Musique du Triangle d'Or











MUSIQUES ET CHANTS DU TRIANGLE D’OR
PEUPLES MEO, LISU, SHAN, LAHU NYI, YAO, AKHA, KAREN SKAW
PAR FRANÇOIS JOUFFA


« Ils jouaient sur de longs instruments à vent en bambou, et leur musique était mélancolique et vibrante. (…) Cette musique vous donnait l’impression d’être infiniment ancienne. (…) et inspirée par les bruits intermittents de la jungle et le débit discret des rivières. »
Somerset Maugham, Un gentleman en Asie, 1930.


Au nord de la Thaïlande, dans une région géopolitiquement indéfinie, les tribus nomades d’origine chinoise qui subsistaient, tant bien que mal, en cultivant la fleur du pavot, avaient été protégées du reste du monde, et des soi-disant progrès de la civilisation industrielle, par la difficulté de les atteindre à travers jungles et montagnes. Si, par la suite, quelques touristes aventureux, conduits par un guide local, abordaient les villages les plus proches des rives de la rivière Mae Kok, ne se risquaient, autrefois, dans les collines des frontières thaïlandaises, birmanes et laotiennes que des trafiquants de métier, ou alors des missionnaires chrétiens à la recherche d’âmes à sauver parmi ces animistes que les anthropologues, qui les connaissent assez mal, classent dans le « stock » sino-tibéto-birman.

À l’époque des enregistrements pour ces disques, à la toute fin des années 1970, les descendants de l’armée de Tchang Kaï-chek réfugiés dans la région - cent mille personnes environ qui espéraient encore reconquérir la Chine rouge - faisaient payer une dime aux caravanes qui passaient les cols avec de la marchandise ; et ces maîtres du trafic de l’opium et des laboratoires clandestins inondaient le monde entier en poudre blanche mortelle. Dans le Triangle d’Or, outre des bandits de grands chemins, détrousseurs et tueurs, on croisait également des rebelles militaires de plusieurs sortes : l’armée de l’état Shan qui se battait pour obtenir son indépendance de la Birmanie devenue Myanmar, tout comme l’armée de libération nationale Karen, et même des partisans communistes thaï qui préparaient des sabotages, aidés par certaines tribus, et qui pouvaient se retrancher au Cambodge auprès des Khmers rouges. Selon les enjeux de la « Guerre froide », les uns et les autres étaient soutenus financièrement soit par les Soviétiques, soit par les Américains, soit par les Chinois, quelquefois par deux de ces puissances, ou même les trois…

Dans ce dangereux contexte politique toujours en effervescence, les peuples (Meo, Lisu, Shan, Lahu Nyi, Akha, Yao et Karen Skaw), dont nous avions enregistré les chants et musiques sur le territoire thaïlandais, vivaient en autarcie de la même façon que leurs ancêtres. Cela faisait des centaines d’années qu’ils circulaient dans ce périmètre, fuyant des persécutions diverses, en gardant intactes leurs coutumes et traditions qui remontent à plusieurs millénaires. Ces tribus, dont les cultures n’ont rien de commun avec les peuples voisins de l’Asie, ne connaissaient pas l’écriture. D’une tribu à l’autre, distante de quelques heures de marche en montagne, on ne parlait pas la même langue. On ne croyait pas en les mêmes forces spirituelles qui peuplent l’eau, les roches et les rizières, à partir du Tibet jusqu’au Viêt-Nam. Les membres des tribus sont toujours habillés comme dans le lointain passé, ce qui faisait qu’une promenade expédition dans le Triangle d’Or était un véritable voyage dans le temps.


DISQUE 1 – DURÉE TOTALE : 60’43

WHITE MEO : Les Meo racontent que leurs chevaux ont mangé leurs manuscrits alors qu’exténués, ils dormaient après avoir accompli une longue marche depuis la Chine. Selon les anthropologues, c’est une façon de justifier leur absence de culture livresque remplacée par des expériences « bien digérées ». Mais, d’après les ethnologues, ces Meo-là, qui se désignent entre eux comme des H’mong, n’ont rien à voir avec leurs homonymes chinois. Leur histoire remonte à plus de quatre mille ans et, comme ils se mélangent aux Chinois depuis 700 ans avant J.-C., cela explique leurs fortes ressemblances physiques. Le shaman chante en s’accompagnant d’un gong pour communiquer avec les forces mystérieuses. Un orgue à bouche (guimbarde) et un tambour sont utilisés pour guider l’âme d’un disparu. Le joueur de « bambou musical » peut tomber malade en attirant le mauvais esprit qui est très friand de ces sonorités. Nous écoutons, ici, les « Meo blancs » du village de Pong-Nok.

1. AMOUR (YEAE). Chant : M. Kai. 4’14.
« Je suis un homme et, toi, une femme. Je t’aime beaucoup. Je suis très amoureux de toi. Je te propose de venir batifoler dans la jungle avec moi. On sera tranquille et on passera un bon moment. Nous ne serons que tous les deux. Nous pourrons bâtir une grande famille et notre avenir sera solide. »

2. L’UNIQUE (NEER-SHI). Chant : Mme Ngaw. 3’58.
« Je suis une femme et, maintenant, je suis en âge de me marier. J’ai plusieurs petits amis, mais un seul représente quelque chose pour moi. Il est unique. S’il manifeste son désir de m’épouser, je pense que je ne le repousserai pas. C’est un beau garçon. »


LISU : Les Lisu sont une de ces tribus du nord de la Thaïlande apparentés, d’après les anthropologues, au groupe tibéto-birman de type mongoloïde. Ils appartiennent à une tribu fière et guerrière qui a toujours eu maille à partir avec les Chinois jusqu’au jour où les autorités de l’ancienne Chine décidèrent que ces braves devaient être engagés comme mercenaires. Plus proche de nous dans le temps, les Lisu se distinguèrent en Mésopotamie durant la deuxième guerre mondiale. Dans les années 1940-1950, fuyant les persécutions et abandonnant la Chine, ils sont apparus en Thaïlande après avoir traversé l’état Shan de la Birmanie. Ils sont animistes et pratiquent certaines formes de culte des ancêtres et divers exorcismes. Les esprits sont partout, et particulièrement dans l’eau vive. Comme les Meo, les Lisu subsistent principalement de la culture de l’opium dont les champs sont cachés dans la montagne à plusieurs heures de marche de leurs villages. Merveilleux linguistes, ils parlent parfois quatre langues. Enregistrements au village de Huey-San.

3. MON AMOUR. Chant : Mmes A-Sa-Ma et A-Vou-Mae. 6’01.
« Je vis à la montagne. Un jour, un homme du sud est venu visiter mon village. C’était la première fois qu’un bel homme me regardait droit dans les yeux. Ce fut pour moi le coup de foudre. Je pense qu’il m’aime aussi parce qu’il n’est jamais reparti vers son pays, et qu’il vient me parler chaque jour. »

4. ALCOOL DE MAÏS (YUE-PHUE). Chant : Mmes A-Sa-Ma et A-Vou-Mae. 5’01.
« Je vis dans une grande famille où tout le monde aime boire. Aussi, je distille du bon alcool à partir du maïs. Il est très fort : 75°. Tout le monde y goûte pendant les festivités. Ma famille m’adore parce que je sais fabriquer un excellent breuvage. »

5. LES VISITEURS. Sue-bue (instrument à 3 cordes) : M. A-Be-Dme. 5’02.
« Nous avons plusieurs visiteurs dans notre maison, aujourd’hui. Ne sois pas timide, ne te cache pas dans ta chambre, ne reste pas dans la cuisine. Viens te joindre à nous pour boire de l’alcool et déguster les nombreux plats préparés pour nous tous. »

6. NOUVELLE ANNÉE. Sue-bue : M. A-Be-Dme. 8’43.
« Pour nous, c’est le temps des fêtes de la nouvelle année (« la pleine lune de février »). C’est le moment où les jeunes garçons et filles peuvent s’aimer et partir voyager ensemble. Ensuite, nous déciderons si l’on doit les marier. En attendant, rencontrez-vous et prenez du bon temps. »

7. À LA PÊCHE. Khène à 5 bambous (orgue à bouche, furu en dialecte Lo-lo) : M. O-Be. 6’04.
« Je suis allé à la pêche pendant trois jours et j’ai essayé d’attraper des poissons dans la rivière. Malheureusement, je suis rentré bredouille et je n’ai pas de nourriture à rapporter à ma famille. Je n’ose pas revenir à la maison, les mains vides. »

8. BEL OISEAU. Khène : M. O-Be. 1’22.
« J’ai une piège à oiseaux. Je suis parti pendant quatre jours dans la jungle mais je n’ai attrapé qu’un seul oiseau. À cause de moi, il a maintenant une patte cassée. Je ne veux pas le ramener chez moi. Je l’ai laissé repartir. Le bel oiseau s’est envolé. Il est trop beau pour être mangé.»

9. TRAVAIL AUX CHAMPS. Khène : M. O-Be. 4’42.
« Notre nourriture principale est le riz, aussi chacun doit travailler dans les rizières. La pluie est venue. Il nous faut cultiver pour les réserves de l’an prochain. Le travail est dur, mais on doit le faire. »


SHAN : Les Shan étaient, alors, environ 70 mille en Thaïlande. Ce sont des réfugiés de la guerre que se livrent leurs compatriotes au Myanmar (ils y sont plus de 2 million) où ils ont constitué une armée de libération pour obtenir l’indépendance de l’état qu’ils occupent au sein de la fédération birmane. Les Shan et Thaï s’entendent bien car ils ont des origines ethniques communes (le nom Shan provient de la même racine sino-thaï que le nom Siam qui veut dire « libre »). Les Shan, qui parlent un dialecte thaï, se nomment d’ailleurs eux-mêmes « Grands Thaï ». Leurs vêtements traditionnels sont teintés de bleu indigo, ce qui leur vaut le surnom de Thaï noirs, pour les mêmes raisons qu’on appelle Hommes bleus certains nomades du Sahara. Ils sont en voie d’intégration et sont installés dans la partie thaïlandaise du bassin de Salin, à l’ouest de Chiang Mai. Les enregistrements suivants ont été réalisés dans les locaux de l’école du village Ban-Mai-Mork-Jam.
Chants : Mlles Mue, Suey-Ing, Khae et Lord.
Instrumentistes : MM. Pang (toe-yoe, vièle à 4 cordes avec pavillon et caisse de résonance métalliques), Mun (grone-chum, batterie de 3 tambours alignés de tailles différentes), Gonejee (mon-vang, xylophone à lames de bambou) et Gowina (ching, petites cymbales chinoises).

10. EN PROGRÈS. 3’07.
« Voici notre groupe musical. Nous répétons très souvent ensemble. Maintenant, on joue très bien. Nous souhaitons être si bons que, nulle part, personne ne jouera et chantera aussi bien que nous. Aussi, devons-nous travailler tout le temps pour être en progrès. Notre musique sera jouée pour l’éternité. »

11. QUESTIONS. 2’33.
« Comment allez-vous ? D’où venez-vous ? Je crois qu’on ne vous a jamais vu. Êtes-vous un voyageur ? Où allez-vous ? Votre voyage s’est-il bien passé ? Pourquoi venez-vous ici ? De toute façon, j’espère que vous êtes heureux chez nous car nous sommes contents de vous recevoir. J’espère que vous passerez un bon séjour. Bonne chance à vous. »

12. PAISIBLE. 1’56.
« Je vous présente mon foyer et toute notre terre. En ce moment, tout est paisible. Nous sommes protégés par la police qui nous apporte la paix. De nombreux soldats à la frontière repoussent les bandits loin de notre village. Chacun est heureux de vivre ici. Nous avons de la chance. »

13. POUR VIVRE. 3’38.
« Comment allez-vous ? Comment est-ce dans votre maison ? Que faites-vous dans la vie ? Nous, nous faisons pousser du riz et des légumes pour vivre. Vous, que mangez-vous ? La même chose que nous ou est-ce différent ? »

14. AMOUREUSE. 3’44.
« Je suis une adolescente, souvent amoureuse. Mais les garçons ne sont pas tous honnêtes avec moi. Il faut que je m’assagisse. J’ai eu trop d’aventures indécentes. Je vais refuser la compagnie des hommes. Quand je serai seule, je me retrouverai un peu moi-même. »



DISQUE 2 – DURÉE TOTALE : 59’18

LAHU NYI : Les Lahu Nyi sont originaires du Yunnan du sud, en Chine. Ils ont émigrés de la Birmanie en Thaïlande, il y a environ un siècle. Certains étaient partis vers le Laos mais sont revenus en Thaïlande, au milieu des années 1970, fuyant le communisme, à la fin de la guerre américaine du Viêt-Nam. Derniers arrivants, ils n’ont pu s’installer que sur des sites difficiles, éloignés des points d’eau et dans les montagnes. Ils se sentent ainsi supérieurs parce qu’ils vivent plus haut que les autres. Ce sont d’excellents alpinistes, bien que très « accrochés » à l’opium. Les Thaï et les Shan les appellent Mussuh, ce qui signifie Chasseurs. Ils étaient, alors, environ dix mille personnes réparties dans une quinzaine de villages. On y trouve parfois une case pour la danse, dont le plancher en lames de bambous a été renforcé. C’est généralement la jeune fille qui courtise l’homme, très timide, en l’aguichant avec les notes d’une guimbarde de bambou qu’elle vient jouer sous la maison (sur pilotis) de l’élu de son cœur. Ils adorent chanter des ballades d’amour. Enregistrements au village de Hey-Sala.
Chant : M. Tai-Yae.
Instrumentistes : MM. Ja-Bue (pi-shi-gong, guitare à 2 cordes) et Aie-Saw (khène ou naw en dialecte Lahu).

1. PENSÉES (YI-MA-HA). 9’00.
« Je circule beaucoup dans de nombreux lieux éloignés de mon foyer. Au loin, je pense beaucoup à mes parents et à ma fiancée. En marchant, je rêve d’elle. A chaque pas, j’ai des pensées pour ma famille et ma maison et pour tous ceux du village. Quand j’étais jeune, j’avais envie de tout quitter pour conquérir le monde. Maintenant, j’ai envie de revenir les retrouver. »

2. TRIO LIBRE. 2’17.
Improvisation musicale.


YAO : Les Yao descendent d’un chien, d’après leur mythologie. Cet animal sacré aurait épousé la fille d’un empereur, offerte en remerciement du meurtre d’un ennemi. Le couple mixte vint s’installer dans les montagnes de la Chine du sud, et formèrent une famille qui serait à l’origine du peuple Yao. On retrouve des traces de leur passage en Chine centrale, 2500 ans avant J.-C. Leur véritable origine est la province chinoise de Kweichow d’où viennent également les Meo. Leurs langues ont des racines communes, mais ils ne se comprennent pas. Les Yao n’ont pas d’écriture, mais certains transcrivent leurs mots en caractères chinois. Si les Chinois, dans leurs chroniques de la dynastie des rois Chow, les appelaient « Chiens », c’était à cause de leur cruauté. Aujourd’hui, au nombre d’environ 4 millions de personnes, les Yao vivent dans la province chinoise de Kwangsi et dans le sud du Yunnan, mais aussi au Tonkin, Laos et Thaïlande. Excellents éleveurs de bétails, ils ont surtout été les plus importants cultivateurs d’opium de tout le Triangle d’Or. Ils sont considérés aussi comme les meilleurs commerçants de ces tribus : ils excellent dans le travail de la broderie et de l’argenterie. On compte 112 villages ou hameaux à l’est et au nord de Chiang Raï. Enregistrements au village de Pha-Dua.

3. BIENVENUE. Chant : Mme Fam-Lin. 2’39.
« Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu des gens comme vous. Mais vous êtes les bienvenus. Nous sommes tous très heureux que vous soyez venus nous rendre visite sur nos terres. »

4. AMIS LOINTAINS. Chant : Mme Ley-Mue-Sang. 2’59.
« Vous devez venir de très loin. Vous avez dû traverser des mers, parcourir de nombreux pays avant d’arriver jusqu’ici. De toute façon, nous vous considérons comme des membres de notre famille. Nous sommes tous frères et sœurs dans ce monde. »

5. REGARDS. Chant : M. Sang-Sen. 2’36.
« Je suis debout, immobile, dressé en haut de la montagne, avec une vue sur toute la région. Je vous vois tous. Je sais exactement combien vous êtes. Je sais où vous allez. Je vois tout ce qui se passe, partout à la fois.»

6. ELLE EST JOLIE. Chant : M. Sang-Sen. 3’14.
« Oh, je vois une belle fille. Elle est vraiment belle. S’il te plaît, tourne tes yeux vers moi. Tu ne me vois pas parce que je suis trop vieux. Je souhaite que tu comprennes qu’on pourrait simplement devenir amis. Tu es si jolie. »

7. MARIAGE. 2’33.
Instrumentistes : MM. Sang-Guy (dyo, petit tambour), Luv-Ven (sajey, cymbales), Lae-Fin (loe, gong), Sue-Jue (dya, hautbois). Morceau joué pendant les cérémonies des mariages.


AKHA : Les Akha (ou E-Kaw) de Thaïlande sont arrivés de Chine du nord en passant par la Birmanie. Aujourd’hui, ils résident dans la province thaï de Chiang Raï où l’on compte environ 75 de leurs villages. Physiquement, ils sont très proches des Tibétains. On retrouve des mots chinois dans leur dialecte, mais ils ne connaissent pas l’écriture. Très superstitieux, ils érigent des portails devant les villages et l’odeur des têtes de chiens pourries, qui y sont accrochées, empêche les esprits mauvais d’apporter des maladies à la communauté. Bien que très pauvres, ce sont sans doute les indigènes les plus spectaculaires de tout le Triangle d’Or. Les femmes, qui fument la pipe, ont de magnifiques costumes dont des minijupes au-dessus des jambières. Leur coiffure est richement décorée d’amoncellement de pièces d’argent. Les hommes portaient une petite natte et, si on la leur coupait, ils devenaient fous. Les notions géopolitiques ne les embarrassent pas : ainsi, il n’est pas rare qu’un village situé en Thaïlande possède des champs en Birmanie. Enregistrements au village de Saenchai-Kao.

8. JARDIN D’AMOUR (TO-SO-LEA). Chants : Melle Me-Bgar et Mme A-Pare. 1’46.
« On a travaillé durement dans les champs. C’est maintenant le soir. Le travail terminé, nous pouvons rentrer à la maison pour prendre un bon repas. On se fait belles avec des habits propres. Puis, on se rend au « Jardin d’amour » pour chanter et jouer de la musique. Ainsi, on peut attirer les hommes. Comme il fait froid la nuit, il faut trouver quelqu’un pour se réchauffer. »

9. CÉLIBATAIRE (O-SAY-SA-MER). Chants : MM. A-Sor et A-Bea. 1’27.
« J’ai été célibataire toute la journée. J’ai travaillé durement pour ma famille. C’est l’heure maintenant de rentrer à la maison pour reprendre des forces avec la nourriture. Le repas me rendra suffisamment résistant pour affronter le froid de la nuit. Dans le « Jardin d’amour », m’attend ma petite amie. Je dois avoir assez de forces pour toute la nuit. »

10. TOI ET MOI (A-YEA-CHA). Chant : MM. A-Sor et A-Bea, Melle Me-Bgar et Mme A-Pare. 3’22.
« Nous sommes ensemble, toi et moi. Nous passons un bon moment. Je vais, peut-être, t’épouser et je pourrai te donner encore plus d’amour que maintenant. En tout cas, on n’aura pas froid cette nuit, ni les suivantes. Ne me laisse jamais avoir froid. »

11. MUSICAL. 3’47. Chant : Mme A-Pare.
Instrumentistes : M. A-Sor (ya-eah, guimbarde), M. A-Bea (tong, tambour), Melle Me-Bgar (feuille d’arbre soufflée entre ses pouces).


KAREN SKAW : Les Karen sont assez pauvres, aujourd’hui. Ils vivent de la pêche et louent leurs éléphants aux sociétés qui exploitent le teck. Ce sont aussi de grands trafiquants de pierres et bois précieux, armes, médicaments (mais, eux, pas de la drogue) qu’ils portent à dos d’hommes à travers les frontières. Généralement animistes, quelquefois chrétiens, tous violemment anti-communistes (sauf les bouddhistes), les paysans Karen protègent les partisans nationalistes qui livrent une guérilla intensive au régime de Rangoon depuis 1948. Émigrés de Birmanie, il y a plusieurs générations, ils disent avoir déjà vécu en Thaïlande du temps du royaume Mon-Khmer, avant les Thaï eux-mêmes. Ils en tirent une certaine fierté par rapport aux nouveaux occupants du territoire avec lesquels ils ont peu de contacts. Ils sont divisés en deux groupes (sous divisés en deux autres groupes) qui sont différents culturellement et physiquement, les Pwo et Skaw. Ici, nous écoutons les plus purs, les Karen-Skaw. Enregistrements dans le village de Muang-Ngam.
Instrumentistes : MM. Mue-So (klaung, dae en dialecte Karen, tambour), Di-Doe (ching, ja-kaw, petites cymbales), Ba-Pi (kong, mo, gong).

12. GARÇONS ET FILLES (NOE-DAE-JOE). Chants : MM. Lung-Dang et Ni-Grew. 10’12.
« Alors que les garçons et les filles du village sont tombés amoureux, les uns des autres, ils chantent et jouent de la musique ensemble. Nous nous marierons après cette chanson. Profitons de la danse. Si tu chantes pour moi, je chanterai pour toi. Buvons, chantons, dansons. Notre amour sera éternel. »

13. CŒUR À PRENDRE. Chants : Mmes Mue-To et Mae-Poe. 5’05.
« J’ai suffisamment grandi pour être en âge de regarder les garçons. Je dois sortir de chez moi pour trouver un homme. Il faudra qu’il soit gentil, beau et courageux au travail. Je souhaite sincèrement en trouver un qui fera l’affaire dans ce village. »


BONUS À BANGKOK.
Enregistrements, en octobre 1974, au Nagra III mono avec bande magnétique Agfa. Avec la complicité de Sylvie Meyer.

14. PIPHAT-MAKANG. 5’27.
L’ensemble Piphat-Makang, du Département des Beaux-arts de Bangkok, joue dans la cour du Wat Saket, le Temple de la Montagne d’Or de la capitale thaïlandaise, à l’occasion d’une ordination de bonzes bouddhistes et de la distribution de leurs robes de couleur orange safran offertes par sa majesté le roi Rama IX, Bhumibol Adulyadej en personne. Les instruments traditionnels sont, outre une conque marine blanche (sang) qui ouvre les morceaux (et dont l’appel sonore peut rappeler le shofar du rituel israëlite), un hautbois (pi nai), une corne, deux trompes métalliques (trae), une paire de petites cymbales (ching), une flûte en bois (khlui), une rangée circulaire horizontale de 16 petits gongs bulbés (khong-wong-yai), deux xylophones soprano (ranaht ek) et alto (ranaht thum) et un tambour (klong khaek).

15. MILITAIRES AU WAT SAKET. 2’12.
Les musiciens classiques sont interrompus par l’arrivée de la fanfare militaire royale. Les deux styles de musique, l’une mystique, l’autre martiale, ne peuvent se faire entendre en même temps. C’est, évidemment, la plus forte des deux qui aura la dernière note. Le symbole est tristement évident pour cette partie du monde pourtant toujours épargnée par les conflits du Sud-est asiatique.


Production-réalisation-textes : François Jouffa.
Enregistrements en janvier 1979 au magnétophone Nagra IV stéréo avec bandes magnétiques Pyral et microphones Sennheiser MKH 416 T (sauf morceaux 14 et 15).
Photos : Sylvie Jouffa (Nikkormat EL).
Guide-interprète auprès des tribus : Thirawat Weeranuwati.


LIENS

http://fr.wikipedia.org/wiki/Triangle_d'or_(Asie)
Asie / oceanie Thaïlande - musiques et chants du triangle d’or Peuples meo, lisu, shan, lahu nyi, yao, akha, karen skaw - Frémeaux & Associés éditeur , La Librairie Sonore
http://www.tribalmusicasia.com
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