Machuel - Paroles contre l’oubli
juillet 18, 2016
Paroles contre l’oubli :
Le chant choral, expression de la vie réelle
— C’est un ensemble de 10 pièces a cappella pour chœur mixte
— Les textes ont été écrits par des détenus de la prison de Clairvaux
— Ce recueil a été composé en 2009 et créé par « le chœur de chambre, Les cris de Paris », dirigé par Geoffroy JOURDAIN le 27 septembre 2009 pour le Festival « Ombres et lumières ».
En 2008, Thierry MACHUEL avait déjà travaillé avec les détenus de Clairvaux lors d’ateliers d’écriture. A la suite de ce premier atelier, il a composé Nocturnes en 2008 pour ce même festival.
Commentaire du compositeur :
Après une première année d’ateliers avec les détenus de Clairvaux sur le thème de la nuit, qui avait donné lieu à la création de septembre 2008, nous commencions à mieux cerner le processus, avec la complicité du festival de Clairvaux et de sa directrice Anne-Marie Sallé.
Alors que les Nocturnes récemment inaugurés consistaient en une plongée dans les mondes carcéral et monastique, le besoin se faisait ressentir d’un autre regard à offrir au public, plus accessible : le thème de l’oubli et du passage inexorable du temps, qui nous concerne tous, m’a fournit la matière pour un travail musical presque à l’opposé du premier. Autant, dans les Nocturnes, je me suis efforcé de restituer en musique ce temps carcéral dont parlent tous les enfermés, sans scansion véritable, sans limite perceptible, tel un ciment indifféremment étendu sur la succession des jours, autant pour les Paroles contre l’oubli j’ai privilégié la brièveté, l’instantané, comme un portrait photographique de chacun des auteurs. Dix Paroles, dix miniatures. Sans autre lien entre elles que celui du contraste nécessaire, là encore, d’une figure à l’autre.
J’ai placé les textes dans un ordre permettant une entrée en matière sans heurts.
— C’est un ensemble de 10 pièces a cappella pour chœur mixte
— Les textes ont été écrits par des détenus de la prison de Clairvaux
— Ce recueil a été composé en 2009 et créé par « le chœur de chambre, Les cris de Paris », dirigé par Geoffroy JOURDAIN le 27 septembre 2009 pour le Festival « Ombres et lumières ».
En 2008, Thierry MACHUEL avait déjà travaillé avec les détenus de Clairvaux lors d’ateliers d’écriture. A la suite de ce premier atelier, il a composé Nocturnes en 2008 pour ce même festival.
Commentaire du compositeur :
Après une première année d’ateliers avec les détenus de Clairvaux sur le thème de la nuit, qui avait donné lieu à la création de septembre 2008, nous commencions à mieux cerner le processus, avec la complicité du festival de Clairvaux et de sa directrice Anne-Marie Sallé.
Alors que les Nocturnes récemment inaugurés consistaient en une plongée dans les mondes carcéral et monastique, le besoin se faisait ressentir d’un autre regard à offrir au public, plus accessible : le thème de l’oubli et du passage inexorable du temps, qui nous concerne tous, m’a fournit la matière pour un travail musical presque à l’opposé du premier. Autant, dans les Nocturnes, je me suis efforcé de restituer en musique ce temps carcéral dont parlent tous les enfermés, sans scansion véritable, sans limite perceptible, tel un ciment indifféremment étendu sur la succession des jours, autant pour les Paroles contre l’oubli j’ai privilégié la brièveté, l’instantané, comme un portrait photographique de chacun des auteurs. Dix Paroles, dix miniatures. Sans autre lien entre elles que celui du contraste nécessaire, là encore, d’une figure à l’autre.
J’ai placé les textes dans un ordre permettant une entrée en matière sans heurts.
n°6, texte de S.M. (Durée 1'45'')
Commentaire du compositeur :
« grâce au texte de S.-M. J’avais au départ un poème de plusieurs pages, extrêmement dense, parfois confus, et il semblait a priori impossible de le mêler aux autres tant il était singulier. Mais c’était intéressant justement en raison de ces différences. Avec l’accord de l’auteur, j’ai procédé à des coupures et sélectionné les passages qui apportaient vraiment quelque chose de neuf par rapport aux autres contributions. »
Dans ce texte, il y a 6 phrases très longue et une 7ème phrase courte.
— Texte :
1ère phrase :
Ces âmes, nos âmes, nourries dès l’apparition du jour jusqu’au recouvrement nocturne, de ce que les illusions servent par désir de quelque chose qui s’émiette et se poussièrise, n’apaise jamais et a faim de néant.
2ème phrase :
Voisines au cours des repas aux couverts argentés d’orgueil, des soeurs macabres qui leur parlent par intermittence l’idiome des mirages et celui de l’éphémère.
3ème phrase :
Vagues, hallucinées par les rêveries d’un destin peint de la fluorescence des poésies déclamées dans les vallées de l’égarement...
4ème phrase :
Elles auraient glissé avec fluidité et sans obstacle, enveloppées d’une sensation de tendresse doucement mensongère, vers la demeure de l’oubli et de la perdition...
5ème phrase :
Etape ultime, franchissement irréversible, gouffre des naufragés... emportant le souvenir de leurs passages et de leurs oeuvres désertiques, cailloutés de passions qui pèsent sur le profond et interminable enfoncement dans une mémoire qui ne parlera qu’autour d’une balance dressée.
6ème phrase :
Nul pour percevoir dans l’intérieur de leurs habitacles corporels, des coeurs cernés, enchaînés, cadenassés et scellés jusqu’à ce que toute formule prétentieusement magicienne ne puisse briser le moindre maillon...
7ème phrase :
Des âmes, des hommes qui courent sur le tracé d’un chemin...
— effectif : ce poème est principalement parlé et ce, par un chœur mixte de 4 voix (sopranos / altos / ténors / basses)
Au début de la partition est noté : bien articulé, du chuchotement au cri.
— structure : on peut y voir 3 parties (A / B / A’) + une coda
C’est une fugue parlée.
>> A sur les 4 premières phrases.
Celles-ci vont être entièrement parlées par les ténors, alors que les autres voix sauteront souvent des bouts de phrases ou des mots car à la fin de la partie, les 4 voix se retrouvent sur la fin de la phrase 4 « de tendresse doucement mensongère, vers la demeure de l’oubli et de la perdition... » = homorythmie
Toutes les phrases sont parlées par les différentes voix en décalé, exactement comme dans une fugue. Ainsi, on a :
1) les ténors
2) les sopranos
Toutes les phrases sont parlées par les différentes voix en décalé, exactement comme dans une fugue. Ainsi, on a :
1) les ténors
2) les sopranos
3) les basses
4) les altos
Commentaire du compositeur :
La partition musicale est très éloignée de ce style, lyrique et déclamatoire : il s’agit d’une fugue en voix parlée, non déclamée, avec un dire sobre et retenu, dans laquelle une battue à quatre temps permet de se repérer sans imposer quelque pulsation que ce soit (en cela son écriture se différencie également du parlando rythmico dont l’estonien Veljo Törmis est un des meilleurs spécialistes). Il n’y a donc pas de rythme ou même de pulsation au sens solfégique du terme. En revanche, les mots et les phrases sont inscrits sur les portées de sorte que l’on sache comment coordonner les 4 voix entre elles. Cela est très important, car tout le travail d’écriture repose sur cette coordination : en effet, les voix ne commencent pas toutes au même moment, puisque les entrées se succèdent comme dans n’importe quelle fugue, ce qui fait que chacune a une longueur différente : la voix qui entre la première a plus à dire que celle qui entre en deuxième et ainsi de suite. Cela représentait pour moi un très long travail de réécriture du texte, ajusté différemment à chaque voix, de telle sorte que celles-ci par moments s’éloignent totalement les unes des autres, et à d’autres moments au contraire, se rapprochent petit à petit jusqu’à dire les mêmes mots ensemble (« vers la demeure de l’oubli et de la perdition », ou encore « autour d’une balance dressée »). Un peu comme des trains se déplaçant à des vitesses différentes, avec parfois des variations de ces vitesses qui les amènent à rouler soudain de manière parfaitement synchrone. Ces points de rencontre, rares, sont précédés et suivis d’effets de convergence ou de divergence, ce qui différencie l’œuvre d’une fugue traditionnelle et la place plutôt dans le registre d’une création « plastique », où le poème serait comme dans un jeu de miroirs.
Ci-dessous, début de la partition :
A noter, à la différence du texte, chacune des 4 phrases commence par les mêmes deux mots « ces âmes, nos âmes » qui sont les deux premiers mots de la première phrase. Ainsi, cela créé une certaine musicalité.
Au fil de la 1ère partie, il y a un crescendo. On commence sur la nuance PPP, puis on finit sur FF
>> B il n’ y a pas de texte :
Commentaire du compositeur :
La partition musicale est très éloignée de ce style, lyrique et déclamatoire : il s’agit d’une fugue en voix parlée, non déclamée, avec un dire sobre et retenu, dans laquelle une battue à quatre temps permet de se repérer sans imposer quelque pulsation que ce soit (en cela son écriture se différencie également du parlando rythmico dont l’estonien Veljo Törmis est un des meilleurs spécialistes). Il n’y a donc pas de rythme ou même de pulsation au sens solfégique du terme. En revanche, les mots et les phrases sont inscrits sur les portées de sorte que l’on sache comment coordonner les 4 voix entre elles. Cela est très important, car tout le travail d’écriture repose sur cette coordination : en effet, les voix ne commencent pas toutes au même moment, puisque les entrées se succèdent comme dans n’importe quelle fugue, ce qui fait que chacune a une longueur différente : la voix qui entre la première a plus à dire que celle qui entre en deuxième et ainsi de suite. Cela représentait pour moi un très long travail de réécriture du texte, ajusté différemment à chaque voix, de telle sorte que celles-ci par moments s’éloignent totalement les unes des autres, et à d’autres moments au contraire, se rapprochent petit à petit jusqu’à dire les mêmes mots ensemble (« vers la demeure de l’oubli et de la perdition », ou encore « autour d’une balance dressée »). Un peu comme des trains se déplaçant à des vitesses différentes, avec parfois des variations de ces vitesses qui les amènent à rouler soudain de manière parfaitement synchrone. Ces points de rencontre, rares, sont précédés et suivis d’effets de convergence ou de divergence, ce qui différencie l’œuvre d’une fugue traditionnelle et la place plutôt dans le registre d’une création « plastique », où le poème serait comme dans un jeu de miroirs.
Ci-dessous, début de la partition :
A noter, à la différence du texte, chacune des 4 phrases commence par les mêmes deux mots « ces âmes, nos âmes » qui sont les deux premiers mots de la première phrase. Ainsi, cela créé une certaine musicalité.
Au fil de la 1ère partie, il y a un crescendo. On commence sur la nuance PPP, puis on finit sur FF
>> B il n’ y a pas de texte :
On entend d’abord les 4 voix imiter le vent puis un soliste ténor se met à chanter une mélopée triste sur le son O.
Cette mélopée sonne orientale mais Thierry MACHUEL explique qu’« il s’agit d’une citation abrégée du thème que j’avais composé dans le style grégorien pour les Nocturnes de Clairvaux, dans sa version en second mode à transposition limitée, ce qui lui donne un caractère légèrement oriental. »
Il n’ y a que 6 notes :
>> A’ : reprise du texte parlé : les 5ème et 6ème phrase. Au début de la 5ème phrase, le soliste ténor reprend sa mélopée mais en bouche fermée. La fugue reprend pour la 5ème phrase mais cette fois dans cet ordre, c'est à dire dans l'ordre inverse et les entrées sont plus serrées.
1) altos
2) basses
Cette mélopée sonne orientale mais Thierry MACHUEL explique qu’« il s’agit d’une citation abrégée du thème que j’avais composé dans le style grégorien pour les Nocturnes de Clairvaux, dans sa version en second mode à transposition limitée, ce qui lui donne un caractère légèrement oriental. »
Il n’ y a que 6 notes :
>> A’ : reprise du texte parlé : les 5ème et 6ème phrase. Au début de la 5ème phrase, le soliste ténor reprend sa mélopée mais en bouche fermée. La fugue reprend pour la 5ème phrase mais cette fois dans cet ordre, c'est à dire dans l'ordre inverse et les entrées sont plus serrées.
1) altos
2) basses
3) sopranos
4) ténors
Comme pour la première partie, seuls les altos parlent la totalité de la phrase car l’ensemble des voix se retrouvent en homorythmie sur la fin de la 5ème phrase « autour d’une balance dressée ».
Toutes les voix se retrouvent ensuite sur le début de la 6ème phrase « Nul pour percevoir dans l’intérieur de leurs habitacles corporels... » puis c’est alors une sorte de fugue inversée puisque les voix s’arrêtent à tour de rôle (ténors / sopranos / basses / altos).
>> La dernière phrase plus courte « Des âmes, des hommes qui courent sur le tracé d’un chemin » peut être considérée comme une coda. Elle renoue avec la 1ère partie puisque l’on retrouve le mot « âmes » en incipit et le principe des entrées fuguées mais beaucoup plus serrées (comme une strette). Cette dernière phrase conclut le poème comme une morale.
Comme pour la première partie, seuls les altos parlent la totalité de la phrase car l’ensemble des voix se retrouvent en homorythmie sur la fin de la 5ème phrase « autour d’une balance dressée ».
Toutes les voix se retrouvent ensuite sur le début de la 6ème phrase « Nul pour percevoir dans l’intérieur de leurs habitacles corporels... » puis c’est alors une sorte de fugue inversée puisque les voix s’arrêtent à tour de rôle (ténors / sopranos / basses / altos).
>> La dernière phrase plus courte « Des âmes, des hommes qui courent sur le tracé d’un chemin » peut être considérée comme une coda. Elle renoue avec la 1ère partie puisque l’on retrouve le mot « âmes » en incipit et le principe des entrées fuguées mais beaucoup plus serrées (comme une strette). Cette dernière phrase conclut le poème comme une morale.
n°10, texte de Augustin F. A. (durée : 2'28'')
— C’est la dernière pièce du recueil « Paroles contre contre l’oubli ».
— Ce texte est en basque. Il a été écrit par un prisonnier d’origine basque.
Commentaire du compositeur :
« Pour conclure ce cycle de portraits - qui a pris finalement de vastes proportions (près de 25 mn) - je ne voyais rien de plus approprié que le texte d’Agustin F.A.. D’abord, pour évoquer cette liberté dernière du détenu, de conserver sa dignité par la pensée, dans l’attachement à des valeurs. Après les années d’emprisonnement, la perte de liens sociaux, la misère carcérale, cet attachement à l’idéal revêt une tout autre ampleur. Il y a du cri dans ce texte, quelque chose de l’ordre de la profession de foi, qui appelle l’hymne, au sens religieux du terme. Tout en sachant ce que le peuple basque a pu souffrir à travers ces luttes fratricides, on ne peut s’empêcher de reconnaître au texte d’Agustin F.A. une portée universelle, tant les mots qu’il emploie sont du langage commun : « ceux qui sont tombés dans le chemin » peuvent s’y reconnaître, de tous combats et de toutes causes. C’est pourquoi je pense que ce texte a une vocation bien plus large que celle des contextes basque ou claravallien. »
— Texte et sa traduction :
Ez dut ahaztu neure nortasuna,
Diedanei maitasuna
Noiz eta zergatik hona iritsi nintzen,
Nondik nentorren ezta nora joan nahi dudan ; Nor daukadan bidelagun ezta nork traba egiten didan ; Bidean erori eta gogoan daramatzadanak.
Ezta eurei eskeiniko diedala askatasunez beteriko egun gorri hura. Ahantzi ezkero : ez nintzateke ni !
Traduction :
Je n’ai pas oublié mon identité
Je n’oublie pas l’amour des autres Quand et pourquoi je suis arrivé ici
D’où je viens et où je veux aller
Qui j’ai pour ami dans le chemin Et qui m’empêche
Je porte dans mon souvenir Ceux qui sont tombés dans le chemin
À eux j’offrirai la liberté Quand viendra ce jour rouge. Si j’oubliais cela, je ne serais plus moi.
— effectif : ce poème est chanté par un chœur mixte. Voix : sopranos / mezzo-sopranos / altos / ténors / barytons / basses.
— structure : on peut découper cette pièce en 3 parties (chaque partie est séparée de la suivante par 2 mesures où l’on entend que les parties d’accompagnement, comme une respiration)
A : les 4 premiers vers
B : les 2 vers suivants
C : les 2 derniers vers
Il y a une montée en puissance au cours de la pièce. C’est de plus en plus fort et de plus en plus aigu. On finit sur un cri !
Commentaire du compositeur :
« ...dans les derniers mètres, tout le monde étant parvenu à l’extrême de sa tessiture, les voix déformées par la tension et le cri. »
— Traitement du chœur :
>> Du début à la fin, ce sont les mezzo-sopranos et les barytons qui chantent la mélodie en octave et donc la totalité du texte.
Pour cette partie, le compositeur parle de « lyrisme hiératique », les mezzos et barytons étant « nerveux et tendus ».
>> La mélodie est accompagnée par les autres voix sur plusieurs plans sonores différents :
+ un premier plan sonore en notes plutôt longues et tenues sur le son O tout d’abord puis sur les mots importants du texte.
Il est chanté uniquement par les altos et ténors.
Mesures 1 à 3 aux altos :
Les 3 dernières mesures aux ténors :
On remarque souvent la présence de secondes qui créent des dissonances.
+ un deuxième plan sonore où les voix sont traitées comme des instruments.
- Ce sont les voix de sopranos qui font un ostinato rythmique sur le son o (comme un cri venant de très loin) :
Cet ostinato est parfois accompagné d’un rythme donné par les femmes avec leurs pieds (mesure 4).
C’est comme une percussion :
- Ce sont les voix de basses qui répètent inlassablement les mot « Es dut ahaztu » (= je n’ai pas oublié) jusqu’à la fin sur le même rythme et sur une même note (celle-ci change suivant les parties).
Ex. mesures 6 et 7 :
Les basses, comme les sopranos font aussi de temps en temps un rythme avec leurs pieds, en alternance puis en superposition de leur rythme chanté.
Ex. mesures 12 et 13 :
Ex. mesures finales :
Commentaire du compositeur sur le traitement du choeur :
« Plusieurs écritures se combinent symétriquement en partant du centre de la tessiture du chœur : la première, harmonique et respiratoire, pour les ténors et les altos sur de longues tenues qui peu à peu s’approprient les mots les plus forts du texte ; la deuxième avec le thème aux mezzos et barytons, nerveux, tendus, d’un lyrisme hiératique ; la dernière en traitant les voix extrêmes, sopranos et basses, comme des instruments qui se relaient sur un continuo de croches scandées, sopranos en moïto évoquant un cri de douleur lancinant parce que maintes fois répété, basses sur l’incipit du texte « ez dut ahaztu » (« je n’ai pas oublié ») répété en boucle sur une seule note, syllabes claquant sèchement comme le bois dur sur une caisse claire. Cet effet en relais fini par se superposer dans les derniers mètres, tout le monde étant parvenu à l’extrême de sa tessiture, les voix déformées par la tension et le cri. »
— Modalité et mesure :
>> Comme pour les pièces précédentes, le compositeur utilise la modalité : mode de mi d’abord sur ré puis sur mi.
>> La mesure à 5 temps n’est pas choisie par hasard.
MACHUEL écrit : « la mesure à cinq temps répartis en deux temps de détente et trois de tension » s’est vite « imposée » à moi ».
— C’est la dernière pièce du recueil « Paroles contre contre l’oubli ».
— Ce texte est en basque. Il a été écrit par un prisonnier d’origine basque.
Commentaire du compositeur :
« Pour conclure ce cycle de portraits - qui a pris finalement de vastes proportions (près de 25 mn) - je ne voyais rien de plus approprié que le texte d’Agustin F.A.. D’abord, pour évoquer cette liberté dernière du détenu, de conserver sa dignité par la pensée, dans l’attachement à des valeurs. Après les années d’emprisonnement, la perte de liens sociaux, la misère carcérale, cet attachement à l’idéal revêt une tout autre ampleur. Il y a du cri dans ce texte, quelque chose de l’ordre de la profession de foi, qui appelle l’hymne, au sens religieux du terme. Tout en sachant ce que le peuple basque a pu souffrir à travers ces luttes fratricides, on ne peut s’empêcher de reconnaître au texte d’Agustin F.A. une portée universelle, tant les mots qu’il emploie sont du langage commun : « ceux qui sont tombés dans le chemin » peuvent s’y reconnaître, de tous combats et de toutes causes. C’est pourquoi je pense que ce texte a une vocation bien plus large que celle des contextes basque ou claravallien. »
— Texte et sa traduction :
Ez dut ahaztu neure nortasuna,
Diedanei maitasuna
Noiz eta zergatik hona iritsi nintzen,
Nondik nentorren ezta nora joan nahi dudan ; Nor daukadan bidelagun ezta nork traba egiten didan ; Bidean erori eta gogoan daramatzadanak.
Ezta eurei eskeiniko diedala askatasunez beteriko egun gorri hura. Ahantzi ezkero : ez nintzateke ni !
Traduction :
Je n’ai pas oublié mon identité
Je n’oublie pas l’amour des autres Quand et pourquoi je suis arrivé ici
D’où je viens et où je veux aller
Qui j’ai pour ami dans le chemin Et qui m’empêche
Je porte dans mon souvenir Ceux qui sont tombés dans le chemin
À eux j’offrirai la liberté Quand viendra ce jour rouge. Si j’oubliais cela, je ne serais plus moi.
— effectif : ce poème est chanté par un chœur mixte. Voix : sopranos / mezzo-sopranos / altos / ténors / barytons / basses.
— structure : on peut découper cette pièce en 3 parties (chaque partie est séparée de la suivante par 2 mesures où l’on entend que les parties d’accompagnement, comme une respiration)
A : les 4 premiers vers
B : les 2 vers suivants
C : les 2 derniers vers
Il y a une montée en puissance au cours de la pièce. C’est de plus en plus fort et de plus en plus aigu. On finit sur un cri !
Commentaire du compositeur :
« ...dans les derniers mètres, tout le monde étant parvenu à l’extrême de sa tessiture, les voix déformées par la tension et le cri. »
— Traitement du chœur :
>> Du début à la fin, ce sont les mezzo-sopranos et les barytons qui chantent la mélodie en octave et donc la totalité du texte.
Pour cette partie, le compositeur parle de « lyrisme hiératique », les mezzos et barytons étant « nerveux et tendus ».
>> La mélodie est accompagnée par les autres voix sur plusieurs plans sonores différents :
+ un premier plan sonore en notes plutôt longues et tenues sur le son O tout d’abord puis sur les mots importants du texte.
Il est chanté uniquement par les altos et ténors.
Mesures 1 à 3 aux altos :
Les 3 dernières mesures aux ténors :
On remarque souvent la présence de secondes qui créent des dissonances.
+ un deuxième plan sonore où les voix sont traitées comme des instruments.
- Ce sont les voix de sopranos qui font un ostinato rythmique sur le son o (comme un cri venant de très loin) :
Cet ostinato est parfois accompagné d’un rythme donné par les femmes avec leurs pieds (mesure 4).
C’est comme une percussion :
- Ce sont les voix de basses qui répètent inlassablement les mot « Es dut ahaztu » (= je n’ai pas oublié) jusqu’à la fin sur le même rythme et sur une même note (celle-ci change suivant les parties).
Ex. mesures 6 et 7 :
Les basses, comme les sopranos font aussi de temps en temps un rythme avec leurs pieds, en alternance puis en superposition de leur rythme chanté.
Ex. mesures 12 et 13 :
Ex. mesures finales :
Commentaire du compositeur sur le traitement du choeur :
« Plusieurs écritures se combinent symétriquement en partant du centre de la tessiture du chœur : la première, harmonique et respiratoire, pour les ténors et les altos sur de longues tenues qui peu à peu s’approprient les mots les plus forts du texte ; la deuxième avec le thème aux mezzos et barytons, nerveux, tendus, d’un lyrisme hiératique ; la dernière en traitant les voix extrêmes, sopranos et basses, comme des instruments qui se relaient sur un continuo de croches scandées, sopranos en moïto évoquant un cri de douleur lancinant parce que maintes fois répété, basses sur l’incipit du texte « ez dut ahaztu » (« je n’ai pas oublié ») répété en boucle sur une seule note, syllabes claquant sèchement comme le bois dur sur une caisse claire. Cet effet en relais fini par se superposer dans les derniers mètres, tout le monde étant parvenu à l’extrême de sa tessiture, les voix déformées par la tension et le cri. »
— Modalité et mesure :
>> Comme pour les pièces précédentes, le compositeur utilise la modalité : mode de mi d’abord sur ré puis sur mi.
>> La mesure à 5 temps n’est pas choisie par hasard.
MACHUEL écrit : « la mesure à cinq temps répartis en deux temps de détente et trois de tension » s’est vite « imposée » à moi ».