Miles Davis






Miles Davis vu par Jean-Charles AHUAT-WOODGE :
Jamais aucun musicien de jazz ne joua d'un instrument de façon plus intime, et plus proche de l'émotivité personnelle de l'auditeur que Miles Davis. Ses notes changent encore de couleur comme les joyaux sous les variations de la lumière, sa sonorité est si poignante qu'elle ne peut appartenir qu'à lui, et son sens du swing se fonde sur une compréhension instinctive et juste du silence. Quand il racontait une histoire dans un solo, il le faisait avec une telle prescience de sa forme finale, que tout devenait évident et vaporeux. Mais Miles Davis ne se contenta pas d'être un exceptionnel trompettiste, il fut également un grand innovateur et perfectionniste du jazz. Véritable géant de la musique du 20ème siècle, il influença profondément le devenir du jazz à plusieurs reprise au cours de sa longue carrière.

Fils d'un dentiste de St Louis, Miles Dewey Davis se mit à la trompette à l'âge de 13 ans. Il semblait destiné à des études classiques, mais se prit rapidement d'une passion inconditionnelle pour Charlie Parker. Déménageant à New-York, il abandonna ses études pour suivre le saxophoniste de club en club et finalement, habiter avec lui, et remplacer dizzy Gillespie dans son quintette. Au début, Davis n'avait rien du trompettiste de bop idéal. il ratait souvent des notes, commettait des erreurs d'intonation et peinait dans les tempos rapides. Mais, s'il développa une nouvelle musique, ce n'était pas pour pallier une quelconque déficience technique dans le doigté, c'était en fait une question de tempérament. Il était un musicien différent. Intuitivement, il avait compris que l'improvisation de jazz n'était désormais une affaire de subtilité dans la tonalité et le timing. Cette conception originale allait approfondir la composante émotionnelle de sa musique,et finalement hypnotiser le monde du jazz.

En 1949, à l'âge de 23 ans, Davis forma un groupe qui sonnait presque comme sa trompette, dans une version élargie et enrichie: un ensemble de neuf membre comprenant un cor anglais et le saxophone baryton de Gerry Mulligan, ainsi que le saxophone alto de Lee Konitz. La couleur de l'ensemble dépendait en large part des riches arrangement d'un jeune canadien, Gil Evans.
Le groupe se produisit peu, et au début des années 50, Davis dut faire face à de sérieux problème de toxicomanie. Après sa désintoxication, il fit un remarquable come-back au Newport Jazz Festival de 1955. Son succès et la publicité dont celui-ci s'accompagna, l'encouragèrent à former un groupe. Son principal partenaire fut alors, un jeune saxo ténor, aussi rapide, impétueux, dense et chaleureux que davis était réservé: John Coltrane. Avec le pianiste Red Garland, le bassiste Paul Chambers, et le batteur Philly joe Jones, le groupe devint l'un des plus expressifs et des plus dynamiques du mouvement hard bop. Davis utilisa de plus en plus sa sourdine Harmon pour rendre ses ballades encore plus étranges et intimes.

La liberté d'interprétation de ses musiciens fit de leurs enregistrements d'alors des classiques éternels ; mais le hard bop était encore une musique fondée sur les accords et Davis commençait à s'en lasser. Dans des disques comme Milestones et Kind of Blue, il tourna autour de cycle de gammes, ou de modes, pour permettre à ses joueurs de s'exprimer avec suffisament d'amplitude; ce qui permis de faire de Kind Of Blue le disque le plus accessible et le plus enclin, à mon goût, à faire pénetrer le novice dans le monde du jazz. La musique, se mit alors à irradier comme des ronds dans l'eau, déplaçant les mouvements linéaire du bop. Davis cherchait à libérer l'improvisation, tout en se défiant du mouvement bop qui se mettait en place vers la même époque. Aussi, ne cantonna-t-il pas ses recherches aux petites formations. Avec l'arrangeur Gil Evans, il se confronta à la texture orchestral dans Porgy and Bess et Sketches of Spain. Utilisant à la fois, la trompette et le bugle, au son plus doux, il fut peut-être le seul soliste capable de se livrer avec autant de personnalité qu'un chanteur.

Dans les années 60, Miles Davis frôla le free jazz d'aussi près que lui permettait son sens du lyrisme et du swing, et engagea de jeunes musiciens comme le batteur de 16 ans, Tony Williams, le pianiste, Herbie Hancock, le saxophoniste Wayne Shorter (transfuge du groupe d'Art Blakey) et Ron Carter à la basse.

L'équipe continua à travailler de façon modale, mais abandonna les standards pour se diriger vers une forme d'improvisation collective. L'élasticité de la section rythmique Hancock/Carter/Williams par rapport à la métrique régulière du jazz altérait le style de Davis, l'invitant à jouer des phrases plus longues, à se départir plus souvent du registre moyen, et à sonner parfois avec une vigueur surprenante de sa part.

Mais bien que sa musique eût une apparence intemporelle, Miles Davis restait un artiste à l'écoute de son époque. Quand il, se rendit compte que le rock, une musique à la fois plus instinctive, et plus spontanée, tendait à prendre la place du jazz, dans les années 60, et que des artistes comme Jimi Hendrix et Sly Stone drainaient des foules immenses et amassaient des fortunes, il essaya de se réapproprier le jeune public noir qui se détournait du jazz. Avec son quintette modal, il fondit l'improvisation de jazz dans des structures et une instrumentation rock. Dans ses premières expérience, In A Silent Way et Bitches Brew, il travailla sur des textures électroniques-versions contemporaines des tableaux que Gil Evans avait brossés pour lui, dix ans plutôt. Il donna ainsi naissance, ni plus, ni moins, à la fusion. Cependant, ses essais ne furent pas toujours fructueux. un essaim de sensationnels et jeunes instrumentistes traversa ses groupes de fusion: Keith Jarrett, Chick Coréa, Jack DeJohnette, Dave Holland et John Scofield. Mais sa musique manqua souvent de cette légèreté et de cette fraîcheur qui caractérisaient ses premiers enregistrements et qu'on trouvait justement dans la meilleure pop musique.

Le doute et une santé fragile, le contraignirent à une longue retraite à la fin des années 70. Il revint avec un mélange de jazz et de pop plus explicite. La magie fonctionnait toujours. La poésie de la sonorité et de la conception de Miles Davis jetait un pont culturel entre jazz et pop, aplanissant ainsi le conflit des générations. Enfin, il toucha même au rap avec son dernier album intitulé Doo-Bop. Sa musique eut et a encore un impact incalculable sur presque tous les styles actuels.

Miles Davis mourut le 28 septembre 1991, victime du sida.