Le piano
mai 28, 2019
Parmi les origines du piano, il faut chercher tous les instruments à cordes frappées. Avant d’être frappées avec des marteaux, elles l’était à l’aide des doigts ou de maillets (donc à la main). On peut citer la cithare, le koto japonais ou plus évolué encore le cheng chinois (chevalets posés sur une table d’harmonie). Il existe aussi le centaur (aujourd’hui encore)…
Les origines du piano (instrument à cordes frappées) sont les mêmes que celles du clavecin (instruments à cordes pincées) Du moins leur connaît-on un ancêtre commun dans l’Europe du Moyen Age. Le « psaltérion » médiéval appartient aux deux familles : celle du piano et celle du clavecin. Venu d’Orient vers le 12ème siècle, il se compose d’une caisse de résonance triangulaire ou trapézoïdale montée de 7 à 10 cordes que l’on pinçait avec les doigts (d’où sa dénomination qui désignait chez les Grecs tous les instruments attaqués avec les doigts et non avec le plectre).
Mais à partir de la seconde moitié du 14ème siècle, on imagine de frapper les cordes avec des petits maillets, l’instrument étant posé sur une table. A la même époque apparaît « l’échiquier » : c’est un psaltérion muni d’un clavier, dont les touches actionnent de petits marteaux. Mentionné par Guillaume de Machaut avant 1377, l’échiquier, très répandu en France, en Angleterre et en Espagne jusqu’au 16ème siècle, est l’ancêtre le plus authentique de notre piano.
A partir du 15ème siècle, une grande variété d’instruments procédant du psaltérion à cordes frappés se répand en Europe, sous les appellations de « tympanon » (souvent pris comme terme générique), « doucemère », doucemelle », « dulcimer », « cymbalum » (dont le nom italien, « cembalo » a servi à former celui du clavecin qui est donc impropre [« clavicembalo »]) …
Certains utilisent des baguettes terminées en cuiller, dont on frappe les cordes (le cimbalom hongrois reste, de nos jours, une parfaite illustration de cette technique) ; d’autres sont munis d’un clavier et d’un mécanisme ingénieux, grâce auquel le marteau retombe de lui-même après avoir frappé la corde, évitant ainsi d’étouffer le son (principe de l’échappement qui ne fut retrouvé par Erard que deux siècles plus tard.
Du perfectionnement de ces instruments est né le clavicorde, dont la première description précise date de la fin du 15ème siècle. Aussi ancien que l’épinette et les autres instruments de la famille du clavecin, le clavicorde ne doit pas être confondu avec le piano. C’est un autre instrument, dont les cordes (tendues parallèlement au clavier) sont heurtées selon un dispositif qui permet en même temps de les diviser, chaque corde étant affectée à plusieurs notes : le clavicorde est alors dit « lié ». L’élément percutant, petite pièce métallique appelée « tangente », est fichée sur les queues de touches et frappe en un point déterminé de division de la corde. Le plus ancien clavicorde que l’on possède date de 1543 ; il est doté d’un clavier de 45 touches pour 22 doubles cordes (accordées par paires à l’unisson) ; jusqu’au 18ème siècle, époque de la suppression des dernières cordes « liées », le « gebundenes Clavichord » comportera moins de cordes (ou paires de cordes) que de touches. L’instrument est apparu en France au 16ème siècle, sous le nom de « manicordion » (voir Rabelais) qui était encore en usage à la fin du 17ème siècle (sa sonorité était réputée pour sa douceur : aussi disait-on d’une personne dont l’aventure discrète s’était prolongée sans faire de bruit : « elle a joué du manicordion »). Très répandu en Allemagne aux 17ème et 18ème siècles, il n’est supplanté par le piano que lorsque celui-ci a pu compenser l’inconvénient d’un encombrement et d’un poids accrus par une augmentation très sensible du volume sonore.
Dans son « Versuch über die wahre Art das Klavier zu spielen » (1753), Carl Philippe Emmanuel Bach compare les qualités de l’orgue, du clavecin, du clavicorde et du « forte-piano », qu’il nous représente comme les instruments d’accompagnement les plus répandus de son temps. Au point de vue pédagogique, il pense que le clavicorde a de plus grandes qualités que le clavecin et le nouveau forte-piano : sur le clavicorde, en effet, la simplicité de la mécanique met l’interprète en contact direct avec la corde ; elle lui permet de mieux lier l’expression au toucher et d’exécuter même un certain vibrato (Bebung). Nous ne sommes pas obligés, aujourd’hui, de partager cette préférence ; mais il est intéressant d’observer la coexistence, au milieu du 18ème siècle, du clavecin, du clavicorde et du piano, qui n’illustrent pas, comme on le croit souvent, les étapes successives d’une évolution liée à l’idée de progrès.
L’inventeur du piano est vraisemblablement Bartolomeo Cristofori qui construisit à Florence vers 1710 son premier « Gravicembalo col piano e forte ». Ses instruments utilisent une mécanique qui les apparente au piano actuel plus qu’au clavicorde. Mais les réalisations de Cristofori ne passèrent pas les frontières de l’Italie et c’est au Saxon Silbermann que revient le mérite d’avoir développé et propagé la facture du nouvel instrument. Celui-ci toutefois mit assez longtemps à gagner la faveur des musiciens. J.S. Bach, en particulier, était assez peu favorable aux instruments de Silbermann et il semble que ses contemporains et ses successeurs immédiats furent, sinon hostiles, du moins indifférents.
De façon générale, on peut considérer que l’ère du piano ne commence que vers 1765-1770 (époque des premières sonates de Haydn) : à de très rares exceptions près, toutes les compositions pour clavier antérieures à cette époque étaient destinées à l’orgue, au clavecin ou au clavicorde. A partir de 1773, le facteur anglais John Broadwood perfectionne considérablement le mécanisme Cristofori-Silbermann et de 1796 à 1823, le français Erard invente le mécanique dite « à échappement », puis « à double échappement », sur le principe duquel sont construits les pianos modernes. Cette mécanique permet une plus grande précision dans l’attaque et rend possible les répétitions rapides, en évitant que les marteaux ne se posent en étouffoirs sur les cordes. A vrai dire l’idée n’en était pas nouvelle : certaines variétés de tympanons au 16ème siècle et les instruments de Cristofori dès 1726 étaient équipés de mécaniques analogues. Mais l’ingéniosité et la régularité de fonctionnement de la mécanique d’Erard ont fait de ce grand facteur le véritable créateur, avec Broadwood, du piano moderne. Les perfectionnements ultérieurs n’ont été que des perfectionnements de détail : invention du piano droit (Angleterre en 1807), du cadre métallique (1825 aux USA), feutrage des marteaux, agrandissement du clavier, …
Le piano se compose essentiellement d’une table de résonance ou « table d’harmonie » en épicéa montée sur une charpente appelée « barrage ». Les cordes sont tendues sur un chevalet placé sur cette table. Elles sont fixées, d’un côté au « sommier d’attache », de l’autre au « sommier de chevilles » ; dans les anciens pianos ces sommiers étaient en hêtre ou en érable, mais les pianos modernes sont pourvus d’un cadre en fer fondu, d’une seule pièce, remplaçant les deux sommiers et le barrage. Les cordes, triples sauf dans le grave, exercent sur le cadre une tension de l’ordre de 20 tonnes ! Chaque touche du clavier (en tilleul recouvert d’ivoire ou en ébène pour les touches noires) commande un marteau et, simultanément, un étouffoir, par l’intermédiaire d’un mécanisme qu’il serait fastidieux de décrire.
Les deux pédales, appelées improprement pédales « douce » et « forte », ont des fonctions de nature bien différentes et peuvent être employées chacune dans la nuance piano comme dans la nuance forte. La pédale de gauche (indication una corda) déplace légèrement la mécanique vers la droite, de sorte que chaque marteau ne frappe plus qu’une ou deux cordes d’un groupe : le son devient plus doux, moins timbré. La pédale de droite éloigne tous les étouffoirs : les cordes frappées continuent alors de vibrer lorsque les mains quittent le clavier et, de surcroît, plusieurs autres cordes vibrent doucement par sympathie. L’étendue du piano est actuellement 7 octaves un quart, soit du la-2 à l’ut7. Certains facteurs ont prolongé l’étendue dans le grave jusqu’à fa et même plus…
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Source : Universalis
PIANO
Dans le monde occidental, le piano est devenu, après la guitare, l’instrument le plus répandu dans le grand public. En effet, sa polyphonie et sa tessiture (possibilité de jouer plusieurs notes ensemble sur une grande étendue d’octaves) en ont fait l’instrument de base de toute éducation musicale. Le piano se suffit à lui-même et peut exprimer tous les genres. Si son succès a été confirmé, il faut rappeler que ses débuts ont été bien hésitants, et son utilisation quelquefois contestée par les premiers compositeurs qui l’ont découvert.
Les pianoforte du XVIIIe siècle, en effet, ne ressemblaient en rien aux pianos d’aujourd’hui ... Contrairement à beaucoup d’autres instruments solistes qui avaient déjà acquis leur forme définitive (harpes, violons, guitares, vents, etc.), les premiers pianos étaient assez « chétifs » et de conceptions assez différentes d’un facteur à l’autre, d’un pays à l’autre. Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour voir se généraliser les principes de fabrication qui sont maintenant les nôtres (cadre métallique, cordes croisées, mécanique à répétition perfectionnée, feutres sur les marteaux, etc.). L’esthétique sonore s’est ainsi modifiée considérablement en un siècle, et le timbre des instruments d’aujourd’hui est bien différent de celui des pianoforte ou Hammerflügel (pianos à queue à marteaux) de Beethoven, Schubert, Schumann, Liszt ou Chopin.
La production actuelle de pianos en très grande série a bien souvent conduit les fabricants à chercher une sonorité « idéale », certes dépouillée de tous défauts objectifs (harmoniques, résonances parasitaires...) mais qui se révèle assez inapte à l’expression poétique. Il convient cependant de louer les bienfaits de cette évolution, qui offre la possibilité de diffuser à des prix raisonnables une très grande quantité d’instruments fiables pour l’étude, dans le monde entier et sous tous les climats. Toutefois, la conservation et la restauration des instruments anciens est absolument nécessaire pour garder la référence de sonorité des compositeurs du XIXe siècle et retrouver ainsi, comme pour le clavecin, les bases d’esthétique sonore indispensables à une juste interprétation.
Histoire de l’instrument
Le piano est né de l’association d’un clavier utilisé comme base de la réalisation de l’écriture musicale – à ce titre, il a hérité de l’orgue, du clavecin et du clavicorde – et d’une percussion contre des cordes tendues sur une structure de résonance (cadre, caisse et table d’harmonie). Il s’agit là d’un héritage du psaltérion et du tympanon, instruments à cordes frappées au moyen de petits maillets que l’on retrouve encore aujourd’hui sous le nom de cymbalum en Europe centrale.
On attribue à Bartolomeo Cristofori, au tout début du XVIIIe siècle (vers 1709), l’invention ingénieuse de la première mécanique de gravicembalo col piano e forte (« clavecin avec les nuances douces et fortes ») : c’était un instrument à clavier et à marteaux susceptible de moduler l’intensité sonore en fonction d’une frappe plus ou moins accentuée sur la touche. Cet instrument, appelé d’abord « pianoforte », prit ensuite, par simplification, le nom de « piano ». Les premiers instruments fabriqués en Europe dans la première moitié du XVIIIe siècle par le Français Jean Marius et les Saxons Christoph Gottlieb Schröter et Gottfried Silbermann n’eurent guère de succès auprès des compositeurs et musiciens. Il fallut attendre 1770 pour qu’un disciple de Silbermann, Johann Andreas Stein, inventât la « mécanique autrichienne » au clavier souple et léger, manquant de force mais à la sonorité fine et chantante, laquelle enthousiasma Mozart, qui abandonna le clavecin au profit du nouvel instrument. Le gendre de Stein, Andreas Streicher, établi à Vienne, améliora les modèles de son beau-père et les rendit plus solides et plus sonores, en partie sur les conseils de Beethoven.
Le siècle suivant fut une féconde période de développement de la facture des pianos, ainsi que du répertoire consacré à cet instrument. En un demi-siècle furent inventées les principales techniques qui caractérisent encore les pianos d’aujourd’hui: mécanique renforcée de John Broadwood en Angleterre; double échappement de Sébastien Érard, breveté en 1821 (possibilité de retenir le marteau après un son frappé pour faciliter la répétition); cadres métalliques (Alpheus Babcock en 1825 aux États-Unis); cordes croisées (Henri Pape en 1828) et marteaux garnis de feutres.
De nombreux autres facteurs déposèrent des brevets pour de multiples variantes (clavier courbé, pianos verticaux « girafes », double clavier, pédalier, pédales supplémentaires pour faire varier le timbre par adjonction de divers matériaux entre marteaux et cordes, etc.). Seul le standard connu de nos jours fut retenu à partir du début du XXe siècle, et l’on peut, dans un certain sens, regretter cette uniformisation accentuée par l’industrialisation. Certaines marques de prestige perpétuent encore une « haute facture » du piano et produisent seulement quelques centaines de pianos par an, dans les meilleures règles de lutherie traditionnelle susceptible de dégager des caractères sonores originaux (Bösendorfer, Bechstein, Steinway, Feurich, Euterpe, Steingraeber). D’autres, soucieux de parfaite technologie, ont porté le standard contemporain au plus haut niveau (Ibach, Grotrian-Steinweig, Sauter, Schinmel, Pfeiffer, Kemble et certains modèles de Yamaha). D’autres, enfin, développent, avec des réussites variables, des fabrications de série à moindre prix pour l’étude (productions asiatiques, d’Europe de l’Est, des pays nordiques, de Grande-Bretagne...).
Pour la France, de graves erreurs de gestion, de stratégie commerciale et une carence de politique dans la formation professionnelle ont entraîné la fermeture, dans les années 1970, des fabriques françaises de Pleyel, d’Érard, de Gaveau et de quelques autres bons facteurs. On ne peut qu’espérer la renaissance en France d’une facture instrumentale qui fut l’une des plus brillantes du monde.
La littérature pour piano
La plupart des compositeurs se sont tournés vers le piano, cet instrument privilégié, en faisant appel à ses ressources les plus variées, de la musique de chambre au concerto, du récital à l’accompagnement, sans oublier la musique à deux pianos ou pour piano à quatre mains. Sa richesse polyphonique lui permet de recréer un univers harmonique auquel peu d’instruments peuvent accéder.
Le piano étant l’héritier d’une longue descendance d’instruments à clavier, son répertoire propre ne voit le jour que progressivement, à mesure que s’imposent ses nouvelles ressources. La musique pour clavier de la seconde moitié du XVIIIe siècle s’adresse indifféremment au clavecin ou au pianoforte. Carl Philipp Emanuel Bach est peut-être le premier à faire une distinction, dans son Double Concerto pour clavecin et pianoforte (1778). Son traité Versuch über die wahre Art das Klavier zu spielen (1753; Essai sur la vraie manière de jouer des instruments à clavier , Lattès, Paris, 1979) compare les mérites et la technique des deux instruments.
Dans la musique de Haydn et de Mozart se dégagent les grands traits spécifiques de l’écriture pianistique: puissance, dramatisme, vélocité. La main gauche sort du cadre figé de la basse d’Alberti (décomposition en arpèges de l’accord) et se voit même confier des séquences mélodiques. Les dix-sept sonates, les fantaisies et les variations de Mozart révèlent une étonnante diversité qui prend toute sa mesure dans ses vingt-sept concertos, composés entre 1767 et 1791. La nuance, la couleur et le phrasé deviennent des éléments fondamentaux d’un langage qui se rapproche souvent de la voix humaine, grâce aux possibilités expressives du nouvel instrument.
À l’aube du romantisme, de nombreux virtuoses composent, pour eux-mêmes, des pages qui exploitent avant tout les ressources techniques du piano: sonates et études de Karl Czerny, Johann Baptist Cramer ou John Field, plus connu pour ses nocturnes. La musique de Muzio Clementi se situe à un autre niveau et cherche à réaliser une synthèse (Gradus ad Parnassum , 1817-1826) qui annonce parfois les grandes sonates de Beethoven ou l’écriture de Liszt (Sonate « Didone abbandonata » , op. 50 no 3).
La véritable autonomie du piano est due en partie à ces compositeurs virtuoses, mais surtout à Beethoven qui, pianiste lui-même, fait de son instrument un confident; il compose trente-deux sonates – la seule forme pour laquelle il n’ait jamais cessé d’écrire (1794-1822) –, cinq concertos, et des pièces de musique de chambre où le piano tient une partie centrale. Balayant l’héritage reçu, Beethoven crée de nouvelles formes mieux adaptées au langage qu’il confie à son instrument d’élection: poésie (Sonate n o 14 « Clair de lune » ou Sonate n o 15 « Pastorale » ), force dramatique (Sonate n o 8 « Pathétique » ), élans tourmentés (Sonate n o 23 « Appassionata » ), imitation des sonorités de l’orchestre, lutte contre les éléments (les cinq dernières sonates). Ses concertos voient le piano s’affirmer face à un orchestre plus étoffé que celui de Mozart: les progrès de la facture le lui permettent, mais la langue a aussi considérablement évolué, faisant appel aux ressources de la pédale, à une écriture en octaves ou arpégée qui dégage une masse sonore considérable (Concerto n o 5 « L’Empereur » ). Beethoven sait également se montrer intimiste, réduisant l’intervention du piano à une simple phrase face à un orchestre déchaîné (Concerto n o 4 ).
Le romantisme
Les premiers compositeurs romantiques s’attachent davantage à la virtuosité naissante de l’instrument qu’à la diversité de ses possibilités: Weber ou Mendelssohn – plus poète dans ses Romances sans paroles – se montrent avides de traits jaillissants, de grands sauts, d’octaves brisées ou de doubles notes. Mais les mêmes effets semblent plus intimes sous la plume de Schubert ; ses vingt-deux sonates se caractérisent par de longs développements et une invention mélodique sans cesse renouvelée qui parvient à son apogée dans les Impromptus , op. 90 et op. 142; la Wanderer-Fantasie , monument de virtuosité et d’architecture qui repose sur un thème unique, se situe à mi-chemin entre la conception titanesque de Beethoven et l’approche plus diabolique de Liszt.
Avec Schumann s’ouvre une ère nouvelle qui voit évoluer considérablement la technique instrumentale. Son imagination sans bornes le conduit à des découvertes servant à traduire une pensée musicale complexe: polyphonie, rythmique omniprésente, anticipation des basses, doubles notes à écarts variables ou partage de la mélodie entre les deux mains. Peu à l’aise dans le moule des formes classiques – à l’exception de son Concerto en la mineur –, Schumann donne le meilleur de lui-même dans des cycles de pièces libres qui traduisent son esprit d’invention et de fantaisie (Carnaval , Kreisleriana , Fantaisie ) ou son sens poétique exacerbé (Scènes d’enfants , Scènes de la forêt ). La variation, seul élément formel qui semble lui convenir, prend chez lui une dimension presque improvisée (Études symphoniques ).
Chopin a dédié au piano la quasi-totalité de son œuvre. Immense virtuose, il réalise une synthèse étonnante entre les diverses influences que l’on retrouve en lui: âme polonaise, respect germanique des formes, goût français de la liberté et passion pour le bel canto. À cette synthèse, il ajoute une invention harmonique et un sens de la concision resté inégalé (24 Préludes , Nocturnes ). Moins entravé que Schumann par le respect des formes, il livre ses idées les plus riches dans les 4 Scherzos , les 4 Ballades , la Fantaisie ou les 3 Sonates . On ne saurait oublier les danses – Polonaises , Valses , Mazurkas –, pages de joaillerie souvent mal comprises qui ont joué un rôle essentiel pour sa notoriété.
La tradition associe généralement la musique de Liszt à la notion de virtuosité, idée reçue qui revient à ignorer le poète des Années de pèlerinage , des deux Légendes ou des œuvres ultimes, aux sonorités prophétiques, pour ne retenir que les études et paraphrases, les Rhapsodies hongroises ou la Sonate en si mineur . Dans ces dernières œuvres, partant des découvertes de Beethoven ou de Chopin, la virtuosité est portée à son plus haut point pour extraire du piano toutes ses ressources expressives. L’apport lisztien ne sera jamais renié, et la majeure partie de la littérature pianistique ultérieure lui fera référence. Liszt se démarque de Chopin, car il met la virtuosité au service de l’instrument pour traduire la musique, obtenant un résultat technique parfaitement naturel, alors que Chopin place la virtuosité au service direct de la musique sans se soucier, en premier lieu, de la réalisation. Toujours novateur, Liszt fait éclater le moule du concerto en lui conférant une richesse formelle proche de l’improvisation.
L’œuvre de Brahms semble prolonger celles de Beethoven et de Schumann. Romantique tardif, il parle une langue très riche qui trouve ses meilleures réalisations dans des cycles de variations ou dans la concision des petites formes (Rhapsodies , Intermezzi ). À l’inverse, ses deux concertos se présentent comme des symphonies concertantes qui intègrent le piano à l’orchestre.
Musique française et écoles nationales
Sans ignorer l’apport lisztien, l’école française s’oriente au XIXe siècle dans des voies différentes: Alkan choisit la description, Saint-Saëns les lignes dépouillées du classicisme et la virtuosité à l’état pur, Franck transpose au piano la richesse polyphonique de l’orgue en conservant l’écriture cyclique qui lui est chère (Prélude, choral et fugue ), Chabrier préfère la truculence et l’invention harmonique (Pièces pittoresques ).
Reprenant la démarche de Chopin, Fauré marque la transition vers le XXe siècle, avec de courtes pièces dont la réalisation technique dépend totalement de la création musicale. Raffinement subtil, palette harmonique renouvelée, sens de la nuance caractérisent cette musique à laquelle ont nui des interprétations mièvres et efféminées (Nocturnes , Barcarolles , Ballade ...). Debussy choisit un univers de sensations ou de paysages: transparence, flou, couleurs ignorées jusqu’alors et soutenues par une harmonie libérée (Préludes , Suite bergamasque , Images ). Dans le domaine technique, il réalise une irremplaçable synthèse entre la virtuosité classique et le nouveau langage (Études , Pour le piano ).
À la liberté debussyste s’oppose la rigueur de Ravel, qui utilise l’apport de ses aînés à des fins mélodiques et rythmiques tout en évoluant parfaitement dans le moule des formes classiques (Sonatine , Le Tombeau de Couperin , Concerto en sol et Concerto pour la main gauche ). Il sait décrire (Miroirs , Ma Mère l’Oye ) ou évoquer (Gaspard de la nuit ), mais toujours avec la même précision. Poète très sensible, Ravel tire souvent un voile pudique que l’interprète doit savoir lever.
L’école russe, directement issue de la technique lisztienne, s’est peu manifestée dans le domaine du piano. On retiendra la fantaisie orientale de Balakirev Islamey et les Tableaux d’une exposition de Moussorgski. Dans le domaine concertant, le Premier Concerto de Tchaïkovski s’est imposé comme cheval de bataille de tous les virtuoses. Il faut attendre la génération suivante pour voir l’école russe proposer une nouvelle littérature pour piano avec Rachmaninov et Scriabine. Les quatre concertos et les Préludes du premier parlent une langue néo-romantique qui contraste avec l’audace harmonique des dix sonates du second, support d’une philosophie originale. À la recherche de rythmes nouveaux, Stravinski propose un piano virtuose et percutant (Petrouchka ) avant de se tourner vers un néoclassicisme formel (Sonate , Concertos ). Prokofiev suivra son aîné sur le premier terrain, enrichissant son approche d’un lyrisme et d’un sens poétique profonds (9 sonates, 5 concertos).
L’Europe centrale reste dominée par la figure de Bartók, qui a su révéler la véritable musique populaire hongroise, faussement assimilée jusqu’alors à la musique tsigane. Les Mikrokosmos , les trois concertos, la Sonate pour piano comme celle pour deux pianos et percussion sont dominées par les sources retranscrites, une rythmique irrégulière, une technique percutante et délicate.
En Scandinavie, le Concerto de Grieg est la seule œuvre notable qui ait vu le jour, frère jumeau de celui de Schumann.
Beaucoup plus prolixe, l’Espagne trouve dans le piano l’instrument idéal pour reconstituer les rythmes et couleurs de sa musique populaire. Albéniz (Iberia ) et Granados (Danses espagnoles , Goyescas ) empruntent leur matériel thématique au folklore alors que Manuel de Falla préfère inventer le sien, raffiné et abstrait.
Le piano moderne
Si la première œuvre dodécaphonique (Klavierstücke , op. 23 no 3 de Schönberg) a été conçue pour le piano, cette nouvelle approche de la musique n’a pas bouleversé la technique instrumentale. En France, le groupe des Six propose une littérature truculente et pleine de verve, alors qu’en Allemagne Paul Hindemith prône un retour à la rigueur classique.
Plus près de nous, Messiaen enrichit le répertoire du piano avec des œuvres où transparaît sa démarche mystique et scientifique: recherche de timbres et de rythmes, application de principes unificateurs à tous les éléments de la musique (Quatre Études de rythmes , Vingt Regards sur l’Enfant Jésus , Oiseaux exotiques ). La Sonate de Dutilleux compte parmi les pages essentielles de notre temps. Les Klavierstücke I-XI de Stockhausen ou les trois sonates de Boulez donnent à l’interprète un pouvoir créateur, par le choix entre différentes options.
Le piano semble perdre de sa compétitivité dans la production musicale: il n’a fait l’objet d’aucune œuvre incontestée depuis les années 1960. Manquerait-il de champions qui sachent solliciter des compositeurs? Ce qu’ont obtenu pour leur instrument Rostropovitch, Rampal ou Stern.
L’interprétation pianistique
On sait peu de chose des grands virtuoses du XIXe siècle, en dehors des témoignages et de ce que leur musique nous révèle. Clementi, Cramer, Frédéric Kalkbrenner et Johann Nepomuk Hummel ont assuré la transition vers le XIXe siècle, alors que Henri Herz, Henry Litolff, Camille-Marie Stamaty, Liszt, Sigismund Thalberg ou Clara Schumann correspondent au stéréotype du virtuose romantique, entouré d’une aura mystérieuse à la façon de Paganini. Anton Rubinstein, Francis Planté, Hans von Bülow, Camille Saint-Saëns, Louis Diémer et Raoul Pugno font oublier cette virtuosité romantique, au profit d’un retour vers le classicisme, très sensible en France.
C’est seulement à partir de la génération suivante que nous possédons des témoignages sonores qui permettent une véritable analyse de l’évolution de l’interprétation. Ignaz Paderewski (1860-1941), Eugen d’Albert (1864-1932) et Ferrucio Busoni (1866-1924) font figure d’héritiers privilégiés de Liszt ou de Theodor Leschetitzki: approche passionnée de la musique, d’une sincérité excessive au point d’en altérer le texte pour l’adapter à la conception d’ensemble: l’enregistrement de la Sonate « Clair de lune » de Beethoven par Paderewski en est l’un des exemples les plus frappants. Parallèlement, Busoni fait revivre la musique de Bach, dont il transcrit au piano les grandes œuvres d’orgue, alors qu’Édouard Risler (1873-1929) et Blanche Selva (1884-1943) ressuscitent Le Clavier bien tempéré . En 1906, Risler donne l’intégrale des sonates de Beethoven, événement essentiel pour Paul Dukas.
À la même génération se dessinent deux nouvelles orientations. Certains pianistes, comme Ricardo Viñes (1875-1943) ou Marguerite Long (1874-1966), se consacrent à la musique de leur temps, créant ou suscitant une nouvelle littérature: Fauré, Debussy, Ravel, Granados ou Albéniz leur doivent la diffusion rapide de leur musique; Marguerite Long saura transmettre le flambeau à ses disciples qui, généralement, se limiteront au répertoire qu’elle avait révélé. Sans négliger la musique de leur temps, Alfred Cortot (1877-1962), Joseph Lhévinne (1874-1944) et Sergueï Rachmaninov (1873-1943) se présentent encore comme des héritiers tardifs du piano romantique. Mais ils savent tempérer les excès de leurs aînés par un retour au texte et une nouvelle tendance à la construction d’ensemble. La notion de son s’impose, supportée par un nouvel usage de la pédale, plus parcimonieux, et la technique digitale se développe.
Avec Artur Schnabel (1882-1951), Wilhelm Backhaus (1884-1969), Edwin Fischer (1886-1960) et Arthur Rubinstein (1886-1982), une page semble tournée. Schnabel et Backhaus donnent à l’œuvre de Beethoven une dimension nouvelle par une approche globale; Rubinstein modernise l’héritage de Paderewski; Fischer affirme une conception du classicisme faite de rigueur et de contrastes autour d’une transparence sonore et d’un phrasé toujours naturel: nouvelle vision qui s’étend au répertoire romantique dès la génération suivante avec Yves Nat (1890-1956), Walter Gieseking (1895-1956), qui a également marqué la musique de Debussy et de Ravel, ou Clara Haskil (1895-1960), merveilleuse mozartienne. Wilhelm Kempff (1895-1994) surprend par son inspiration sans cesse renouvelée, sa poésie et un toucher difficile à égaler, Claudio Arrau (1903-1991) s’impose par l’architecture solide de ses interprétations, Rudolf Serkin (1903-1991) allie fougue et poésie, alors que Robert Casadesus (1899-1972) offre une synthèse à la française fondée sur la rigueur classique. Mais la personnalité la plus étonnante de cette génération reste Vladimir Horowitz (1904-1989), personnage de légende par sa fabuleuse maîtrise de l’instrument et la rareté de ses apparitions.
La rigueur qui émerge va s’ériger en règle au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les répertoires s’élargissent, mais la coupure entre l’interprète et la musique de son temps semble consommée. La trop brève carrière de Dinu Lipatti (1917-1950) n’a pas permis à cet aristocrate du piano de transmettre son message. Emil Guilels (1916-1985), Sviatoslav Richter (1915), Arturo Benedetti-Michelangeli (1920-1995) et Alexis Weissenberg (1929) illustrent cette tendance: fabuleuse technique, dépouillement et recherche de sonorités.
La génération suivante accentue cette impression de détachement: après avoir offert une vision généreuse du répertoire romantique, l’univers d’Alfred Brendel (1931) semble se refermer au fil des années dans une introspection proche de la froideur; Maurizio Pollini (1942) mêle avec bonheur les diverses époques, mais sa recherche de la perfection altère son pouvoir de communication, qui perd en conviction. Glenn Gould (1932-1982) faisait figure d’anticonformiste, cherchant toujours une approche nouvelle dans la perfection absolue, ce qui limitait ses prestations au studio d’enregistrement. À l’inverse, le tempérament de Martha Argerich (1941) remet en question tous les canons de la rigueur et du dépouillement. Contrairement à la plupart des pianistes, Murray Perahia (1947) construit son répertoire à partir de Mozart, et sa démarche générale reste celle d’un grand classique. Radu Lupu (1945) s’affirme comme l’un des grands poètes du piano.
Dans un tel contexte, les nouveaux talents doivent s’imposer d’emblée avec un bagage technique et musical que leurs aînés n’acquéraient qu’au fil des années. Les concours internationaux ouvrent les portes de la carrière à de jeunes prodiges qui ne font souvent que des apparitions éphémères au panthéon des pianistes. L’appareil médiatique et commercial qui entoure les artistes susceptibles de devenir des poules aux œufs d’or enterre autant de carrières qu’on voudrait en fabriquer. Et, si Evgeni Kissin (1971) est parvenu à s’imposer dans un tel contexte en poursuivant normalement son évolution artistique, il le doit à la solide protection qu’exerce autour de lui un entourage vigilant. Mais des dizaines d’autres, qui n’ont pas su résister aux attraits de la gloire, ont disparu des scènes, victimes d’une société trop avide de sensationnel.
CLAVICORDE
Témoin le plus ancien des instruments à cordes et à clavier. L’origine du clavicorde remonte au monocorde médiéval, lui-même inspiré des théories de l’Antiquité, qui permettait d’étudier les divisions de la corde vibrante et de calculer les intervalles des échelles musicales. On situe vers le XIVe siècle l’apparition d’un instrument dont les cordes sont divisées, non plus par des curseurs, mais au moyen d’un mécanisme mû par un clavier. Le terme même de manicorde ou manicordion — encore employé par Marin Mersenne en 1636 — témoigne de la filiation de l’instrument, appelé en revanche clavicordium en Allemagne (Sebastian Virdung, 1511), mot dont dériveront les appellations usitées en Angleterre, en Italie et dans la péninsule Ibérique.
Le principe en est le suivant: chaque corde, qui est par elle-même une sorte de monocorde, peut être divisée une, deux ou trois fois; la mise en vibration de la corde se combine avec la longueur vibrante choisie. Les cordes, groupées par deux, sont tendues entre deux chevalets et sont attaquées directement par une lamelle de métal ou tangente qui, placée en bout de touche, les frappe par en dessous. L’ensemble du dispositif peut être calculé selon des proportions arithmétiques.
La distance entre la tangente et les cordes étant très courte, ainsi que la course de la touche, les cordes reçoivent une attaque de faible amplitude. Le son produit, ténu quoique timbré, dépend pour sa qualité, de la manière dont il aura été produit par le musicien. Il peut en effet faire varier non seulement la nature de l’attaque des cordes, mais encore le degré de pression sur ces cordes, ce qui modifie sensiblement la hauteur de son. Tant que la tangente reste en contact avec les cordes, celles-ci vibrent et il est possible de réattaquer sans lâcher la touche. C’est dire que les ressources d’expression du clavicorde sont supérieures à ses possibilités dynamiques; jusqu’à ce que le pianoforte s’impose, c’est le seul instrument à clavier doté de ces caractères.
Le premier traité donnant du clavicorde une description et une figure précises est celui que rédigea vers 1440 Henri Arnaut de Zwolle, médecin, astrologue et grand humaniste, semblant attiré par l’expérience pratique plus encore que par la théorie de la musique. L’instrument qu’il montre, monté de neuf paires de cordes, couvre trois octaves.
Parmi les nombreux instruments conservés, le plus ancien et l’un des plus importants est dû en 1543 à l’Italien Domenico di Pesaro (Dominicus Pisaurensis), conservé à Leipzig (Karl Marx Universität); il est monté de vingt-deux paires de cordes, supportées au-dessus de la table d’harmonie par trois chevalets indépendants et pourvu d’un clavier de quarante-cinq touches, soit une étendue totale de quatre octaves dont une courte octave au grave. Michael Praetorius (1619) et M. Mersenne décrivent des clavicordes de ce type. Cette disposition restera la plus courante jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, sauf remplacement des chevalets séparés par un chevalet en S, collé sur la table d’harmonie.
Le clavicorde, abandonné en France et en Angleterre au XVIIe siècle, continue à jouir d’un grand succès en Allemagne, à cause de ses capacités expressives, pendant le XVIIIe siècle où se fait jour une sensibilité pré-romantique. Il est répandu également dans les pays scandinaves et dans la péninsule Ibérique. S’adaptant à l’évolution de la musique, il s’agrandit jusqu’à cinq octaves chromatiques complètes; en effet, les facteurs allemands mettent au point un nouveau modèle dit bundfrei (non lié, en anglais unfretted ), dans lequel chaque touche correspond à une paire de cordes, par opposition au modèle dit gebunden (lié, fretted ). De léger et maniable, le clavicorde devient grand, lourd; de fort beaux instruments sont construits durant cette période, notamment par les Hass (Hambourg), Christian Gottlob Hubert (Ansbach) et Johann Heinrich Silbermann (Strasbourg). Il existe également des instruments plus petits sonnant une octave au-dessus du diapason habituel.
Jean-Sébastien Bach avait une grande prédilection, qu’il a transmise à ses fils, pour le clavicorde, dont il possédait vraisemblablement un modèle à deux claviers et pédalier (un exemplaire existe au musée de Leipzig). Carl Philipp Emanuel, son fils, établit clairement dans son traité la différence de toucher entre le clavecin et le clavicorde; c’est pour ce dernier surtout qu’il compose de grandes Fantaisies et des Leçons , bien que ces pièces soient jouables au pianoforte, l’instrument alors le plus proche du clavicorde. Ce musicien fut salué par ses contemporains comme le plus grand interprète-compositeur au clavicorde.
De nos jours, l’instrument renaît, à la suite d’études délicates à mener, les documents d’époque étant moins nombreux que ceux qui concernent le clavecin. En dépit de son faible volume sonore, des interprètes de grand talent parviennent, grâce à l’étendue et à la qualité du répertoire qui lui convient, au caractère émotionnel de sa sonorité, à faire connaître dans le monde entier le clavicorde, qui exerce sur tous les publics une véritable fascination.
CLAVECIN
Le clavecin commence à apparaître, textes et documents iconographiques en font foi, notamment un manuscrit dû à Henri-Arnault de Zwolle, médecin et astronome à la cour de Bourgogne, puis auprès de Louis XI, à la fin du XVe siècle; cette période, cruciale dans l’histoire de la musique, est celle où les savantes combinaisons de la musique franco-flamande cèdent peu à peu la place à un contrepoint moins compliqué et où se fait sentir davantage l’importance de l’harmonie. Le clavecin, comme le luth et l’orgue, va jouer un rôle presque expérimental, mais en exprimant toujours un grand raffinement. Grâce au clavecin, la musique règne chez les amateurs comme chez les musiciens de métier, les formes musicales s’affirment, les styles, les écoles se précisent.
Facile à accorder, cet instrument permet d’exécuter la musique dans tous les modes et systèmes alors en usage, et cela d’une manière toujours satisfaisante pour les oreilles exigeantes des siècles passés. Des constructeurs habiles sont parvenus à faire des instruments dans lesquels certaines touches, divisées en deux, correspondent à deux cordes distinctes et permettent d’obtenir une intonation plus juste, différenciant, par exemple, le sol dièse du la bémol.
Le clavecin – ainsi que l’épinette et le virginal, qui font partie de la même famille des cordes pincées – convient aussi bien aux pièces solistes qu’à l’exécution de la basse continue, à l’accompagnement du chant et des instruments isolés qu’à celui de l’orchestre. Aussi connaît-il trois siècles d’usage constant, sans aucune éclipse, ce qui n’est pas le cas de la guitare, entre autres.
Les premiers traités décrivant le jeu spécifique de cet instrument dénotent une expérience déjà longue. Le toucher au clavecin, comme le recommande Couperin, est tout en souplesse et précision dans l’attaque de la corde; le phrasé s’obtient par une subtile répartition des sons et des silences et par une ornementation qui met en valeur les points forts de la mélodie et de l’harmonie. Les doigts du musicien doivent jouir d’une indépendance parfaite afin de conférer à la polyphonie toute sa clarté. L’hypothèse, souvent avancée, tendant à expliquer l’abondance d’ornements, dans le répertoire de clavecin des XVIIe et XVIIIe siècles, par la nécessité de compenser la fugacité des sons de l’instrument n’a plus grand sens de nos jours. Des études récentes montrent en effet que les clavecins anciens ont sciemment été construits pour que l’attaque de la corde suscite instantanément le son dans toute sa richesse avec une décroissance presque immédiate, le son étant amplifié par un corps sonore très sensible, réagissant tout de suite. Une prolongation excessive du son rendrait le jeu polyphonique impossible et conférerait même à l’harmonie une confusion insupportable: ainsi, lorsqu’on use des registres, posés à la fin du XVIIIe siècle en France, qui soulèvent les étouffoirs pour obtenir un effet de «harpe», les sons se mêlent en une sorte de halo; cet effet est recherché dans certains cas. L’ornementation est avant tout un élément stylistique, que l’on observe dans la musique vocale et dans le reste de la musique instrumentale.
Le son «grêle» du clavecin ne vient que d’instruments mal réparés, mal réglés, mal montés, ou d’instruments modernes de mauvaise qualité. La sonorité véritable du clavecin est franche, pleine, équilibrée, riche en harmoniques. Ces caractères ont été oubliés pendant tout le XIXe siècle et une partie du XXe.
C’est l’avènement du romantisme qui a précipité le clavecin dans l’oubli: son esthétique ne convenait pas au lyrisme nouveau. Il a fallu un puissant mouvement de retour à des sources musicales anciennes, à commencer par Jean-Sébastien Bach, pour qu’apparaisse une tendance à jouer le répertoire de clavecin avec un instrument différent du piano.
Le nom de Wanda Landowska apparaît ici dans tout son prestige, bien que l’instrument pratiqué et imposé par elle soit en quelque sorte un intermédiaire entre le clavecin et le piano. Le clavecin Pleyel qu’elle a fait construire a été à l’origine du clavecin «moderne».
Après la Seconde Guerre mondiale, une approche nouvelle des instruments anciens, accompagnée d’une recherche sérieuse fondée sur les documents et les objets, est venue des États-Unis d’Amérique et s’est répandue par toute l’Europe. La musique ancienne y a gagné d’être enfin entendue dans des sonorités beaucoup plus proches de l’origine qu’auparavant. Le rôle des grands interprètes, soucieux d’authenticité, est primordial. Tout ce mouvement de «retour aux sources» a contribué à un renouveau de la facture de clavecin privilégiant la qualité musicale.
1. Origine et fonctionnement
Parce que le piano a pris la place du clavecin, on a parfois tendance à croire que l’un et l’autre appartiennent à la même famille. Or, ces deux instruments n’ont guère que trois points communs: les cordes, le clavier et la forme, cette dernière ressemblance étant d’ailleurs fort approximative. En réalité, il s’agit de deux familles d’instruments très distinctes. D’une part, celle des cordes pincées: virginal, épinette et clavecin, instruments dans lesquels le son est bref, puisqu’il provient du frottement de la corde par un sautereau. Pour le clavecin, un ou plusieurs registres actionnés au moyen de tirasses, genouillères ou pédales permettent à l’interprète d’en varier la sonorité. D’autre part, celle des cordes frappées: monocorde, manicordion, clavicorde, pianoforte et piano. Le son est alors obtenu par la percussion d’un marteau contre la corde. Pas de registres, mais en ce qui concerne les deux derniers instruments cités, une pédale piano, une autre forte, et la possibilité de nuancer par le toucher et de prolonger le son. Un autre fait a pu favoriser la confusion: cymbalum (en italien cembalum ) désigne le tympanon; or le tympanon est un instrument à cordes frappées.
Si, en Angleterre, le virginal a toutes les faveurs au XVe et au XVIe siècle, sur le continent, on préfère l’épinette puis le clavecin, plus sonore. Jusqu’alors, les instruments servaient surtout à doubler, à renforcer les voix; petit à petit, ils acquièrent leur autonomie, et les expériences de toutes sortes se multiplient pour en augmenter le volume. D’un clavier, on passe à deux, puis à trois, avec la possibilité de les accoupler; leur étendue varie, s’étend de trois octaves et demi à quatre puis à cinq; les registres apparaissent, d’abord manuels, puis actionnés par des genouillères ou des pédales pour en faciliter l’emploi. L’orgue est centré sur un «huit pieds» (tuyau qui a huit pieds de hauteur); le clavecin est également centré sur un jeu de huit pieds; en ajoutant un jeu plus grave d’une octave, on obtient un «seize pieds», et, avec un autre plus aigu d’une octave, un «quatre pieds». À ces registres peuvent s’ajouter ceux dits «luthé», «théorbé» ou «de staccato». Registrer, c’est utiliser les possibilités sonores, les mélanger, pouvoir mettre un accompagnement dans l’ombre et faire ressortir un chant. Registrer, pour le claveciniste, c’est choisir sa propre couleur, tel un peintre avec sa palette, afin d’enrichir l’instrument de sonorités diverses, lumineuses ou graves, joyeuses ou plaintives.
2. Principaux facteurs
Dès le XVIe siècle, le clavezymbel ou clavecin est apprécié de toute l’Europe; s’il prend tant d’importance dans la vie musicale, c’est grâce à la famille Rückers, établie à Anvers, qui en monopolise presque la fabrication. La caisse du clavecin est robuste, l’éclisse courbe presque droite, la pointe en angle aigu. Les décors sont à papiers imprimés et, pour les instruments luxueux, à peinture faux marbre, fausses ferronneries et pierres dures; de grandes scènes mythologiques sont représentées à l’intérieur du couvercle. D’autres facteurs flamands sont célèbres: les Couchet, Joes Karest, Martin Van der Biest, Moermans (XVIIe s.), Johannes Daniel Dulcken, Johannes Petrus Bull, Albert Delin (XVIIIe s.). La facture italienne, elle, se caractérise par l’utilisation de bois légers, un seul clavier et une caisse terminée en pointe effilée. Le plus ancien clavecin connu (Victoria and Albert Museum, Londres) a été construit par Jérôme de Bologne en 1521. En matière d’accord et de tempérament, les recherches sont poussées très loin, certains instruments comportent des touches divisées pour distinguer le dièse du bémol, les décors vont de la discrète mouluration aux sculptures et dorures les plus folles. Les principaux facteurs du clavicytherium ou clavecin vertical sont Dominique de Pesaro (XVIe s.), Guy de Trasuntino, Jean-Antoine Baffo (XVIe-XVIIe s.), Faby de Bologne, Girolamo de Zentis, Gregori (XVIIe s.) Bartolomeo Cristofori qui, le premier, a mis au point le pianoforte.
En France, au milieu du XVIIe siècle, les termes épinette et clavecin sont indifféremment utilisés, la facture est influencée par les Flandres et l’Italie; il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que les facteurs construisent des instruments plus fonctionnels et agrandissent par «mise à ravalement» des clavecins anciens. Certains systèmes mécaniques pour appeler progressivement ou instantanément les jeux, des plectres de peau de buffle pour obtenir un son plus feutré seront exportés dans toute l’Europe. Les facteurs les plus réputés sont: Vincent Tibaut, Gilbert Desruisseaux, Michel Richard (XVIIe s.), Nicolas Dumont, la famille Denis (XVIIe-XVIIIe s.), Jean Claude Goujon, Pascal Taskin...
L’Allemagne, qui est réputée pour sa facture d’orgue exceptionnelle, est peu attirée par le clavecin. Toutefois, les Hass et les Fleischer, en Saxe, les familles Grübner et surtout Silbermann construisent des clavecins et des épinettes sobres et élégants.
En Angleterre, les facteurs marquent une prédilection pour des dispositifs mécaniques qui commandent les jeux et les effets spéciaux. Ils utilisent un rang de sautereaux d’un dessin particulier (dogleg ) que l’on peut actionner de chacun des deux claviers; l’ébénisterie est souvent d’acajou. La famille Hayward (XVIIe s.), Thomas Hitchcock, Joseph Mahoon, les Harris, John Broadwood (XVIIIe s.) sont les facteurs les plus connus.
À partir de 1860, le répertoire spécifique du clavecin – instrument considéré au début du siècle comme une pièce de mobilier – attire à nouveau l’attention. Les firmes Erard et Pleyel présentent des clavecins modernes à l’Exposition universelle de 1889. Mais c’est à Wanda Landowska que le clavecin doit son véritable renouveau. Elle fait construire chez Pleyel en 1912 un instrument à sept pédales comportant un appel instantané des jeux sur les deux claviers; il sera imité jusque dans les années 1950 et fera le tour du monde. Les facteurs entreprennent des restaurations qui respectent les instruments réputés inutilisables et en révèlent les ressources sonores: de nouveaux matériaux sont testés aux États-Unis et on tente de reproduire fidèlement les caractéristiques des cordes anciennes. La demande des musiciens et la connaissance des instruments anciens conduit un nombre croissant de facteurs, en Europe et aux États-Unis, à construire à la demande ou en petite série, voire en «kits», des «copies» correspondant aux différentes étapes de l’évolution de l’instrument, cependant que des instruments industriels sont disponibles en Allemagne, de l’Est et de l’Ouest, en U.R.S.S. et dans les pays de l’Est. Quelques facteurs sont particulièrement réputés: John Feldberg, Frank Rutkowski, Thomas et Barbara Wolf (États-Unis), Martin Skowronek, Rainer Schütze (R.F.A.), Hubert Bédard (Canada-France), G. C. Klop (Pays-Bas), P. Chevallier (France).
3. Compositeurs
Au début du XVIe siècle, il ne semble pas qu’il y ait eu d’artistes possédant une individualité très marquée. Ce sont plutôt des «défricheurs»; ils écrivent des préludes, des toccatas, des pièces à danser, ils transcrivent, réduisent des œuvres vocales pour un instrument non déterminé. Est-ce l’épinette, le clavicorde, le virginal, l’orgue ou le clavecin? Le plus souvent pour ces deux derniers, qu’aucune barrière à l’époque de la Renaissance, ne semble séparer. Cependant l’autonomie du clavecin se dessine petit à petit grâce à l’action des Rückers; en effet, les compositeurs s’intéressent aux améliorations apportées aux instruments, à leur facture nouvelle, et ils vont créer une véritable esthétique clavecinistique qu’illustrent les cinq grands serviteurs du clavecin: Couperin, Rameau, Haendel, Bach et Scarlatti. Mais en Angleterre comme en France, en Allemagne comme en Italie, ces «cinq grands» ont eu des précurseurs et des contemporains qu’il serait injuste de passer sous silence.
En Angleterre: William Byrd (1542-1623) fut le premier musicien à illustrer la fameuse école des virginalistes. Il eut, plus que ses contemporains et successeurs, la prescience des possibilités expressives de la variation; John Bull (1563-1628), très grand virtuose, musicien brillant et élégant, excella lui aussi dans la variation. On lui attribua à tort la paternité du God save the King. Peter Philipps (vers 1560-1628) était très savant dans l’art polyphonique; son séjour aux Pays-Bas laissera une forte empreinte et influencera Sweelinck. Gilles Farnaby (1569 env.-apr. 1598) dont l’une des œuvres, écrite pour deux virginals, fut l’ancêtre de toute littérature pour deux claviers. Thomas Morley (1557-1602 ou 1603), élève de Byrd, est plus célèbre peut-être pour sa musique vocale que pour ses pièces instrumentales: il écrivit des chansons pour les drames de Shakespeare. John Dowland (1562-1626), luthiste renommé, cultiva avec bonheur l’ayre où l’instrument se mêle à la voix. Orlando Gibbons (1583-1625), technicien remarquable, composa dans tous les genres avec une aisance égale. John Blow (1649-1708), organiste à Westminster, eut Purcell comme élève et lui céda sa charge pour la reprendre après la mort de celui-ci, mort qui le frappa beaucoup et lui inspira une Ode d’une très grande beauté. Enfin, Henri Purcell (1659-1695), sans nul doute le plus grand musicien de l’Angleterre, doit certainement beaucoup à l’école française, dont il emprunte la forme de la suite et une certaine manière d’orner les phrases, et aux compositeurs vénitiens qui tirent d’extraordinaires effets du chromatisme; mais Purcell n’en possède pas moins une originalité de style remarquable, une grande vigueur d’inspiration et une émotion profonde que l’on retrouve dans toutes ses œuvres.
En Italie : les Scarlatti
En Italie, les deux Gabrieli, Andrea et Giovanni, l’oncle et le neveu, sont, sous l’impulsion du Flamand Willaert, spécialiste du madrigal, les chefs de l’école vénitienne du XVIe siècle. C’est surtout le second, Giovanni (1557-1612), qui se distingua. Ses œuvres religieuses et instrumentales sont considérables et ont eu une grande répercussion internationale. Entre ces deux musiciens, Claudio Merulo (1533-1604) s’impose par sa virtuosité d’organiste, l’importance de ses compositions et son renom de professeur. Girolamo Frescobaldi (1583-1643) est leur véritable successeur. Après avoir été un enfant extraordinairement précoce, le futur maître de Ferrare voyage beaucoup et enthousiasme ses auditoires en improvisant aussi bien à l’orgue qu’au clavecin. Ses nombreuses compositions pour ces instrument sont sensibles, harmonieuses et savantes; elles ouvrent une ère capitale dans l’évolution du clavecin. Après Frescobaldi, il semble qu’en Italie les instruments à cordes prennent la place des instruments à clavier et on ne relève pas de noms très importants avant celui de Bernardo Pasquini (1637-1710). Son style se situe entre une certaine rigueur qui était propre à Frescobaldi et la fantaisie qui caractérisait Domenico Scarlatti. Il fut un des premiers à appeler sonate une suite en trois mouvements. Parmi ses élèves, il faut citer F. Gasparini (1668-1727) qui écrivit un traité de L’Harmonie au clavecin , Durante et Domenico Scarlatti. La réputation de ce dernier ne doit pas totalement éclipser celle de son père Alessandro, qui a composé quelques remarquables pièces pour clavecin. Domenico (1685-1757) eut un jour l’occasion d’être confronté à Haendel devant une brillante assemblée, qui donna la préférence à Haendel comme organiste et à Scarlatti comme claveciniste. Son œuvre la plus impressionnante consiste en 545 sonates écrites entre 1729 et 1754, alors qu’il se trouvait au Portugal. Elles sont stupéfiantes par la diversité, l’originalité de leur style, de leur écriture, par l’extraordinaire richesse et par la hardiesse des harmonies. Scarlatti délaisse le passé et prépare l’avenir. Son œuvre est au départ de toute virtuosité pianistique. À côté de lui, on peut citer les très habiles Marcello, Galuppi, Martini, Pergolesi, Paradies, Rutini, Cimarosa. Enfin, avant d’aborder les compositeurs de l’Allemagne, il faut faire une place particulière à l’Amstellodanien Jan Pieters Sweelinck (1562-1621) et au Danois Dietrich Buxtehude (1637-1707). Le premier fut, sans conteste, le chef de l’école flamande. Dans ses compositions, qui «conviennent à titre égal à l’orgue et aux instruments à cordes pourvus de clavier», il est l’un des premiers à introduire la fugue. Le second, disciple de Froberger, forma de nombreux élèves et écrivit pour le clavecin cinq séries de variations, des toccatas et dix-neuf suites.
En Allemagne : Bach
Le premier compositeur allemand qui ait écrit des œuvres significatives pour le clavecin est Samuel Scheidt (1587-1654), élève de Sweelinck. Un nom beaucoup plus important apparaît dans la génération suivante: Johan Jacob Froberger (1616-1667). Il fit des séjours dans toutes les capitales du clavecin; à Rome, il travailla avec Frescobaldi, il connut à Paris Couperin et Chambonnières, alla à Vienne, à Bruxelles, à Londres, où il prit contact avec les musiciens anglais. Partout il s’inspira avec bonheur des diverses tendances de son époque, grâce à sa sensibilité profonde et à son inspiration poétique. Il introduit la suite en Allemagne ainsi que la physionomie presque définitive de la fugue . Johan Pachelbel (1653-1706), l’un de ses élèves, suit fidèlement sa route ainsi que Kerl, Georg Muffat, Richter, Krieger, Fischer et enfin Johan Kühnau (1660-1722), qui marque d’une très forte empreinte le domaine du clavecin. Ses célèbres «sonates bibliques» en témoignent. Georg Philipp Telemann (1681-1767) a toujours joui de l’engouement du monde artistique et du public allemand. Très fécond, nous lui devons, entre autres pièces pour clavecin, de ravissantes «fantaisies» où la galanterie française fait bon ménage avec la grâce plus rigoureuse des Italiens. Né en 1685, comme Jean-Sébastien Bach, Georg Friedrich Haendel est mort en 1759. Organiste, violoniste, compositeur, Haendel voyage beaucoup, s’installe en Angleterre, où on le considère bientôt comme le premier musicien anglais et le successeur de Purcell. Avant tout musicien de théâtre, il tient une place très importante dans l’histoire du clavecin. Ses suites, fantaisies et fugues pour cet instrument nous comblent par la plasticité, la pureté et l’élégance de leurs lignes mélodiques. Avec Jean-Sébastien Bach (1685-1750) qui, lui, n’a jamais abordé le théâtre, on se trouve en face de l’un des plus grands serviteurs du clavier de tous les temps et l’on atteint au sommet de la musique. C’est surtout pendant les vingt-sept années où il fut cantor à Leipzig qu’il donna ses plus grands chefs-d’œuvre. Il compose pour l’orgue et le clavicorde, mais le clavecin est l’instrument sur lequel il peut tout «dire»: la suite, le prélude et la fugue, la variation, la toccata, la sonate, et enfin le concerto. Parmi ses vingt enfants, plusieurs furent compositeurs. L’un d’eux, Karl Philipp Emmanuel (1714-1788), le «Bach de Berlin», a connu une gloire certaine, il est de ceux qui ont le plus contribué à établir les formes définitives de la sonate et de la symphonie. Il composa 52 concertos, 89 sonates pour clavecin où il fait figure de précurseur. Son plus jeune frère, Johan Christian (1735-1782), le «Bach de Milan», était doué d’une autre manière: il n’a pas le poignant, la profondeur de Karl Philipp Emmanuel, il se contente de charmer. Ses concertos et ses sonates inspireront le jeune Mozart. Il faut d’ailleurs rappeler ici que si le pianoforte détrôna le clavecin, au moment où Mozart et Haydn apparaissent, ceux-ci le connurent tous les deux, en jouèrent et écrivirent pour lui quelques pages charmantes pendant leur jeunesse.
En France : Couperin et Rameau
Le premier éditeur de musique en France, Pierre Attaingnant, publia en l’année 1531 sept livres de chansons transcrites et des danses «pour le jeu d’orgue, épinette et manicordion»; elles sont fort séduisantes mais, hélas, anonymes. Le premier des clavecinistes français connus, Jacques Champion de Chambonnières (1602-1672), était fils et petit-fils de musiciens réputés. Ses compositions, presque toujours des danses, ne laissent pas supposer, tant elles sont d’esprit différent, qu’il ait connu celles de Frescobaldi, de Sweelinck ou de Byrd. Il eut parmi ses élèves Louis Couperin, Nicolas Le Bègue et Jean-Henri d’Anglebert. Louis Couperin (vers 1626-1661), oncle de celui qui fera briller, cinquante ans plus tard, l’école française du clavecin, compose d’admirables pièces d’une écriture savante, expressive, avec des recherches harmoniques, des dissonances et déjà un certain esprit descriptif. Le Bègue (1631-1702) n’a pas la même envergure, ni d’ailleurs d’Anglebert (1628-1691), le successeur de Chambonnières dans la charge de claveciniste de la Chambre du roi. Autour d’eux gravite un essaim de compositeurs qui va les dépasser; beaucoup de noms s’imposent, et au premier rang ceux de François Couperin et de Rameau. Mais il faut citer aussi le délicat Gaspard Le Roux, l’étonnante E. Jacquet de la Guerre, J.-F. Dandrieu, L. Marchand, Dieupart, Clérambault, Balbastre, d’Agincourt, Daquin, Corette, Duphly, Mondonville.
«J’aime beaucoup mieux ce qui me touche que ce qui me surprend.» Cette phrase nous dévoile un peu l’âme de François Couperin (1668-1733) qui s’exprime sans détour dans ses préfaces. Toutes ses œuvres ont rencontré le plus grand succès. Celles qui nous intéressent le plus sont, bien sûr, ses quatre livres de clavecin, divisés en 27 suites ou Ordres. Admirables pages descriptives et pittoresques, charmantes ou majestueuses, douloureuses ou ironiques. Aux interprètes, il dit: «Je saurai toujours gré à ceux qui, par un art infini, soutenu par le goût, pourront arriver à rendre cet instrument susceptible d’expression.» Couperin et Rameau élargissent, en France, l’horizon du clavecin; ils franchissent tous deux les frontières du classicisme. L’œuvre du Bourguignon Jean-Philippe Rameau (1683-1764) ne présente pas, en quantité, l’importance de celle de Couperin. Elle s’échelonne sur une période d’une quarantaine d’années. On y trouve un grand sens de l’art descriptif, d’audacieuses modulations et une prédilection pour le rondeau. Pour Rameau, grand théoricien, l’harmonie justifie toute mélodie et gouverne la musique tout entière.
En Espagne, c’est l’organiste aveugle de Philippe II, Antonio de Cabezón (1510-1566) qui, le premier, transplanta sur le clavecin des pièces instrumentales destinées au luth. Une période obscure suivit, et c’est seulement beaucoup plus tard, sous l’influence de Scarlatti, que se forma toute une école de clavecinistes, avec, à sa tête, le padre Antonio Soler (1729-1783). Nous lui devons une soixantaine de pétillantes sonates. Après lui, citons Freixanet, Casanovas, Angles, Rodriguez, Mateo Albeniz, Cantallos, Galles, Serrano, etc., presque tous compositeurs catalans.
Plus mystérieux encore le passé musical du Portugal, du fait de la destruction des documents durant le tremblement de terre de 1755. Il ne faut pas confondre art espagnol et art portugais ; si la forme est sensiblement la même, le langage diffère et c’est une autre âme, plus mystique peut-être, plus nostalgique sûrement que nous découvrons chez le père Rodriguez Coelho (né en 1555), chez Fei Jacinto dont on ne sait presque rien, chez Carlos de Seixas (1704-1742), ami et élève de Domenico Scarlatti, remarquable technicien du clavecin et certainement le plus important des compositeurs de son pays pour cet instrument, et enfin Sousa Carvalho (?-1798), appelé quelquefois le «Mozart portugais».
En Pologne, signalons de charmantes pièces pour clavecin du compositeur Jarzebski, au XVIIe siècle.
4. Abandon et renaissance
Au moment où le pianoforte fit son apparition, il y eut d’abord à son sujet des discussions, des hésitations, puis on l’adopta. L’instrument à cordes frappées répondait mieux aux exigences d’un style nouveau, d’une révolution dans la forme et dans l’esprit. Le clavecin, petit à petit, disparaît. On le relègue chez certains pour embellir les salons, ou au musée pour satisfaire la curiosité. En 1898, dans La Musique et les musiciens d’Albert Lavignac, ouvrage couronné par l’Académie des beaux-arts et adopté dans toutes les écoles de musique, on pouvait lire que le clavecin, instrument désuet, était définitivement remplacé par le piano. Les lecteurs, à cette époque, se sont-ils doutés que quelques dizaines d’années plus tard, dans bien des cas, on pourrait écrire le contraire? Quel mélomane averti ne souhaite, de nos jours, entendre un clavecin pour l’exécution de la musique ancienne et ne le reconnaît indispensable à l’interprétation de nombreuses œuvres contemporaines?
Cette résurrection, nous la devons presque entièrement à l’admirable artiste que fut Wanda Landowska, laquelle, dès le début du siècle, s’était donné pour tâche de retrouver le sens, l’esprit de l’instrument et d’en instruire. C’est à sa demande que la maison Pleyel (en 1912) entreprend la fabrication d’un grand modèle seize pieds; c’est à son intention que la Hochschule de Berlin ouvre une classe de clavecin (1913-1919); c’est pour elle, enfin, que Manuel de Falla en 1926 et Francis Poulenc en 1927 composent les deux premiers concertos contemporains pour le clavecin.
Depuis, de nombreux compositeurs – ceux de jazz inclus – emploient de nouveau les cordes pincées pour obtenir tel ou tel «effet» dans une œuvre, ou pour «lutter» avec nos instruments modernes. Le clavecin retrouve une vogue dont le romantisme l’avait privé.
CITHARE
Instrument à cordes pincées, du genre lyre, particulièrement apprécié des Grecs de l’Antiquité. Les cordes (de 5 à 11) sont de longueur égale et vibrent à vide sur une caisse de résonance plate et oblongue. Le terme désigne, en outre, un grand nombre d’instruments à cordes frappées ou pincées, dépourvus de manche, à corps unique et qui diffèrent du type grec primitif (ainsi, la caisse est trapézoïdale en Europe centrale). Une cithare est issue du psaltérion au XVIIe siècle : elle possède des cordes dégressives d’accompagnement (une quarantaine) accordées de quartes en quintes, situées à côté de 5 cordes mélodiques (ut , sol , rê , lá , lá ) tendues sur une touche à sillets. L’épinette des Vosges est une espèce de cithare, déjà connue au Moyen Âge.
Sources Encarta
Cithare, famille d'instruments cordophones sans manche, munis de cordes tendues le long d'un corps ou résonateur. La famille des cithares comprend le psaltérion et le tympanon à marteau, ainsi que les cithares frettées européennes. Il existe deux variétés importantes de cithare européenne : en Autriche, la cithare de Salzbourg, aplatie du côté des frettes et incurvée du côté opposé, et en Allemagne du Sud, la cithare de Mittenwald, moins répandue, incurvée des deux côtés. Toutes deux ont une caisse de résonance peu profonde et aplatie, avec un trou de résonance rond, et disposent généralement de cinq cordes mélodiques en métal, tendues le long d'une touche sculptée, et de dix-sept à quarante cordes d'accompagnement, généralement en boyau ou en nylon. Les doigts de la main gauche du musicien pressent les cordes mélodiques, qu'il pince avec un plectre porté sur le pouce droit ; les quatre autres doigts de la main droite pincent les cordes d'accompagnement. Les cordes mélodiques sont accordées le plus souvent selon l'une de deux manières suivantes : do, sol, ré1 la1 la1 et do, sol, sol1 ré1 la1 (sol = sol au-dessous du do fondamental, sol1= sol au-dessus du do fondamental) ; les accords des cordes d'accompagnement sont variables. Ces cithares proviennent de la Scheitholt, instrument étroit et semblable à une boîte, qui ressemble à plusieurs cithares d'Europe du Nord et au tympanon des Appalaches aux États-Unis (cithare à touches, à trois ou quatre cordes, qui s'est développée à partir de la zitter allemande de Pennsylvanie). Quelques cithares, comme la Streichzither, n'ont pas de cordes pincées et se jouent avec un archet.
Hormis les modèles occidentaux, les cithares peuvent revêtir plusieurs formes : il existe des cithares sur tuyau (notamment en Afrique), des cithares sur bâton comportant des résonateurs faits de gourdes à chaque extrémité (la bin de l'Inde du Nord), des cithares montées sur une table longue et légèrement incurvée (la qin [ch'in] et la zheng [cheng] chinoises, et la koto japonaise).
Piano (ou pianoforte), instrument à cordes frappées, muni d'un clavier à l'instar du clavecin et du clavicorde et dont les cordes sont actionnées par des petits marteaux, comme le tympanon. Sa principale différence avec les instruments dont il dérive consiste dans un système de marteau et de levier qui permet au pianiste de modifier le volume sonore par un toucher plus ou moins fort. Pour cette raison, le premier modèle connu (1709) était appelé gravicembalo col pian e forte (en italien, « clavecin à clavier pouvant jouer doux et fort »). Il fut construit par Bartolomeo Cristofori, facteur de clavecin à Florence, auquel on attribue généralement l'invention du piano. Deux de ses pianos existent toujours : l'un, datant de 1720, se trouve au Metropolitan Museum of Art, à New York!; l'autre, datant de 1726, est exposé dans un musée de Leipzig, en Allemagne.
Évolution du piano :
Débutant vers 1725, lorsque l'organier allemand de Freiberg, Gottfried Silbermann, adopta le système de Cristofori, les principaux développements eurent lieu en Allemagne. Celui qui semble avoir contribué le plus à cette évolution fut Johann Andreas Stein, le facteur de piano d'Augsbourg auquel on attribue l'invention d'un nouvel échappement qui constituait la base du « piano viennois » ; celui-ci fut particulièrement apprécié par Mozart et devint l'instrument préféré des plus grands compositeurs allemands de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. Un certain nombre de facteurs du centre de l'Allemagne s'établirent à Londres vers 1760 et fondèrent une école anglaise qui, sous la direction de John Broadwood et d'autres, fut orientée vers la fabrication de pianos plus robustes, semblables aux pianos actuels. Le facteur français Sébastien Érard fonda l'école française dans les années 1790 et créa, en 1823, le système à double échappement, lequel est employé jusqu'à nos jours. À partir de cette époque, de nombreux facteurs de pianos européens travaillèrent à l'amélioration du pianoforte. Dès lors, de nombreuses améliorations furent apportées à la mécanique et à la forme de l'instrument, qui continue à être perfectionné. Les pianos fabriqués en Allemagne et aux États-Unis, notamment ceux qui sortaient des ateliers allemands fondés par Karl Bechstein et des ateliers américains fondés par Steinway et Chickering, sont considérés depuis longtemps comme les plus aboutis. Les pianos produits par la firme autrichienne Bösendorfer sont également hautement appréciés.
L'étendue des premiers pianos, comme celle du clavecin, était seulement de quatre ou de cinq octaves, tout au plus, mais elle augmenta progressivement pour s'étendre à plus de sept octaves, à mesure que les changements structurels permettaient d'augmenter la tension de plusieurs tons. Un modèle de Bösendorfer a une partie basse étendue, il dispose donc d'une étendue de huit octaves.
Structure moderne :
Le pianoforte moderne se compose de six parties (voir l'illustration) : (1) Le cadre est habituellement en métal. À l'arrière se trouve le sommier d'accroche, sur lequel sont fixées les cordes. Sur le devant se trouve le sommier de chevilles, dans lequel sont enfoncées les chevilles, ce qui permet l'accordage. On passe autour de celles-ci les boucles pratiquées à l'extrémité des cordes, et on règle la tension des cordes en tournant ces chevilles. (2) La table d'harmonie, pièce en épicéa à grain fin placée sous les cordes, renforce le son par des vibrations sympathiques. (3) Les cordes, en fil d'acier, deviennent plus longues et plus épaisses à mesure que l'on passe des aiguës aux basses. Les notes les plus hautes sont données par deux ou trois cordes accordées à l'unisson. Les notes les plus basses sont des cordes simples, plus épaisses, enroulées dans un fin fil de cuivre. (4) Les mécanismes ont pour fonction de propulser les marteaux sur les cordes (voir Principes de mécanique). La partie immédiatement visible du mécanisme est le clavier, une rangée de touches actionnées par les doigts. Les touches correspondant aux sons naturels sont en ivoire ou en plastique blanc. Celles qui correspondent aux tons altérés, dits chromatiques, sont en ébène ou en plastique noir. (5) Les pédales sont des leviers abaissés par les pieds. La pédale sostenuto (ou forte) lève tous les étouffoirs pour que les cordes frappées continuent à vibrer même après que les touches ont été relâchées. La pédale sourdine rapproche tous les marteaux des cordes pour que la distance de frappe soit diminuée de moitié, ou tourne légèrement les marteaux sur un côté et réduit leur surface de contact avec les cordes. Certains pianos ont une pédale centrale supplémentaire qui ne prolonge que les notes déjà jouées au moment où l'on abaisse la pédale. L'emploi de ces pédales produit des modifications subtiles de la tonalité du son. De nombreux pianos droits sont construits avec une pédale qui, lorsqu'elle est abaissée, applique une bande de feutre entre les marteaux et les cordes pour que les touches ne produisent qu'un son très faible. (6) Selon la forme de la caisse, on distingue les pianos à queue, les pianos carrés et les pianos droits. On ne construit plus aujourd'hui de pianos carrés. Cette forme a été remplacée, pour l'usage domestique, par le piano droit, qui prend moins de place. Les pianos à queue sont construits dans des tailles différentes : du piano à queue de concert, 2,69 m de long, au crapaud, moins de 1,8 m de long.
Les pianos droits comprennent le virginal de la fin du XVIIe siècle, forme plus petite du piano droit. L'épinette et le piano-table sont des petits pianos droits dérivés du virginal. Dans les pianos droits, les cordes sont disposées verticalement ou en diagonale, du haut vers le bas de l'instrument. Dans les pianos droits et les crapauds, les cordes de basse sont tendues diagonalement sur les cordes plus courtes des aiguës, pour gagner de la place et pour effectuer une tension égale : la tension totale des cordes d'un piano à queue est d'environ 30 tonnes, elle est de 14 tonnes pour un piano droit.
Principes de mécanique :
Lorsque l'on appuie sur la touche d'un piano, sa queue pivote vers le haut et lève un levier qui envoie un marteau sur les cordes correspondant à cette touche. Simultanément, un autre étouffoir est enlevé de ces cordes pour permettre à celles-ci de vibrer librement. (Pour la description détaillée du mécanisme, voir l'illustration.)
La touche du piano est un levier qui pivote sur une pointe de balancier. Lorsque le pianiste appuie sur une touche, le pilote de la touche se lève et fait actionner le chevalet qui propulse le marteau sur la corde et lève l'étouffoir. L'extrémité libre de la butée de réglage du levage de la touche entraîne avec elle l'équerre d'échappement (5), et le levier de répétition (9).
L'équerre d'échappement pousse le rouleau (6), bourrelet de feutre qui est fixé au manche du marteau (7)!; alors le marteau se lève. Le mouvement vers le haut de l'équerre d'échappement s'arrête lorsque son ergot arrive en contact avec le bouton butoir de l'échappement (8). Le marteau s'élève par rapport à l'équerre d'échappement et vient frapper la corde. Le levier de répétition (9) s'élève également mais seulement jusqu'à ce que l'ergot de l'équerre d'échappement passe au travers et touche la vis de réglage de la hauteur du double échappement (10)!; ce levier reste levé jusqu'à ce que la touche soit relâchée.
Le marteau retombe, mais seulement partiellement. Il est arrêté par le rouleau (6) frappant le levier de répétition (9). L'équerre d'échappement (5) peut alors revenir dans sa position originale, sous le manche du marteau partiellement levé. En même temps, la contre-touche (11) empêche le marteau de rebondir sur la corde.
Si la touche n'est que partiellement relâchée, le marteau bouge librement sur la contre-touche, et le levier de répétition reste levé. Si le pianiste frappe de nouveau la touche relâchée partiellement, l'équerre d'échappement (5) peut à nouveau pousser le rouleau (6) et le feutre du marteau (7) vers le haut. (Ce système permet une répétition rapide des notes avant que la touche et le marteau aient le temps de retrouver leur position initiale. Son invention fut une amélioration importante des premiers systèmes plus simples, et fut très exploitée par des virtuoses tels que Hummel et Liszt.)
Cependant, la queue de la touche a également poussé le levier de l'étouffoir (12), qui soulève l'étouffoir (13) des cordes de cette touche. Lorsque la touche est relâchée, même partiellement, l'étouffoir retombe sur les cordes et interrompt la note.
Lorsque la touche est complètement relâchée, toutes les parties du mécanisme retrouvent leur position initiale grâce à la force de gravitation. Contrairement aux pianos à queue, les pianos droits ne peuvent pas compter sur la pesanteur pour ce retour en position initiale. Dans un piano à queue, le mécanisme se trouve dans une position horizontale sur la touche ; dans un piano droit, le mécanisme est adapté pour qu'il soit plus ou moins vertical. C'est parce qu'il ne peut pas compter entièrement sur la gravitation qu'il emploie plusieurs suspensions et petites sangles de tissu pour rappeler certaines parties du mécanisme.
Les plus grands solistes :
Le piano fut toujours un instrument pour virtuoses. Les compositeurs tels que Mozart, Beethoven, Chopin et Liszt jouaient eux-mêmes leurs compositions. La remarquable pianiste allemande Clara Schumann interprétait les compositions de son mari Robert Schumann. La fin du XIXe siècle fut dominée par le pianiste et compositeur russe Anton Rubinstein et à partir du début du XXe siècle de nombreux interprètes donnèrent des récitals en Europe occidentale et aux États-Unis. Parmi ces interprètes figurent le Polonais Ignacy Paderewski et les artistes américains d'origine polonaise Josef Hofmann et Arthur Rubinstein. Dans l'entre-deux-guerres, le compositeur et interprète américain d'origine russe Sergueï Rachmaninov et le pianiste et compositeur américain d'origine autrichienne Artur Schnabel, l'artiste anglaise Dame Myra Hess, l'interprète allemand Walter Gieseking et l'artiste brésilien Guiomar Novaes étaient les concertistes les plus célèbres. Après la Seconde Guerre mondiale, les pianistes russes tels que Sviatoslav Richter et Emil Gilels retournèrent en tournée en Europe et aux États-Unis. Sont considérés comme les plus grands maîtres de tous les temps le Chilien Claudio Arrau, dont le répertoire fut particulièrement étendu, l'interprète et pédagogue américain d'origine tchèque Rudolf Serkin, le virtuose américain d'origine russe Vladimir Horowitz et l'Espagnole Alicia de Larrocha. Parmi les autres interprètes les plus accomplis apparus après la Seconde Guerre mondiale figurent le pianiste autrichien Alfred Brendel, dont l'approche savante suscita des controverses, le pianiste canadien Glenn Gould, dont les enregistrements des œuvres de Bach inaugurèrent un nouveau style d'interprétation, l'artiste américain Murray Perahia et le pianiste et chef d'orchestre d'origine russe Vladimir Ashkenazy. Aujourd'hui, avec l'évolution incessante de la technique pianistique, les concours de piano internationaux éveillent un grand intérêt et permettent de découvrir de nouveaux talents.
Clavecin (en italien cembalo ; en anglais harpsichord), instrument de musique à cordes pincées pourvu d'un clavier. Le clavecin fut inventé en Europe entre la seconde moitié du XIVe siècle et le début du XVe siècle. La sonorité directe, tranchante et pleine de ses cordes de métal pincées, qui donne de la clarté aux lignes mélodiques, le fit rapidement apprécier. Le clavecin se révéla particulièrement approprié au contrepoint, musique composée de deux ou trois mélodies jouées en même temps, comme celle de Jean-Sébastien Bach et de ses contemporains.
Il fut très largement utilisé du XVIe à la fin du XVIIIe siècle, période à laquelle il fut remplacé par des instruments à cordes frappées, le pianoforte puis le piano. Au XXe siècle, le clavecin connut une nouvelle vogue, notamment dans l'interprétation de la musique baroque, mais aussi dans la création contemporaine, comme en témoigne par exemple le Continuum für cembalo (1968) de G. Ligeti.
Construction et mécanisme :
Le clavecin a souvent la forme d'une aile, comme un piano à queue!; mais il est plus étroit et plus long, et sa caisse tout comme ses éléments internes sont plus légers. D'autres formes de clavecin ont également été construites. Elles ont pour nom le virginal, petit instrument rectangulaire qui fut très utilisé en Angleterre au XVe et au XVIe siècle ; l'épinette, petit clavecin polygonal ; et le clavicythérium, moins commun, tout en hauteur. Du XVIe au XIXe siècle, on employa indifféremment les termes d'épinette et de virginal. Certains clavecins sont décorés ou sont ornés d'une peinture (parfois signée Bruegel, Rubens ou Van Dyck) sur l'intérieur du couvercle, qui reste ouvert durant l'exécution.
Quelle que soit leur forme, tous les clavecins ont le même mécanisme. Pour chaque corde, une petite patte, le plectre, est montée dans une fine cale de bois, ou « sautereau », qui se trouve à l'intérieur, tout au bout de la touche. Quand on appuie sur le devant de la touche, l'autre extrémité se soulève, et le plectre pince la corde. Le sautereau est agrémenté d'un mécanisme d'échappement, pour que le plectre puisse coulisser sans pincer à nouveau la corde quand la touche revient à sa position de repos. Comme le volume et la sonorité produits par le pincement ne dépendent pas de la force avec laquelle on appuie sur la touche, diverses méthodes furent employées pour modifier le son du clavecin. Beaucoup de clavecins possèdent deux cordes pour chaque touche, avec une rangée de sautereaux pour chaque ensemble de cordes. Des jeux, ou registres, permettent à l'instrumentiste d'écarter légèrement les sautereaux des cordes dont il ne désire pas jouer, de façon à créer différents volumes et combinaisons de timbres. Un jeu peut donner un son, une octave au-dessus de la tonalité habituelle : c'est le jeu à 4’(4 pieds), le jeu normal étant à 8’. Quelques clavecins allemands du XVIIIe siècle eurent un ensemble de cordes dont le son était une octave au-dessous de la tonalité habituelle (16’).
Les clavecins ont fréquemment deux claviers, que l'on peut utiliser ensemble ou séparément pour obtenir des variations supplémentaires du timbre et de la puissance. Typiquement, un clavecin à deux claviers du XVIIIe siècle a un peu de cordes à 8’ et 4’, dont on joue avec le clavier inférieur, et un autre jeu à 8’ commandé par le clavier supérieur, ainsi qu'un mécanisme de couplage.
Histoire :
Le clavecin fut mentionné pour la première fois en 1397 sous le nom de clavicembalum. Il est décrit vers 1540 par un savant de la cour de Bourgogne. La première école de fabrication de clavecins se développa au XVIe siècle en Italie. La différence entre les clavecins italiens et les autres réside dans le fait que les premiers furent généralement construits dans des bois de très grande qualité. Une deuxième école se développa dans les Flandres, aux XVIe et XVIIe siècles, autour de la très influente famille Ruckers. Ces écoles s'effacèrent au XVIIIe siècle, au profit d'autres styles de fabrication développés en France (la famille Blanchet), en Allemagne (la famille Hass) et en Angleterre (Jacob Kirckman). Les clavecins des différentes écoles nationales se différencient par certains détails de leurs proportions et de leur fabrication, qui entraînaient parfois des différences très importantes dans le timbre de l'instrument.
Développements récents :
Au XXe siècle, la fabrication de clavecins évolua dans deux directions. La première utilisa des principes de fabrication modernes, inspirés de ceux utilisés pour les pianos. Sous l'influence de la claveciniste polonaise Wanda Landowska, ce style, fondé sur l'utilisation de cordes très grosses fortement tendues, s'affirme pleinement dans les clavecins du facteur de pianos français Pleyel. Bon nombre de morceaux pour clavecins ont été écrits au XXe siècle pour ces instruments. D'autres fabricants essayèrent de retrouver les méthodes traditionnelles de fabrication pour retrouver le son des anciens instruments. Inaugurée par le facteur germano-anglais Arnold Dolmetsch, puis illustrée par l'Allemand Martin Skowroneck, cette école utilisa un ensemble de cordes légères dans une caisse à très grande résonance. Ce sont les copies artisanales méticuleusement exécutées d'élégants clavecins flamands, français et italiens que préfèrent de nos jours la plupart des clavecinistes, bien qu'il soit possible de trouver d'excellents instruments créés à partir de modèles de clavecins de l'Allemand Hieronymus Hass et de l'Anglais Jacob Kirckman.
Répertoire musical :
Au XVIIe siècle, le compositeur italien Girolamo Frescobaldi, le compositeur anglais John Bull et les compositeurs allemands Dietrich Buxtehude et Johann Pachelbel composèrent pour le clavecin. Mais c'est surtout à partir de la fin du XVIIe siècle que le clavecin gagna véritablement la faveur des compositeurs et que furent écrites les pièces les plus marquantes : François Couperin (Pièces pour clavecin, 1730), Jean-Philippe Rameau (Pièces pour clavecin, 1706 et 1724, Nouvelles Suites pour clavecin, 1728), Domenico Scarlatti (qui composa plus de cinq cents Sonates pour clavecin), mais aussi Georg Friedrich Haendel et Jean-Sébastien Bach (les Six Suites anglaises et françaises, le Clavecin bien tempéré et les Variations Goldberg) portèrent le clavecin au sommet de ses possibilités.