Machuel - Dark like me


Dark like me :
La communauté humaine du chœur


— C’est un ensemble de 7 pièces a cappella écrites pour chœur mixte et voix solistes composé en 2003. 

— Les textes ont été écrits par l’écrivain et poète noir américain Langston HUGHES

Langston Hughes (1er février 1902 — 22 mai 1967)

Poète, nouvelliste, dramaturge, éditorialiste américain du XXè siècle. Sa renommée est due en grande partie à son implication dans le mouvement culturel communément appelé Renaissance de Harlem qui a secoué Harlem dans les années 1920.


— Dark like me est aussi un hommage à la chanteuse noire américaine Billie HOLIDAY et notamment la chanson Strange Fruit qui était son titre « phare » dans les années 1940.

Billie HOLIDAY et "Strange Fruit"

Billie HOLIDAY de son vrai nom Eleanora Harris, née à Baltimore le 7 avril 1915 et morte à New York le 17 juillet 1959, est une chanteuse de jazz américaine considérée comme l'une des plus grandes chanteuses que le jazz ait connu.
Elle a eu une enfance et une jeunesse très difficile puis est morte prématurément à l’âge de 44 ans en raison d’une forte consommation d’alcool et de drogues diverses durant toute sa vie.
Sa voix était rauque et sa diction un peu traînante, elle est très facile à reconnaître.

Strange Fruit (1939) : Chanson écrite par Abel Meeropol (nom de plume : Lewis Allan) afin de dénoncer les Necktie Party (pendaison) qui avait lieu dans le Sud des Etats Unis et auxquels les blancs assistaient habillés sur leur 31. Cette chanson fut offerte à Billie Holiday au cours de sa carrière déchaîne la controverse, et l'enregistrement qui en est bientôt tiré rencontre un immense succès.



— Dark like me a été créé par le « Jeune choeur de Paris, les cris de Paris » auquel il était destiné. Il a été enregistré en 2003 avec à la baguette Laurence EQUILBEY et Geoffroy JOURDAIN.

— C’est écrit pour un chœur mixte comprenant 6 pupitres différents : 

Sopranos / altos / mezzo-sopranos / ténors / barytons / basses 

Il y a des parties de solistes parmi ces 6 pupitres. 


— Titres des 7 pièces : 

* Strange Fruit (dont la partition n’est pas disponible) 
* Brass spitoons (crachoirs de cuivre)
* Puzzled (que faire ?)
* Afraid (avoir peur) 
* Homesick blues (le blues du pays)
* Daybreak in Alabama (Lever du jour en Alabama) 
* Dream variation (variation d’un rêve) 


Le compositeur nous parle de son œuvre (citation écrite au début de la partition) :
« Ecrite en hommage à Billie Holiday, "Dark like me" est une longue fresque évoquant la condition des Noirs aux Etats-Unis dans la première moitié du vingtième siècle. Les textes de Langston Hughes (1902-1967) m'ont permis de construire l'oeuvre comme une succession de courts tableaux : "Brass spittoon", histoire d'un "boy" nettoyant les crachoirs dans les grands hôtels de Detroit ou Chicago ; "Puzzled", expressions entendues dans les rues de Harlem sur l'augmentation du coût de la vie, la difficulté à trouver un emploi ; "Afraid", sur l'angoisse de la solitude ; "Homesick Blues", sur le désir d'un retour vers le Sud ; "Daybreak in Alabama", sur l'espoir d'un monde plus fraternel ; "Dream variation", rêve d'un instant heureux au coucher du soleil. Des extraits du discours célèbre de Martin Luther King, "I have a dream", sont entendus en contrepoint de ce dernier poème. Enfin, l'ouverture que j'ai composée pour cette suite chorale est une variation pour choeur de la chanson de Lewis Allan "Strange fruit", que Billie Holiday a créée et enregistrée en 1939 pour le tout jeune label Commodore, et non pour la firme Columbia, qui craignait que le caractère engagé de la chanson ne discrédite la compagnie auprès de sa clientèle sudiste. »







Afraid (durée : 32 secondes)


— C’est la 4ème pièce du recueil, elle se trouve entre une courte pièce parlée Puzzled (effet de foule) et la belle pièce polyphonique Homesick Blues pour laquelle elle sert d’introduction.


Commentaire du compositeur :

« Puzzled permet aux chanteurs de se reposer avec un peu de voix parlée, dans un effet de foule qui ne doit pas être revendicatif : il s’agit de conversations de rue, rien de plus, avec des nouvelles qui semblent provenir d’une presse toute récente : la hausse des prix, les taxes, dont les plus pauvres font les frais. Le chant qui en surgit soudain (Afraid) est à la mesure de la frustration ressentie. » 


— Texte et sa traduction 

C’est une plainte sur la condition du peuple noir américain qui a peur et qui depuis plusieurs siècles pleure sur son sort. 


— effectif : Afraid est chanté par le chœur en tutti :

3 pupitres de femmes : Sopranos / mezzo-sopranos / altos
3 pupitres d’hommes : ténors / barytons / basses



— structure : il y a 3 grandes phrases musicales 

A :

B :

C :


Ce sont les sopranos et les ténors à l’octave qui les chantent sur A et B.
Les autres voix accompagnent en recto tono (sol # répété) sur A, B et sur le début de C, puis chantent la mélodie, les sopranos et les ténors reprenant le sol # répété (les 3 dernières mesures).


— Rapports texte / musique :
La musique rend bien le caractère plaintif du texte, on note :

- la musique suit parfaitement le rythme naturel du texte. Afin d’en garder la souplesse, le compositeur a choisi deux mesures ternaires qui changent fréquemment (6/8 et 9/8).

- l’utilisation d’une gamme modale qui s’apparente à la gamme du blues. Cela créé un climat de tristesse :

Comme dans la gamme du blues, le VIIème degré est parfois abaissé d’1/2 ton (fa# / fa bécarre)
Le ré quant à lui est toujours bécarre alors qu’il est noté un ré# à la clé.



- des exemples de figuralismes (= peinture des mots en musique) :

>> l’utilisation d’un triton. Depuis toujours, cet intervalle évoque la douleur ou la mort (= diabolus in musica).

On l’entend de façon horizontale à la mélodie :

    - Sur « we cry » (sopranos / ténors) 
    

    - Sur « we’re afraid » (mezzo-sopranos / altos / barytons Basses)

On l’entend aussi fréquemment de façon verticale entre Le sol# répété du contrechant et le ré de la mélodie.


>> à la fin de la pièce, la musique s’évanouit dans le silence (les nuances diminuent progressivement mf / p / pp) : à mettre en parallèle au texte : « parce que nous sommes seuls, c’est la nuit, nous avons peur ».


- Pour que la compréhension du texte soit parfaite, les 6 pupitres font tous le même rythme en même temps, c’est donc traité en homorythmie.
De plus sur toute la pièce, il n’y a que deux lignes de chant, celle qui accompagne en recto tono et la mélodie principale.


- Cette pièce a un caractère psalmodique (mélodie en intervalles conjoints avec un rythme répétitif + contrechant recto tono)



Homesick blues (durée : 2 minutes 11)



— C’est la 5ème pièce du recueil. Elle arrive après Afraid pratiquement sans interruption. D’ailleurs, le compositeur a relié les deux poèmes puisque dans Homesick Blues, il réutilise une partie des paroles de Afraid.

Commentaire du compositeur :
Le magnifique poème Homesick blues m’a semblé tellement en réponse d’Afraid, que je me souviens avoir composé l’ensemble de la polyphonie très rapidement, sans me poser de questions ... dans le métro parisien. J’ai été porté par le texte comme rarement, et l’idée du contrepoint en imitation du train – du temps ? – qui passe m’est venue physiquement, par les secousses ressenties entre les stations, et les images qui défilent à des vitesses différentes selon que le regard se pose sur le proche ou le lointain. 


— Texte et sa traduction :

Dans ce texte, les 2 premiers vers de chaque strophe sont toujours répétés. L’auteur évoque le désir d’un retour vers le sud et le blues (la tristesse) omniprésent chez le peuple noir. L'anglais utilisé est celui qui est parlé par les noirs américains (Lord = Lawd par exemple) . 

— Cette pièce est chantée par le chœur en tutti auquel s’adjoignent des solistes. A la fin, il y aura en plus du tutti un soliste dans chaque pupitre (soprano / mezzo-soprano / alto / ténor / baryton / basse). 

— Caractère :

La musique est tout à fait en accord avec le texte. La mélodie est une mélopée plaintive qui rappelle celles de certains negro-spirituals ou blues.

- l’atmosphère est triste : utilisation d’une tonalité mineure (proche de do# mineur) mais c’est en fait le mode de la sur do# 

- utilisation d’une mesure ternaire et de nombreuses syncopes (= swing des musiques noires américaines)
- la musique est organisée sur une carrure de 8 mesures à 4 temps, reprenant toujours les mêmes degrés (I V IV) comme une grille du blues, sauf qu'ici c'est dans un ordre différent de la grille académique du blues.
Cette grille sera répétée 3 fois (A / A' / B)
- Au fils de la pièce, il y a une montée en puissance, la 3ème strophe étant le climax « le blues du pays, c’est terrible de l’avoir , pour m’empêcher de pleurer, j’ouvre la bouche ». Il y a donc de plus en plus de voix, les nuances sont de plus en plus fortes et la les lignes mélodiques montent vers l’aigu. Les derniers mots « and laugh » sont par contre chantés sur une seule note (sol#) et uniquement par les sopranos et ténors du chœur. Cela créée un petit effet de surprise (comme dans le texte). On reste en suspens.

— Structure :
Le texte de Homesick blues est découpé en 3 strophes de 6 vers chacune.
Les deux premières strophes sont chantées sur la même musique alors que la 3ème strophe est différente. Chaque partie fait 8 mesures. Plan A A’ B

A : La mélodie sur le texte de la 1ère strophe de Homesick blues est chantée par les barytons du choeur.

A’ : La mélodie sur le texte de la 2ème strophe de Homesick blues est chantée par les mezzo-sopranos et les altos du chœur.
  
Les deux pupitres sont à l’unisson excepté sur la phrase « lookin’ for a box car to roll me to the south » qui est traitée en polyphonie (ci-dessous, les voix d’altos).

B : La mélodie sur le texte de la 3ème strophe de Homesick blues est chantée par les sopranos et les ténors du chœur en octaves
(ci-dessous, la voix des sopranos)


— Traitement choral

— Dans cette pièce, il y a 3 plans sonores :

1) le plan sonore principal : le texte du poème Homesick blues chanté toujours par le chœur A = les barytons / A’ = les mezzo-sopranos + les altos / B = les sopranos + les ténors

2) le plan sonore en contrechant polyphonique qui reprend certaines phrases du poème précédent Afraid.

« We cried among the palms »
« We cry among the skycrapers » 
« Because we are alone 
And it’s night and we’re afraid »
Les mots les plus importants sont souvent répétés « we cried » « we cry » ...
Ce plan sonore est aussi toujours chanté par certains pupitres du chœur A = ténors et basses / A’ = ténors, barytons, basses / B = mezzo-sopranos, altos, barytons, basses

Ex. B début :


3) le plan sonore accompagnement en onomatopées sur nen ou ne
On note 2 ostinatos, un en croches et un en doubles croches qui se succèdent et / ou se superposent.


Il est toujours très discret car chanté uniquement par des voix solistes et dans les nuances piano.
Dans la 3ème strophe, tous les solistes chantent (il y en a 6).

Le compositeur pense qu’il a été influencé par le bruit du train puisqu’il était dans le métro lorsqu’il a écrit Homesick Blues :
« je me souviens avoir composé l’ensemble de la polyphonie très rapidement, sans me poser de questions... dans le métro parisien. J’ai été porté par le texte comme rarement, et l’idée du contrepoint en imitation du train – du temps ? – qui passe m’est venue physiquement, par les secousses ressenties entre les stations, et les images qui défilent à des vitesses différentes selon que le regard se pose sur le proche ou le lointain. »