Ferré - Avec le temps



Lorsqu’il écrit ce texte Léo Ferré a 54 ans. La chanson, qui, selon Ferré, n’était pas destinée à devenir une "tube", figure en octobre 1969 sur un 45 tours contenant sur l’autre face L’adieu de Guillaume Apollinaire ; elle est intégrée à l’album Amour Anarchie en mars 1970.






Le texte

Avec le temps, avec le temps va, tout s’en va
On oublie le visage et l’on oublie la voix
Le coeur, quand ça bat plus, c’est pas la peine d’aller
Chercher plus loin, faut laisser faire et c’est très bien

Avec le temps, avec le temps va, tout s’en va
L’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie
L’autre qu’on devinait au détour d’un regard
Entre les mots, entre les lignes et sous le fard
D’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit
Avec le temps tout s’évanouit

Avec le temps, avec le temps va, tout s’en va
Même les plus chouettes souv’nirs ça t’as une de ces gueules
A la gal’rie j’farfouille dans les rayons d’la mort
Le samedi soir quand la tendresse s’en va toute seule

Avec le temps, avec le temps va, tout s’en va
L’autre à qui l’on croyait pour un rhume, pour un rien
L’autre à qui l’on donnait du vent et des bijoux
Pour qui l’on eût vendu son âme pour quelques sous
Devant quoi l’on s’traînait comme traînent les chiens
Avec le temps, va, tout va bien

Avec le temps, avec le temps va, tout s’en va
On oublie les passions et l’on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid

Avec le temps, avec le temps va, tout s’en va
Et l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu
Et l’on se sent glacé dans un lit de hasard
Et l’on se sent tout seul peut-être mais peinard
Et l’on se sent floué par les années perdues
Alors vraiment... avec le temps... on n’aime plus


  • poème sombre et mélancolique qui se conclut sur un constat désespéré (Alors vraiment... avec le temps... on n’aime plus)
  • écrit à différents niveaux de langage : langage soutenu parfois (Entre les mots, entre les lignes et sous le fard / D’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit) ou des images brèves (L’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie) qui succèdent au parler simple du quotidien (Même les plus chouettes souv’nirs ça t’as une de ces gueules)
  • texte composé de 6 strophes alternant 4 et 6 vers
  • est écrit en alexandrins (12 pieds à chaque vers sauf dernier vers des strophes 2 et 4 = 8 pieds)
  • chaque strophe commence toujours par la même phrase (anaphore)
    • "Avec le temps, avec le temps va, tout s’en va" = comme un refrain
  • à partir de la 2ème strophe, il y a recherche de rimes
    • pluie / regard / fard / nuit / s’évanouit
    • gueules / mort / seule
    • rien / bijoux / sous / chiens / bien
    • voix / gens / froid
    • fourbu / hasard / perdues / plus.
  • Ferré apparaît ici comme un digne successeur de Villon, Verlaine et Appolinaire mais aussi de Rutebeuf, poète du XIIIe siècle dont la Complainte a été adaptée par... Léo Ferré en 1955.

La musique


  • caractère mélancolique car :
    • tempo lent
    • tonalité mineure : la mineur
    • lignes mélodiques descendantes
    • mélodies tournoyantes
    • harmonies simples mais avec de nombreux retards ou notes de passage qui provoquent des dissonances
    • voix utilisant du vibrato
  • structure strophique
    • les strophes sont traitées 2 à 2
      • = une musique pour les strophes 1, 3 et 5
      • et une autre musique pour les strophes 2, 4 et 6 avec une coda sur le dernier vers.
      • Ces 2 musiques sont très ressemblantes.
  • mélodie qui privilégie la simplicité des moyens :
    • ambitus peu développé (une 10ème) :
    • ligne mélodique conjointe (pas de grands intervalles )
    • écriture rythmique libre = déclamation
      • écriture rythmique tantôt en double-croches, tantôt en triolets (suit la rythmique naturelle du texte)
      • le chanteur ne suit d’ailleurs pas toujours scrupuleusement le rythme indiqué sur la partition, et n’est pas toujours exactement en phase avec l’accompagnement
      • changements de mesures parfois (4/4 à 3/4) pour mieux suivre le texte :
      • accompagnement tout en triolets, ce qui ajoute de la souplesse :

  • accompagnement qui privilégie aussi la simplicité :
    • une basse en rondes
    • des arpèges de triolets
    • des harmonies simples (mais avec des retards et des notes de passage)
      • lam / RE / mim / Fa 7 / rém / mim / la m ...
      • pas plus de 2 harmonies par mesure
    • l’accompagnement peut être réalisé uniquement au piano mais il existe aussi une orchestration. Dans l’enregistrement, on entend un ensemble à cordes (violons /altos / violoncelle/ contrebasse), des cuivres (une trompette / un cor) et un piano.
      • 1ère et 2ème strophes : accompagnement de cordes frottées en accords tenus et piano en arpèges
      • 3ème et 4ème strophes : même accompagnement avec un contrechant de la trompette (ou du bugle)
      • 5ème et 6ème strophes : les accords des violons passent à l’octave. La trompette joue maintenant des accords renforcés par des cors.



La chanson "Avec le temps" est vite devenue un succès et a été interprétée notamment par Dalida (1971) Philippe Léotard (1994), Jane Birkin, Johanne Blouin (1995), Catherine Lara (Sol En Si 1999), Isabelle Boulay et Thierry Amiel (2003).