Répertoire musical anabaptiste

En matière d'hymnologie, il n'est pas toujours aisé de s'y retrouver tant les documents sont dispersés. Pour ce qui concerne le répertoire suisse alémanique, les travaux de l'hymnologue suisse alémanique Markus Jenny (né en 1924) sont particulièrement précieux (« Geschichte des deutsch-schweizerischen evangelischen Gesangbuches im 16. Jahrhundert »).
(Voir, du même auteur, Hymnologie).
1) Les œuvres de Ludwig Hetzer
Il classa les œuvres des « Frères suisses » anabaptistes parmi lesquels Ludwig Hetzer (v.1500-1529), spiritualiste, anti-trinitaire, figure un peu en marge du mouvement anabaptiste et qui fut décapité à Constance. Cette exécution impressionna, d'ailleurs, le compositeur Sixt Dietrich (v.1492/94-548) qui en témoigna.
En 1527, Ludwig Hetzer avait traduit - avec l'extraordinaire Hans Denck (mort en 1527), un ancien élève de Johannes Oecolampade (1482-1531) - les textes des prophètes, très appréciés par Martin Luther. Markus Jenny évoqua, notamment, un émouvant « Schwanengesang » (« Chant du cygne ») composé en prison avant de mourir : « Vois, Seigneur, combien mon âme est faible ».
Dans son article sur les mélodies des cantiques anabaptistes, Ernst Sommer cite trois textes de Ludwig Hetzer, laissés de côté par les différents Livres de cantiques : « Tu dois avoir ton habitation auprès de Dieu », « Ne te mets pas en colère, ô pieux Christ », « Tu dois avoir de la patience sur le chemin de Dieu ».

2) Les œuvres des martyrs anabaptistes
En 1527, le chef anabaptiste et ancien moine Michael Sattler (v.1500-1527) composait, près de Tübingen, le cantique « Als Christus mit seiner Lehr » (« Comme Christ avec son enseignement »), cela avant d'être tenaillé avec des pinces ardentes, puis brûlé. De Felix Manz, Markus Jenny donne : « Mit lust so wil ich singen / mein herz frewt sich in Gott » (« Avec plaisir, je veux ainsi chanter / mon cœur se réjouit en Dieu »).
Vient, ensuite le prédicateur J. Blaurock (mort en 1529) qu'Ulrich Zwingli fit fouetter et expulser de Zurich. Il finit par être exécuté par le feu. Blaurock avait composé, en prison, des Marterlieder (Chants de martyrs) lesquels sont encore chantés par les communautés mennonites. De ce martyr anabaptiste, Markus Jenny cita : « Dieu conduit un tribunal juste » et « Seigneur Dieu, je veux te louer ».
De l'anabaptiste de Saint-Gall, Othmar Staluus (mort avant 1538), il est donné « Ô Gott vatter in ewigkeit » (Ô Dieu le père dans l’éternité). Ernst Sommer évoque, également, Balthasar Hubmaier (v.1480-1528), ancien élève du théologien catholique Johann Eck (1486-1543), qui fut converti à l'anabaptisme par le prédicateur de Zurich, Wilhelm Reublin (mort après 1559) et termina son existence dans les flammes, à Vienne, le 10 mars 1528, alors que, trois jours après, on noyait sa femme dans le Danube. Il fut l'auteur du Cantique de la Parole divine, « Freut euch, freut euch zu dieser Zeit » (Réjouissez-vous, réjouissez-vous vers ce temps) que l'on trouve dans la seconde partie du recueil de Valentin Babst (v.1500–1556) publié à Leipzig, en 1545.
Hans Hut, mort à Augsbourg, en 1529, après d'atroces tortures, fut l'auteur de « Lass uns von Herzen singen all » (Laisse-nous tous chanter avec notre cœur) et de « O Herre Gott in deinem Reich » (Ô Seigneur Dieu dans ton royaume). De Christoph Baumann (?), excellent poète des Frères suisses, Ernst Sommer cite « Das Gemeindelied : O Christ, freundlicher Ritter » (Le cantique communautaire : Ô Christ, bienveillant chevalier).
De Hans Petz - mort en prison, à Passau, en 1537 - il donne « Freut euch, ihr Christen alle » (Réjouissez-vous, vous tous chrétiens), cantique faisant partie du corpus des Frères huttériens. Enfin, Leonhard Roth (1500-1541) - un proche du pasteur anabaptiste tyrolien Jakob Hutter (mort en 1536), le fondateur des phalanstères moraves - qui écrivit, en 1539, « O König Jesu Christe » (Ô Roi Jésus Christ). Le répertoire se développa, aussi, à Augsbourg avec Joachim Aberlin (mort après 1554), Jakob Dachser (1486-1567) et Sigmund Salminger (v.1500-1553/54). Ce dernier fut rebaptisé en mars 1527, par Hans Hut. Mais, après avoir été emprisonné, il finit par renoncer, lors d'une confession publique, à la foi anabaptiste.
Les textes de Joachim Aberlin, Jakob Dachser et Sigmund Salminger se retrouvèrent dans le Psautier (« Der gantz Psalter Davids », 1569) de Sigmund Hemmel (mort en 1564). L'un des cantiques anabaptistes les plus connus fut composé par le cordonnier autrichien Georg Grünwald (mort en 1530), brûlé, à Kufstein, en 1530, et auteur du Lied vom christlichen Leben und Wandel (cantique de la vie et de la conduite chrétiennes), « Kommt her zu mir, spricht Gottes Sohn » (Venez à moi dit le Fils de Dieu).
La publication du répertoire anabaptiste
Pour ce qui concerne le répertoire anabaptiste publié, il faut savoir qu'il s'est bâti, premièrement, à partir de la tradition orale, puis par l'intermédiaire de nombreux manuscrits, enfin par quelques éditions tardives. Il est possible, aujourd'hui, de distinguer trois collections : celles des mennonites dont les cantiques se trouvent dans « Der Ausbund », dont l'édition connue comme étant la plus ancienne date de 1583 - celle des Frères suisses, dont l'origine remonte à l'emprisonnement de ses membres en 1564 - celle des Frères hutteriens, issus de l'anabaptisme pacifique et encore très présents en Amérique du Nord. L'essentiel de ce dernier corpus a été réuni à partir de trois manuscrits, pour une édition en Pennsylvanie, en 1914.
L'étude, parfois négligée, de ce courant singulier incite à mieux apprécier la psychologie du chant humain.