Le baroque

Le terme barroco est d’origine portugaise.
C’est un terme qui désigne une pierre de forme irrégulière (ou perle difforme) : c’est un terme du vocabulaire de la bijouterie, de la joaillerie. Ce terme va, en 1690, passer dans la langue française (il est francisé en 1690) avec encore le sens de pierre difforme. Il ne va prendre un sens figuré qu’au milieu du 18ème siècle : il sera synonyme de bizarre (ce n’est donc pas un terme qui s’applique à l’art et encore moins à la musique), on peut encore l’employer de nos jours avec cette signification (ex. : une personne baroque).
On va tout de même, assez vite, l’appliquer à l’architecture italienne du 17ème siècle mais il faut attendre le 19ème siècle pour que les historiens d’art allemands créent véritablement le concept d’une esthétique baroque, d’une école baroque.
Ce terme de baroque ne sera appliqué à la musique qu’en 1918 par un musicologue allemand fort important : Curt SACHS. Celui-ci va transposer à la musique les caractéristiques du baroque relevées par les historiens d’art (il y a donc une sorte de translation du terme baroque de l’histoire de l’art à l’histoire de la musique).
Les caractéristiques "grossières" du baroque en ce qui concernait l’art étaient d’abord lapropension à l’ornement (= qui aime l’ornementation), d’autre part la recherche de la courbe(contre la ligne droite), du mouvement, des effets de masse (à l’opposé des effets de lignes) : les baroques vont travailler en volume, en profondeur et non plus en surface.
Tout cela s’opposant toujours à l’esthétique classique de la renaissance (chaque fois que l’on imagine une caractéristique du style baroque, on l’oppose à la même caractéristique à la renaissance).
Le terme baroque va alors se généraliser dans la musicologie allemande mais il va garder en France et en Italie une signification péjorative.
Exemple : Dans son encyclopédie, Jean-Jacques ROUSSEAU écrit : « Une musique baroque est celle dont l’harmonie est confuse, chargée de modulations et de dissonances, le chant dur et peu naturel, l’intonation difficile et le mouvement contraint » (tiré du supplément de l’encyclopédie de 1776).
Des musicologues, en France, vont s’atterrer pendant très longtemps à l’intitulé de "musique baroque" une autre expression : "époque de la basse continue" (expression plus historique mais moins esthétique) c’est à dire l’époque pendant laquelle on va utiliser le système du continuo (basse d’archet + réalisation au clavier). Les deux termes recouvrent donc la même chose mais l’un s’applique à un phénomène réellement, facilement observable (la basse continue) dans l’histoire : le début en 1600 et la fin en 1750. En revanche parler d’une musique baroque est un peu plus délicat puisqu’on se réfère à une esthétique, un style donc à un sujet qui prête parfois à l’équivoque (en particulier dans les tranches chronologiques : on peut trouver de la musique baroque encore auclassicisme ; certains compositeurs, surtout les français, ne rallient pas à l’esthétique baroque) : c’est donc plus complexe.
Cependant en France et en Italie, l’usage du terme baroque s’est généralisé (lentement d’ailleurs) après la seconde guerre mondiale (après 1945) pour qualifier cette musique de l’époque de la basse continue.
Ce terme n’est pas absolument plus mis en question aujourd’hui donc l’acception va tout à fait de soi (il y a à Versailles un centre de musique baroque).
En musique, le baroque est une grande période s’étendant environ du début du XVIIe siècle, jusqu’au au milieu du XVIIIe siècle.
Le style baroque se caractérise par l’
importance du contrepoint (écriture horizontale : lignes mélodiques), par l’importance donnée aux ornements et par l’importance des contrastes dans l’écriture (les oppositions notes tenues/notes courtes, graves/aiguës, sombres/claires, etc.).
Le 
concerto fait son apparition. Il met en opposition un soliste au reste de l’orchestre (le tutti). Beaucoup de formes musicales naissent aussi : opéra, sonate, prélude, suite, fugue, etc. La période baroque est aussi un moment important pour ce qui concerne l’élaboration de la théorie musicale.
Compositeurs importants :
Italiens : * Antonio Vivaldi * Giuseppe Tartini * Angello Corelli
Français : * Jean-Baptiste Lully * François Couperin * Jean-Philippe Rameau
Allemands : * Jean-Sébastien Bach * Johann Pachelbel * Georg Philipp Telemann
Anglais : * Georg Friedrich Haendel * Henry Purcell


I°) L’émergence d’un nouveau style :

1600 marque le début de l’opéra ; c’est la naissance d’un style nouveau avec un ouvrage :« L’Euridice » de Jacopo PERI.
En même temps que naît l’opéra, naît aussi l’oratorio avec une œuvre de CAVALIERI :« Rappresentazione di anima et di corpo » (ce qui signifie "la représentation de l’âme et du corps") également en 1600.
C’est donc les débuts de deux grands genres nouveaux (opéra et oratorio) qui ne sont pas apparus par enchantement ou spontanément mais ces événements se sont préparés depuis 20 ou 25 ans en arrière (même si 1600 est la date de réalisation tout à fait novatrice).
Ces nouveautés se regroupent sous une étiquette que les contemporains de ces créations vont donner : on parle de réforme mélodramatique. Cette réforme mélodramatique désigne donc l’émergence d’un nouveau langage, de formes nouvelles, d’un nouvel idéal musical.

1°) La "prima prattica" et la "seconda prattica" :

En 1605, MONTEVERDI affirme dans son 5ème livre de madrigaux qu’il n’a pas suivi préceptes de l’ancienne école (il se démarque avoue-t-il des anciens principes) et il explique qu’il a été prisé par ce qu’il appelle la « seconda prattica ».
En créant cette expression, Monteverdi comprend qu’un bouleversement très profond est en train de se créer, et que se créer une sorte de césure entre deux clans : le clan qui est partisan de l’ancienne manière de la « prima prattica » (qui est dirigée par un théoricien porte-parole italien : Giovanni Maria ARTUSI qui est comme tout autre théoricien un conservateur) et la clan de le « seconda prattica ».
Monteverdi répond donc (dans la préface du 5ème livre de madrigaux) à Artusi en indiquant précisément qu’il se démarque de l’ancienne pratique et il crée la « seconda prattica ».
On va parler aussi, très vite, de « stile antico » (qu’il faut traduire par style ancien et non par style antique) pour parler « prima prattica ». Ce « stile antico » est le style du 16ème siècle, de la renaissance que l’on oppose au « stile moderno » (que l’on peut approximativement traduire par style moderne carmoderne est un terme vague) du 17ème siècle c’est à dire le style baroque dans notre vocabulaire.

2°) L’opposition entre Renaissance et Baroque :

Ces termes (renaissance et baroque) ont été appliqués au style par les historiens d’art au 19èmesiècle. On considérait alors que le baroque était une forme dégénérée de la renaissance ; une sorte de période obscure qui se serait située entre la nativité des années 1500 (= cinquecento) et le classicisme qui viendra au 18ème siècle. Aujourd’hui, le baroque est considéré comme une époque à part entière ; le baroque va avoir son développement intrinsèque, son propre développement, ses propres caractéristiques esthétiques.
Il y a tout de même une réserve à faire peut-être en ce qui concerne la France. En France, l’emploi de l’adjectif baroque pour la musique a été très vivement critiqué car il est difficile de transposer les caractères de l’histoire de l’art à la musique. D’autre part, à l’époque baroque c’est Louis XIV qui règne. Or le règne de Louis XIV avec la construction de Versailles, avec le style pictural de LEBRUN et d’autres est plutôt un style que l’on qualifie d’habitude de classique, et la question va donc très vite se poser : à savoir, si la musique de LULLY est une musique classique ou baroque ? Très longtemps on va penser que Lully se rattachait au classicisme français. Aujourd’hui Lully est étudié dans un centre à Versailles qui est le centre de musique baroque…
Donc le "glissement de sens" des termes est largement effectué.
Il nous faut donc, par commodité, définir la musique du 17ème siècle et du début du 18èmesiècle par opposition à la renaissance, à ce qui précède.

3°) Persistance du "stile antico" et effondrement de l’unité stylistique :

Contrairement à tout ce qui s’est passé dans l’histoire de l’art jusqu’à présent (un style nouveau entraînait nécessairement la disparition du précédent), le « stile antico » va continuer à exister.
En effet, le « stile moderno » ne condamne pas définitivement le « stile antico ».
Le « stile antico » va rester surtout l’apanage (= privilège) de la musique religieuse, de la musiquea cappella, qui va s’efforcer avant tout de pérenniser (= rendre perpétuel) le style de Palestrina. Palestrina devient le modèle de cette vieille manière, de cette « prima prattica », que l’on va s’efforcer de copier (dans la musique religieuse en particulier).
Le « stile antico » va servir à l’éducation des jeunes musiciens : on estimait que pour former un musicien il fallait d’abord lui apprendre la polyphonie de la renaissance (aujourd’hui encore, on étudie un langage qui n’est pas de notre temps : en conservatoire, on étudie d’abord la musique classique…).
Naturellement, ce qui est paradoxal c’est que ce « stile antico » n’est pas complètement conforme à celui du 16ème siècle : il va donc être éloigné de son véritable modèle. Il va devenir la plupart du temps le refuge des théoriciens.
L’unité stylistique des époques précédentes à vécu (nous sommes toujours dans cette désunion stylistique). Autrement dit, le style n’allant plus de soi, on prend conscience de l’existence d’un style (lorsque le style est le même pour tout le monde, est un langage commun, on ne prend pas la peine de prendre conscience que le style existe ; à partir du moment où il y a plusieurs styles, on prend conscience que l’on va composer, écouter, apprécier tel ou tel style…).

  « La messe du Pape Marcel » de Palestrina (écrite vers 1560)
Cette messe est sans doute la plus connue de Palestrina et elle est une illustration de l’ancien style.
Kyrie et Gloria : on remarque la clarté du texte, le souci de l’expression.
Palestrina s’efforce d’utiliser le contrepoint (superposition de lignes mélodiques) qu’il conjugue à l’harmonie (recherche de l’accord).

4°) Un nouvel idéal musical :

L’art baroque exige de la musique une nouvelle dimension : celle de la représentation et de l’expression.
Cette musique va se plaire à peindre un aspect des apparences (mais attention, ce n’est pas une musique descriptive) : c’est l’aspect le plus significatif, le plus chargé de sens. Elle peut provoquer chez l’auditeur les passions les plus vives.
Comment suggérer en musique les apparences ? Pour ce faire, on va utiliser des artifices très précis, très codifiés dont la signification est connue par tous, par tous les individus d’un même groupe socioculturel.
Ces artifices, ces pratiques ont fait l’objet de nombreuses théories : par exemple le figuralisme, la théorie des passions, le madrigalisme
Le « figuralisme » : encore appelé « théorie des figures » ou « Figurenlehre ». De nos jours, on entend par figuralisme, l’utilisation de groupes de notes (que l’on appelle des figures) dont la disposition caractéristique et l’effet suggestif sont destinés à évoquer chez l’interprète, mais aussi chez l’auditeur, une image, un mouvement, un sentiment, une idée qui sont exprimés par le texte mis en musique. Ce figuralisme existait déjà, de façon spontanée, dans le chant grégorien (il existait à titre individuel). C’est à dire que lorsqu’on chantait : "il monta aux cieux" (en parlant du Christ à l’ascension), on va utiliser une mélodie qui monte (un groupe de notes ascendant qui suggère ce que dit le texte) : c’est ça le figuralisme. Il existe à titre individuel parce que c’est une idée qu’à eu la personne, ou le groupe de personne qui a imaginé cette mélodie (on ne parle pas de compositeurs quand aborde le chant grégorien), ce sens (qui allait de soi pour tout le monde) de manière spontanée (quand on parle de monter au ciel, ce serait mieux que la mélodie monte). Les choses deviennent un peu plus compliquées quand on exprime un sentiment (une mélodie ascendante exprime plutôt la joie, quelque chose d’exubérant ; ceci n’est pas ressenti par tout le monde : cela dépend du compositeur, de l’époque…).
Ces procédés vont se multiplier dans la seconde moitié du 16ème siècle. Ils vont se multiplier en particulier dans un genre italien : le madrigal ; on va d’ailleurs appeler ces procédés des « madrigalismes » que l’on trouve chez les compositeurs de madrigaux (Marenzio, Gesualdo, Roland de Lassus, … et bien sûr chez Monteverdi). Ce procédé coïncide avec le début de l’humanisme. L’humanisme préconise une union plus étroite entre le texte et la musique. On va très vite constater (en particulier au début de l’époque baroque) qu’il y a une analogie entre le texte, le langage parlé et le langage musical. Monteverdi dépasse le stade du madrigalisme et il va expliquer que ce recours à la représentation constitue un des éléments essentiel de la « seconda prattica ». Et voilà donc une nouvelle expression synonyme de « seconda prattica » : « stile rappresentativo ».
A la période baroque, la musique va donc être traitée comme un véritable discours : un discours qui aura ses formules, ses images, ses figures de rhétorique, ses phrases, ses périodes… Puisqu’il s’agit d’un discours, il a une logique qui va s’exprimer par des règles ; une logique qui va s’exprimer par sa grammaire.
Dès le 17ème siècle, les allemands vont donner une forme systématique, grammaticale à ce qui restait condamné chez les madrigalistes italiens du 16ème siècle. De même qu’il existe des figures de rhétorique (qui sont destinées à embellir le langage), on va proposer en musique des formules spécifiques dont le musicien va se servir pour provoquer et pour contrôler l’émotion chez son auditeur.
On voit donc le "glissement" pratique qui se fait : ce n’est plus quelque chose de spontané et individuel mais un langage connu de tous que le compositeur utilise à une fin particulièrement précise qu’il est dur (et à la quelle il sûr) d’aboutir chez son auditeur. Il saura que telle formule musicale a telle signification, que l’auditeur la reconnaîtra comme telle et qu’elle produira chez lui une émotion que le compositeur a suscité.

Les théoriciens vont donc nommer les figures musicales comme les figures de rhétorique du discours littéraire. C’est à dire ces formules de rhétorique qui sont héritées d’Aristote, de Ciceron… Les rhétoriqueurs (les premiers qui vont s’intéresser à cette théorie) sont : Burmeister, Nucius, Thuringius (ces deux derniers ont des noms "latinisés" parce qu’ils se réfèrent à ces théories antiques), et peut-être plus connu : Johann Gottfried WALTHER et Johann MATTHESON.
Certaines de ces figures de styles ont le caractère pictural, sont visuelles (par exemple : l’anabase décrit par une ligne mélodique ascendante un mouvement vers le haut mais peut aussi décrire la joie, l’exaltation, la gloire, la beauté).
Fontanier a dit dans son ouvrage « Les figures du discours » : « Il faut peindre les choses d’une manière si vive, si énergique qu’elle les met en quelques sortes sous les yeux » (en parlant de musique et non d’œuvres picturales).
D’autres figures vont posséder un pouvoir expressif plus diffus : par exemple les silences brusques (on peut leur donner plusieurs significations : surprise, l’horreur, le désert, la rupture, la mort, …), les répétitions mélodiques (= tension dramatique, effet d’insistance, une sorte de climat obsessionnel…).
Cette époque est aussi une époque où se développe le style concertant c’est à dire où les instruments de l’orchestre jouent un rôle qui leur est propre (à la renaissance, ils se contentaient de doubler les parties vocales) et dialoguent avec les voix.
L’orchestre va devenir un des lieux privilégié du figuralisme. L’orchestre face à ces figures va se mettre à exprimer les mouvements, les idées, les images du texte.
Dans l’opéra, par exemple, les figuralismes vont constituer l’essentiel des symphonies descriptives(ces symphonies descriptives sont des orages, des tempêtes, des tremblements de terre, …).

« La tempête » de l’opéra « Alcione » (1706) de Marin Marais
C’est une exemple de symphonie descriptive, elle illustre bien ce qu’est le 
figuralisme.
Les opéras de M. Marais vont tous comporter une grande scène de tempête : plus on avance dans le temps plus ces scènes de tempête seront développées.


Malheureusement, les théoriciens du figuralisme vont abuser du procédé : ils vont créer des correspondances gratuites, qui ne sont donc plus signifiante (plus personne ne comprend plus les correspondances qui n’ont plus de contreparties expressives ; il n’y a plus de correspondances entre la figure du discours et l’expression musicale).
Cette absence de correspondance entraîne la disparition du procédé figuraliste théorique (on continue à utiliser ces procédés de façon souple mais sans entrer dans le cadre d’une théorisation). L’idée d’illustrer le texte par la musique va bien sûr continuer au-delà de l’époque baroque (on la trouve dans les lieders de Schubert, de Schumann, dans les mélodies de G. Fauré, …, et encore dans certaines musiques de 20ème siècle).
Nous parlons donc bien de deux choses différentes : d’une part le procédé théorique qui est une application à l’époque baroque et d’autre part ce que le langage courant appelle le figuralismemais qu’il faudrait peut-être plutôt appeler "illustration du texte par la musique" (il n’y a plus ici de véritable figuralisme).


La « théorie des passions » : c’est une théorie d’origine allemande que les allemands appellent "die Affektenlehre".
Cette théorie des passions se développent parallèlement à la théorie des figures avec laquelle cependant il ne faut pas la confondre.
C’est une théorie selon la quelle la musique peut traduire les différents états psychologiques des êtres humains et, inversement, elle peut influencer sur leurs sentiments, sur leurs passions.
Un des tout premiers à s’être fait le promoteur de cette théorie est Monteverdi. Monteverdi explique que l’âme humaine est susceptible de connaître, de subir trois passions principales : la colère, la modération et l’humilité (il emprunte cette idée à Platon). Il pense donc que chacune de ces passions correspond à un moyen musical qui permet de la traduire, qui permet de l’exprimer.
Cette théorie des passions est expliquée par Monteverdi dans la préface de ses "madrigaux guerriers et amoureux" de 1638.

« Lamento d’Ariana » (1608) de Monteverdi
Il est représentatif de ce style, cet art (théorie des passions).
C’est une sorte de fusion stylistique entre le 
madrigal, la cantate et l’opéra.
C’est écrit pour 
voix et basse continue.

Des idées très voisines à celles de Monteverdi sont exprimées au 17ème siècle par les théoriciens français, en particulier par Marin MERSENNE dans un immense traité de 1636 : « L’harmonie universelle » dans lequel Mersenne dit : « Quant à la force et à l’effet des modes (il parle des modes majeurs et mineurs), ils dépendent particulièrement de leur tierce et de leur sixte majeures et mineures car les majeures sont propres pour flatter et adoucir les passions et les mineures pour exprimer la tristesse et la douleur ».
Mais c’est surtout en Allemagne que cette théorie des passions va se développer avec deux personnes essentielles : Andreas WERCKMEISTER et Johann MATTHESON. Mattheson, en particulier, énumère une vingtaine de sentiments, de passions et il indique la manière de les traduire musicalement (il donne le procédé musical correspondant à ces 20 passions). Il donne aussi le caractère des danses, leur signification dans le cadre de la théorie des passions.
Il explique : « On peut très bien représenter, avec de simples instruments, la grandeur d’âme, l’amour, la jalousie. On peut rendre toutes les indignations du cœur par de simples accords et leur enchaînement, sans paroles, en sorte que l’auditeur saisisse et comprenne la marche, le sens, la pensée du discours musical comme si c’était un véritable discours parlé » : toute la différence est là avec la théorie des figures où la musique était censée figurer un texte, or ici il n’y a pas de texte, c’est seulement valable pour la musique instrumentale.
Cette théorie des passions va d’ailleurs déborder la période baroque et faire des émules encore à l’époque du style galant, l’époque de la sensibilité (empfindsamkeit) : c’est l’époque des fils de Bach. Pour C.P.E Bach, par exemple, la traduction des émotions, des passions devient la seule raison d’être de la musique.

5°) L’influence de la camerata :
Les camerate sont des cercles littéraires actifs à Florence à partir des années 1590 (c’est à dire à l’extrême fin du 16ème siècle). Deux camerate sont principales, émergent de l’ensemble :
  1. La camerata, le cercle culturel réuni autour du comte Bardi. 
  2. La camerata du comte Corsi. 
Ces institutions reprochent à la musique de la renaissance son traitement du texte. Cescamerate reprochent à la musique contrapuntique de la renaissance de déchirer le texte en lambeaux, déchirer la poésie en lambeaux, en la faisant passer d’une partie à l’autre par le biais des imitations et en le rendant du coup totalement inintelligible. Le texte n’est plus intelligible parce que toutes les voix de la polyphonie ne prononcent pas le même texte en même temps (c’est le reproche que l’on fait à la polyphonie de la renaissance).
Les membres des camerate vont donc imaginer un nouveau type d’écriture pour répondre à ce dépôt, pour contrebalancer ce dépôt reproché à la musique de la renaissance.
Ce nouveau style c’est le récitatif : c’est une sorte de parlé-chanté (une ligne mélodique chantée mais proche du langage parlé) où la musique est soumise aux mots, aux textes (elle est en particulier soumise au texte du point de vue du rythme car le récitatif n’adopte pas un rythme de type musical mais un rythme de type verbal).
Le récitatif sera exécuté avec un maximum d’expression (le chanteur ne se contente pas de chanter le texte, il joue la comédie : il exprime par des gestes le sens du texte).
Egalement, sur le plan de l’écriture, de la composition musicale, il est beaucoup plus simple de composer un récitatif que de composer une polyphonie savante (ceci est facilement compréhensible puisque les membres des camerate ne sont pas tous des musiciens accomplis mais sont surtout des érudits, des nobles cultivés qui se penchent sur un sujet important de leur époque qui est cette compréhension du texte chanté mis en musique). Le récitatif est donc bien d’abord une réflexion d’aristocrates qui cessaient à la composition.
Voilà encore une opposition flagrante, frappante entre la prima prattica (qui est l’époque du contrepoint savant) et la seconda prattica (qui est l’art du récitatif) ; et on va très vite opposer les théoriciens renaissants qui pratiquent, soutiennent la musique savante et les amateurs, certes éclairés, qui sont les instigateurs de ce nouveau style qu’est le récitatif.
L’invention du récitatif par et autour de la camerata est un phénomène essentiel car il débouche sur la création d’un genre nouveau qui est l’opéra.
L’opéra est un des exemples les plus frappant de la restitution par la musique des passions (qui peuvent être portées à l’extrême). En ce sens l’opéra peut être considéré comme la plus grande invention de la musique baroque, la plus représentative en tout cas de ce qu’est l’art baroque. Certes à la renaissance on avait représenté des tragédies grecques avec des chœurs polyphoniques, des chœurs qui venaient de temps en temps se placer au milieu de la déclamation parlée. Mais l’opéraest tout différent : c’est le texte dramatique qui lui même est chanté, qui est mis en musique. Et les français d’ailleurs, à l’époque baroque, ne parleront pas d’opéra mais de tragédie en musique (qui veut bien dire les choses : c’est bien la tragédie proprement dite qui est mise en musique, la musique n’est pas un hors d’œuvre que l’on viendrait placer comme ça au milieu des textes tragiques déclamés). Naturellement, dans l’invention du récitatif, a joué la chimère du théâtre antique ; c’est une attitude renaissante, classique, typique de ce début de 17ème siècle que de rechercher, de diviser l’art de l’antiquité et il est bien clair qu’en créant le récitatif on avait le plaisir de renouer avec la musique à l’antique (évidemment la musique dans l’antiquité ce n’est pas cela du tout, disons que la musique à l’antique a joué un rôle de catalyseur). Mais en réalité l’impulsion première vient du désir chez le compositeur de représenter les passions les plus violentes. Autre caractéristique de ce récitatif : les compositeurs de la camerata insistent beaucoup sur la nature oratoire du récitatif (cf. théorie des figures : figures de la rhétorique appliquées au langage musical).
Caccini (compositeur du début du 17ème siècle) qualifie le récitatif de discours en musique. Son exacte contemporain Peri prétend essayer d’imiter par la musique le discours d’une personne.

  « Euridice » (récitatif de Dafné) composé par Peri dans son 1er opéra achevéC’est une page extrêmement poétique où Peri veut exprimer la mélancolie, la douceur, la spontanéité.
C’est un des exemples où le compositeur a voulu justement cette fusion entre le texte et la musique.
Il n’y a pas de véritable structure musicale. La musique se déroule continuellement en fonction du texte qu’elle soutient et en fonction des sentiments et des idées qui sont exprimées par ce texte (non seulement en fonction du texte et des idées d’après la 
théorie des passions mais aussi en fonction du discours et de la nature du discours qui est opposé : cf. théorie des figures.

II°) Quelques éléments essentiels du style baroque :

1°) La basse continue ou basse chiffrée :

Dans la musique de l’époque baroque, la basse n’est plus une voix mélodique de la polyphonie, ce n’est plus une voix insérée au même titre que les autres dans le tissu musical, insérée au même titre que les autres par le biais des imitations.
Cette partie a maintenant un rôle tout à fait différent : elle supporte les accords, l’harmonie. Le fait de supporter les accords, l’harmonie lui donne une configuration mélodique originale.
C’est en fait une partie beaucoup moins conjointe que les autres, qui présente des sauts mélodiques (en particulier dans les fin de phrases au moment des cadences).
Pendant cette époque dite baroque, tout œuvre écrite pour un ensemble de deux ou plusieurs instruments nécessite la réalisation d’un continuo (= d’une basse continue). Le continuo est une basse d’archet qui joue cette basse harmonique pendant qu’un instrument polyphonique (clavecin, orgue, luth, théorbe, …) double cette basse et réalise en même temps l’harmonie indiquée par un chiffrage (l’organiste, le claveciniste, le luthiste, …, improvise donc cette harmonie : il a sous les yeux la basse et le chiffrage des accords qu’il doit utiliser mais il improvise cette réalisation).
Une sonate à deux nécessite donc trois exécutants, une sonate en trio nécessite 4 exécutants (les deux "dessus", la basse d’archet et l’instrumentiste polyphonique).
Ce principe sera valable de 1600 environ jusqu’en 1750 environ (il y a superposition de labasse continue et de la musique baroque).
Avec le continuo, tous les aspects de l’harmonie, de la mélodie et du contrepoint apparaissent sous un jour nouveau. En effet, le nouveau rôle donné à la basse va du même coup donner une nouvelle importance à la partie de "dessus" (= au soprano). Le soprano constitue avec la basse une sorte de duo indissociable qui malgré ses obligations que lui confère la basse prend tout de même toute la vedette, ressort de l’ensemble : c’est une ligne mélodique qui se veut extrêmement chantante et qui est la plus susceptible d’ornementation, c’est elle qui est le plus "en dehors". Donc, à la fois c’est la partie la plus audible, la plus évidente mais cette partie dépend aussi de la basse harmonique.
Entre la basse et le "dessus" il n’y a plus des autres parties constituants des lignes qui s’entrecroisent (il n’y a plus cette sorte d’entrelacs linéaire) mais il y a une sorte de couche qui constitue l’harmonie : on est passé du stade du contrepoint au stade de l’harmonie où on a deux lignes principales (basse et "dessus") entre lesquelles il y a une couche, une épaisseur qui constitue le discours harmonique ; c’est ce que l’on va appeler aussi l’ère de la monodie accompagnée.
On peut dire que la basse et le "dessus" sont le squelette de la composition, le reste est un remplissage qui peut être dans certains cas au soin de l’accompagnateur lorsque c’est une pièce à deux parties.


2°) La conquête harmonique et tonale :

L’apparition de l’harmonie change, pour le compositeur et pour l’auditeur aussi, la perception de la musique.
Jusque là, la musique était perçue comme une superposition de lignes, de couches. Désormais, on va s’intéresser au résultat vertical de cette musique, autrement dit commencer à s’intéresser aux accords. Et cela va conduire à l’enrichissement du langage harmonique. Ainsi, l’accord parfait va être altéré, renversé ; des accords de 7ème vont apparaître (ils n’existeront pas en tant que tel : ils sont soumis à une résolution). On va ainsi explorer des effets harmoniques, des effets isolés, des enchaînements de sonorités harmoniques.
L’étape suivante va être l’organisation tonale de ces accords (les accords vont se charger d’une fonction tonale : tonique [I] , dominante [V] , sous-dominante [IV] ; et ils vont donc être reliés entre eux, attirés vers un centre tonal qui est la tonique). Ainsi va donc se créer la tonalité.
C’est en fait la grande nouveauté de cette époque baroque. Toute la musique du 17ème, 18ème, 19ème siècle se fonde sur le système de la tonalité.
S’il n’y avait pas de tonalité il n’y aurait pas de forme binaire, pas de forme sonate : donc c’est bien le système tonal mis en place au 17ème siècle qui compte toutes les formes classiques qui elles mêmes sont fondées sur le jeu des tonalités.

Le système tonal amène, crée le principe de la tension - détente et se créer donc la notion de cadence (V-I ou IV-I) : c’est le contraire de l’époque modale où la mélodie était "flottante" (cf. chant grégorien).

3°) La diversité des mouvements :

Tout le Moyen-Age et toute la renaissance (pendant ces deux périodes dans la musique polyphonique) utilise une sorte de tempo naturel qui correspond à peu près aux battements du cœur humain et que l’on appelle le tactus. Ce tactus n’est pas mesuré, on ne sait pas à quelle vitesse exactement il va puisqu’on ne dispose pas de métronome et donc il est variable mais on a pas conscience de sa variabilité car c’est quelque chose qui est réputé spontané et naturel.
Or en imposant la monodie accompagnée, en donnant l’importance au texte, on supprime le rythme musical naturel pour l’échanger contre un rythme verbal. Ce rythme verbal supprime la régularité traditionnelle du tactus et dans certaines partitions on va trouver l’indication par exemple« senza battuta » (= « sans battue ») qui signifie donc qu’il faut être suffisamment souple, suivre le texte selon l’expression contenue dans ce texte. C’est donc toujours pour une représentation des passions que l’on va gagner la souplesse rythmique.
Toute la musique baroque sera dominée par ce mouvement plus ou moins fluctuante qui n’a plus la régularité rythmique du tactus. Pire encore, on peut très bien se mettre à tester que tel passage sera joué plus vite que tel ou tel autre et donc constituer des mouvements de nature différente. Toutes les nuances vont alors être possibles : avec des oppositions rudes (passer du rapide au lent ou au modéré) mais aussi avec des changements progressifs (aller en accélérant ou en ralentissant).
Le terme qui exprime cette souplesse du tempo en Italie est : sprezzatura (= action qui consiste à jouer dans un tempo non régulier) qu’on appellera plus tard en italien rubato.
En France, on parle de nonchalance ou encore de discrétion pour parler de sprezzatura ; évidemment ces techniques d’interprétation vont surtout être valables pour les instruments solistes parce que les variations irrégulières, progressive du tempo sont difficiles à faire lorsqu’on est 2, 3 (ou plus) exécutants.

« Toccata quinta » de Frescobaldi (organiste italien du 17ème siècle)
Prise dans son livre de 1637. Elle illustre la 
sprezzatura.


4°) Le style concertant :

L’étymologie de ce mot "concerto" est relativement indécise. Pour les uns, le mot "concertato"viendrait du verbe latin concerere (= unir) et pour les autres il viendrait du verbe latin concertare (=lutter). En tous cas, vers 1600, "concerto" et "concertato" ont le même sens ("concertato" disparaitra au profit de "concerto").
Un "concerto" (ou la technique concerto) qualifiera donc une œuvre instrumentale où rivalisent un soliste et un groupe instrumental (c’est ce que l’on appellera le concerto de soliste) ; ou bien une œuvre instrumentale où rivalisent deux groupes instrumentaux (c’est ce que l’on appellera le concerto grosso).
Mais au début du 17ème siècle, le terme a un sens beaucoup plus large : un concerto c’est une œuvre écrite dans le "stile concertato", c’est à dire tout simplement une œuvre vocale accompagnée d’instruments. Autrement dit, un concerto c’est l’opposé, le contraire d’une musique « a cappella » où les voix sont seules sans instruments.
C’est aux Gabrieli (oncle et neveu) que l’on doit l’officialisation de ce terme dans un recueil intitulé « Concerti per voci e stromenti » (1587). Avec l’apparition de ces instruments, ils ne se contentent plus de doubler les parties vocales mais ils ont une partie spécialement écrite pour eux. Avec cela va donc se développer la couleur instrumentale, le timbre. Le timbre se précise, on recherche des alliages, des alliances de timbre particulières afin donc de créer des couleurs différentes.

« Domine labia mea aperies » extrait de « Sinfoniae Sacrae » de Schütz (1629)
Le titre signifie 
"seigneur ouvre ma bouche, mes lèvres".
C’est une sorte de motet.


Après Gabrieli et après Schütz, le langage choral et le langage des solistes se différencient (on écrira plus une ligne mélodique chantée de la même manière pour un groupe et pour un soliste). Cela participe de cette recherche du timbre (on écrit pas pour un quatuor vocal comme on écrit pour un chœur à 4 voix). Si avec Gabrieli et Schütz, le style instrumental et le style vocal s’étaient différenciés, cette fois ci vont se différencier le style de chaque instrument (on écrira plus pour un violon comme pour une flûte ou comme pour un hautbois, donc chaque instrument [au moins par famille d’abord] va trouver un style qui lui est propre). De même, le clavier et le luth vont se trouver un langage spécifique (qui ne sera plus simplement le fait d’une transcription ou le fait d’un rassemblement des différentes lignes de la polyphonie).

III°) La diversité du baroque : 

Grouper sous une même étiquette stylistique Monteverdi qui est au tout début du 17èmesiècle, Lully dans la seconde moitié du 17ème siècle, Bach, Haendel, Rameau est chose malaisée car ce sont des musiciens qui ne sont pas du tout contemporains même si tous sont des musiciens baroques (c’est comme si nous disions que nous sommes de la génération de Berlioz, c’est à peu près aussi énorme).
Donc, il faut bien sûr relativiser et créer plusieurs sous-périodes au sein de cette grande période baroque. Naturellement, si l’on créer plusieurs périodes, c’est pour les besoins de la compréhension, il faut bien voir qu’on ne passera pas d’une période à une autre de façon instantanée mais les choses se font progressivement.
D’autre part, cette évolution et ces périodes sont à moduler en fonction du pays où l’on se trouve ; c’est à cette époque l’Italie qui est à la "pointe du progrès" : c’est là que le style se transforme le plus rapidement. Chaque pays a sa tradition, a son originalité.
Si on essaye donc de découper la période baroque en trois sous-périodes, on pourrait dire qu’il y a une 1ère tranche entre 1580 et 1630, une 2ème tranche de 1630 à 1680 et une 3ème tranche de 1680 à 1730. Ce découpage est surtout vrai pour l’Italie d’où part le mouvement baroque, l’Allemagne doit connaître un décalage d’environ 20 ans (qui permettrai d’ailleurs de parvenir jusqu’à la mort de Bach). Quant à la France, c’est un pays un petit peu marginal car elle est un petit peu différente avec les influences stylistique qui sont parfois éloignées de l’art baroque proprement dit.

1°) Le baroque primitif : 1580 à 1630

C’est l’émergence de deux idées essentielles : d’une part le refus du contrepoint et d’autre part la représentation violente des mots grâce à l’expressivité, à la liberté rythmique du récitatif (c’est l’invention du récitatif). Dans cette période, l’harmonie n’en est pas encore au stade tonal c’est à dire qu’on a bien l’organisation sous forme d’accords mais ces accords n’appartiennent pas à une tonalité proprement dite, autrement dit ces accords ne sont pas fonctionnalisés (ne portent pas de fonction).
Dans cette période, ne cherchons pas des mouvements de grandes dimensions : les œuvres sont relativement brèves, toutes les formes sont à petite échelle (des formes en petites sections ; petits mouvements mis bout à bout).
C’est le début de la séparation définitive entre le vocal et l’instrumental. C’est une époque cependant où la musique vocale reste prépondérante.

2°) Le baroque dans sa maturité : 1630 à 1680 (le bel canto) 

Cette période est marquée par l’apparition d’un style vocal virtuose et expressif que l’on a appelé en Italie : le bel canto. Le baroque dans sa maturité, c’est l’époque du bel canto.
Ce bel canto apparaît surtout dans la cantate et dans l’opéra. Le bel canto est lié à la distinction fondamentale entre le récitatif et l’aria. Le style vocal récitatif unique a vécu, on aura une distinction entre deux manières : le récit et l’aria (cf. cours sur l’opéra baroque).
Les formes de cette époque se développent et le contrepoint fait sa réapparition (après qu’on l’a banni de façon quasiment définitive, méprisable on y reprend goût) mais c’est un contrepoint qui reste expressif.
Les modes majeurs et mineurs s’imposent.
On peut dire qu’à cette époque la musique vocale et la musique instrumentale ont une importance à peu près équivalente.

3°) Le baroque tardif : 1680 à 1730 

C’est l’époque où la tonalité est solidement établie, définitivement établie. Le système tonal permet, régit la progression d’accord et il structure la forme, il structure le discours.
Le contrepoint est à son apogée, mais il est fondu à l’harmonie tonale (c’est à dire qu’il s’agit bien de contrepoint mais un contrepoint qu’on peut découper en "tranches verticales" et qu’on peut toujours analyser avec des accords bien connus) : l’apogée de ce contrepoint tonal c’est bien sûr la musique de Bach.
Enfin, les formes acquièrent de très vastes dimensions.
Désormais, la musique vocale est dominée par la musique instrumentale.


« Passion selon Saint Matthieu » (1er chœur d’ouverture) de Bach
C’est un contrepoint fondu à l’harmonie tonale.
La réalisation harmonique de chaque accord est évidente.


Bibliographie :

  1. Manfred BUKOFZER, « La musique Baroque », Paris, Latesse, 1982 
  2. Claude PALISCA, « La musique Baroque », Arles, Actes Sud, 1994 
  3. James ANTHONY, « La musique en France à l’époque Baroque », Paris, Flammarion, 1981

Mémento du style baroque : 
Formation instrumentales : Instruments issus de la Renaissance (violon, alto, violoncelle, luth, guitare, théorbe, harpe, clavecin [développement du tempérament égal], orgue, flûte, hautbois, cornet, cor, trompette, timbales) ; développement de l’orchestre à cordes avec continuo ; consolidation progressive de la notion de timbre.

Genres : Motet, suite de danses, opéra, oratorio, ballet, concerto grosso, concerto de soliste, madrigal polyphonique.

Formes : Forme suite (= forme binaire), forme variations, aria da capo, forme ritournelle, fugue.

Procédés et caractéristiques du langage : Basse continue, modes majeurs et mineurs dans tous les tons, modulation, style concertant, harmonie, tierce picarde, figuralisme, madrigalisme, théorie des passions, ornementation, notes inégales, système métrique moderne (la barre de mesure).


Glossaire :

  1. Basse continue ou continuo : C’est un des éléments constitutif de la musique baroque les plus marquants : d’une part, parce qu’on ne le trouve quasiment qu’à cette époque (il tient donc lieu de signature sonore), d’autre part, parce qu’il se trouve à la base (et à la basse) de presque toutes les œuvres où s’expriment au moins trois ou quatre musiciens (autrement dit, presque toute la musique de chambre, l’opéra, la musique religieuse et la musique orchestrale). Elle est constituée au minimum d’une partie de clavier (orgue ou clavecin), comportant à la main gauche la partie de basse de toute la musique, à la main droite une réduction en accords des autres parties instrumentales, généralement chiffrée (les accords sont remplacés par leur représentation symbolique en chiffre : 5 pour l’accord parfait, 6 pour l’accord de sixte, …), et confiée au bon goût et à la virtuosité du musicien qui la réalise. Au clavier s’ajoute une partie de violoncelle ou de basson, par exemple, et un, voire plusieurs luths ou chittarones, jusqu’au véritable "orchestre de continuo" tel qu’on le conçoit dans l’opéra du début de l’époque baroque. Mais en règle générale, le continuo se limite à l’orgue à l’église, le clavecin + un instrument grave ailleurs. Il peut aussi être confié au luth ou au théorbe. 
  2. Cantate : Œuvre vocale de moyenne ou grande envergure, généralement en plusieurs parties, composées pour des solistes et un orchestre. Elle peut être profane et de chambre, notamment dans l’Italie de la deuxième moitié du 17ème siècle, ou sacrée, tout particulièrement en Allemagne. 
  3. Contrepoint : Art de la superposition de lignes mélodiques indépendantes de manière à ce que l’écoute globale soit euphonique. Il s’agit donc d’une conception horizontale de la musique, au contraire de l’harmonie. Une écriture contrapuntique relève d’une conception à plusieurs voix superposées dont le dessin rythmique et mélodique n’est pas le même : en ce sens, on applique le terme polyphonique comme synonyme, bien que ce dernier terme soit plus général. En bref, la polyphonie est un état, le contrepoint est un art. A noter qu’à l’époque baroque, le contrepoint au sens strict va être peu à peu réservé à la musique sacrée, la musique profane étant beaucoup plus tournée vers la monodie accompagnée. 
  4. Harmonie : Concerne tout ce qui est "vertical" dans la musique, l’opposé du contrepoint. La science des accords, leur succession ou leur fréquence, la gestion des tonalités relèvent globalement de l’harmonie. Le rôle de l’harmonie devient très important dans la musique profane du Baroque, donnant lieu aux règles telles qu’elles sont toujours enseignées aujourd’hui … 
  5. Madrigal : Pièce vocale profane d’origine italienne, sur un texte poétique court (un sonnet, par exemple). Polyphonique à la Renaissance, il devient virtuose, puis dramatique à l’époque baroque : Monteverdi en vient à lui rajouter une véritable basse continue dès son 5ème livre et écrira dans ses derniers livres des madrigaux pour une ou deux voix solistes. Adapté en Angleterre durant la Renaissance, puis repris avec en Allemagne pendant l’époque baroque, le madrigal disparaît peu après au profit de la cantate profane ou l’air de cour. 
  6. Monodie accompagnée : Le terme caractérise à l’époque baroque tout air chanté par une voix seule (d’où le mot "monodie") et accompagnée par n’importe quel médium instrumental (du clavecin à l’orchestre). Il s’applique plus particulièrement à tous les airs ou récitatifs produits au tournant du 17ème siècle par Peri, Caccini et tous les partisans de l’avant-garde italienne en réaction au madrigal polyphonique. 
  7. Ouverture : Dans le monde de l’opéra et à l’époque baroque, l’ouverture d’orchestre s’intitule d’abordsinfonia. Elle se standardisera par la suite selon deux schéma classiques traditionnellement opposés : l’ouverture à la française se caractérise par le contraste net entre un mouvement lent plein de grandeur (marqué par un rythme pointé devenu le "rythme d’ouverture à la française") et un mouvement rapide souvent fugué. Le mouvement lent est parfois repris, d’où l’opposition faite fréquemment avec l’ouverture à l’italienne, organisée selon le schéma vif / lent / vif (généralement, allegro / andante / presto). 
  8. Polyphonie : Caractérise toute musique faisant appel à plusieurs sources simultanées : deux ou plusieurs voix (dans le cas du madrigal polyphonique), plusieurs lignes mélodiques instrumentales différenciées (ex. : dans une fugue), voire même plusieurs chœurs (polychoralité, dans la musique sacrée vénitienne). On oppose le terme à la monodie et on l’applique par exemple à toute la musique de la Renaissance, basée sur l’art du contrepoint, terme souvent utilisé de manière synonyme. 
  9. Prima Prattica : littéralement, la "première pratique". Synonyme : Stile antico. Expression utilisée notamment par Monteverdi et certains de ses contemporains pour désigner la musique polyphonique de la Renaissance, cet art "ancien" auquel s’oppose la seconda prattica, plus attentive au respect du texte. 
  10. Récitatif : Type de déclamation chantée stylisant la voix parlée (parlar cantando), accompagné par le seul clavecin (recitativo secco) ou la basse continue, ou, à mi-chemin avec l’air, par l’orchestre (arioso). Très utilisé à l’opéra ou dans les oratorios, il en constitue le moteur de l’action et est généralement utilisé pour les dialogues entre des personnages ou pour la narration. Au 18ème siècle, il est parfaitement standardisé et précède de manière quasiment systématique l’aria : on parle d’ailleurs de "couple" récit&air, pas forcément chantés par le même personnage. A partir de ces données de base, il existe de nombreux cas de figures à mi-chemin entre récit et air, comme l’arioso, caractéristique de l’opéra naissant où la frontière entre récit et air n’est pas très fixée. 
  11. Rhétorique : C’est un des mots-clés de la période baroque, où la rhétorique commande une grande partie de la composition. Le texte musical, à l’égal d’un texte littéraire, est considéré comme un discours récité, utilisant les même techniques de présentation, de développement, de persuasion, mais traduite en conventions ou figures de style musicales. Cette conception s’appliquait aussi bien à la musique sacrée que profane, et tout autant à la musique instrumentale. 
  12. Seconda prattica : littéralement, la "seconde pratique". Synonyme : Stile moderno. Expression utilisée notamment par Monteverdi et certains de ses contemporains pour désigner la "nouvelle musique", en opposition à la prima prattica, l’art polyphonique de la Renaissance. La seconda prattica s’attache à un respect inconditionnel du texte et à une expression optimale des affeti (= les passions), par des moyens tels que le chant soliste sur basse continue (la monodie accompagnée), certains effets vocaux et dramatiques, une écriture musicale plus attentive à la diction parlée, … 
  13. Stile concitato : En italien = "style agité". Terme qu’utilise Monteverdi pour désigner certains effets vocaux ou dramatiques qui caractérisent le stile rapresentativo des Madrigali guerrieri e amorosi (8èmelivre) : Il combattimento di Tancredi e Clorinda en est à ce titre l’exemple le plus fameux. 
  14. Symphonie : A l’époque baroque, ce terme ne recouvre pas du tout le même sens que les siècles ultérieurs (parce qu’à cette époque, il s’applique seulement à ces "pièces de simfonie" et autres "sinfonias" destinées à ouvrir un opéra, un oratorio, voire une cantate. Il s’agit alors d’une pièce orchestrale insérée dans le cadre vocal (en ouverture ou non). C’est seulement au début du 18ème siècle que la symphonie véritablement indépendante commence à prendre son essor, comme outil de divertissement de table par exemple (Symphonies pour les soupers du Roy de Delalande) et sous l’influence de G.B Sammartini, notamment. 
  15. Tragédie lyrique (ou tragédie en musique) : Forme d’opéra spécifiquement française, née en 1673 avec leCadmus et Hermione de Lully. Elle comprend une ouverture suivie d’un prologue célébrant souvent le monarque en place et cinq actes, comportant tous au moins un ballet. Bien qu’elle soit démarquée nettement de son modèle dramatique, la tragédie lyrique ne se termine pas forcément par un happy end, comme on le croit souvent… 
  16. Madrigalisme : Figuralisme caractéristique du madrigal de la fin du 16ème siècle (nombreux chromatismes, fausses relations, contrastes violents, silences dramatiques…). 
  17. Figuralisme : Procédé d’écriture visant à illustrer un mot ou une idée littéraire.


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