Cambodge - Musique Royale



La musique khmère actuelle est dans son ensemble l'aboutissement d'une longue évolution dont les racines remontent au début de l'ère chrétienne. Dès le VIème siècle les sculptures montrent des ensembles de musiciens jouant des instruments importés de l'Inde ainsi que des instruments du vieux fond autochtone Môn-Khmer.
Mais il semble que c'est à partir du IXème siècle, avec la venue de Java d'un roi khmer que s'établirent les bases de la musique et des danses khmères arrivées jusqu'à nous. Contrairement à l'idée couramment admise, la musique cambodgienne doit très peu à l'influence de l'Inde. Elle s'est faite peu à peu à partir du fond autochtone, de systèmes nés de la culture locale et d'instruments pour la plupart originaires de la péninsule indochinoise où ils ont atteint leur évolution actuelle.
Par rapport aux autres cultures de l'Asie du Sud-Est, la musique khmère présente la particularité d'employer un jeu de gongs sur cadre horizontal et circulaire qui est sans doute une adaptation à la structure de l'orchestre cambodgien des grands orchestres de gongs suspendus des mont
gnards autochtones. Ces instruments, les kong vong, caractérisent la musique de type khmère partout où, au cours de l'histoire, elle a étendu son influence.
La musique cambodgienne est fondée sur une gamme divisée théoriquement en sept tons égaux sur lesquels sont assises les mélodies de type pentatonique. Les genres sont très nombreux. La musique participe à toutes les cérémonies privées, religieuses et saisonnières, elle joue un rôle prépondérant dans les cérémonies royales.
Née de traditions millénaires, issue d'une culture qui fut parmi les plus puissantes de l'Asie et qui, du Xème au XIIIème siècle bâtit les grands temples d'Angkor, la musique khmère a atteint un niveau artistique extrêmement élevé. Les inscriptions des temples signalent des dons de cinquante orchestres, cent luths et flûtes, cymbales et tambours, etc... à un brahmane tandis qu'au XIIIème siècle, le roi Jayavarman VII établissait mille danseuses dans l'un des temples qu'il avait fondé.
Les bas-reliefs montrent des orchestres aux innombrables musiciens.
Les orchestres cambodgiens ont aujourd'hui des proportions beaucoup plus modestes mais restent l'image d'une musique hautement raffinée.

Le Palais Royal de Phnom Penh est un des hauts lieux de l'art musical et chorégraphique de l'Asie. Bien qu'en partie éclipsée par les merveilles archéologiques d'Angkor, la réputation du Ballet Royal et de ses musiciens a dépassé de loin les frontières du pays et les meilleures danseuses khmères sont à mettre sur le même plan que les plus grandes artistes de l'Occident. Toutefois, il s'agit d'un art lié aux rituels royaux où le public n'a pas sa place. Ce grand art n'a pu se conserver dans toute sa pureté que parce qu'il possède une fonction rituelle et religieuse à l'intérieur des cérémonies royales et qu'il était jusqu'à présent l'objet des soins les plus attentifs de la Reine ellemême. Écartés du trône, donnés en patûre aux publics des salles de concerts, la pureté du style du Ballet Royal et de ses musiciens disparaîtrait presque immédiatement.
Le Palais entretient quatre types d'orchestres (36 musiciens), un corps de ballet de 35 danseuses et danseurs et de 300 élèves.
C'est dire combien est important son rôle en tant qu'éeole. Les musiciens sont recrutés dès leur jeunesse et lorsqu'ils sont devenus des virtuoses, ils sont appointés à vie comme musiciens du Palais. C'est ainsi qu'un art supérieur a pu être conservé grâce au monde clos dans lequel il se maintient.
Les enregistrements publiés ici présentent des exécutions musicales par les divers orchestres royaux. Exceptionnellement les musiciens ont utilisé à cette occasion leurs instruments anciens accordés sur la gamme traditionnelle utilisée au Palais, instruments dont ils ne se servent plus que rarement. De même le chœur de femmes a pu être réuni au grand complet tel qu'il chantait selon la grande tradition du début de ce siècle, alors qu'aujourd'hui un modernisme discutable a fait diminuer le nombre des choristes et ajouter des hommes pour moitié. Ces enregistrements ont été réalisés grâce à une autorisation particulière de Sa Majesté la Reine du Cambodge pour les morceaux de musique rituelle. Ils sont dédiés aux merveilleux artistes que sont les danseuses et les musiciens royaux du Cambodge.

1. BUONG SUONG
Par l'Orchestre pinpeat du Ballet Royal et les Choeurs du Palais Royal réglés par Neak Neang Samneang Dantrey Prom Sokhom et Em Kunthear, solistes.

Buong Suong est la danse la plus ancienne qui soit encore exécutée actuellement. Elle est réservée au culte des mânes des rois défunts et à certaines cérémonies de protection du Royaume.
L'orchestre pinpeat comprend deux xylophones à lames de bambou, roneat ek et roneat thung, deux jeux de gongs, kong thom et kong touch, un hautbois, sralay, un couple de grosses timbales recouvertes de peau de buffle, skor thom, un tambour horizontal à deux peaux, sampho, et des petites cymbales, chhing. L'orchestre comprend souvent en plus un métallophone à lames, roneat dek. Les orchestres de type pinpeat se rencontrent dans tout le Cambodge mais le magnifique chœur qui l'accompagne est spécifique au Palais Royal.
Composé de 14 femmes dont deux solistes à rôle surtout conducteur, les doeum bât, il chante un récitatif poétique qui s'intercale entre divers épisodes de la danse sur un rythme donné par deux tambours ou par des cymbales. Pour réaliser, comme ici, une danse pure, les maïtresses de ballet choisissent parmi plus de 300 titres un certain nombre de morceaux de musique en tenant compte des rythmes. Ils sont assemblés dans un ordre décidé soit par les maitres, soit par la tradition, puis les chorégraphes montent la danse qui se dessine comme on assemble les morceaux d'un puzzle, les mouvements chorégraphiques ayant d'ailleurs le même nom que les morceaux de musique auxquels ils correspodent. La danse Buong Suong comprend ici 18 morceaux différents : Sathukar, Krao Nay, Kom Vean, Rour, Preah Thong, Phleng Chhar, Banchos, Phleng Lea, Phleng Smoeu, Yani, Phleng Klom, Choeut, Long Song Mon, Reay, Choeur Chhoeung, Reu Reay, Khop Khat, Choeut Chhing. La mélodie est menée par le roneat ek et le sralay, tandis que les autres instruments apportent des ornements ou ponctuent la ligne mélodique.

2. HANG MEAS (L 'Oiseau d'Or Sacré)
Musique mohori jouée lors des cérémonies dans la Salle du Trône à l'arrivée des moines par l'orchestre mohori et les Choeurs du Palais Royal.

L'orchestre mohori est généralement un orchestre de divertissement. Il a sa place au Palais Royal durant les principales cérémonies dans la Salle du Trône.
Il est dit au musicien qui débute que « lorsque des musiciens jouent ensemble, chacun va son chemin tout en se rencontrant de temps à autre ». La musique khmère n'est pas polyphonique : chaque musicien improvise sa propre partie sur une mélodie donnée tout en se retrouvant à l'unisson ou à l'octave sur certains temps ou à certains moments déterminés de la phrase mélodique. C'est d'ailleurs à partir de son habileté à orner un thème mélodique qu'on juge de l'interprétation ou du niveau de virtuosité d'un instrumentiste. Il n'y a donc point de concordance harmonique au sens occidental du terme.
D'autre part, la musique khmère ne connait pas de modes établis par un choix des degrés de la gamme. L'auditeur khmer écoute la musique cambodgienne comme un ensemble de sons agréables où l'association et le choix des timbres jouent un rôle principal.
L'orchestre de neuf musiciens comprend ici une cithare à trois cordes, takhé, deux flûtes, khloy, un xylophone à registre aigu, roneat ek, un xylophone à registre grave, roneat thung, une vièle bi-corde à caisse en noix de coco, tro u, une vièle bi-corde plus aiguë à caisse cylindrique, tro chhê, un ensemble de deux tambours, thung et rumnear et des cymbales, chhing. Les choeurs jouent ici aussi un rôle important et chantent un poème ancien et anonyme, conservé au Palais Royal : “Sous le soleil qui brille le Hamsa (l'oiseau sacré) se pare... De très loin il arrive pour rester près de nous... Très cher, il est maintenant près de nous, l'oiseau royal.....”
Les instruments conducteurs dans la partie instrumentale sont les roneat ek, takhé et khloy.

3. PE Y KÊO
Musique d'introduction à la cérémonie de Pchum Ben dans la Salie du Trône lors des offrandes aux mânes des rois défunts.

L'orchestre se compose ici d'un jeu de gong sur cadre circulaire, kong thom, d'une vièle à pique à trois cordes, tro khmer, d'un hautbois, pey âr, d'un luth, chapey et de deux tambours, skor arak.
Cette formation instrumentale est réunie uniquement une fois par an pour la cérémonie quand les statues des rois défunts sont aspergées d'eau sacrée. La mélodie est très simple et celle-ci se répète jusqu'à la fin de la cérémonie. L'instrument conducteur est le kong thom.

4. SALAMAR
Par l'Orchestre khlang khêk du Palais Royal.
Sralay khlang khêk : le Maître Sey Oueh
Skor khlang khêk : le Maître Vong Chheng.

Ce morceau, considéré comme appartenant à l'ancienne musique de guerre est employé dans l'accompagnement des scènes de combat du Ballet Royal. L'orchestre se compose d'un hautbois à pavillon, sralay khlang khêk et de deux tambours à deux peaux à corps allongés, skor khlang khêk. Les instruments du khlang khëk sont d'origine malaise et apparaissent à partir du XIIème siècle dans l'iconographie khmère.
Salamar comprend deux parties : tout d'abord celle réservée à la préparation des lutteurs et aux salutations aux divinités protectrices, puis la musique d'accompagnement du combat sur un rythme plus rapide.
Cette formation instrumentale est utilisée aussi lors des cortèges royaux et les processions funèbres.

5. PHAT CHEAY ET SAMPONG
Par l'Orchestre phleng kar du Palais Royal.

Cette formation appelée phleng khmer est consacrée aux mariages royaux et à certains rites funèbres. Sur le plan musical, le phleng khmer est considéré comme la musique la plus pure et la plus traditionnelle du Cambodge. L'orchestre comprend un hautbois, pey âr, une vièle à trois cordes, tro khmer, un luth, chapey et deux tambours, skor memot. Les morceaux Phat Cheay et Sampong sont joués au cours des mariages royaux. Le hautbois et la vièle improvisent des ornementations sur une mélodie donnée tandis que le luth a plutôt un rôle de ponctuation. Les tambours sont frappés soit par le plat des mains, soit par les doigts sur les diverses parties de la membrane.
Cet orchestre compte, pour la beauté de ses timbres comme pour sa virtuosité, parmi les meilleurs phleng khmer du Royaume. Son répertoire comprend près de 90 morceaux différents.

6. SOYSAR KAT
Solo de takhé exécuté par le Maître Ek Sam At.

Le takhé est une cithare à trois cordes à touches. La caisse de résonance est en bois en forme de crocodile. L'instrument est semblable au mi gyaum birman et au chakay thaï. La technique en est très difficile.
La corde grave est utilisée comme bourdon, les cordes grattées de la main droite avec un plectre. La main n'utilise que trois doigts pour toucher les cordes. La ligne mélodique est surtout jouée sur la corde aiguë.
Le takhé est un très bel instrument au son ample et à la sonorité très riche. Ses difficultés d'exécution en font un instrument peu joué et avec lequel il est rare de faire preuve de grande virtuosité.



JACQUES BRUNET