thèmes locaux dans l’esprit boukharien. Il unifia et institutionnalisa la suite de danse Chahâr zarb, originaire de Darvâz, dont les versions était alors dispersées, en s’inspirant du style mawregi de Boukhara, en quatre mouvements dans une tempo en accelerando (chahâr zarb : quatre rythmes).
             
 Le répertoire des hâfez est classé en 12 genres selon leur thématique. On peut les grouper en cinq grands catégories dont les trois premières sont les plus répandues : 1. amoureux (âsheqâne), -sur le sentiment d’éloigement géographique (gharibi), -sur la douleur et la nostalgie (gham o anduh), sur le dénuement, la misère morale (nâchizi, nâdâri, bi navâ'i). 2. -moral (akhlâqi, qeydavi) maximes et sagesses (pand o nasi'at), sur la déception de l’amour et la précarité du monde (bi vafâ'i), discussion entre la terre et le ciel. 3. -de nouvel an (nowruzi) et de noce (toiâne). 4 -religieux : louange au Prophète et à la sainte famille ; Ascension du Prophète, -de mendiants religieux ou de derviches (qalandari). 5 -épique (harbi o zuri) -patriotique (vatani). Les poèmes sont tirés des auteurs classiques persans et tadjiks anciens et modernes, tels que Jâmi, Hâfez, Rumi, Sa’adi, Khayyâm, Bidel, Lâyiq, Hâji Hoseyn, etc. Il existe aussi un riche répertoire de pièces instrumentales, et toutes les chansons peuvent être simplement jouées au dombrak.
 Les hâfez ne participaient pas seulement aux fêtes. Ils étaient parfois invités officiellement à passer plusieurs semaines dans un village pour animer les longues soirées d’hiver. Des soufis organisaient des auditions spirituelles (samâ’) dans une mosquée avec un hâfez qui chantait des poèmes mystiques ou sapientiaux (pand o nasihat) en s’accompagnant du dotârche. Il existait un répertoire de derviches errants (qalandar) dont des traces subsistent seulement dans une saynète (bâzi) costumée qalandar bâzi.
 Parmi les hâfez les gurughli-khân, forment une catégorie à part. Ils chantent en tadjik l’épopée du héros turc Gurughli (Köroghlï) célébré par tous les bardes, de l’Asie Centrale au Caucase, en utilisant la voix de gorge serrée et riche en harmoniques des bakhshï türks. La version complète de Gurughli comporte plus de 100.000 vers en 33 histoires distinctes, 16 types mélodiques et 13 mètres rythmiques de 2, 3 et 6 temps sur lesquels s’adaptent des vers sur des mètres tels que °  — °  — ° °  — / °  — °  — °  — °  —,  ou : ° °  — ° °  — ° °  —  —.  Chaque histoire est composée d’un certain nombre de sections band, qui se chantent sur une ou deux mélodies ou davantage. La séance commence par une séquence instrumentale sarakhbâr, suivie d’un quatrain (robâ’i) ou d’un sonnet (ghazal) souvent à thème religieux, puis la narration commence avec un prélude chanté (terma). Entre deux groupes de vers aux rimes différentes est cantillée une séquence non mesurée, barbast. Pour marquer la fin d’une section mélodique ou d’un groupe de vers, on fait des vocalises sur la syllabe hi. La fin d’une histoire est marquée par une descente, le foruvard

         B. LA MUSIQUE POPULAIRE


 Les deux formes fondamentales sont le falak (lit. “firmament”, “fatalité”) et le râghi. A l’origine le falak-e dashti (“de la plaine”) se chantait durant les récoltes dans les vallées, lorsque les travailleurs étaient loin de chez eux. Aussi se faisait-il sans instrument, et dans un rythme non mesuré afin que la voix pleinement déployée puisse s’entendre d’un village à l’autre. Le thème des falak est généralement la douleur de la séparation, du destin ou de l’amour. Plus tard on joua ces chants à la flûte ney et à la vièle jighak. Chaque région avait son propre falak, auquel elle donnait son nom (falak-e râghi, falak-i badakhshan, etc.). Ces mélodies se répandirent dans le pays et furent mises en rythme pour donner de chansons de fêtes dont la forme la plus appréciée devint le râghi que certains mettent en rapport avec le râga de l'Inde mais qui réfère à une région du Pamir. Alors que le falak demande une voix aiguë et puissante qui descend lentement dans le grave, le râghi se chante dans un registre moyen accessible à tous, et est toujours mesuré. Le falak non mesuré est est parfois enchaînée à un ou deux chants mesurés appelés également falak. L’essentiel de la contribution des hâfez fut de tirer de nouvelles mélodies des falak, conformément au principe : “une mélodie ne peut naître que d’une autre mélodie”. En retour, leurs chansons se répandirent dans le répertoire populaire. Depuis les années 2000, le falak a été valorisé par la politique culturelle au même rang que le Shash maqâm classique, mais comme un bien purement tadjik.
 Le genre dâyera bazmi est dit remonter à une époque où le seul instrument était le tambour sur cadre (dâyera). Il peut s’agir de survivance de rites soufis (qâderi ou rifâ’i). Il réunit tous les hommes capables de chanter et de jouer du tambourin, dans un tempo qui va en s’accélérant.
 Dans les fêtes, la musique est toujours accompagnée de danses individuelles faites par les hommes, les femmes, et parfois les deux ensemble. Au Badakhshan les mouvements sont plus sophistiqués et l’on pratique en outre de nombreuses danses animalières (du cheval, du chameau, de l’aigle) masquées (du fou, divâna bâzi, bâbâ pirak) et travesties (mogholbâzi), ainsi que des pantomimes accompagnées par de chants, des percussions, la vièle ghijak. ou le luth rabâb.  
 Dans le Farghâna tadjik et dans la région d'Istravshon (Uroteppa) où la musique de maqâm occupe une place importante, les traditions populaires sont différentes. On y chante à l’unisson des pièces naqsh rangées  —selon leur ordre de performance et leur tempo croissant- en grand naqsh (naqsh-i kalân ou mullâ), moyen (miyâna) et petit (khurd), au rythme de danse en quatre motifs. Le naqsh commence par une section non mesurée chantée par un soliste, puis le choeur intervient et fait alterner des mesures de 3, 5, 6, 7 et temps selon différentes configurations. Il s’agit d’un genre très ancien, remis à l’honneur récemment.

         Le Badakhshan  

 Les Tadjiks du Badakhshan se distinguent par leurs dialectes pamiriens (shoghnâni, roshani, wakhi), leur appartenance au chiisme ismaélien et leur tradition musicale qui comporte les genres suivants : 
1                 — chants religieux et de louanges (madâhkhâni), notamment pour les assemblées religieuses, sur des poèmes soufis et religieux en persan classique. Il englobe des sitâyesh (ode de louange, sur des vers mokhammas), monâjât (supplique) ; 
2                 — chants lyriques (ghazalkhâni) sur des textes classiques célébrant l’amour (parfois confondus avec le genre madâh), ou de sagesse nasihat
3                 — chants populaires a) falak (thème de la fatalité) ; dargilik, chantés plutôt par les femmes et jeunes filles, en solo ou duo, sur des sujets douloureux ou sur les beautés de la nature ; lala’ik (berceuses sur les thèmes de sagesse ou de tristesse, souvent chantées après un falak), souvent en dialecte. Au Wakhân et à Roshân on appelle ce genre dodo’ik ou duvduvik et on distingue aussi le genre nostalgique bulbulik “amour du rossignol” ; b) chansons pour les phases de la noce ; c) danses : rapâ, et autres ; 4— maqâm ou navâzesh, airs instrumentaux.
 Chez les Tadjiks Sarikul du Xinjiang, les pièces sont très courtes, généralement monothématiques, de tempo vif, souvent en 7 temps. On distingue six genres liées à différentes circonstances : 1) d’assemblée (majlis), avec rabâb, setâr et daf. On y danse en groupe, hommes et femmes ensemble, en couple ou tout seul, sur des chansons en dialecte ; 2) Chap suz (nay et dâyera), chant et danse, y compris chansons d’amour ; 3) Tanbak suz (ney et dâyera) ; 4) buzqala bâzi, “jeux de troupeaux de chèvres” ; 5) volvolakik et junjigar; avec troupeaux de chevaux ; 6) qasâ’id, lamentations funéraires, chants dramatiques chiites, accompagnés du luth bulandzughâm. Parmi les chansons on distingue les robâ’i (quatrains en persan) et les falak, qui se subdivisent en falak proprement dit, bolbolik (en persan ou en vakhi), arkatilok, tilomjun. A cela s’ajoutent des chansons récentes. Il existe aussi des danses masquées, ou argomok imitant un cavalier. 
 La musique du Badakhshan utilise des instruments spécifiques : le grand luth setâr, le luths monoxyles à table en peau, rabâb, tanbur et balandikâm ou bulandzughâm. On y trouve aussi le ghijak ou jighak, une vièle à 3 cordes dont la caisse est un bidon métallique de récupération, le nay qui désigne au Xinjiang une flûte droite sans sifflet, constituée d’un os d’aigle (ou de vautour) et ailleurs une flûte à bec en bois tourné (tutiq).  
             

         TRAITS TYPIQUES DE LA MUSIQUE TADJIK

 Les modes tadjiks sont conçus, comme les jens arabes ou “genres” grecs, en tétracordes ou pentacordes parfois étendus à six notes, mais jamais à l’octave. Dans la musique instrumentale, on enchaîne souvent plusieurs séquences dans un ordre ascendant, de manière à couvrir une octave. Les gammes sont heptatoniques, combinant des intervalles de 1/2 tons, tons, 3/2 tons. On distingue des nuances qui justifient la préférence pour les instruments non frettés, mais les 3/4 de tons subsistent seulement au Pamir chinois où le setâr donne la gamme DO ré mi p FA sol la p si b DO. (p = demi bémol).
 Dans l’ensemble des mélodies tadjiks, le modes les plus courants sont les suivants, donnés à partir du dotârche, luth à deux cordes accordé sol-do :  la SOL fa mib réb DO (si) // lab sol FA mi réb DO (si) // sol la si DO ré mi fa sol //si do ré MIb

Le chromatisme est un trait typique de cette musique qui témoigne probablement d’un état antique de la musique orientale. Un enchaînement de modulations typiques est par exemple : si do REb ré mib (mi)...... fab mib réb DO

 Les rythmes tadjiks sont relativement courts et rapides, excepté au Badakhshan où tous les tempos sont nettement plus lents. Au centre du Tadjikistan on utilise les formules suivantes, marquées par le dotârche et la percussions dâyera.

Le 5 temps est typique de cette région, tandis que le 7/8 et ufar sont aussi courants dans le Khorâsân et l’Afghanistan. Le 7 temps (3+2 +2) correspond au mètre poétique ramal :
Ces rythmes sont les plus usuels dans les chants des hâfez sur des poèmes classiques. La majorité des danses se fait sur les rythmes suivants et leurs variantes :

En plus de ces rythmes linéaires, au sud-est du Tadjikistan, les femmes jouent des polyrythmies à 3 ou 4 tambourins.     




IV. OUÏGOURS

 L’ancien Turkestan chinois ou Province autonome ouïgoure du Xinjiang depuis 1955, est la province la plus vaste de la République populaire de Chine. Elle est peuplée en majorité de turcophones : 10 millions d'Ouïgours, et 1 million de Kazakhs. Par ailleurs, 300.000 Ouïgours se trouvent au Kazakhstan (vallée d'Ili) et en Ouzbékistan. Dans l’antiquité cette région était occupée par des Tokhariens indo-iraniens qui se fondirent dans les différentes vagues de Türks, puis d'Ouïgours (venus de Mongolie) qui exercèrent leur domination politique et culturelle à partir du VIIIe siècle. De nombreux vestiges archéologiques et sources chinoises témoignent de l’importance' des activités musicales dans le bassin du Tarim. Au IIe siècle A.C., le premier ambassadeur chinois, Zhang Qian, rapporta à la capitale une Suite chantée provenant d'Asie Centrale. Les mélodies des Barbares du Turkestan étaient arrangées et intégrées au répertoire de cour des Han. Des statuettes de terre cuite du 2e-3e siècle de notre ère, trouvées près de Khotan, représentent des musiciens jouant de la flûte traversière, de la flûte droite, de la flûte de pan, des cymbalettes, ainsi que des singes jouant du luth piriforme (barbat) à 3 ou 4 cordes, de la flute de pan, du tambourin (dap) , des tambour en sablier et en tonneau.. Au VIe siècle A.D., un musicien de Kutcha, Su Zhi-po, accompagne, en tant que cadeau diplomatique, une princesse ouïgoure à la cour des Tang (618-907). Sous les Sui et les Tang, au moins huit orchestres du Turkestan étaient entretenus au Ministère de la musique à la capitale impériale chinoise, dont ceux de Kutcha, Kashgar, Turfan, Khotan et Qumul, ainsi que de Boukhara et Samarkand. La période du IVe au VIIIe siècle est considérée comme l’âge d'or de la musique turkestanaise, dont le centre était Kutcha. Les fresques bouddhistes de Qyzyl (près de Kutcha) (500) montrent des divinités musiciennes ou des scènes musicales et chorégraphiques du paradis, destinées à chasser les mauvaises influences. On y voit des luths ronds à long manche montés de trois cordes frappées par un plectre, des luths piriformes à quatre cordes, et des orchestres réunissant jusqu’à douze musiciens jouant des harpe arquée, dulcimer, hautbois, flûte traversière, flûte de Pan, des trompes (Schneckentrompette), orgue à bouche, tambour en sablier, et autres tambours, hochet et lithophone. Le Turkestan chinois est formé d’une mosaïque de peuples türks et mongols. Même si les vrais Ouïgours n’ont jamais atteint l’ouest de la Kashgarie, de nos jours un sentiment national très fort unit désormais ces peuples sous l’appellation d'Ouïgours. Le Xinjiang fut tour à tour zoroastrien, chamaniste, bouddhiste et manichéen. De l’antiquité jusqu’à nos jours, les peuples qui l’ont habité furent réputés pour la qualité de leur musique et de leurs danses, et l’adoption de l’Islam n’entama en rien leurs pratiques. Avec le développement de la culture islamique (du 10ème au 13ème siècle), les Ouïgours se tournèrent vers l’ouest et empruntèrent des éléments des traditions moyen-orientales, mais il est douteux que des musiciens de l’ouest se soient établis au Turkestan. Cette symbiose, attestée dès le 16 ème siècle, toucha surtout la musique d’art des grandes oasis du Sud (Kashgar, Yarken, Khotan). Les sources musicales de l’aire islamique sont inexistantes, et sils se réclament des premiers théoriciens de langue arabe comme Fârâbî (à qui sont attribués les muqam Rak et Oshshaq), les Ouïgours ne peuvent se référer qu’à des sources encyclopédiques indo-persanes, ou à l’opuscule d’Ismätulla Mojiz Tävarixi muzikiyun [Histoire des musiciens] rédigée en 1855. Cet auteur attribue la création du Muqam classique (grandes Suites) à la princesse de Yarken Amanisakhan et à son protégé Yusup Qadirkhan (milieu 16ème s.). Parmi les 17 fondateurs cités, une dizaine appartiennent à l’école de Transoxiane et du Khorâsân du 15 ème siècle, mais ces références empruntées à des ouvrages historiques classiques ne semblent guère pertinentes. Entre cette époque et le début du XXe siècle, on ne dispose de pratiquement aucune source précise. Les plus importants transmetteurs, pour le répertoire de Kashgarie, furent Halim Salim (19 ème s.), son élève Ahmad ibn Bâqi (1849-1926), Qasim Naghma, et Turdi Akhon Naghma (1881-1956) Ce maître fut promu post mortem comme figure emblématique occultant toutes les autres sources de transmission. Son répertoire (On ikki muqam : les douze suites) a été enregistré et transcrit intégralement (sans les textes), par Wan Tong-shu, totalisant 577 pages. Moins connus sont Rozi Hoshur, Umer Rozi Muhämmät de Kashgar qui répandit le Muqam dans le Nord vers 1883, et Mattayir Hasanov de Kulja (n. 1904), Nur-Muhämmät Nasirov de Yarkand (n. 1906) et Qapur Qader Haji, qui propagèrent le Muqam parmi les Ouïgours du Kazakhstan. On peut supposer que le Muqam classique actuel est la cristallisation et la synthèse de répertoires dont la définition, à la fin du 19ème siècle, variait encore beaucoup selon les maîtres et les écoles. A partir de 1960, des groupes de recherches du Xinjiang établirent, enregistrèrent et diffusèrent un répertoire officiel de 12 suites (muqam), basé sur des versions différentes de celles de Turdi Akhon. Avant eux, les Ouïgours d'Ouzbékistan avaient publié (1983-85) les enregistrements d’une version plus courte qui présente beaucoup de points communs avec les versions ultérieures provenant du Xinjiang.
 Avant d’être coupé de l’Ouest, le Turkestan fut une plaque tournante entre les cultures du Moyen-Orient et de la Chine. Beaucoup d'instruments de ces régions furent adoptés par les Chinois, tels la viole hu qin, le hautbois suona (surnay) les luths pipa (uygur : barbap) et rabâb. Sous les Tang il y avait au Xinjiang des orchestres d'orgue à bouche (sheng à 13 tubes), instrument qui pénétra jusqu’en Iran. Mahmud de Kashgar (11ème siècle) dans sa fameuse encyclopédie türk, mentionne le surnay (hautbois), le duduk (flute à bec), le sabizghu (flûte droite), le aykeme, et le quvruq. Des sources du milieu du 18ème siècle mentionnent le luth qubuz, la viole ghijak, le luth qoshtar (dutar).  
 Par ses formes modales également, par la combinaison de l'heptatonisme et du pentatonisme, la musique ouïgoures se rattache à la fois à celles de l’Asie intérieure et de l’Inde, et à celles de l’Asie Orientale. La structure du Muqam classique en suites de compositions fixes est aussi celle du Shash maqâm tadjik-ouzbek qui compte dix modes (muqam) en commun avec la tradition ouïgoure, bien qu'avec des contenus différents. Cette structure évoque par ailleurs le Sufiyana Kalâm du Kashmir, région qui jouxte le Xinjiang, ainsi que l’ancienne Nuba arabo-andalouse. 
 Les grands genres et formes musicales ouïgoures sont les chansons (nakhsha) et suites de chansons, les suites de danse (sänäm) et les suites muqam. Par ailleurs, on distingue plusieurs traditions musicales locales : celle de Kashgar/Yarken, d'Ili, de Turfan, de Khotan, qui présentent des affinités entre elles, et celles, très différentes de Qumul et de l’ethnie Dolan (Mäkit, Awat). 

 Chansons et suites de chansons. La plupart des Ouïgours connaissent un grand nombre de chansons (nakhsha, öläng, qoshaq) et dans chaque famille se trouve des joueurs de luth dutar. Ces chansons célèbrent le plus souvent l'amour dans des textes imagés ; d’autres sont des chants épiques ou chantent la solitude du berger ; d’autres chants a capella accompagnent les travaux champêtres. Les folkloristes locaux dénombrent 12 catégories, nombre symbolique qui revient dans tous les inventaires. On distingue plusieurs styles régionaux et répertoires locaux : les chansons de Kashgar et d'Ili sont de facture modale complexe et couvrent souvent une étendue d’une octave et demi ; celles de Qumul présentent des traits stylistiques plus asiatiques. Les sänäm, déjà décrites par Marco Polo, sont des suites de danses et de chansons jouées lors des fêtes. Chaque région possède un sänäm qui lui est propre, et en plus des sänäm anciens au nombre d’une dizaine, des sänäm locaux ont été récemment composés. La danse (usul) nest pas seulement liée aux sänäm, mais à presque toutes les manifestations musicales profanes ou même religieuses.
 Dans la catégorie formelle des sänäm peuvent se ranger les suites de chansons mesurées Ili nakhshesi de Ili et de Kulja (au Nord), au nombre de 12 : Laylun, Kichik Laylun, Tchong Laylun, Khan Leylun, Gul Laylun, Qâdir, Mastun heyran, Gulzar ey, Ulanma I et II, etc. Elles comportent chacune de 5 à 12 parties, parfois ouvertes par un prélude non-mesuré. Elles se distinguent des muqam et sänäm car elles ne sont pas dansées et ne comportent pas de sections instrumentales. La tradition d'Ili compte par ailleurs 12 cycles rythmiques et une suite sänäm en 19 parties.
 Il existe un répertoire rythmique qui se joue avec trois timbales naqara et qui est également organisé en 12 cycles rythmiques et compositions, appelés muqam bien qu’il ne comporte aucun aspect mélodique. Les chants religieux des maddah et des confréries soufies d’obédience naqshbandi-yasavi ou qalandari constituent un répertoire à part, à l’exception de certains airs provenant du muqam (notamment les mäshräp). Ils évoluent sur des échelles moins étendues, utilisent des rythmes à 4 et 7 temps pour soutenir les litanies zikr, et les danses giratoire (sama) des soufis, ou évoluent librement pour cantiller des poèmes de dévotion. Ces airs sont moins typiquement ouïgours et plus proches des airs du Moyen-Orient. A ce genre appartiennent aussi les chants de mendiants religieux ou non (diwanä, sayil) ou de derviches mendiants (qalandar), accompagnés seulement du hochet sapay. Les chamanes bakhshi ont également leurs propres chants d'invocation sur des cycles de mélodies originales et de rythmes complexes marqués par un grand dap et au tempe adapté au pouls du patient. Ils commencent en 8 temps lent puis passent à d'autres formules rythmiques plus rapide. L'élément religieux et les références mystiques étaient courants dans les chansons classiques, mais ils ont été expurgés avec le communisme et ne réapparaissent que dans les travaux récents des musicologues ouïgours d'Ouzbékistan et du Kazakhstan. 
 Muqam Le terme muqam, chez les Ouïgours, a d’abord le sens de suite de compositions, et par extension de musique classique ; il a aussi plus ou moins le sens annexe de mode, mais d’une manière moins nette qu’au Moyen-Orient. Une suite ne peut être appelée muqam que si elle commence par une introduction au rythme non-mesuré (muqam bashi), suivie de pièces sur différents rythmes. 
1)               A cette définition correspondent plusieurs traditions de muqam dont la plus importante est celle du On ikki muqam (Douze muqam) à dominante heptatonique, de la région de Kashgar et Yarkand, qui a acquis le statut de musique classique nationale, et auquel se rattachent les répertoires locaux originaux mais moins complets de Ili (12 muqam) et de Kutcha, ainsi que ceux de Turfan (10 muqam) à dominante hexatonique. Une autre forme de muqam est celui de Khotan, constitué d’un prélude non mesuré et d’une suite de chansons dans le style modal du On ikki muqam.
 Le On ikki muqam est constitué de 12 suites (muqam) chacune baptisée du nom de son mode de référence : Rak (ou Rak muqam), Tchäbbiyat, Mushaviräk, Tcharigah, Pänjigah, Özhal, Äjäm, Oshaq, Bayat, Nava, Segah, Iraq (Huseyni dans la tradition d'Ili). Ce corpus exclut (de nos jours) la création et l'improvisation, mais autorise des arrangements, voire des transformations. Par leur forme et leur organisation interne, chacun des douze muqam constitue un Cycle de vingt à trente pièces jouées dans un ordre fixe. Le répertoire du maître Turdi Akhon comportait 242 mélodies et 2470 vers ; d’autres recensement font état de 316 unités (ahang). Chaque pièce d’un muqam correspond à une forme qui se différencie par ses aspects métro-rythmiques, sa place, sa fonction, sa structure interne et éventuellement son contenu littéraire. Un muqam complet dans la tradition de Kashgar se déroule en trois parties : 1ère section : tchong näghmä (grandes mélodies) considérés comme plus anciens et plus savants que les autres. Ils se composent des formes suivantes : Le bash muqam, prélude non-mesuré, en principe vocal et instrumental. Le täzi (ou täzä), longue composition vocale en 6/4. Le märghul, double instrumental d'une pièce vocale qui suit le même rythme, mais dans un tempo un peu plus rapide et avec beaucoup des modulations. Toutes les formes peuvent avoir un märghul, sauf les sänäm et les mäshräp . Les autres pièces sont : le nuskhä en 5/4 ou 4/4; säliqä en 4/4 ; jula en 4/4 , destiné à la danse ; le sänäm, chant de danse en 4/4,; le päshro , suivi du täkit en 6/8. 2ème section : dastan, consistant en 3 ou 4 pièces vocales (éventuellement dansées) et leurs marghul. Le 1er dastan est le plus souvent en 4/4, le 2ème en 7/8 (ou 9/8), le 3ème et le 4ème en 3/4 ou 6/8. 3ème section :
mäshräp , soit entre 2 et 7 chansons enchaînés par ordre de tempo croissant, sur des rythmes en 7/8 puis en 2/4. Le muqam s’achève par un bref rappel du bash muqam. Les muqam de la tradition de Ili, bien que tirés du répertoire de Kashgar à la fin du siècle dernier, ne comportent pas la section des tchong naghme. La plupart des textes sont des poèmes classiques ghazal, en tchaghatay, de Fuzuli, Suburi, Molla Bilal et Nava'i, Lutpi, Sakkaki, Hüveyda, dont la métrique est quantitative (aruzi, avec une prédilection pour les mètres ramal hazaj), tandis que les sänäm et mäshräp sont en général sur des poèmes populaires en vers syllabiques. Les textes des dastan, moins classiques, sont tirés des romances Ghärip et Sänäm, Farhad et Shirin Tasir et Zahra, ou Yusup Ahmat. Ces histoires sont aussi contées et chantées par des dastanchi, conteurs professionnels. Les airs tirés des muqam occupent la même place que les chansons dans la culture ouïgoure et sont joués dans les mêmes occasions de fête ou de réunion amicales, en particulier les dastan et les mäshräp. Il est rare cependant que l’on joue alors intégralement un muqam ou une de ses sections. C'est seulement dans les contextes officiels que l’on joue un muqam en entier avec des orchestres étendus (dix instruments ou plus, autant de choristes et de danseurs). Depuis les années 1990 les muqam ont été souvent arrangés en spectacles chorégraphiques inspirés des opéras ballets. Les interprétations du Muqam, enregistrées par Turdi Akhon sont différents (par leur style et leur contenu, et leur tempo plus lent) des versions mises au point et répandues de nos jours par les instances officielles à partir de sources anciennes. Toutefois, il existe encore des maîtres capables de chanter intégralement les muqam avec une formation instrumentale minimale, comme c’était la coutume autrefois. 
2)               Les Muqam régionaux. Le répertoire des Dolan est appelé également muqam, mais se distingue fondamentalement du Onikki muqam par par sa brièveté (5 ou 6 minutes), sa structure, ses instruments, par l’origine populaire de ses poèmes et par sa dominante mélodique hexatonique ou pentatonique (bien que dans l’ensemble les échelles utilisent souvent sept notes). Il est entièrement dansé dans des mouvements qui évoquent notamment des scènes de chasse. Ces cinq parties : - muqam, introduction au rythme nonmesuré; -tchikitmä, en 3/4, marquant le début de la danse; -sänäm, danse en 2/4 ; -sänqäs (ou premier sirilma) en 2/4 ; -sirilma , danse en 2/4. Ces suites, modalement plus homogènes que celles du On ikki muqam, sont au nombre de 7 à 12 selon les répertoires, soit Rak, Dogamät (tous deux sur sur une gamme heptatonique), Bom Bayawan, Zil Bayawan, Bayawan (Tchöl Bayawan ou Tchöl Iraq), Sim Bayawan, Özhal, Khudäk, Bayat, Tcharigah, Jula, Mushaviräk, Samuq, Mughal (sur des gammes hexatoniques). 
 Les Dolan jouent leurs muqam et leurs chansons au cours de grandes et longues fêtes villageoises (mäshräp) organisées régulièrement pour divers occasions. En plus de la musique, on danse, on joue des saynètes et l’on participe à des jeux. 
 Une autre tradition du même type, mais présentant de nettes affinités avec la musique chinoise, est celle du muqam de Qumul dont l'existence est attestée par des sources du 17ème siècle. Il est constitué d'un muqam bashi suivi de plusieurs chansons populaires à dominante pentatonique. On chante 262 couplets dans 10 muqam (parfois 12) : Dur, Ulughdur, Mustazat, Khupti, Tchäbbiyat, Mushaviräk, Özhal, Rak, Tcharigah, Dogah. Ces suites portaient des noms vernaculaires, mais ce n'est que récemment qu'on leur a attribué des noms de muqam

 Structures modales. L'échelle générale du Muqam ouïgour ne comporte que des intervalles de tons et demi-tons et leurs combinaisons (avec des nuances de microintervalles). La mélodie ouïgoure se distingue d'emblée par l'ampleur de sa tessiture et les sauts de la ligne mélodique et par le goût de la modulation. 
 Le On ikki muqam est fondamentalement heptatonique : sur une échelle diatonique s'organisent les modes d'Ut de Ré, de Si ou Mi, de Sol et de La, auxquels s'ajoutent des modes chromatiques. Mais l’originalité de la musique ouïgoure est l'intégration -souvent au sein d'une même mélodie- de modes pentatoniques ou hexatoniques ; de même, un trait courant des mélodies ouïgoures classiques et populaires est la modulation Do Mi Fa Sol Lab. Ces passages continuels du système heptatonique au système pentatonique, combinés à des modulations et des transpositions à l'intérieur de chaque système modal, confèrent au Muqam ouïgour une fluidité modale unique en Orient. Même dans les pièces très homogènes du point de vue modal, cette tendance à la modulation apparaît dans l’ornementation. Les musicologues distinguent dans le On ikki muqam 6 modes principaux, mais la palette modale ouïgoure nest pas limitée aux modes dominants explicitement nommés dans le On ikki Muqam ou le Muqam Dolan et de Qumul. Les grands modes du On ikki Muqam sont les suivants.

Tcharigah repose sur une gamme correspondant au "mode de Si" : Ré Do Si La Sol FA Mi Ré
Do Si. 
Nava est une autre forme de mode de Si : (Si) Sol Fa Mi Ré Do Si. 
Özhal est un muqam relativement homogène qui peut être considéré comme un "mode de
La" 
Rak, comparable à un "mode de Ré" mais avec un structure pentatonique sous-jacente et deux modulations dans lesquelles la tonique devient Si puis Fa#.
Oshaq combine trois aspects : à partir d'une gamme diatonique majeure : Ré Mi Fa# SOL La Si Do, on insiste sur le Fa#, tantôt le Si. Plusieurs muqam et de nombreuses mélodies combinent ces deux aspects modaux. 
Tchäbbiyat, sur la gamme Do Si(b) La Sol Fa Mi Ré DO (Si) présente une nette inclination pentatonique Do La Sol Mi Ré DO. On y retrouve des modulations centrées sur la sensible (Si) puis la tierce (Mi). 
Mushaviräk : la trame d'ensemble du muqam est Sol Fa Mi Ré Do Si(b) LA SOL Fa (#) Ré.

         Muqam Dolan
          Zil Bayawan : Do Si La Sol Mi Ré Do 
          Dogamät : Do Si La Sol Fa# Mib RE Do Sib La Sol.
         Mushaviräk : Do Si La Sol Mi Do RE 
          Özhal : Do Mi Sol La SI
             
Les rythmes
 Le Muqam ouïgour se rattache aux traditions centre-asiatique par ses cycles rythmiques courts de 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 13 temps. Il s'en distingue par l’utilisation fréquente de pulsations inégales de 2 et 3 temps donnant plusieurs variétés de rythmes aksak : 3+2, 3+2+2, 3+3+2, 3+2+2+2. La subdivision des parties ternaires en duolets, qui donne une impression de ralentissement à chaque retour du cycle, est une des particularités uniques de la rythmique ouïgoure. Les formules de base, jouées par le dap, sont au nombre de 20 environ pour le On ikki Muqam et le muqam Dolan. Dans certaines mélodies, la régularité du cycle est brisée par des temps supplémentaires.

         Les instruments 

 Le dutar (duttar) est un luth à long manche monté de deux cordes en soie frappées avec les doigts.
 Le tanbur est un très grand luth à long manche monté de cinq cordes métalliques (dont deux doubles) ; la mélodie se joue seulement sur la double corde aiguë, pincée avec l'index muni d'un onglet. 
 Le satar est une variété de tanbur à archet. Il comporte dix ou douze cordes sympathiques accordées selon les modes et une unique corde mélodique. Ces trois luths se trouvent sous une forme voisine en Ouzbékistan et Tadjikistan. Le satar était l'instrument de prédilection des maîtres du Muqam de Kashgar, tandis que le dutâr accompagne les chansons, aussi bien que dans le Muqam, en particulier dans l'école de Khotan. Les suites de chansons d'Ili (Ili nakhshesi) sont traditionnellement accompagnées au dotâr et au tanbur, sans percussions ni autres instruments. En dehors de ces instruments de base, la plupart des ensembles comprennent les suivants :
 Le dap est un tambour sur cadre de 25 cm de diamètre environ, monté d'une peau d'âne et frappé avec les doigts des deux mains.
 Le rawap (ou rabap) de Kashgar est un luth dont la table de résonance est en parchemin. Il comporte une corde mélodique et 4 à 6 cordes de bourdon ou résonance, frappées par un plectre. Cet instrument a été adopté et modifié par les Ouzbeks dans les années 1930.
 Le ghijäk est une vièle à pique au corps sphérique et à la table en bois dont la facture a été modifiée au 20ème s. La petite viole de gambe, khoshtar , récemment réinventée, ne se rencontre que dans les ensembles officiels.
 Le tchang est un cymbalum à 14 quadruples cordes frappées par des mailloches. La flûte traversière nay et le petit hautbois à anche large, balaman sont aussi joués dans les ensembles officiels.
 Le hautbois surnay et les doubles timbales naghra sont joués en plein air par les ensembles de nakhshiwän, lors des fêtes religieuses, parfois renforcés par de longues trompes karnay pour accompagner les danses des hommes (sama). Le sapay est un sistre à anneaux utilisé par les derviches et les mendiants et les tash sont deux galets que l’on entrechoque comme des castagnettes..
 L'ensemble des Dolan comporte trois instruments spécifiques : Le qalun, une grande cithare en trapèze-rectangle comportant généralement seize doubles cordes en métal couvrant plus de deux octaves sur une gamme diatonique. On pince les cordes de la main droite avec un plectre tandis qu'avec la main gauche on exécute des vibratos et des glissandos sur certaines notes à l'aide d'une clef métallique. 
 Le ghijäk dolan est une autre vièle à pique à une corde mélodique (parfois deux) en crin de cheval dont le son est renforcé par 7 à 8 cordes sympathiques Sa caisse est constituée d'une calebasse recouverte d'un parchemin comme table d'harmonie. Une forme voisine est jouée à Qumul.
 Le rawap dolan, est un luth à long manche, sans frette, à la table d'harmonie en parchemin, pincé avec un plectre. En plus de ses 5 cordes simples, il possède 12 doubles cordes sympathiques, la plupart doubles. 

De grands efforts ont été fait pour arranger la performance des muqâm en grands spectacles avec mime, danse, unité dramatique mobilisant des troupes de quarante musiciens, danseurs et choristes. La troupe de chant et danse d'Urumqi compte 300 personnes, et celle de Kashgar, 160. La musique ouïgoure, comme toutes les musiques des minorités de Chine a été soumise à un processus complexe de collecte, transformation et rediffusion conformément à des directives du gouvernement. Des de fonctionnaires, sont chargés de collecter le répertoire populaire, non afin de le préserver, mais pour le transformer selon les critères politiques et esthétiques des Chinois han. Les chansons réécrites reçoivent en retour des éléments d'harmonisation et d'orchestration grâce auxquels la musique des Ouïgours est censée participer pleinement à l’harmonie des nations dans une Chine unifiée.


V. TURKMENES

             

 Les Turkmènes sont une grande ethnie türk d’environ 4 millions au Turkménistan, 1 million en Iran et 1 million en Afghanistan. Des minorités turkmènes se trouvent aussi en Iraq et Turquie, mais sans lien culturels avec ceux de l’est. L’actuel Turkménistan était peuplé d’Iraniens qui ont été absorbés par les vagues turques déferlant entre le 10ème et le 13ème s. parmi lesquels les tribus Oghuz, qui peuplèrent aussi la Turquie, constituèrent le noyau du peuple turkmène. Cette position charnière entre le monde türk oriental et le Moyen-Orient se reflète dans certains traits culturels comme la langue et la musique. Cependant, malgré la politique culturelle soviétique (qui entra en vigueur avec la création de la République du Turkménistan en 1924), la musique turkmène ne s’est pas ouverte aux influences extérieures et a traversé les bouleversements de l’ère communiste sans préjudices, conservant des traits anciens et une originalité remarquables.

          1. LE FOND FOLKLORIQUE

 Comme les autres cultures d’origine nomade, celle des Turkmènes distingue deux grands types de musique : les chansons populaires et les répertoires des bardes professionnels bakhshy sur des mètres et des structures strophiques complexes par lesquels cet art se rapproche quelque peu de la musique professionnelle des Ouzbek, Tadjik et Azeris, et se différencie de celle des Kirghiz et Kazakhs. Les chansons populaires sont chantées par des amateurs appelés ianamchy, qui sont accompagnés par une flûte droite (tüiduk). Ils ne s’accompagnent pas au dotar et n’ont pas le titre de bakhshy.  
 En dehors d’un vaste répertoire de chants de travail, il y a de nombreuses chansons de jeunes filles lële , des berceuses lële xüvdi et des chants de noce yar yar. Lorsque la fiancée est sur le point de quitter sa maison, les jeunes filles chantent une mélodie triste appelée hodi. De nos jours, au Turkménistan, les traditions liées aux fêtes (toi ) de mariage sont en récession, et à part les chants de noce yâr yâr ce sont des groupes de variété qui animent la fête. Exceptionnellement, un barde bakhshy chante deux ou trois airs pour les personnes âgées. Du côté iranien, où la tradition musicale est la même, par contre les bardes se produisent toujours dans les noces. Les femmes y ont conservé des chants religieux propres à elles pour certaines dates du Ramadan, et les hommes célèbrent toujours l’anniversaire du Prophète de l’Islam avec des chants de movlud. La pratique des litanies soufie (zikr) est toujours attestée, et la danse soufie est passé dans une danse circulaire folklorisée hors de son contexte rituel, mais conservant la technique de souffle et le rythme de la scansion des formules soufies. Jusqu’au début du siècle, les femmes pratiquaient également ces danses. Comme chez les autres nomades türks, les danses sont rares, sauf, pour les femmes, dans le contexte des fêtes. Les chants pour demander la pluie appartiennent à des cultes antérieurs à l’islamisation, comme on en trouve chez les Qongrat d’Ouzbékistan. Les femmes ou enfants se promènent avec une statue en chantant une air particulier et demandent des offrandes qui seront consacrées à Buqut Bâbâ l’esprit intercesseur .

          INSTRUMENTS

 Les instruments populaires sont la grande flûte droite en roseau sans embouchure qarqy tüidük qui, comme son équivalent tatar ou kazakh (sibizghi) ou persan (ney), est tenu verticalement et coincé entre les incisives, le souffle étant dirigé par la langue. Il doit comporter sept sections (d’où son nom yedi bogum) avoir au moins 40 cm de long et être percé de 6 trous dont un pour le pouce. Il est joué en duo à l’unisson ou en solo pour accompagner le chant, sur une étendue d’une octave environ. Les bergers jouent un répertoire de pièces dont l’argument est lié aux activités pastorales.
  Le dili-tüidük est une clarinette à 3 ou 4 trous de 20 cm environ, et la guimbarde en métal qopiz (ou zamburak) est l’instrument des femmes et des enfants. L’ancienne variété en bois a pratiquement disparu.
  Les anciens bardes ozan s’accompagnaient au qopyz , terme qui désigne aussi bien un luth (cf. le komuz kirghiz) qu’une vièle monoxyle qobyz des chamanes kazakhs ou les bardes qaraqalpak. Cet instrument fut remplacé par le luth à deux cordes dotar, fait d’une caisse en mûrier mâle, d’une table en mûrier femelle et d’un manche long en bois abricot. Son invention est attribuée à Qambar, l’écuyer du premier imâm Ali, selon un mythe dont il existe des variantes ouïgour, kirghiz et indienne. On fait cuire la caisse au four (tandur) durant sa fabrication, d'où son autre nom tanuri ou tamdure (terme qui évoque aussi celui tanbur). Il est monté de 13 frettes métalliques en forme d’anneau, donnant une octave chromatique plus un ton. Chaque frette est désignée par un nom propre ou un qualificatif. On pince les cordes avec plusieurs doigts de la main droite, selon des formules rythmicogestuelles codifiées appelées chörtmä ou gyrau, lit. “noeud”. Ses deux cordes accordées en quarte étaient en soie dans le passé et, sauf de rares exceptions, sont en acier de nos jours et ce depuis plusieurs décennies. Leur accord varie entre le Ré et le La pour la corde aiguë en fonction du registre du chanteur.
 Le gijäk est une vièle à pique au corps sphérique autrefois fait d’une gourde, de nos jours tournée dans un tronc de mûrier et recouverte d’une peau de gazelle. Ses trois cordes sont accordées de haut en bas Ré, Sol (à l’unission avec la première corde du dotar) Do. Il a été emprunté aux Ouzbeks par les Turkmènes de l’école de Khiva il y a deux siècles et par la suite s’est répandu partout, sauf dans l’école de Marv. Dans son jeu, on utilise couramment des quartes parallèles, et dans le dotar, des éléments contrapunctiques à base de quartes, quintes et octaves. Le jeu instrumental est vif et orné, et l’unisson entre le dotar et le gijäk est assez stricte. 
 Les techniques vocales sont très variées : —sekdermek : appogiatures (forschlag) et hoquet ; —alkym soz : voix rauque riche en harmonique ; —damak kakamak : un tremblement utilisée dans les berceuses, obtenu en frappant régulièrement la gorge avec les doigts tout en chantant. (cf. aussi infra).  

         2. LES BAKHSHY  
 Le terme de bakhshy n’a pas le sens spécifique de chamane que l’on trouve dans d’autres cultures centre asiatiques, mais on peut considérer que le bakhshy turkmène est l’héritier du chamane, en tant que gardien de la mémoire du peuple et des valeurs spirituelles, et du fait de son accès à des états d’inspiration et d’émotion intense. Il a conservé de son ancien statut un certain prestige. Le titre bakhshy khalipe, désignant le maître qui a des élèves, connote l’autorité des sheykhs soufis (khalife) qui ont succédé aux anciens chamanes. On rapporte des cas de bakhshy ayant fait tomber la pluie. Le bakhshy ou un joueur de dotar ou de flûte qarqy tüiduk sont invités à chanter pour les malades. Pour la rougeole (qyzylaq), on joue certaines pièces de dotar, et pour la varicelle (karamik) la flûte droite. Certains airs de dotar, conservés par les Turkmènes d’Iran accompagnaient des rites d’exorcisme.
 Le bakhshy est avant tout un chanteur professionnel qui a appris son art auprès d’un maître, ou du moins qui a été cooptés par les maîtres. Traditionnellement, cette activité est réservée aux hommes, pour des raisons technique (étendue, registre de la voix, endurance) et culturelles (il n’est pas possible qu’une femme chante l’amour). Cependant, de nos jours il existe des chanteuses professionnelles s’accompagnant au dotar
  Dans le passé, les bakhshy qui ne jouaient pas d’instruments étaient appelés yanemachi. Ils chantaient accompagnés par un dotar par la flûte qarqy tüidik. De nos jours encore, les tüiduk bakhshy chantent en alternance avec la flûte. De nos jours, le bakhshy s’accompagne toujours lui-même au luth dotar souvent soutenu par la vièle gichäk et parfois un second dotar. Par rapport au dotar, le gichäk est accessoire, et les bakhshy ne s’accompagnent jamais sur cet instrument ; cependant dans la tradition de Tashauz, il joue un rôle important pour stimuler le chant. Les joueurs de dotar qui ne sont pas chanteurs jouent en solo ou à l’unisson avec un barde. Sur ces deux instruments on joue aussi des adaptations très sophistiquées de pièces vocales, en plus de certaines pièces instrumentales développées et complexes. Les pièces instrumentales, appelées muqam sont au nombre de cinq : Gongurbash muqamy, Göktepe muqamy, Airalyk muqamy, Muqamlarbashy, Shadilli, un cycle de sept pièces intitulé Qyrqlar (les Quarante), et un cycle de pièces intitulé Saltyklar. Certains muqam sont joués aussi bien au tuiduk qu’au dotar, comme Gongurbash, Airalyk, Erkek (ou Erkech), Lotular, Gelin, Khuvdi, Toi muqam (originalement pour tuiduk).
             

          3. ECOLES REGIONALES

 On distingue deux catégories de bakhshy : les destanchi qui chantent des épopées (destan), version relativement nouvelles des anciens récits narratifs turkmènes (oghuz nâma), et les tirmechi qui chantent des poèmes (tirme) sur les thèmes de l’amour, la morale, la religion, la guerre et la chasse. Dans le destan, on alterne prose parlée et poésie chantée (appelée aidim, chant). Chaque destan comporte 20 ou 30 chansons et peut être abrégée selon les circonstances, mais la part d’improvisation verbale est plus limitée que dans d’autres traditions analogues.
 La tradition des épopées est localisée au nord, dans la région de Tashauz où tous les bakhshy sont des destanchi. On trouve aussi les épopées au sud-est de Marv dans le district de Iolatan, mais dans un autre style. A Tashauz, on chante principalement l’histoire du héros Görogly aux côtés duquel se sont ralliées les tribus turkmènes. Le bakhshy, qui s’accompagne au dotar, doit être également assisté par une viole gijäk. A Yolatan, on utilise pas le gijäk, mais parfois un second dotar. Un destanchi connaît au moins une épopée complète (et parfois jusqu’à cinq ou six) et un tirmechi entre cent et cinq cent poèmes.
  Les Turkmènes d’Iran distinguent quatre grands styles (yol, sabk) correspondant à des ethnies et des régions : 1) Gorgân ioly (de Gorgân), avec des mélodies simples dans un registre grave. 2) Dâmânâ ou Arqach ioly (des Turkmènes du Khorâsân), identique mais dans un registre plus aigu. 3) Khiva ioly (de Khiva) avec techniques vocales caractéristiques. 4) Mari ioly (de Marv, appelé aussi saryq ioly) dans le registre aigu et sans gijäk. Avec le temps, les différences de style sont moins nettes et de plus chaque bakhshy peut avoir sa manière personnelle et peut mélanger les styles. D’autre classifications distinguent 7 styles : 1) Iomut de l’ouest et Göklen (province de Krasnovodsk). 2) Damana (Kyzylarvat). 3) Akhal Teke (Ashkhabad, Gökdepe). 4) Salyr et Saryk (province de Marv). 5) Ersary (Charju). 6) Chavdur et Kardashly (Tashauz dans le Nord). 7) Iomut du Nord. Ces nuances peuvent se ramener à deux styles : celui du nord et celui du sud. Celle du nord privilégie les longs chants narratifs (destan) exécutés avec beaucoup d’effets théâtraux et dans un rythme rapide. Au sud on chante plutôt des extraits poétiques (tirme), des récits narratifs, ainsi que des poèmes de facture classique (ghazal) de Makhtum Qoli (m.1782-3), Kemine (m. 1840) ou Mollânepes (m. 1862). Leur interprétation est généralement plus méditative et calme que dans le style du nord. A Stavropol (Nord Caucase en Russie) où vit une minorité de 15.000 Turkmènes, les bardes, dont le style est différent des bakhshy du Turkménistan, utilisent la voix de gorge et jouent un dotar proche du dombra, monté cordes en boyau et donnant une gamme diatonique. 
 Les histoires destan mettent en scène des amoureux célèbres du monde türk Shahsenem et Gharib, Asli et Käräm, Zohre va Tâher, Khürlükga et Khemra, des héros historiques (Görogly) et des saints (Ibrahim Adham, Hâtam Tâ’i, Muhamet Hanifa). Ces récits populaires sont devenus de grandes oeuvres poétiques qui ont été par la suite adaptées au chant. Les anciens bakhshy étaient souvent aussi poètes et le développement de leur art va de pair avec celui de la poésie.

          STYLE ET FORMES

 Les mélodies populaires sont généralement descendantes sur ambitus de quarte ou de quinte, sur les tétracordes do si la SOL , do sib la SOL ou do sib lab SOL. Les poésies sont structurées de manière typiquement türks en strophes de 4 vers avec différents agencements de rimes (dont aaba est le plus fréquent) et des mètres syllabiques (barmaki) dont le plus courant est de 4+3 syllabes, la dernière syllabe étant allongée, donnant 8 temps ; on trouve aussi des vers de 11 et de 6 syllabes.
 La poésie des bakhshy est de deux sortes, courantes dans le monde musulman : 1) populaire, sur des mètres syllabiques. 2)  Classique à la métrique quantitative (aruzi) avec des mètres dont les plus courants sont le hazaj (sur le pied u — — — ) et le ramal (sur le pied — u — —). Les formes poétiques classiques sont le ghazal, avec avec des vers allant jusqu’à 15 syllabes, et une structure aa ba ca da., le murabba (aaaA bbbA cccA, ou baba cccA dddA) et mukhammas (aaaaA, etc.). 
 Ces mètres s’adaptent à divers rythmes, le plus souvent 6/8, mais aussi 2/4, 5/8, 7/8, 9/8). Le style des bakhshy turkmène fait grand usage des hémioles et triolets et partagent avec les Kazakhs le goût des tempo rapides et des changements de mesure, qui lui donnent une dynamique rythmique très particulière. Les structures mélodiques sont complexe et étoffées par des éléments contrapunctiques.

          exemple musical tiré de : Beliaev 1975, p.163


 L’art vocal des bakhshy se caractérise par un ambitus étendu, de longues vocalises avec des points d’orgue sur des notes aiguës, des sons de gorge riches en harmoniques et surtout, trois techniques vocales spécifiques sur des syllabes sans significations, placées entre les strophes : — le juk-juk (ou jukgul damak, en staccato avec des coups de glotte sur le syllabes i ou u ; —le joglotmak sur les syllabes jiu  — le hülemek sur la syllabe dans le registre grave — et le hümlemek dans le registre grave, rauque, la bouche fermée. Ces techniques qui expriment une tension émotionnelle sont utilisées de manière variée et dans différents dosages selon les écoles. Elles appartiennent probablement à l’antique registre expressif des chamanes.
             

          DEROULEMENT DE LA PERFORMANCE

 Les bakhshy se produisent dans les fêtes familiales et sociales (toi, à l’occasion d’une naissance, circoncision), ainsi que dans des soirées conviviales (saz söhbet) où l’on invite parfois plusieurs d’entre eux. Une séance commence à la fin du jour et peut durer jusqu’à l’aube. Le bakhshy commence à jouer le dotar accordé dans un diapason grave et pour se préparer, chante 2 ou 3 airs lents et calmes dans ce registre. Ensuite le registre monte et les chansons sont plus compliquées.
 Au sein du répertoire on distingue les chants évoluant dans le registre grave (bashlamak), moyen (orta aidymlar) aigu (chekemli aidymlar), tripartition que l’on retrouve dans l’accordage du dotar et d’une manière générale, chez les Kazakhs et Kirghizs. Il est possible d’accorder l’instrument plus ou moins grave ou aigu, mais on ne transpose pas les chants d’un registre à l’autre. Les chants dans le registre grave comportent peu d’effets vocaux et leur technique d'émission du son est différenciée de celle des chants aigus. Sur cette base tripartite, certaines écoles établissent une typologie des chants en fonction de la hauteur de la note fondamentale sur la frette (perde) du dotar : muqamlar bashy, muhannes, bäsh perde, achyk perde, Shirvan perde, registre suraigu particulièrement prisé. 
 La performance se déroule en 3 phases correspondant à la classification des registres : —une introduction dans laquelle on chante des poèmes moraux ou sapientiaux et où la signification du texte prime sur l’expressivité ; —une phase d’expression émotionnelle et personnelle dans un registre plus élevé et avec des techniques vocales plus difficiles. Le bakhshy laisse libre court à ses sentiments et son inspiration, phase qu’on appelle “trouver la voie” (iol). Dans la dernière phase, le texte devient accessoire, et la voix est si fatiguée et aiguë, qu’on ne comprend plus les paroles ; la tension émotionnelle et expressive atteint alors on sommet. Durant tout le déroulement de la performance les participants manifestent leur réceptivité en encourageant le bakhshy, en le félicitant et en lui offrant de l’argent. Les différentes phases de la performance sont : Bashlamak, “commencement” ; yappildak = fin de la 1ère partie d’une pièce, souvent en ralentissant et dans le grave ; shirvan = culmination, chikmak = la musique se calme.

          LE SYSTEME MODAL ET LES MUQAM

 Le système modal turkmène n’est pas rigoureusement codifié et le terme de muqam (probablement emprunté récemment aux traditions voisines) désigne couramment les mélodies ou types mélodiques sur lesquels on chante un poème et dont le nombre dépasse trois cent. Les maîtres jugent impropre cette utilisation du terme et le réservent à un petit nombre de pièces instrumentales relativement brèves desquelles les autres mélodies sont supposées découler. Leur concept de muqam n’est pas très clair et ne correspond pas à la notion moyen-orientale de “mode” ni non plus à celle de “suite” qui prévaut en Asie centrale, aussi les inventaires des muqam varient beaucoup selon les informateurs.
 Dans le passé certaines écoles comptaient 62 nâma et 32 muqam. (62 étant un nombre symbolique chez les Turkmènes). Le terme nâma, qui n’est employé que par les Turkmènes du nord et les Qaraqalpaks, a le sens de mélodie vocale. Les autres concepts originalement turkmènes sont ceux de “voie”, iol, qui suggère un parcours mélodique, et celui de perde (“frette”, un ancien terme théorique persan) équivalent à gamme ou échelle. Il semble que l’on distingue 5 catégories modales correspondant à la position de la note fondamentale, soit Sol La Si Do Ré (Sol étant la corde aiguë à vide). On distinguait les échelles fondamentales Shirvân perde (Ré Do Si Sib La Lab Sol) et Lal perde (appelé aussi Zarin perde ) : Ré Do Sib La Lab Sol Fa# Mi Mib Ré Réb Do
 Les Turkmènes d’Iran, qui ont un répertoire identique, ont une autre classification dans laquelle apparaît deux noms de muqam : Bash perde, Navâ’i, Gökleng, Qiamat perde, Shirvân perde. Les Turkmènes d’Iran ont emprunté le concept persan de dastgâh (système modal) pour dégager quatre modes fondamentaux : Navâ’i, Qyrqlar, Tashnid (ou Tajnis) et Mukhammas (appelé Muhammad à Tashauz).

--- navai : la sol fa mi ré do SI LA sol 
--- mukhammas :  Sol Fa Mib ré do Sib lab Sol   
---qyrqlar : RE DO sib la(b) Sol  
---tashnid (ou tajnis) sur la gamme Mib Reb DO Si(b) La SOL 

 D’autres sources de la même école donnent des échelles différentes : Qyrqlar est caractérisé par une seconde augmenté rare chez les Türks (si lab SOL), Tashnid commence avec Mukhammas (qui est aussi évoqué dans le développement) et s’étend sur la gamme la sol FA Mib Reb Do Sib La, et Mukhammas commence autour de Sib-Do puis monte sur Ré et Mi, soit la gamme sol fa Mi RE DO SIb la sol. On compte par ailleurs un autre muqam important, Gongurbash, qui commence sur le Do et finit sur Lab et Sib et utilise toutes les frettes du dotar. Après avoir présenté le premier tétracorde, on monte deux fois pour atteindre la le Fa#, puis le La pour terminer sur le Sib. D’autres recensements ajoutent Gökdepe (considéré comme important), Airalyk, Berkeli Chokaili, Neler gurundi, Injitma, Ibraim Shadili, etc.
 Bien que les maîtres ne soient pas unanimes sur les muqam de base, de l’ensemble des pratiques se dégagent cinq muqam essentiels : Gongurbash, Göktepe Airalyk, Erkekelik et Muqamlarbashy. Ces divergences tiennent probablement à la diversité des écoles et à l’imprécision de la définition du terme muqam. Certains muqam comme Göktepe ne se réduisent pas à une gamme, mais ont aussi le sens d’organisation modale comportant des phases de développement, avec trois mélodies et selon trois registres (grave, moyen et aigu). 




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