La musique spectrale


La composition spectrale est un mouvement esthétique né en France à la fin des années 1970. Liés à l’ensemble L'Itinéraire, de jeunes compositeurs trouvent une nouvelle voie en refusant le sérialisme et la musique électroacoustique. En 1973, Gérard Grisey, Tristan Murail et Michaël Levinas sont pensionnaires à la Villa Médicis, à Rome. Il font la connaissance de Giacinto Scelsi, un compositeur italien, à l'époque inconnu, qui aura une grande influence sur eux. Ils décident de fonder un collectif de musiciens pour assurer la création et la promotion de leur musique : L'Itinéraire. Ils sont rejoint bientôt par deux autres compositeurs : Hugues Dufourt et Roger Tessier.
Les noms les plus marquant de ce mouvement sont : Hugues Dufourt, Gérard Grisey, Tristan Murail.

"Tous ceux qui ont eu la chance de pénétrer dans l'appartement de Scelsi à la via San Téodoro à Rome ne peuvent en oublier la vue sur le Palatin que Scelsi vous faisait découvrir avec la politesse exquise d'un grand seigneur faisant admirer son orangeraie ! J'y allai la première fois avec Tristan peu après la création de Périodes en 1974. Je crois me souvenir y avoir entendu son premier quatuor ainsi que Anahit pour violon et orchestre de chambre que crachotait un vieux magnétophone Grundig. J'aimais d'emblée cette musique dans laquelle je vis une confirmation de mes propres découvertes concernant les tensions internes du son et l'extrême dynamisme qui en résulte. La différence radicale et la fraîcheur essentielle de cette musique me confirmaient dans une voie qui n'était pas sans périls." (Gérard Grisey)

A partir de ce moment naissent les grandes idées de la musique spectrale :

  • se servir des découvertes scientifiques en acoustique (étude de la constitution des sons) et en psychoacoustique (étude de la perception du son).
  • rejet de la musique sérielle (Boulez, Stockhausen...) qui réduit la musique à une combinaison de paramètres (hauteur, durée, intensité, timbre) sans lien avec la perception qu'on peut avoir de l'oeuvre.
  • inventer des formes dynamiques qui ne résultent pas de schémas préétablis (forme sonate, variations, forme lied, etc) mais qui s'inspirent du devenir des sons.


Elève de Grisey, Xu Yi a forcément l’idée que l’écriture spectrale est riche de possibilités. Gérard Grisey avait vu en Xu Yi, dès 1995, une future compositrice d’envergure. Dans sa lettre de recommandation pour la villa Médicis il écrivait, en décembre 1995 :

« À l’écoute de sa musique et particulièrement de sa dernière pièce d’orchestre, on y trouve immédiatement les rares qualités qui font l’étoffe d’un véritable compositeur : profondeur de la pensée, une gestion du temps sans failles et un langage harmonique et timbrique tout à fait hors du commun. De plus madame Xu Yi, d’origine chinoise, a su puiser dans la philosophie taoïste non seulement une inspiration mais encore une écriture musicale aussi cohérente qu’originale. Elle fait partie de ces rares élèves auxquels je voue une grande admiration et je suis convaincu que sa musique fera date dans le paysage musical français. »

La musique spectrale, selon Grisey, peut se définir comme étant :

  • Différentielle, parce qu'elle tente d'intégrer toutes les catégories du sonore : sons harmonique, inharmoniques et bruités. Accepter les différentes catégories sonores permet de révéler leurs qualités individuelles sans toutefois en privilégier aucune.
  • Liminale (du latin limen, le seuil), car elle cherche à mettre en évidence les seuils où les interactions entre les paramètres du son se produisent. La synthèse instrumentale des harmoniques d'un son crée une ambiguïté perceptive lorsque les accords et les sonorités individuelles fusionnent pour donner naissance à une couleur sonore globale (un timbre).
  • Transitoire, car elle se fonde sur des processus biologiques : naissance / vie / mort, repos / inspiration / expiration. La forme musicale est alors une transition continue d'un état à un autre.


En fait, dans le Plein du Vide de Xu Yi, seul le premier accord de l’œuvre, qui est d’ailleurs repris vers la fin, donne à entendre quasiment toutes les harmoniques de do. Les accords suivants sont très libres.


Vous avez dit spectrale ??? Il n’est pas question de couleurs, d’image relevant du spectre dans le sens de la décomposition d’une lumière complexe, mais, bien sûr, de l’analyse spectrale des sons.
Chaque son, chaque timbre a son spectre acoustique et, grâce à des techniques assez sophistiquées, on peut observer les micro-composantes de chaque son pur et aussi observer le dynamisme de chacune évoluant différemment dans le temps.
La musique spectrale tient compte de ces données en livrant, au moyen de l’orchestration, une macro-représentation de ces micro-composantes.


Les éléments spectraux :


— l’écriture des cordes dans le suraigu (à la recherche des sons harmoniques)
— les glissandi
— la microtonalité


*  *  *


Extraits d’articles de l’encyclopédie Universalis (version CD ROM 2006) concernant la musique spectrale :

Aux alentours de 1975, une nouvelle école, dite « spectrale », voit le jour en France. Dans la musique spectrale, tout le matériau dérive des propriétés acoustiques du son, qui n'est plus organisé de l'extérieur par manipulation de notes, mais de l'intérieur, en jouant sur l'empilement des harmoniques d'un son et sur l'évolution de ceux-ci dans le temps. En théorie, cette école entend donc substituer au discours musical fait d'une synthèse dialectique entre mélodie et harmonie une juxtaposition ou une évolution des sonorités obtenues en faisant exécuter à chaque instrument (avec, éventuellement, des déformations volontaires) les notes correspondant aux harmoniques d'une fondamentale donnée. En se focalisant sur le son, en se situant sur le plan de la perception, en refusant les modèles extramusicaux et les procédés mathématiques, l'école spectrale s'oppose radicalement au système sériel, imposé de manière abstraite. Si, d'un certain point de vue, il y a quelque chose de tonal dans la musique spectrale du fait que les harmoniques naturels sont pris en compte, cette musique est radicalement non tonale puisque les agrégations sonores (ou accords) ne remplissent aucune fonction les uns par rapport aux autres.

© Encyclopædia Universalis 2006, tous droits réservés,
article “atonalité”


La musique spectrale participe elle aussi du concept de continuité par le fait même que son propos se fonde, concrètement et conceptuellement, sur les spectres harmoniques et inharmoniques d'un son et sur ses lentes transformations, cette lenteur étant indispensable pour la perception de détails microscopiques ; on aboutit, là encore, à un temps statique.

© Encyclopædia Universalis 2006, tous droits réservés,
article “continuité (musique)”


Les tenants de la musique spectrale manifestent un refus des modèles extramusicaux et des procédés mathématiques. La musique tout entière est pour eux contenue dans les sons, elle émane véritablement des propriétés acoustiques du son. S'appuyant sur les travaux d'Émile Leipp, l'École spectrale met à profit les nouvelles technologies, qui permettent les manipulations sonores. L'idée dominante des « spectraux » consiste à créer un nouvel univers en explorant le son de l'intérieur : il ne s'agit plus de l'organiser de l'extérieur par manipulation de notes, mais de se fonder sur son analyse, sur l'empilement de ses harmoniques et sur leur évolution dans le temps. En se situant sur le plan de la perception, elle s'oppose radicalement au système sériel, imposé de manière abstraite.

© Encyclopædia Universalis 2006, tous droits réservés,
article “musique contemporaine (évolution de la musique depuis 1945)”


*  *  *


Hugues Dufourt : Musique spectrale


Le bouleversement le plus radical qu'ait connu la musique du XXème siècle est sans doute d'ordre technologique. Il est dû à l'avènement brusque et généralisé des plaques et des membranes qui supplantent progressivement l'ancienne lutherie de cordes et de tuyaux. Les idiophones et membraphones de la percussion, les coques des haut-parleurs constituent un complexe instrumental cohérent, d'impact planétaire. Ce qu'apporte la nouvelle organologie, c'est une poétique de l'énergie sonore. La tradition de l'instrument mécanique refoulait les instances dynamiques de la sonorité. Les voilà libérées par la percussion et l'électricité: il s'agit là d'un phénomène de civilisation d'une ampleur sans précédent.
La technologie des plaques a provoqué la résurgence des formes acoustiques instables que la lutherie classique avait soigneusement atténuées : transitoires d'attaque et d'extinction, profils dynamiques en évolution constante, bruits, sons de masse complexe, sons multiphoniques, grain, résonances, etc... Tous ces processus flous et fluctuants étaient jadis écartés, ou du moins maintenus à l'état résiduel, parce qu'ils allaient dans le sens de la dérégulation et du désordre. Or ils se situent aujourd'hui au coeur de la création musicale. La sensibilité auditive s'est pour ainsi dire retournée. Elle ne se soucie plus que de minimes oscillations, de rugosités, de textures. La plasticité du son, sa fugacité, ses infimes altérations ont acquis une force de suggestion immédiate. Ce qui prévaut désormais dans la forme du son, c'est l'instabilité morphologique. Elle seule revêt une valeur significative.
On peut s'interroger sur les raisons de ce revirement. Il n'est pas certain qu'il faille l'imputer aux malheurs des temps. Il s'agit plutôt d'une réaction positive à des formes d'expériences nouvelles, directement liées au style qu'instaure une culture fondée sur l'énergie. Notre art et nos systèmes d'information ont aboli les privilèges historiques de l'action mécanique: le son ne se conçoit plus en termes de conservation, de répétition, d'identité. On renonce corrélativement aux images transitives de la connexion directe et de la succession linéaire. La composition musicale, ainsi dégagée des prescriptions d'un langage analytique, ne consiste plus à associer des notes ou combiner des paramètres isolés. Mais le succès des formes instables ne se borne pas à sanctionner le fait que l'électroacoustique et la percussion ont su créer une classe de sons plus aptes à figurer la nouvelle image du monde. Ce succès suscite, autant qu'il exprime, la conversion à une autre mentalité. L'instrument de musique du XXème siècle est l'agent d'une véritable révolution dans l'ordre de la pensée.
Celle-ci se manifeste avant tout par la prise de conscience des changements que la technologie introduit dans la nature des sons.
l° - Il s'agit d'abord d'un changement d'échelle. L'électronique procède à une sorte de microanalyse du phénomène sonore, qui lui découvre de nouvelles structures d'ordre et un champ de possibilités insoupçonnées. Les techniques de représentation optique du son - du spectrographe à l'ordinateur - permettent d'intervenir avec précision sur les détails de l'onde acoustique et de lui imprimer les plus légères modifications. Le principe de la percussion n'est pas essentiellement différent: il consiste à pratiquer certaines coupes dans le phénomène sonore, qui prennent tout leur relief sous l'effet de grossissement démesuré des caisses de résonance. Chacune à sa manière, la percussion et l'électroacoustique renforcent et décentrent l'équipement sensoriel.
2° - L'objet sonore change également d'allure. Il apparaît comme un champ de forces spontanément réparties selon une configuration dynamique dont on ne peut dissocier les facteurs ni fragmenter les étapes. Ce qui importe, c'est l'unité de la forme globale et la continuité de sa manifestation progressive. On agit par conséquent sur un ordre de solidarités fonctionnelles qui astreint la composition à des méthodes d'engendrement synthétique.
3° - Les catégories de la pensée musicale se renouvellent également dans leur base. Elles ont à contrôler des situations de transition et d'interaction, des jeux de variables interdépendantes, des propriétés de réseau. Le processus de la composition musicale s'apparente à cet égard à un mouvement ininterrompu de différenciation et d'intégration. La matière sonore se présente, Si l'on veut, comme une structure dynamique de champ. Ce sont des volumes complexes, des rapports de densité, des orientations, des configurations nuageuses. Le rôle du compositeur est alors de tracer des axes, de dessiner des circuits, de trouver des chemins conducteurs qui régleront le jeu des différences et des variations.
Ce travail de la composition musicale s'exerce donc directement sur les dimensions internes de la sonorité. Il prend appui sur le contrôle global du spectre sonore et consiste à dégager du matériau les structures qui prennent naissance en lui. Les seules caractéristiques sur lesquelles on puisse opérer sont d'ordre dynamique. Ce sont des formes fluentes, des milieux de transition dont la détermination des mouvements dépend de lois de transformation continue. On peut parler à cet égard d'une composition de flux et d'échanges. La musique se pense sous la forme de seuils, d'oscillations, d'interférences, de processus orientés. Toutes ces dimensions de la pensée musicale se chargent d'une valeur expressive neuve et requièrent un traitement global et différencié. Le nouvel espace acoustique instaure un ordre de rationalité où les liaisons fonctionnelles priment les structures isolées. Ces dernières se définissent par le seul jeu de leur détermination mutuelle. Le principe des champs fonctionnels répond ainsi à la nécessité de contrôler des formes instables et des régimes dynamiques. Il est enfin dans la logique même des rapports configurationnels de suggérer un mouvement sans mobile ni déplacement: espaces polarisés ou involutifs, extensions idéales ou anamorphoses. Le mouvement gagne en quelque sorte en profondeur ou se résorbe en intensité pure. Ainsi la musique est devenue un art de répartitions tensionnelles.
Parmi les esthétiques qui précèdent la nôtre, la seule à laquelle je reconnaisse une portée fondamentale est la musique sérielle. Elle mérite donc une confrontation systématique afin de déterminer ce qui nous en rapproche et ce qui nous en sépare.
Pour la musique sérielle, l'unité de l'oeuvre demeure en quelque sorte en retrait d'elle-même. Le travail de composition porte sur des complexes de relations qui font intervenir plusieurs ordres de nature et d'échelle différentes. Il vise un déploiement de l'espace sonore dont la configuration est instable, multiorientée, ordonnée à des types de distribution arborescents. On n'y parvient qu'au prix de conflits de structure et de corrélations antagonistes. La composition sérielle repose donc sur une violence fondamentale puisqu'elle doit réduire et entrecroiser des systèmes concurrents et contraignants. Elle tente de tirer systématiquement parti du registre des potentialités dynamiques qu'offre une coordination interne de formes. La violence plasticienne est entièrement soumise à un ordre de connexions logiques. L'unité de l'oeuvre s'exprime certes par des rapports de tension, par une dynamique de reliefs et de contrastes, mais elle se fonde entièrement sur une architectonique dissimulée. Les processus de fragmentation qu'elle met en jeu sont perpétuellement rattrapés, compensés par la recherche corrélative d'une unité structurale sous-jacente. C'est ce lien du logique et du dynamique qui me paraît significatif, constitutif de la musique de l'Ecole de Darmstadt. De ce fait, la pensée sérielle a délibérément rejeté le point de vue de la totalité. Le sérialisme postulait la validité simultanée de normes également contraignantes - l'organisation paramétrique des hauteurs, des durées, des timbres, des intensités, voire même de l'agogique - il lui a donc fallu renoncer à déterminer la partie par le tout, un tout diversifié de telle manière que les propriétés de l'ensemble conservent et présupposent les propriétés des éléments qui le différencient. En pratique on ne peut soutenir à la fois le point de vue de la détermination locale et le point de vue de la détermination totale. C'est pourquoi l'unité de l'oeuvre sérielle relève d'un ordre de conditions qui se situe en deçà des modes d'exposition qu'il articule. La forme sérielle se manifeste toujours en creux, elle traduit une cohérence dont la logique interne échappe à l'appréhension immédiate. Les liaisons essentielles sont par principe dissimulées, elles n'apparaissent pas avec les figures qu'elles agencent, et qui, elles, surgissent dans la discontinuité, le disparate, la dissymétrie,
dans l'entrechoc audible d'une complexité véhémente. L'unification structurale n'est jamais manifeste, elle est seulement pensable. Ce mode de constitution a déterminé le style sériel. C'est un art de l'éclat et du contraste. L'ordre apparaît dans son jaillissement constitutif, comme le revers du dynamisme qui l'engendre. D'où le parti-pris d'inachèvement et la prédilection pour les ordonnances naissantes. D'où les saccades d'une durée qui procède par intensification et reconcentration de ses moments. Le Temps apparaît sous la forme de commencements radicaux: une turbulence primordiale, mais aussi l'aridité, l'aspérité, la désolation lacunaire.
Nous partageons avec le sérialisme sa conception génétique de l'art musical. Mais nous occupons, sur cet axe commun, une position diamétralement opposée. Ce qui nous apparente, et qui caractérise à mon sens la musique de la seconde moitié de ce siècle, c'est l'intuition d'un monde qui se saisit originellement dans la totalité de ses dimensions constitutives et procède de l'intelligence de ses propres nécessités. L'oeuvre musicale se referme sur elle-même. Elle s'absorbe dans la production de ses propres conditions génératrices. Ce mouvement d'intériorisation s'affirme avant tout par le rejet des significations référentielles et par une volonté d'intransitivité radicale. Il accuse, au plan de l'élaboration, une tendance à différer indéfiniment le moment de sa fixation dans une forme. Celle-ci n'est jamais thématisée, jamais cernée: elle n'est que la limite évanouissante d'un continuel processus d'émergence.
Mais à la différence de l'esthétique sérielle, nous concevons l'oeuvre musicale comme une totalité synthétique dont les articulations, l'ordre de déroulement, le style de temporalité dérivent d'affinités essentielles. La genèse de l'oeuvre s' envisage dans une perspective fonctionnelle et totalisante. L'important, c'est l'esprit de cette mise en oeuvre qui procède à une redistribution constante des équilibres et des rôles selon des rapports de convenance mutuelle. Il existe un accord de principe entre l'esquisse du tout et sa division en parties. Ce qui définit notre esthétique, c'est le caractère involutif d'une durée qui absorbe en elle, dans un mouvement de constitution circulaire, l'ordre des conditions et celui des dérivations. La réversibilité est complète. L'oeuvre musicale est génétique au sens où elle doit constamment réapproprier ses conditions à son propre procès, et trouver dans cette série d'intégrations la norme intérieure de son propre développement. La manière dont l'oeuvre s'organise coïncide avec la manière dont elle se produit dans la durée. La congruence est parfaite. Il ne subsiste pas trace du dualisme sériel. La structure interne d'un champ fonctionnel est totalement ostensive, sans résidu. Nous aboutissons donc, au sein d'une même perspective, au renversement des positions de l'esthétique sérielle.
Précisons rapidement les principaux points qui opposent la musique sérielle et ce que j'appellerai "musique spectrale".
La musique sérielle adopte un mode de composition régionale et polynucléaire ; la musique spectrale adopte le point de vue de la totalité et de la continuité opératoire. La première occulte sa logique intrinsèque et confère au déroulement de l'oeuvre une unité latente; la seconde extériorise son ordre constitutif et rend son unité manifeste. La première tend à privilégier l'intuition du discontinu et conçoit la musique comme une imbrication d'espaces structuraux; la seconde est soutenue par l'intuition d'une continuité dynamique et pense la musique comme un réseau d'interactions. La première obtient ses tensions par contraction; la seconde par différenciation. La première réduit ses conflits par résolutions partielles; la seconde par régulations.
La musique spectrale se fonde sur une théorie des champs fonctionnels et sur une esthétique des formes instables. Elle marque, sur la voie tracée par le sérialisme, un progrès vers l'immanence et vers la transparence. A cet égard, les équivoques dedans-dehors, l'aptitude de la forme musicale à se constituer en unité antithétique d'elle-même, les continuums de transformation, la volonté d'exposer les causes simultanément à leurs effets, tout cela indique de la part d'une culture un effort de réassomption systématique. Nous n'en voulons pour preuve que le renouvellement exemplaire de la pratique instrumentale traditionnelle, celle des instruments à cordes et à vent : elle aussi est gagnée par la nouvelle esthétique de la sonorité, une esthétique de la transparence.