Hey Joe de Jimi Hendrix

Présenté par Frédéric Inigo, professeur au collège de La Petite Camargue à Lansargues.

  
Enregistré à l'automne 1966 en même temps que Stone Free , Hey Joe  est pressé sur le premier single  de The Jimi Hendrix Experience  – groupe réunissant Hendrix, Noel Redding (basse) et Mitch Mitchell (batterie) – et figure sur le premier album du groupe, Are You Experienced ?
Bien que le crédit n'eût pas indiqué de nom d'auteur, l'œuvre avait été déposée par Billy Roberts en 1962 et enregistrée au moins à six reprises entre 1965 et 1966, les Byrds en ayant donné une version quelque trois mois avant l' Experience.

Les paroles

Le texte chanté par Hendrix se démarque de celui de Billy Roberts mais trois traits l'en rapprochent : l'interpellation «  Hey Joe » , suivie d'une question, revient plusieurs fois comme une anaphore, en début de strophe ; deux personnages s'expriment à travers la voix unique de l'interprète : celui qui interpelle Joe (une connaissance ? un ami ?) et Joe lui-même ; la structure tripartite de la narration. Ce sont trois temps, trois moments : Joe envisage le meurtre de sa compagne (sa femme ?), Joe a accompli son geste, Joe projette de fuir au Mexique.
La structure du texte de Billy Roberts est assez régulière : six strophes de trois vers, les deux premiers étant répétés. Celle de Hendrix est un peu différente : quatre strophes de quatre vers répétés deux à deux le plus souvent. La dernière strophe est tronquée et disparaît dans le fade . Joe a-t-il déjà fui ?
Par ailleurs, outre les fautes de conjugaison, contractions et élisions qui trahissent une langue populaire afro-américaine, Hendrix ponctue d'exclamations et de syllabes onomatopéiques son discours (« uh  », «  alright  », «  yeah  »,…).
Le personnage qui interpelle Joe s'exprime dans les deux premiers vers de chaque strophe, laissant Joe répondre dans les vers suivants sauf dans la dernière strophe.

L'effectif

•  voix solo ;
•  chœur de 1 à 4 voix solistes (dont une voix de femme ou un falsetto  particulièrement flûté) ;
•  2 guitares électriques (presque sans autre effet qu'un peu de réverbération) ;
•  basse électrique ;
•  batterie, essentiellement caisse claire, cymbales, toms.

La grille harmonique

Exceptée la très courte introduction à la guitare solo, l'intégralité de la chanson repose sur une grille répétée à l'identique, comme dans une chaconne :
do  majeur/ sol  majeur |  majeur/ la  majeur | mi  majeur | mi  majeur |
qui s'inscrit dans quatre mesures à 4/4, avec la noire aux alentours de 86.
Cette stabilité harmonico-rythmique est renforcée par la basse qui assied les fondamentales de ces accords sur les temps forts de chaque mesure.
Le chœur, enfin, note à note puis accord à accord, vient confirmer cet énoncé en nappant l'accompagnement dans un registre plus aigu.

Structure générale

En considérant les durées et la structure du texte, une forme en arche se dessine :
  1. Introduction, strophe 1 (4 fois la grille) et strophe 2 (4 fois la grille)
  2. Pont instrumental (3 fois la grille)
  3. Strophe 3 (4 fois la grille) et strophe 4 (2-3 fois la grille)

D'un peu plus près

I,1 Introduction

Elle ne dure que deux mesures et demies. C'est une descente de mi  aigu, corde à vide, à mi  grave, corde à vide, qui aboutit sur une sorte de mi  majeur avec tierce mobile majeure/mineure.

I,2 Strophe 1 ( Joe envisage le meurtre de sa compagne )

La voix expose une mélopée – plus qu'un thème mélodique – qui se répète irrégulièrement sur chacun des quatre vers. Là encore, c'est une descente qui commence et repart sur les mêmes notes et se conclut sur le mi , le  ou le sol  naturel inférieurs. Ces dernières notes semblent disparaître dans un léger glissando  descendant.
(Le rythme noté ici est simplifié : la voix n'entre pour ainsi dire jamais sur un temps. Elle est rythmiquement très libre, comme dans un récitatif, à l'inverse de l'ensemble chœur/instruments.)
Imperceptible au tout début, une voix du chœur vient presque doubler ce mouvement.
Arpégeant ou plaquant les accords de la grille, la guitare 1 reste plutôt sobre, au moins dans les trois premières mesures.
La guitare 2 claque ses cordes étouffées sur les temps faibles de chaque mesure, avec la caisse claire. Elle se distingue parfois en « fin de grille », doublée par la basse.
La batterie distille sa série de croches aux cymbales, immuablement, et se montre un peu plus volubile – caisse claire, toms,… – sur la dernière mesure de la grille elle aussi.

I,3 Strophe 2 ( Joe a accompli son geste )

Une tension certaine est créée par trois éléments convergents :
•  La mélopée démarre une tierce plus haut, la voix gagne en dynamique ;
•  Le chœur s'enrichit d'une voix ;
•  La guitare 1 resserre ses rythmes en diminutions.

II Pont instrumental

Il se compose de deux périodes.

II,1 (2 fois la grille)

Un nouveau palier de tension est atteint avec l'apparition d'une troisième voix dans le chœur
et le jaillissement, dans l'aigu, de la guitare solo
qui garde le dessin descendant de la mélopée vocale et remonte d'ailleurs un peu plus haut au début de la grille, la deuxième fois. Cette phrase relativement brève s'inscrit dans une échelle pentatonique, une sorte de mi  mineur descendant.
Jimi Hendrix y fait apprécier son legato  et son aisance à utiliser différents modes jeu comme le bend  ou le vibrato . L'identification des deux guitares, fortement imbriquées, s'opère essentiellement grâce au mixage, avec la guitare solo un peu plus forte  et plus présente dans le canal de droite.

II,2 (1 fois la grille)

Le chœur fait entrer sa quatrième voix et sa densité ne bougera plus jusqu'à la fin de la chanson.
Un motif chromatique apparaît ici, qui s'appuie sur les fondamentales de la grille selon le procédé de marche mélodique. La guitare 1 et la basse lui donnent un aspect tranchant avec ses croches lourdes
alors que la guitare 2 revient à un jeu plus discret, comme au début.

III Strophes 3 et 4, tronquée ( Joe projette de fuir au Mexique )

La voix de Hendrix se fait plus intense, plus granuleuse. Elle atteint l'extrême aigu dès le milieu de la troisième strophe
pour rester jusqu'à la fin dans un mode parlé-chanté, voire crié-chanté.
Les interventions de la batterie se font plus nourries, plus intenses elles aussi, alors que la guitare 2 sort de sa relative réserve avec ses trilles et ses bends  suraigus, de brutales zébrures.
Le motif chromatique/marche mélodique issu du pont instrumental soutient la fin de la troisième strophe et le deuxième vers de la quatrième strophe, bientôt noyé dans un fade  qui fait office de coda .

Sources :

Benoit FELLER, Jimi Hendrix , Albin Michel/Rock & Folk, 1976
Charlie GILLET, The Sound of the City, Histoire du rock'n roll , Albin Michel/Rock & Folk, 1986
Charles SHAAR MURRAY, Jimi Hendrix, vie et légende , Lieu commun/Edima, 1993

Jean-Jacques REBILLARD, « Faire bon effet », in Guitar collector  n° 21, décembre-janvier-février 2000
Jean-Jacques REBILLARD, « Le Son de Jimi Hendrix », in Guitar collector n°43, juin-juillet-août 2005