Jazz et théâtre musical chez Mauricio Kagel



Utilisation du jazz dans le théâtre musical de Kagel

Kagel fait véritablement un hommage à la musique populaire et au jazz plus particulièrement.
Kagel est d’origine argentine. Il faut plutôt parler de théâtre instrumental avec Kagel.
Il compose : La passion selon Saint Bach (il utilise la Passion selon Saint Matthieu de Bach et juxtapose le récit de l’épisode de la vie de Bach). Kagel travaille sur les œuvres d’autres personnes en incluant des petites distorsions à la fois comiques et théâtrales.



Il a écrit un ouvrage littéraire intitulé Tam-tam.
Kagel a développé une sorte de théâtre instrumental qui repose sur la théâtralisation du « jeu musical » assez en vogue dans les années 1960 : par exemple, les déplacements des instrumentistes, le placement de l’instrument (par ex. : « faire des ronds avec la clarinette », « faire des mimiques », « tourner la partition bruyamment », « le chef d’orchestre doit s’éponger le front avec un grand mouchoir », …). Cette théâtralisation touche aussi les ressources expressives de la musique elle-même : les timbres employés, les tournures mélodiques.
Par exemple, il fait appel à des éléments spécifiquement jazzistiques pour leurs ressources expressives. Il va travailler sur le jazz un peu comme il a travailler sur Bach (dans la Passion selon Saint Bach) : son idée est d’instaurer un dialogue par delà les générations, opérer une mise en perspective culturelle et, d’une certaine manière, réactualiser cette musique, revalider les critères esthétiques de cette musique par rapport aux nouvelles valeurs culturelles. Kagel intègre le jazz à ce patrimoine culturel de référence (au même titre que Bach). Kagel a beaucoup pratiqué le répertoire du jazz dans sa jeunesse.

Une oeuvre utilisant le jazz : rrrrrr.... Fünf Jazz Stücke (1981-82).
voir : rrrrrr..., Mauricio Kagel (site de l'IRCAM)



Blues Blue (1978-79)

Il sous titre « reconstruction musico-ethnologique ». Kagel est parti d’une personnalité : John Blue qui est un des premier « jazzman » enregistré. C’était un contemporain de Wagner et Verdi. C’était un noir de la New Orleans. Il était homme-pleureuse pour une compagnie de pompe funèbre : d’après Kagel, son patron l’a enregistré pour sauvegarder le patrimoine noir américain. C’est le jazz d’un autre âge.

L’œuvre est pour 4 musiciens qui improvisent autour de cet enregistrement de John Blue (donné par bande magnétique). Ce qui fascine Kagel dans cet enregistrement : c’est un genre de « old new orleans ». « Ce qui est passionnant en jazz ce sont moins les innovations momentanées que la cristallisation des styles […]. Il s’établit une relation unique : d’un côté à la tradition du jazz, de l’autre à la tradition de la pratique du jazz » (Kagel). Kagel ne travaille pas sur un répertoire à proprement parler mais plutôt autour d’une pratique. C’est donc un hommage à cette pratique.



Kagel décrit l’œuvre :
« les 4 musiciens de cette pièce écoutent de très vieux enregistrements de John Blue (All is blue on Blue’s lips). Les bruits de craquement du disque usé et la qualité médiocre de la reproduction n’empêchent pas ses auditeurs d’accompagner et d’imiter d’abord timidement puis de plus en plus minutieusement la figure d’un père presque inconnu du jazz. Par identification, s’amplifiant d’abord graduellement puis devenant parfait à la musique et à l’art de son interprète, les participants s’essayent à une reconstruction publique d’une poétique gelée. En réalité, le résultat est difficilement prévisible [donc varie d’une exécution à l’autre]. L’improvisation par mimétisme donne les éléments de base du jeu qui suit. Il y a osmose musicale en même temps qu’une sorte de préservation des racines. Les répercussions subtiles du blues dans la pratique du jazz subsiste encore aujourd’hui comme un réservoir intarissable près du tombeau ouvert de l’archéologie acoustique »

Les instruments sont : voix, « glass trompet » (sorte de verre à cognac), clarinette en mi b, saxo alto, guitare acoustique et violon.

C’est donc un hommage au jazz. La reconnaissance de ce patrimoine culturel passe par l’insertion de la pratique actuelle dans une pratique très ancienne des débuts du jazz (l’enregistrement de John Blue date de 1903). C’est autour de ce vestige archéologique que les 4 musiciens, par la pratique actuelle, mettent en valeur le jazz (par l’improvisation imitative). En ce sens, c’est moins le passé qui se fond dans le présent que le présent qui se déguise en passé.