Histoire de la musique : les USA du 19è au 20è s.

LA MUSIQUE AMERICAINE - Introduction

A part les éléments populaires, il existe pratiquement fort peu de manifestations musicales remarquables en Amérique du Nord avant le 19e siècle. Cependant la gestation s'opère dans le courant du 18e siècle. Alors apparaissent éditions de chants religieux, fondation des premiers orchestres, premiers récitals et concerts, création des premiers opéras; mais sans cohésion aucune, en dehors de tout esprit systématique et seulement en fonction de circonstances fortuites.
Au 19e siècle, la vie musicale s'organise progressivement, rationnellement, dans l'ombre de l'Europe. Des sociétés musicales apparaissent, et l'histoire peut retenir des noms de compositeurs en nombre croissant.
Cependant toute tentative de classement décourage le musicologue. En effet, en raison du fantastique brassage dont les Etats-Unis se sont fait le creuset, le libéralisme le plus absolu et l’éclectisme le plus large règnent en maîtres; il semble difficile de dégager les grandes lignes de force, et tout à fait impossible de formuler par synthèse une esthétique qui puisse se prévaloir de l'étiquette nationale.
En général, on distingue: les musiciens qui ont été formés totalement en Europe; ceux qui, instruits aux Etats-Unis, ont sollicité un
appui européen pour se perfectionner et se diriger; enfin ceux qui "se trouvent" et œuvrent en toute indépendance. C'est dans ce dernier groupe que naîtra plus tard une véritable Ecole américaine.

Nous proposons de rendre ces distinguo moins arbitraires en discernant les compositeurs qui ont nourri leur musique de l'élément folklorique, et ceux qui ont refusé cette sève jugée trop particulière, pour mieux tendre à l'universalité.

LA MUSIQUE AMERICAINE - Musique Ethnique

Le fonds natif
De vieux airs d'origine indienne - airs de chasse surtout - peuvent encore s'entendre dans les réserves, dans les musées consacrés à la culture indienne, ainsi que lors des nombreux pow-wow, plus ou moins importants, organisés chaque année à divers endroits du pays.
Mais ce fonds, "noyé" dans les multiples et volumineux apports exogènes, ne contribue que pour une part infime à cette résultante complexe qu'on a coutûme d'appeler le folklore américain. Les thèmes en sont la pluie, la guerre, la fertilité.

L'apport européen
Au cours des siècles, les immigrants débarquèrent naturellement avec leurs chansons. Comme chaque nationalité eut un point de chute préférentiel, la prédominance de tel on tel folklore varie suivant les régions.
Les chants des colons britanniques échoient dans la nouvelle-Angleterre.
Les descendants des Français d'Acadie se fixent en Louisiane.
Le long des côtes atlantiques, les pêcheurs se font l'écho des marins portugais.
Le choral luthérien pénètre dans les plaines de Pennsylvanie avec la colonie allemande.
A un degré moindre toutefois que dans l'Amérique du Centre et du Sud, la note espagnole vibre en Californie et au Nouveau -Mexique.

Dans certains centres industriels se perçoivent aussi des traces plus diluées de musiques italienne, hongroise et nordique.
Parfois un nouveau caractère naît de certains mélanges : c'est le cas du chant créole, véritable mixture franco-hispano-africaine.
Mais tous ces composants pèsent peu, comparés à l'apport des Noirs, capital et décisif, lourd de conséquences imprévues.

L'apport Africain
On s’accorde à reconnaître que les Noirs eurent de tout temps une profonde culture du rythme, lequel règne en maître sur les danses et les chants. Cette inclinaison rythmique se concrétise en battements de mains, frappements de pieds, et par le truchement d'une multitude d'instruments à percussion.
Lorsqu'a la fin du 18eme siècle, les Noirs furent amenés comme esclaves, principalement dans les Terres du Mississipi.
Ce sens inné du rythme rencontra divers éléments, qu'elle féconda, "digéra" d'une façon toute personnelle, les restituant transformés, revitalisés:
Les missionnaires protestants, en évangélisant les esclaves noirs, leur apprirent des cantiques. La foi neuve, naïve et ardente des convertis ne leur sembla pas incompatible avec leur amour du rythme. De cette étrange union naquirent les spirituals.
Quant aux prédications (preaching) ponctuées de "yes" et de "amen" enthousiastes du choeur des fidèles, insensiblement gagnées par la ferveur, elles engendrèrent le gospel, où palpite le ferme espoir des novices en une vie meilleure.
Les chants de plantation étaient non seulement autorisés mais encouragés par les Blancs, pour une double raison: ils stimulaient le travail et étouffaient toute pensée de révolte. Avec un rythme alangui qui vibrait à l'unisson de leur douleur, les Noirs y firent passer l'écho de leurs terribles souffrances, morales et physiques. Ainsi sont nées ces ballades de tristesse qu'on a appelées Blues
LA MUSIQUE AMERICAINE - Le Phénomène Jazz

Hybrides, les manifestations musicales des origines devaient encore, pour s'appeler jazz, subir une mutation :
la transposition sur le plan instrumental de manifestations essentiellement vocales.
En utilisant les instruments à leur disposition, cornet, clarinette, percussions, les musiciens Noirs les adaptèrent peu à peu leurs improvisations chorales. Mélodies syncopées et intuitives harmonies de soutien épousèrent donc les timbres instrumentaux.
Parmi les formes nées de la période esclavagiste, citons le cakewalk, le blues, toujours vivace, le ragtime au rythme syncopé, tous trois à la base du jazz.
Il demeure délicat de fixer avec certitude dans le lieu et surtout dans le temps l'apparition des premiers orchestres de jazz. Vraisemblablement à la Nouvelle-Orléans, quartier de Storyville, peu avant la fin du 19e siècle. Même l'origine du mot est obscure.
A titre anecdotique, voici les principales possibilités avancées.
a) "jazz" viendrait indirectement du français "jaser" ; il s'établit en effet spontanément une véritable conversation entre les instruments ;
b) lors de l'engagement d'un orchestre non-syndiqué dans un café (Chicago, vers 1915?) des musiciens syndiqués auraient insulté les autres à l'aide d'un mot grossier, "jass", qui signifierait: musique pour rapports charnels (cf. la phrase de Gide selon laquelle : le rythme de la musique nègre "affole et provoque tous les bondissements de la chair") ;
c) l’un des premiers musiciens ayant pratiqué le genre, Jess ou Jasbo, lui aurait donne son nom...


Evolution du Jazz
II est de tradition de distinguer plusieurs écoles successives.
L'apparition du jazz en Louisiane place celle de la Nouvelle-Orleans chronologiquement en tête (1900). Le genre conserve sa pureté originelle. Il la perdra en se développant.
En remontant le fleuve Mississippi (chacun des river-boats avait un orchestre à bord) puis en prenant le train, les musiciens pouvaient parvenir jusqu'à Chicago, qui devint le principal centre de.jazz à son tour (vers 1920).
Là il s'adjoignit volontiers le percussif piano et s'annexa définitivement le saxophone, auquel les instrumentistes noirs communiqueront ce chaud vibrato qu'on lui connait depuis. Certains Blancs exploitent l'engouement croissant du public et montent eux aussi des ensembles de jazz. Soulignons la distinction stylistique entre ces derniers, qui jouent la note écrite (Straight) et les Noirs, toujours fidèles au principe de l'improvisation (Hot).
Puis l'arrivée des grands jazzmen à New York déplace vers la "Grosse Pomme" le centre d'intérêt (vers 1930). Entre 1935 et 1945, les grandes formations de Tommy Dorsey, P. Whiteman, Artie Shaw, Glen Miller, Les Brown, connaissent une vogue croissante.
Les grands orchestres cèdent pourtant le pas à des formations plus réduites dont l'expression poétise le genre.

Entre-temps, notamment à la faveur de la première Guerre mondiale le jazz avait conquis le marché européen. Il convient de citer au moins quelques-uns des meilleurs noms de la grande époque. Au tout début, WC Handy (1873-1958) livre des blues classiques. Handy, un des compositeurs noirs favoris, est notamment l'auteur de St-Louis Blues, Memphis Blues.
Puis viennent les mémorables enregistrements dans le style original Dixieland de Joseph "King" Oliver (1885-1938) et du musicien blanc "Jelly Roll" Morton (1898-1941). Une renommée croissante salue les prestations d'artistes noirs et blancs comme Louis Armstrong ("Satchmo"), Duke Ellington (compositeur, pianiste et chef d'orchestre), des pianistes Count Basie (le maitre du "swing) et Art Tatum.
On retiendra aussi les inoubliables Lionel Hampton (vibraphoniste), Charlie Parker (saxo), Dizzie Gillespie et Miles Davis (trompette).
Benny Goodman reste l'homme qui fit entrer le jazz au Carnegie Hall et, de sa clarinette, lui conféra ainsi une indéniable "respectabilité" (le celebre Goodman Quartet associait, à sa formation en 1936, outre Goodman, Gene Krupa, batterie, Teddy Wilson au piano et Lionel Hampton).
Citons encore, en cette liste non exhaustive, Sydney Bechet (saxo) Erroll Garner (pianiste).

Le Jazz a influencé plus ou moins profondément maints compositeurs à qui il fournit un aliment neuf. Gershwin, Stravinsky, Ravel ou Milhaud ont largement emprunté à sa technique.
Le "phénomène jazz", s'est imposé par sa vitalité, loin d'être mésestimé, il a rencontré et rencontre toujours le succès mérité.
LA MUSIQUE AMERICAINE - Les Compositeurs Américains

Les Folkloristes
Gottschalk - un ami de Berlioz - semble être le premier compositeur à utiliser des motifs et rythmes noirs, alors que Foster (1826-1864, auteur de Oh Suzannah, des Old Folks At Home), Root, Henry Clay Work, D. Emmett (1815-1904, père du célèbre et poignant Dixie) jouissent encore d’une juste notoriété.
Mac Dowell (1861-1908) qui sut acquérir une belle notoriété, s'intéréssa, lui, aux thèmes indiens (Suite indienne) suivi par Gilbert (Indian Scenes), et surtout Cadman (1881-1947) qui en inséra dans des oeuvres symphoniques et même des opéras. Carpenter (1876-1951) exploita volontiers le jazz dans ses partitionns.Shepherd ecrivit: Fantasia on Down East Spirituals.

George Gershwin
Les jugements les plus contradictoires ont été portés sur George Gershwin (1898-1937) qui fut à peu prés le seul à réaliser la conciliation optimale entre intentions et syntaxe afro-américaines d'une part; de l'autre, style et parure symphonique légués par le classicisme européen. Certain musicologues le lui ont reproché. Pour d'autres, Gershwin est un musicien authentique, qui a "exprimé des idées neuves d'une façon neuve" (Schönberg).
En fait, plutôt aiguillé par une intuition géniale que nanti d'un métier à toute épreuve, servi par son évidente facilité mélodique, son originalité harmonique et ses dons d'orchestrateur, Gershwin eût le mérite de sortir de l'orniere la musique de son pays.
L'audience qu'il obtint et la descendance qu'il engendra témoignent de l'efficience de son entreprise. Ses meilleures oeuvres demeurent "Rhapsody in Blue", dont la fraîcheur juvénile, la spontannéite et la vitalité sont irrésistibles, ainsi que "Porgy and Bess", drame d'une facture franche, d'une sensibilité directe et prenante, premier opéra populaire americain. Gershwin travailla souvent avec son frère Ira, auteur de nombreux Textes.

Les Europeistes
Pour eux le folklore ne saurait fournir un matériau suflisant. Ils préfèrent enraciner leur musique dans la pensée des maîtres classiques.
Certains d'entre eux sont nés en Europe, la plupart y ont accompli leurs études. Nadia Boulanger, Darius Milhaud, Hindemith et Igor Stravinsky (1882-1971) sont les principaux formateurs.

La production intéressante et variée de Paine (1839-1906) subit l'influence allemande, tandis que Loeffler s'inspira de la musique française. Quant à Griffes (1884-1920), il appartint successivement à plusieurs écoles (allemande, russe, française) et, malgré une personnalité insuffisamment dégagée à sa mort, se place fort honorablement.

Walter Piston (1894-1976) qui a travaillé à Paris, d'abord séduit par le jazz, s'est peu à peu abrité derrière un conservatisme assez académique. Roger Sessions (1896-1996) s'inspire de nationalités et de styles divers, pour écrire une oeuvre cependant plus personnelle que le précédent. Parisien d'adoption et ami du "Groupe des Six", Virgil Thomson (1896-1989) a abordé beaucoup de genres, toujours avec la même sincerité (opera célèbre: "Quatre Saints en trois actes" Four Saints In Three Acts ).

Aprés une culture qu'on pourrait qualifier d'internationale, Lee Finney a versé dans le dodécaphonisme. Evolution lente mais sure aboutissant à des ouvrages trés muris: ainsi se caractérise la carrière d'Elliot Carter (né en 1908); son Quatuor n° 2 est son chef-d'oeuvre.
Samuel Barber (1910-1981) prétend concilier un héritage classico-romantique auquel il attache du prix, avec les impératifs qu'imposa l'évolution de ses dernières années: sa musique, puissamment structurée, est souvent apre et tendue; son "adagio pour cordes" (extrait et arrangé d'un quatuor) est devenu célèbre.
Norman Dello Joio (né en 1913) écrit une musique équilibrée et de haute tenue. Lukas Foss (né en 1922) est connu par ses opéras, ainsi que ses concerto de piano trés prisés d'Arthur Rubinstein

Les Américanistes
Non que les artistes de cette categorie n'aient jamais conçu dans le sillage europeen. Mais ils se détachent de la tutelle européenne pour voguer librement.
Charles Ives (1874-1957) apparaît comme le précurseur. S'il ne dédaigna pas toujours l'element folklorique, s'il sacrifia parfois à l'esthetique debussyste, il dépassa résolument cette attitude dans la dernière partie de sa carriere (Concord Sonata).
De même Roy Harris (1898-1979) qui, s'il écrivit certaines de ses oeuvres à partir de mélodies populaires (Folls Fantasy for Festivals) se fait bientôt une conception plus élevée du nationalisme en délaissant la lettre pour l'esprit (ainsi sa Symphonie n° 5 s'inspire d'un discours de Lincoln)


En dépit de tentatives exercées dans des directions divergentes dornnant à l'ensemble de sa production une ligne assez brisée, Aaron Copland (1900-1990) parvient à l'américanisme dans ses pages les plus marquantes (telle sa Symphonie n° 3); l'ambiance agitée des grands centres industriels, qui paradoxalement crée chez l'homme un climat de solitude, se reflète souvent dans sa musique violente (El Salon Mexico).

Certains pensent acquérir l'indépendance en repoussant les structures désuètes et l'ecriture traditionnelle, par l'adhésion au sérialisme ou à l'expérimentalisme. Certes l’un et l'autre sont nés en Europe, mais ils les interprètent d'une façon suffisamment particulière pour qu'une personnalité autonome puisse s'en dégager.
C'est le cas par exemple de John Cage (1912-1992) et de son élève Earle Brown, renommés pour leurs recherches de nouvelles sources sonores; avant-gardiste de la première heure, entre autres trouvailles ils "préparent " le piano en disposant contre les cordes divers objets qui en modifient la sonorité, ou superposent la musique électro-acoustique à la musique instrumentale.

Autres influences
Cette chasse à l'originalité peut entraîner des excés plus ou moins etonnants!
Dixon Cowell (1897-1965) préconise les "notes agglomérées" au piano (tout l'avant-bras sur le clavier).
Pour un ballet, George Antheil (1900-1959) emploie trompes d'auto, enclumes, scies circulaires et helice d'avion…

II serait injuste de ne pas mentionner les auteurs de musique dite légère (opérettes, films) qui a bénéficié, jusqu’au milieu du 20e siècle de la grande faveur du public : Grofé (Grand Canyon), Irving Berlin (Annie get your Gun), Gould (Concerto pour Tap Dancer), Youmans (No, no, Nanette), Cole Porter (Kiss me Kate), Leonard Bernstein aux talents multiples, auteur fécond de symphonies et de comédies musicales (West Side Story), Loewe (My fair Lady); sans oublier Sousa, auteur de tant de marches célèbres (El Capitan, Washington Post, Stars and Stripes forever).

Reste enfin la question majeure des compositeurs étrangers qui ont accompli tout ou partie de leur carrière aux Etats-Unis.
On aurait tort d'invoquer uniquement la raison "commerciale" à leur sujet. En dehors de circonstances fortuites, beaucoup ont été amenés à rechercher auprés d'un public neuf et trés ouvert, la compréhension que celui du Vieux Continent leur refusait:
Le Tchèque Anton Dvorak, directeur du Conservatoire de New York pendant trois ans (Symphonie du NouveauMonde);
L'Autrichien Schönberg, père de l'atonalisme.
Le Suisse E. Bloch, qui dirigea les Conservatoires de Cleveland et de San Francisco (Symphonia America).
Le Hongrois Bela Bartok qui, mourut assez misérablement à New York.
Le Russe Igor Stravinsky, (Symphonie de psaumes commandée par l'Orchestre de Boston, Ebony, concerto pour un orchestre de jazz, etc).
Le Français Edgar Varèse (1883-1965), dont les recherches audacieuses et les oeuvres prophétiques furent longues à s'imposer, se fixa aux USA en 1916.
L'Italien Menotti qui régna dans le domaine de l'opéra (Le Medium, Le Consul)…

L'action de maints d'entre eux, Stravinsky en tête, fut déterminante.