La musique religieuse renaissante


1°) Le cadre géographique, historique et culturel :
Cette musique religieuse du 16ème siècle est bien difficile à étudier parce qu’elle se situe dans une immense mouvement qui est celui des réformes protestantes. Mais ces réformes ne diminuent en rien (au contraire…) le rayonnement culturel de l’église catholique parce que l’église catholique, pour répondre aux réformes protestantes, va organiser ce qu’elle appellera la contre-réforme (c’est ce qu’on appellera ensuite la réforme catholique).
Cette contre-réforme (ou réforme catholique) est promue, organisée, pensée, voulue par un grand concile : le Concile de Trente qui a commencé en 1542 et s’est achevé en 1563 (il y a donc eu plusieurs sessions parfois espacées de plusieurs mois).
Ce concile de Trente est très important pour la musique parce qu’il a établit les règles de la liturgie pour 4 siècles puisque ces règles n’auront été abolies que par le concile de Vatican II avec le Missel de Paul VI en 1969. Autrement dit, toute la production musicale religieuse du baroque, classique, romantique et d’une bonne partie du 20ème siècle est soumise au règles du concile de Trente.
Par rapport au dépouillement souhaité par les protestants, l’église catholique veut affirmer sa puissance dans un art qui est très visuel, spectaculaire, triomphant et qui va très vite déboucher sur le baroque romain du 17ème siècle.
Les pères du concile auront tout de même une position un peu ambiguë par rapport à la musique parce qu’ils estiment qu’il faut se démarquer des protestants mais il estiment aussi qu’il faut tempérer un éclat musical trop vif et ils insistent beaucoup sur la nécessité impérieuse de la bonne compréhension du texte.
Ce catholicisme triomphant va surtout s’imposer en Europe du Sud : Italie, Espagne (qui est d’ailleurs liée aux Flandres) restent les bastions inébranlables du catholicisme. La France est un petit peu plus discutée, plus partagée et elle va trouver, comme dans le domaine de la musique profane, des moyens d’expressions qui lui sont propres (dans la musique religieuse comme dans la musique profane s’en est finit du style franco-flamand unique et international).
2°) Les genres :
A côté du motet traditionnel qui se perpétue toujours, les messes seront surtout de style paraphrase ou parodie. Pendant ce temps là la vieille messe sur cantus firmus est progressivement abandonnée.
La messe paraphrase est l’héritière de la vieille messe cyclique, c’est elle qui prend le relais de la messe unitaire (dans la veine de la messe Pange linga de Josquin) mais le thème est traité de plus en plus librement. Le lien se distant donc avec la liturgie puisque la mélodie grégorienne de base est de moins en moins perceptible. Cette mélodie grégorienne déformée, développée passe à toute les voix, elle est transformée mélodiquement, rythmiquement mais elle reste tout de même le fil conducteur de la messe (c’est le prolongement du style de la messe Pange linga de Josquin).
La messe parodie utilise tout ou une partie d’un modèle polyphonique préexistant. On prend donc une chanson ou un motet qu’on a déjà composé ou bien qu’un autre compositeur a écrit (ce n’est pas nécessairement un auto-emprunt) et puis on développe cette polyphonie et on l’adapte aux besoins du nouveau texte (en l’occurrence le texte de la messe). L’œuvre parodiée est donc un trame, une œuvre de base, l’œuvre originale qui va servir aux différentes parties de la messe. Dans chacune de ces parties, cette trame, ce modèle est refondu, recréé, réécrit pour les besoins d’une nouvelle polyphonie.
3°) Les Flandres :
Le développement musical de cette région est lié au règne de Charles Quint qui a attiré à lui les meilleurs maîtres non seulement dans le domaine de la musique profane mais aussi dans le domaine de la musique religieuse (la chapelle de Charles Quint est enrichie des meilleurs maîtres de cette époque).
Cette cour de Charles Quint vit sous la terreur de l’inquisition (c’est un des exemples de contre-réformes les plus marquées, les plus vives). Et c’est pourquoi dans ce contexte très religieux les musiciens seront plus portés vers la musiques religieuses que vers la musique profane contrairement à la France.
a) Le style :
Tout part du modèle josquinien. C’est le modèle josquinien poussé à ses limites. Ce qui était souplement utilisé par Josquin l’est maintenant systématiquement, à commencer par l’imitation. Josquin utilise de nombreuses imitations, c’est un procédé d’écriture important : cette imitation devient systématique, on dit aussi qu’elle est syntaxique puisque c’est l’élément désormais fondateur du langage musical (une phrase donne immédiatement matière à une imitation).
Cet ensemble va constituer un tissu polyphonique extrêmement dense où les cadences sont rares (ou du moins elles sont tellement tuilées qu’on ne les voit pas et on ne les entend pas). Les 4 voix sont toujours présentes : il n’y a plus l’aération, l’effort de simplicité que nous avions chez Josquin. Il n’y a plus de polyphonie allégée, plus de séquences, plus d’ostinatos : on a parlé de style plein. Ce style plein s’accommode, convient parfaitement à l’exécution a cappella (on abandonne définitivement la doublure des voix par les instruments : c’est de là que naît le style a cappella). Ainsi apparaît une sonorité nouvelle du chœur, du petit ensemble vocal seul. On peut dire que ce style est l’aboutissement ultime de tous les travaux des polyphonistes depuis Ockeghem, Josquin…
Mais cette polyphonie complexe, imitative en permanence ne permet guère la compréhension du texte, ce texte qui est déchiré, mis en lambeau par les imitations et on comprend donc les exigences des pères du concile de Trente, des pères conciliaires qui se heurtent à cette non compréhension du texte et qui souhaitent davantage de clarté, de verticalisme pour permettre la compréhension du texte. Celui qui répondra le mieux aux exigences des pères conciliaires est l’italien Palestrina.
b) De la mort de Josquin à 1550 environ :
C’est Nicolas Gombert qui est le musicien officiel de la chapelle de Charles Quint. Il est la parfaite illustration de ce style général définit ci-dessus. Cela dit Gombert sait aussi rechercher l’expression.
Exemple : « Ave Regina » de Gombert : c’est une antienne mariale. C’est l’exemple parfait de cette polyphonie en style continu et dense qui répète sans cesse le principe de l’imitation.
Thomas Créquillon : c’est aussi un musicien de Charles Quint qui pratique aussi l’imitation syntaxique mais qui reste peut-être plus proche de Josquin. Il sait davantage ménager des sections homophones. Il sait alléger sa polyphonie.
Clemens non Papa : il est un compositeur extrêmement intéressant, extrêmement varié donc difficile à classer car il s’essaye un peu dans tous les styles. En tous cas les imitations, chez lui, sont moins systématiques que chez Gombert.
Exemple : motet de Noël « Pastores loque mantur » (= les bergers ont parlé) de Clemens non Papa.
c) Après 1550 :
Cette 2ème moitié du siècle voit la désintégration de l’école néerlandaise, désintégration de la vieille tradition franco-flamande qui est pénétrée, renversée par la clarté italienne.
Sous l’influence des prescriptions du concile de Trente, le contrepoint s’aère et la division des voix allège de nouveaux la polyphonie. Les compositeurs s’appliquent donc à faire comprendre le texte.
Parmi les nombreux noms, deux musiciens vont contribuer à cette transformation : Philippe de Monte (1521, † 1603) et Roland de Lassus qui domine (1532, † 1594). Ces 2 compositeurs ont finalement un parcours de formation qui est à peu près le même : ils sont nés dans le Nord, ils ont été formés en Italie, ils auront un poste de maître de chapelle dans une cour germanique (Philippe de Monte à Vienne et à Prague, Roland de Lassus à Munich). Ces 2 compositeurs ont subi très nettement l’influence du madrigal italien.
Exemple : motet « O suavitas » de Philipe de Monte, c’est une polyphonie à 8 voix avec encore des imitations mais un contrepoint beaucoup plus libre que dans la génération précédente et l’allègement par division du chœur.
Roland de Lassus
C’est un compositeur majeur de ce 16ème siècle. L’œuvre de Lassus domine toute la musique religieuse catholique de cette époque et il doit être considéré comme l’alter ego de Palestrina qui représente l’Italie.
Si Lassus a tellement d’importance c’est parce qu’il se montre ouvert à toutes les techniques de son temps (techniques qu’il ne copie pas servilement mais dont il se nourrit pour enrichir sans cesse son style) : il utilise le procédé de l’imitation syntaxique mais il s’imprègne aussi de l’art italien et même de l’art français dans lequel existe une autre conception des rapports entre texte et musique.
Par conséquent, Lassus introduit dans sa musique religieuse des procédés venant de la musique profane. Voici donc que le contrepoint homophone note contre note va permettre de rendre intelligible les intentions d’un texte. Autrement dit les éléments de madrigalismes pénètrent désormais le motet (ils ne sont plus réservés exclusivement au domaine profane). Cela n’empêche absolument pas les progrès de l’écriture contrapuntique fleurie. Cependant le contrepoint n’est plus le style unique mais un style utilisé parmi d’autres…
Le premier grand corpus, le premier grand groupe d’œuvres de Roland de Lassus est ses 700 motets de 2 à 8 voix qui vont révéler l’aspect le plus personnel de son style. C’est là qu’il montre son intérêt tout particulier pour le texte et cela grâce à des techniques subtiles. Il représente bien le passage entre l’écriture contrapuntique savante et l’écriture madrigalesque. Ainsi, pour chanter le texte, la ligne mélodique prend un tour parfois inattendu. Les rythmes sont aussi sources d’effets musicaux (par exemple, les silences brusques, les rythmes contrastés). Toujours à des fins expressives et dans la veine renaissante tournée vers le mythe de l’Antiquité, la polyphonie utilise beaucoup le chromatisme. C’est le cas par exemple, dans un recueil de 12 pièces (qui sont des motets) de 1555 qui forment un cycle intitulé « Prophetiae Sibyllarum » (= les prophéties de la Sibylle). Il s’agit donc d’un recueil de 12 pièces qui favorisent l’écriture syllabique verticale donc la compréhension du texte ; et pour mieux servir ce texte, on souligne le sens de certains mots par des madrigalismes. L’originalité de ce cycle tient aussi dans le chromatisme (cela n’est pas gratuit puisque cette Sibylle qui remonte au temps les plus reculés de l’Antiquité est un personnage étrange, merveilleux et pour cela on utilise le chromatisme qui est étrange à entendre et inattendu pour les gens de l’époque et qui semble donc bien caractériser ce personnage). A cette Sibylle, on lui fait annoncer la Nativité et la victoire du Christ sur les ténèbres du monde (on comprend comment ces images de « lumière », « ténèbres » peuvent être traitées musicalement par le chromatisme et par l’harmonie).
Un autre groupe de pièces important est les 7 psaumes de pénitences de David : « Septem Psalmi Davidis Poenitentiales » à 5 et 6 voix composés vers 1560. Dans cette série, ce cycle, cet ensemble de psaumes, le compositeur a voulu rendre hommage à la plus ancienne tradition du chant religieux en rangeant ces psaumes dans l’ordre des modes ecclésiastiques. Chaque psaume est divisé en autant de verset qu’il le faut, chaque verset donnant matière à un morceau autonome en soi. Ce sont des pièces qui peuvent prendre une grande importance. Ces versets sont écrits en général à 5 voix mais la polyphonie est aérée, allégée parfois à 4, 3 ou 2 voix. Chacun des psaumes culmine, termine, conclut dans un passage à 6 voix. Là encore, Lassus s’efforce de respecter l’intégrité de chaque mots et il est nécessaire pour cela que le verticalisme doit l’emporter sur les vocalises et les mélismes.
Exemple : premier psaume « Domine ne in furore tuo » (en ré mineur qui évoque le premier mode).
psaume « Domine ne in furore tuo » de Lassus
Lassus a aussi laissé environ 50 messes de 4 à 8 voix et qui la plupart du temps sont des messes parodies. Pour écrire ses messes parodies, Lassus va choisir des chansons françaises, des motets latins ou encore des textes profanes italiens. L’activité qui consiste en l’écriture d’une messe parodie n’est pas secondaire et c’est justement l’occasion pour le compositeur de montrer ses habiles talents de polyphonistes puisqu’il part d’un matériau préexistant qu’il faut transformer (c’est une tâche d’artisanat qui est encore plus complexe parfois que de partir de rien).
Enfin Lassus a laissé des passions : il a écrit 4 passions dont deux, « La passion selon Saint Matthieu » (1575) et « La passion selon Saint Jean », sont les plus développées. Ces passions sont sans doute les premières grandes passions musicales de l’histoire de la musique. Il s’agit de véritables petits drames musicaux. Ce texte de la passion permet, invite à découvrir les ressources de l’opposition solo – groupe. Ainsi les personnages incarnés seront interprétés par un duo ou un trio (le personnage du Christ, par exemple, est un duo ou un trio et non un personnage unique quant à la foule [= turba] elle sollicite évidemment l’effectif complet). Ces passions se rattachent à la nature, au genre, au style du motet (il s’agit en fait de motets beaucoup plus longs et sur un sujet extrêmement dramatique qui permet donc un traitement très dramatisé).
4°) La France :
a) La 1ère moitié du siècle :
En France, le catholicisme reste très vivant (la réforme a une emprise, certes, mais qui reste secondaire par rapport à la majorité catholique écrasante). Cependant, malgré cela, la musique religieuse est beaucoup moins intéressante, beaucoup moins originale que la musique profane.
Cette fois encore c’est grâce à l’imprimerie que la musique connaît un essor important. De 1532 à 1546, Attaingnant publie 4 livres de messes d’auteurs divers. Il s’agit la plupart du temps de messe parodie sur un motet ou sur une chanson. En 1534-35, Attaingnant publie 13 livres de motets c’est à dire 397 pièces dues à une cinquantaine de compositeurs différents.
Peu à peu on va voir s’affirmer les caractéristiques françaises, on va voir le style français se différencier du style flamand. En quoi consiste cette différentiation ? D’abord les imitations porteront sur des phrases beaucoup moins longues. La technique contrapuntique se veut moins savante. On recourt souvent à des formations allégées.
On retrouve les mêmes compositeurs que dans le domaine de la chanson c’est à dire Sermisy (qui est avant tout un auteur de chansons : ses messes se ressemblent de l’esthétique profane), Manchicourt, Richafort, Certon, Gascongne, Le Heurteur ou encore Sohier.
b) La 2ème moitié du siècle :
Cette 2ème moitié du siècle voit l’épanouissement de l’école française (surtout de l’école parisienne), comme d’ailleurs dans le domaine de la chanson, qui est marquée par l’humanisme d’une part, mais aussi par la réforme.
De nouveaux imprimeurs vont succéder à Attaingnant : Nicolas Du Chemin (travaille entre 1549 et 1576) et « Le Roy et Ballard » qui est la grande famille d’imprimeurs français qui aura le monopole, le privilège de l’impression musicale jusqu’à la fin du 18ème siècle (Le Roy disparaissant, on garde le nom de Ballard).
Dans cette 2ème moitié du siècle on trouve toujours les messes et les motets mais s’ajoutent à cela les psaumes protestants où s’illustre surtout Claude Goudimel.
Claude Goudimel :
C’est un personnage intéressant car il est catholique d’origine et il évolue vers la foi protestante. Il a donc commencé à produire des œuvres catholiques : 5 messes à 4 voix (de 1551 à 1558). Ses messes se distinguent par la pureté de l’écriture contrapuntique (une écriture contrapuntique un peu dépouillée).
Exemple : messe parodie « Le bien que j’ai » qui est fondée sur une chanson de Goudimel.
Ces messes de Goudimel seront vite éclipsées par ses psaumes (qui sont le morceau de base de la liturgie réformée) sur des textes français. Ces psaumes sont le pendant du choral protestant allemand. Il y a 3 recueils principaux chez Goudimel : « 150 psaumes de David à 4 parties » en version simple (contrepoint note contre note stricte) de 1564, « 150 psaumes de David à 4 parties » en version élaborée de 1568 et enfin « Psaumes de David mis en musique en forme de motet » (c’est une série de 8 livres publiés entre 1557 et 1566).
Tous ces psaumes sont destinés à la pratique des amateurs et non pas des musiciens professionnels. En effet, la liturgie calviniste exclut toute polyphonie au temple (on ne peut chanter que ces psaumes a cappella à l’unisson) mais on invite les fidèles, chez eux, à reprendre ces musiques et alors, à cette occasion, à les chanter en polyphonie. Donc ces versions polyphoniques sont des versions pour amateurs et pour un usage domestique.
Ces psaumes se fondent sur la mélodie officielle du psautier huguenot (= le psautier de Genève, psautier genevois) que l’on place au supérius ou au ténor.
La version simple de 1564 donne le spécimen du langage harmonique de l’époque renaissante puisque le compositeur s’est interdit autre chose qu’une succession d’accords. C’est donc l’exemple à l’état brut de ce qu’est l’harmonie renaissante c’est à dire avec des accords parfaits à l’état fondamental (il y a de très rares accords de sixte, pas de sixte et quarte) et il arrive encore parfois que l’accord final soit un accord sans tierce. Ces pièces ne sont pas pour autant monotones ou pauvres : c’est le grand art de l’harmoniste de cette époque que de savoir écrire quelque chose d’extrêmement varié avec un vocabulaire harmonique rudimentaire. Et s’il n’y a pas cette monotonie c’est parce que nous ne sommes pas dans un langage tonal (l’usage de l’accord parfait sans renversement donnerait en effet une impression de pauvreté dans le cadre de la tonalité) mais ce n’est pas non plus spécialement modal, c’est une polyphonie qui prise horizontalement reste libre sans recherche de la tonalité.
Exemple : Psaume « Du fond de ma pensée » en version simple.
Dans les psaumes en contre point dit élaboré, des imitations libres marquent le début des phrases mélodiques (ce ne sont pas des imitations très développées). Ces imitations vont permettre aussi de souligner quelques mots importants, essentiels du texte. Ces versions élaborées sont peut-être un petit peu plus tonales que les autres.
Exemple : « Or sus tous humain » en version élaborée.
Pierre Certon :
Il a laissé 8 messes et une cinquantaine de motets.
Son style imitatif est clair, presque dépouillé, peu orné, refusant le spectaculaire. Il y a beaucoup de variété, des passages ou des œuvres en contrepoint note contre note donc vertical (comme dans la chanson) avec toutes les variations possibles jusqu’au contrepoint josquinien.
Claude Le Jeune :
C’est un homme qui n’est pas partagé en plusieurs catégories puisqu’il a adapté la mesure à l’antique à la musique profane et il va l’adapter aussi à la musique religieuse et aux psaumes réformés.
Claude Le Jeune a laissé 2 recueils importants : « Dodécacorde » et « 150 pseaumes de David mis en musique à 4 parties ».
Le « Dodécacorde » a été publié en 1598. C’est une collection de psaumes polyphoniques de 2 à 7 voix (par psaume il faut entendre psaume-motet puisque nous sommes dans un langage polyphonique : le texte des psaumes est traité en polyphonie sous la forme du motet mais chacun de ces psaumes-motet est construit sur la mélodie officielle du psautier genevois). Ce « Dodécacorde » est un hommage au roi Henri IV pour la fin des guerres de religion. Le cantus firmus apparaît plutôt dans les voix intermédiaires. Dodécacordon signifie 12 cordes, 12 chœurs c’est à dire les 12 modes. Ces psaumes sont en effet rangés dans l’ordre des 12 modes selon la théorie de Zarlino (théoricien italien). Comment est-on passé de 8 à 12 modes ? On y a ajouté 2 modes de la (9ème et 10ème modes) et 2 modes d’ut (mode authente d’ut et le mode plagal d’ut : 11ème et 12ème modes). C’est une modalité extrêmement théorique mais qui permet donc en même temps d’arriver au nombre 12 qui est symbolique (12 apôtres). Dans ces psaumes de David, il y a des touches de figuralisme, de madrigalisme et un peu de chromatisme (c’est un chromatisme sporadique). Au fond ce cycle, cette œuvre est une synthèse entre le contrepoint traditionnel sur cantus firmus et l’esthétique madrigalisante.
« Les 150 pseaumes de David mis en musique à 4 parties » : il s’agit cette fois-ci d’harmonisation note contre note du psautier huguenot. Il a été publié en 1601. La mélodie est la plupart du temps au ténor (rarement au supérius). Par rapport à Goudimel, Le Jeune introduit systématiquement la tierce dans tous les accords (il n’y a plus d’accords finals avec une quinte creuse) : Le Jeune supprime plutôt la quinte s’il faut éviter des fautes d’écritures. Le Jeune met des accords de sixte, il multiplie les notes de passages, il systématise les cadences avec retard de la quarte sur la tierce.
Cette musique est beaucoup moins austère que celle de Goudimel : il y a une sorte d’exubérance mesurée, une fantaisie mesurée. Ces psaumes sont toujours destinés à des amateurs puisqu’ils ne peuvent être chantés qu’à la maison mais il faut reconnaître qu’ils sont destinés à des amateurs avertis qui doivent savoir retarder la tierce.